Sommaire
- 1 Interview sur les premières années de Framasoft
- 2 Présentation de Pierre-Yves et Alexis
- 3 Les débuts de Framasoft
- 4 Première collaboration avec les développeurs
- 5 Framasoft et l’éducation nationale
- 6 La création de l’association Framasoft et du forum
- 7 L’arrivée de Pierre-Yves Gosset
- 8 Les ressources financières de Framasoft dans les premières années
- 9 La Framakey
- 10 Les Framabooks
- 11 Les identités graphiques de Framasoft
- 12 Le départ d’Alexis Kaufmann et les transitions dans les associations
- 13 Que retenir de cette période ?
- 14 Mot de la fin
- 15 Licence
Interview sur les premières années de Framasoft
Walid : bienvenue pour ce nouvel épisode de Projets Libres!. Pour la seconde fois sur le podcast, on va parler de Framasoft. On en avait déjà parlé une première fois l’année dernière, c’était en décembre. J’avais reçu Pouhiou et Booteille pour parler de l’histoire de Peertube. Et ça avait été un épisode qui avait très bien marché, qui était vraiment super. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir avec moi deux autres invités avec qui on va parler cette fois-ci de l’histoire de Framasoft, puisque l’association fête ses 20 ans cette année. Et donc avec moi, j’ai la chance d’avoir Alexis Kauffmann et Pierre-Yves Gosset, qui vont se présenter juste après, et avec qui on va retracer toutes ces premières années. Eh bien, écoutez messieurs, bienvenue sur le podcast Projets Libres! J’espère que vous allez bien tous les deux ?
Pierre-Yves : ça va bien.
Alexis : bonjour, merci pour l’invitation.
Présentation de Pierre-Yves et Alexis
Walid : super, pour commencer, pour que les auditrices et les auditeurs du podcast sachent qui vous êtes, est-ce que vous pourriez commencer par vous présenter succinctement et nous expliquer un peu ce que vous faites et comment vous avez découvert le logiciel libre ? Alexis, tu veux commencer ?
Alexis : si je dis comment j’ai découvert le logiciel libre, déjà je commence à démarrer un peu l’histoire Framasoft, parce que c’est un petit peu à partir de là qu’a démarré Framasoft tout simplement. Donc on va peut-être se demander à Pierre-Yves et puis après j’enchaîne.
Walid : ok d’accord.
Pierre-Yves : du coup, moi je suis Pierre-Yves Gosset, je suis salarié de Framasoft. J’ai été d’ailleurs le premier salarié et ça fera partie de l’histoire sans doute qu’on va raconter aussi. Après avoir été notamment directeur de asso pendant une dizaine d’années, je suis aujourd’hui coordinateur des services numériques de Framasoft.
Walid : ok
Alexis : et moi je suis enseignant, c’est vraiment ma vocation. Professeur de mathématiques, j’ai été enseignant, j’ai bourlingué en France et à l’étranger. Et aujourd’hui, je suis au ministère d’éducation nationale. Je suis officiellement, mon titre, c’est chef de projet logiciel et ressources éducatives libres à la direction numérique pour l’éducation. C’est un peu long, c’est un peu pompeux, mais on va dire que je m’occupe d’essayer d’insuffler le vent de la culture libre au sein d’un ministère dont le surnom est « le Mammouth ».
Pierre-Yves : je ne vais pas préciser, parce que du coup, Alexis, tu pourras après, sans doute… raconter comment toi tu as découvert le logiciel libre, mais moi j’ai découvert le logiciel libre en partie grâce à Framasoft. C’est l’occasion de remercier Alexis là-dessus, puisque moi c’était l’époque où il fallait encore faire l’armée, donc moi j’étais objecteur de conscience à l’université de Grenoble. Et pendant que je faisais mon objection de conscience, j’ai dû installer et mettre en place des logiciels libres dans cette université à destination des enseignants et des étudiants et étudiantes. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le logiciel libre et notamment au travers du forum de Framasoft, ce qu’était une communauté et comment on pouvait fonctionner une communauté basée sur l’entraide, etc. Je pense que comme beaucoup de gens, j’ai découvert Framasoft plus par l’aspect communauté que par l’aspect… on va dire politique aujourd’hui qu’a le logiciel libre dans la vie de Framasoft.
Les débuts de Framasoft
Walid : puisque tu dis que ta rencontre du logiciel libre est intimement liée à Framasoft, est-ce qu’Alexis, tu peux commencer à expliquer un peu l’histoire ? Où tout ça commence ?
Alexis : ok, ça a débuté comme ça, comme dirait l’autre. En tout cas, c’est vrai que c’est une grande fierté collective qu’on reçoit depuis plus de 20 ans. Il y a énormément de témoignages de personnes qui nous disent « j’ai découvert le logiciel libre grâce à Framasoft » Et notamment, je me souviens, quand on allait à la fête de l’Huma, par exemple, dans des lieux qui sont un petit peu différents. Et on avait ce genre de témoignages qui faisaient plaisir, qui justifiaient un peu notre action et tout le temps et la passion qu’on y mettait et qu’on y met encore aujourd’hui.
Donc moi, j’arrive, je suis jeune enseignant de mathématiques. On est dans les années 90… fin 90. Et moi je suis en premier poste et souvent on vous envoie en Seine-Saint-Denis, quand vous venez de la région parisienne. Premier poste à Bobigny, dans un collège. Le numérique on l’appelait même pas comme ça d’ailleurs, on l’appelait NTIC, Nouvelle Technologie de l’Information et de la Communication. Il y avait des noms comme ça, mais en tout cas le numérique n’existait pas en tant que tel. Politiquement, s’est dégagé l’idée de donnons plus à ceux qui ont le moins. Ça parle quand même encore aujourd’hui ce genre de slogan. Et en tout cas, dans l’éducation, ça s’est traduit par d’abord la mise en place des zones d’éducation prioritaires.
Alexis Kauffmann
Ça ne s’appelait pas exactement comme ça à l’époque. Et puis, il y avait des moyens qui étaient alloués justement pour équiper les établissements scolaires avec des ordinateurs, avec des connexions Internet.
Et donc, moi, j’arrive dans un établissement où tout d’un coup… C’est monter une salle informatique, parce qu’aujourd’hui, il y a de moins en moins de salles informatiques en tant que telles dans les établissements scolaires, parce qu’il y a le Wi-Fi, il y a la mobilité, etc. Mais à l’époque, il y avait des salles informatiques. Et donc, on reçoit une salle informatique flambe neuve. Rare étaient ceux qui utilisaient même le numérique dans leur vie personnelle et professionnelle. Et avec une collègue, professeure de français, Caroline Atabekian, on se dit, « qu’est-ce qu’on peut faire avec cette salle informatique ? » On avait une classe en commun, on avait une sixième en commun, je me souviens. Et dans le donnons plus à ceux qui ont le moins, il y avait la possibilité d’avoir deux profs pour un seul cours, français-maths, ça aussi, j’en parle parce que c’était les belles années. J’aimerais bien que ce genre de dispositifs se reviennent. C’est des moyens, mais ça les justifie, je pense. Donc un professeur de maths, un professeur de français avec la même classe sur les mêmes horaires. Et puis on s’est dit qu’on allait expérimenter.
Et l’idée, ça a été rapidement de… d’utiliser les pages web, en fait, le navigateur en intranet, parce que les connexions Internet étaient rares, etc. Enfin, d’utiliser le navigateur. À l’époque, il y avait une bataille entre Internet Explorer 6, ou même avant, je crois, et Mozilla, et Netscape, voilà. C’était Netscape et Internet Explorer.
Walid : Netscape Navigator.
Alexis : oui, c’est ça. Et on s’est mis, en tout cas, à explorer, comme ça, du contenu pédagogique via des pages web, et puis aussi on avait besoin d’outillage et moi, je me suis… Donc, du coup, on est allé rechercher des petits logiciels qui pouvaient nous intéresser dans le cadre de notre pédagogie. On n’avait pas trop de moyens quand même. Donc, moi, je suis allé à la pêche aux logiciels gratuits qu’on appelait Freeware à l’époque. Voilà, et on a commencé à les lister en se disant « Tiens, tous ces logiciels-là sont intéressants dans le cadre de notre projet, mais je pense que globalement, ils sont utiles aux profs ».
Et parallèlement, moi, j’ai découvert en surfant sur internet de l’époque, un article d’un professeur canadien, qui n’était pas un professeur de sciences, qui était un professeur de littérature comparée, en tout cas qui venait des sciences humaines. Il l’avait écrit en 1998, il l’avait écrit pour sa ministre du Québec, elle vivait à Montréal, pour sa ministre québécoise de l’éducation. Et l’article s’intitulait Comment informatiser intelligemment les écoles ? (NDLR : l’auteur est Jean-Claude Guédon). Et il a invité la ministre et ses équipes à s’intéresser à Linux et à déployer Linux dans les établissements scolaires. Non seulement comme outil, mais aussi comme objet d’enseignement. C’est-à-dire qu’en fait, Linux est aussi intéressant en soi parce qu’on peut soulever le capot, on peut mieux comprendre comment fonctionne l’informatique, etc. Je vous en parle parce qu’aujourd’hui, en 2024, donc là, c’était 1998, aujourd’hui, en 2024, je suis, moi, au ministère sur un projet de déploiement d’une solution, d’une distribution Linux, qui s’appelle Primtux, en fait, c’est une méta-distribution. qui est faite par des profs des écoles primaires, professeurs des écoles pour leurs pères, pour leurs collègues et leurs élèves, pour déployer justement du Linux dans les écoles. Donc en fait, plus de 25 ans après, entre guillemets, soit rien n’a changé, soit c’est vraiment une problématique qui est présente.
Alexis Kauffmann
Alors ça revient à la charge aussi pour des questions de sobriété, c’est-à-dire que ce sont des ordinateurs qui peuvent recycler, les vieilles machines qui dorment dans les armoires. aussi pour des questions de pérennité, parce que c’est des ressources libres, on peut s’en occuper… En tout cas, c’est intéressant de voir que… Moi, j’ai remis l’article à l’occasion de cette émission. Alors, il y a des termes qui sont un petit peu la toile, on n’utilise plus la toile. Mais toujours est-il que c’est fascinant de constater que c’est toujours d’actualité. Moi, j’en suis toujours, un cinq ans plus tard, à essayer de mettre du Linux dans les établissements.
Walid : là, vous êtes deux profs. Donc, vous commencez par lister les logiciels qui existent, en fait. C’est ça ?
Alexis : oui, c’est ça. En fait, ce qui se passe, c’est que moi, en listant ces logiciels, ces freewares, je découvre que dans les logiciels gratuits, il y a une autre catégorie que gratuit et payant : il y a libre, pas libre. Et donc, je creuse un peu. Je trouve de la doc sur Internet. Ça me fascine, quoi. Et je me dis, mais oui, moi, je suis enseignant à l’école publique, mission de service public, qui est la transmission des savoirs et de connaissances. Et donc… Le savoir et la connaissance, on a besoin d’y accéder librement, de l’utiliser librement, de l’étudier librement et de la partager librement, cette connaissance. Donc, c’était exactement les libertés qu’offre un logiciel libre à ses utilisateurs. Donc, il y avait vraiment ça. Il y avait une espèce de proximité de valeur là, ça a fait tilt, ça a vraiment fait tilt. Et ça ne m’a pas quitté depuis d’ailleurs.
Walid : comment vous partagez à cette époque-là, comment vous partagez ces listes de logiciels ?
Alexis : on le partageait avec nos collègues de l’établissement scolaire. Donc on avait un projet en interne qui s’appelait Framanet : Français et mathématiques en intranet. Et ma collègue Caroline, elle me dit, Alexis, la page sur le logiciel, à mon avis, ça pourrait intéresser d’autres, tu devrais créer un site web dessus. Et moi, je lui dis, « oh là là, mais non, je me souviens, il y a déjà plein de choses qui existent sur Internet ». C’est vrai qu’à l’époque, il y a des trucs qui existaient. « Qu’est-ce que ça va apporter de plus ? etc ». Ce n’est pas du tout pour faire le faux modeste, je m’en souviens très bien. Elle me dit : « si, si, quand même, c’est intéressant la manière dont tu les distingues. Et puis, tu n’as pas peur de mélanger gratuit et libre, de les distinguer, mais tu les mélanges. Vas-y ». Du coup, j’y suis allé. Et je crois que j’ai déposé le nom de domaine. Je ne sais plus, ça doit être en 2001, je crois. Et ça a démarré en fait comme ça. Voilà, ça a démarré comme ça pour le premier site, qui était donc framasoft.net. D’ailleurs, la terminaison, c’était .net à l’époque. Et voilà.
Walid : ensuite, après, c’est le bouche à oreille ? Parce qu’à cette époque-là, pour se faire sa pub, soit tu rencontrais les gens en vrai, soit c’était le bouche à oreille.
Alexis : oui, mais il y avait aussi des sites comme justement LinuxFR dont tu parlais (NDLR voir l’épisode sur LinuxFR). Quand on annonçait une news, on avait quand même un impact. Quand on participait, il y avait les forums. Alors, je ne sais pas quand est-ce qu’on a posé le nôtre…
Pierre-Yves : 2004.
Alexis : à l’occasion de cette émissions, j’ai aussi contacté via LinkedIn, je ne voudrais pas dire que c’est LinkedIn, mais j’ai aussi réussi à trouver Paul Lunetta, qui est un des cofondateurs de l’association, et je lui ai dit, tu as des souvenirs un peu, et pour lui, le souvenir marquant, c’est quand le forum a été posé. C’est-à-dire, c’est vraiment… Et la deuxième chose qu’il m’a dit, c’est quand Pierre-Yves est arrivé en tant que salarié dans l’association. Mais c’est vraiment là, sur le forum, où vraiment il y a eu de l’activité, la communauté… On a pu distinguer les personnes qui étaient motivées aussi par l’approche. Parce que c’est vrai qu’entre guillemets, je n’aime pas dire l’originalité parce que c’est un peu prétentieux, mais il y avait une approche d’abord d’utilisateur et pas de développeur. Et puis, on n’avait pas peur de dire, le premier slogan de ce soir, c’était partir de Windows pour découvrir le libre. Je ne sais pas si tu te souviens, Pierre-Yves.
Pierre-Yves : tout à fait.
Alexis : et on jouait sur le double mot, on jouait sur le double express. Partir de, démarrer de, mais aussi quitter Windows au bout d’un moment. Et on mélangeait libre et pas libre. Et d’ailleurs, ça me valait des critiques ou ça nous valait des critiques de la part des puristes. Aujourd’hui, quand je discute avec les gens de Framasoft, Framasoft apparaît parfois un peu comme les puristes qui sont assez exemplaires, il n’y a pas de compromis, etc. À l’époque, non, non, c’était l’approche, elle était vraiment, on n’avait pas peur. D’abord, on était des utilisateurs, on avait découvert l’informatique sous Windows, dans une écrasante majorité. Et puis, on essayait petit à petit, avec un discours non seulement d’outiller, mais également de réfléchir ensemble sur ce numérique émergent et toutes ces valeurs sociétales, plutôt, d’ailleurs, que pouvait apporter le libre.
Walid : si le forum est arrivé en 2004 et que vous avez commencé à travailler sur le sujet fin des années 90, ça veut dire que pendant tout ce temps-là, les communications sont faites soit par mail, soit par…
Alexis : des listes de discussion, beaucoup de listes de discussion.
Walid : ok des mailing-lists.
Pierre-Yves : les listes de discussion, il y avait aussi, techniquement, je crois que tu avais commencé avec Dreamweaver, le premier site.
Alexis : (rires) c’est vrai.
Pierre-Yves : souviens-toi. Ensuite, on est passé à SPIP, qui est encore un CMS existant et bien connu, dont la communauté francophone reste très active. Et en fait, SPIP permettait d’avoir des discussions sous les articles. Donc, ce n’était pas vraiment un mode forum en tant que tel. Par contre, il y avait une communauté qui s’exprimait sous les articles des différentes fiches logicielles qui pouvaient être écrites, essentiellement d’ailleurs par un tout petit groupe. Pour moi, le talent d’Alexis a quand même été sur un tout petit groupe de personnes qui rédigeaient finalement ces fiches logicielles, puisqu’à l’époque, il y avait déjà… plusieurs centaines. Moi, quand j’ai découvert Framasoft ou redécouvert Framasoft, on va dire en 2004-2005, il y avait déjà plusieurs centaines de fiches logicielles, mais la plupart étaient écrites par un tout petit nombre de personnes et la communauté avait cette sensation que la structure, alors qu’elle soit associative ou pas, était beaucoup plus grosse que ce qui n’y paraissait. Et ça, c’est quelque chose qu’on retrouve dans pas mal de communautés du logiciel libre où on a l’impression que en fait, il y a 100 personnes derrière, alors qu’en fait, la communauté peut être extrêmement large, mais les personnes actives sont vraiment un petit noyau d’une poignée ou quelques dizaines de personnes au total.
Alexis : absolument. Sur Wikipédia, on retrouve exactement le même phénomène. Il y a très peu d’auteurs par rapport aux utilisateurs.
Walid : tu as été surpris au départ par les premiers retours ?
Alexis : moi, j’ai été fasciné. Fasciné que d’autres disent c’est intéressant ce que tu fais.
Il faut voir aussi à quelle époque on était. Je ne veux pas faire un peu le vieux con, mais c’est-à-dire, un professeur, sa vie, c’était son établissement scolaire. On était réduit, on ne savait même pas ce qui se passait ailleurs. Et là, tout d’un coup, on pouvait complètement sortir et entrer en relation. Alors, j’ai commencé plutôt au départ avec des collègues, puis ça s’est étendu avec des profils comme Pierre-Yves. Mais ce que je veux dire, ça me fascinait de pouvoir entrer en relation avec d’autres profs d’ailleurs qui étaient un petit peu intéressés par le sujet et de voir ce qu’on pouvait faire ensemble.
Alexis Kauffmann
Et du coup, évidemment, ça donnait de l’énergie pour poursuivre. On était vraiment dans du pur bénévolat et de la passion, de l’intérêt. Ça me servait aussi quand même un petit peu dans ma pratique. Et un autre élément que je voulais dire, c’est qu’on n’était pas du tout sur du full Internet et que télécharger des applications, les tester sur nos locales, sur nos ordinateurs, c’était important, c’est comme ça qu’on travaillait avec le numérique. Puis ce n’était pas simple de les trouver. Il n’y avait pas de réseaux sociaux pour demander tout de suite à ses copains, voilà, deux, trois tuyaux. Donc il y avait un vrai besoin à pouvoir trouver facilement des logiciels qui soient utiles aussi bien au niveau pro que perso.
Pierre-Yves : il y avait quelques autres annuaires qui existaient, mais aucun n’avait, j’allais dire, le dynamisme. qu’avait à ce moment-là Framasoft. Là je parle de quand moi j’étais extérieur au projet, clairement c’était le site qui était le plus fourni et sur lequel justement on pouvait demander via SPIP, le système de commentaires de SPIP, ah tiens, est-ce que ce logiciel permet de faire ceci ou cela ? Et il y avait quand même des gens qui répondaient, qui n’étaient pas forcément du coup du noyau dur des gens qui rédigeaient les notices logicielles, mais qui venaient expliquer en quoi ce logiciel était bon, moins bon, etc.
J’ai envie de dire que le passage notamment à SPIP et à du web qu’on nommait à l’époque 2.0, la possibilité notamment de faire contribuer des utilisateur.ices. Ce modèle-là a permis de créer une dynamique, contrairement à d’autres annuaires sur lesquelles on ne pouvait pas commenter et qui pouvaient être très intéressants d’un point de vue contenu. mais sur lequel il manquait une dimension humaine, à mon avis, à ces sites-là.
Pierre-Yves Gosset
Alexis : je voulais ajouter aussi quelque chose. Au départ, c’est une communauté d’utilisateurs. Pierre-Yves, je pense que ton arrivée, c’est un petit peu la… Toi, tu es entre utilisateur et développeur.
Pierre-Yves : ouais, tout à fait.
Alexis : je ne sais pas comment toi, tu te…
Pierre-Yves : j’ai retrouvé mon premier message sur Framagora et je me présentais comme développeur.
Alexis : tu es un peu le premier développeur. En théorie, quand j’avais eu des informations sur le logicie libre, c’était accueillant pour les utilisateurs. Mais il n’empêche que j’avais quand même le syndrome de l’imposteur. On avait notre rendez-vous annuel du logiciel libre, qui n’existe plus, ça s’appelait les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre. La première fois qu’y suis allé, c’était en 2002 à Bordeaux. Y’avait que des développeurs. Ils étaient tous sur Linux et ils tapaient comme des fous sur leurs écrans noirs avec des caractères blancs. Et franchement, je me faisais petit et j’avais l’impression que c’était pas mon monde, très clairement. Et j’avais… Je présentais justement, je crois que c’était Framasoft qui venait d’arriver sous SPIP. Et je passais juste après l’équipe SPIP. D’ailleurs, j’étais très content de passer juste derrière eux. Ça avait du sens. Mais je ne me sentais pas encore appartenir à la communauté malgré tout.
Il y avait ce sentiment-là. Quand on dit, on parle, comment dire, oui, si j’ai pu en arriver là, c’est parce que les épaules des géants, ici, c’était les développeurs. C’était eux qui fabriquaient ces logiciels libres. Donc, il y avait eu ça. Mais c’est vrai que… que petit à petit, ça a été accepté et on s’est bien inséré. C’est aussi intéressant de voir comment, à partir d’une communauté d’utilisateurs, on est devenu partie prenante globalement des acteurs, en tout cas francophones, du logiciel libre en général.
Première collaboration avec les développeurs
Walid : oui, justement. À partir de ce moment-là, les développeurs voient que vous existez et en fait, en plus, ça leur amène des utilisateurs. Comment est-ce que vous vous insérez ? Effectivement, tu dis qu’on s’insère là-dedans, mais comment vous vous insérez en fait ?
Alexis : ce que je peux dire, c’est que nous, on a porté… D’abord, au départ, il y avait quand même beaucoup de profs et de pédagogues. Pierre-Yves, on peut dire aussi que tu étais dans cette mouvance-là. Et donc, mine de rien, c’est quand même un savoir-faire dans la documentation, un peu dans la communication aussi. Par exemple, on en parlera peut-être après, on peut aussi t’en parler, mais il y a un des projets, c’était les Framabooks. Les Framabooks, c’était au départ des tutoriels de logiciels qui aidaient justement à s’en emparer. On apportait autour du logiciel comment mieux s’en servir, le faire connaître. Comment augmenter la masse des utilisateurs ? Pousser aussi, moi, dans mon institution, pousser le ministère à les utiliser, etc.
Pierre-Yves : je complète. Je trouve effectivement que l’angle et la force, la valeur ajoutée de Framasoft, c’était d’avoir un angle autour de la communication qui était quand même assez fort, ce qui reste encore le cas aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas juste d’avoir de l’info, ce qui convenait très bien aux utilisateurs développeurs, mais de savoir s’adresser à des gens. Et je pense vraiment que les qualités, parce que les fondateurs étaient, je parle en tout cas au niveau de l’association, je pense que tu citais tout à l’heure Paul Lunetta, mais c’était le cas pour Georges Silva aussi, les trois fondateurs, donc Alexis en plus. Les trois fondateurs de l’association étaient tous les trois enseignants. Il y avait une dimension pédagogique qui était de toute façon dans l’ADN dès le départ. Et cet aspect communication a fait que le site était à visée grand public, ce qui n’était pas forcément le cas d’autres sites ou annuaires à l’époque, où typiquement on parlait LinuxFR, que je lis quasiment tous les jours avec plaisir, mais qui n’est pas visée grand public. Framasoft avait une visée grand public. Et c’est cette visée grand public qui a fait que quand il a fallu s’insérer dans la communauté du libre, moi j’ai des souvenirs, mes premières RMLL c’était 2004 ou 2005, effectivement on nous regardait un petit peu comme des ovnis, mais on apportait une dimension que n’avaient pas les autres communautés développeuses de logiciels. Et ce n’était pas toujours apprécié. Moi je me souviens d’avoir fait des démonstrations de Framakey, ça devait être en 2007. je pense à Paris, au salon, l’équivalent de Open Source Experience aujourd’hui.
Walid : Solution Linux ?
Pierre-Yves : effectivement, ça s’appelait Solution Linux. Et il y avait du coup des linuxiens qui venaient éteindre mon ordinateur pendant la démo parce que je faisais une démo de la Framakey qui était un ensemble de logiciels libres sur clé USB, mais pour Windows. Et du coup, comme il n’était pas possible et envisageable pour ces personnes-là de faire tourner un ordinateur sur Windows, à Solutions Linux, alors que je présentais uniquement des logiciels libres, qui étaient un axe de promotion, comme disait Alexis, de partir de Windows pour aller vers le logiciel libre. Il y avait un peu une dimension conflictuelle qui pouvait apparaître avec certaines communautés du libre qui étaient là depuis longtemps et qui, elles, avaient une vision extrêmement puriste, militante, poussée très loin. qui était problématique à mon sens.
Walid : oui, je me rappelle très bien, j’ai des souvenirs de GCU_Squad allant par les stands de Microsoft.
Pierre-Yves : oui, c’est ça. Mais à la limite, de GCU_Squad, je comprends pourquoi, parce que c’était les stands Microsoft, mais nous, on était là pour promouvoir le logiciel libre, vraiment. Et c’était ça notre but, et on n’était pas là pour dire, regardez comme Microsoft fait du logiciel libre. C’était comment est-ce qu’on peut faire tourner Firefox sur clé USB. Et effectivement, nous, on le faisait avec une vision qui était de dire qu’il faut que le logiciel libre dépasse les 2% d’utilisateurs. Et à l’époque, Firefox ne représentait pas grand-chose en part de marché. Il doit représenter, si je suis méchant, à peu près autant de part de marché qu’aujourd’hui. Mais c’était avant la grande époque de Mozilla. Et je pense que Framasoft a très modestement participé au mouvement de démocratisation du logiciel libre auprès du grand public.
Framasoft et l’éducation nationale
Walid : et auprès de l’éducation nationale ? C’est-à-dire que sur ces premières années, est-ce que ces initiatives trouvent un écho à l’intérieur de l’institution ? C’est-à-dire que les profs, on comprend qu’effectivement, ils ont un intérêt à ça, mais est-ce que sur les échelons supérieurs, il y a des gens qui s’intéressent à ce que vous mettez en place ?
Pierre-Yves : c’est une question difficile parce que ça a été relativement fluctuant. Je pense qu’Alexis pourra compléter, mais moi, la façon dont je l’ai vécu, c’est que côté éducation nationale, et moi, à l’époque, je bossais pour le ministère… éducation supérieure et recherche, il y avait quelque chose de très très ambigu derrière. En fait, c’était un peu trois pas en avant, trois pas en arrière..
Donc on a vécu cette situation-là un peu pendant, depuis les années 90 et début des années 2000, où l’éducation nationale, suivant les personnes qui pouvaient être au ministère, suivant les ministres, suivant l’intérêt politique qu’il pouvait y avoir au niveau même des premiers ministres ou autres, autour de la question du numérique et du logiciel libre, un coup ça avançait, un coup ça reculait. Et je pense vraiment qu’il ne faut pas du tout sous-estimer la puissance du lobbying, notamment de Microsoft, Apple, Google, mais notamment de Microsoft si on parle du début des années 2000, où effectivement il y avait un enjeu extrêmement fort pour Microsoft à ce qu’à l’éducation nationale, ce soit plutôt Windows et Word, Excel qui soient utilisés, plutôt que d’autres solutions.
Pierre-Yves Gosset
Après, il y a vraiment eu des périodes un peu fastes, enfin moi je les ai vécues un peu comme ça, où il y avait une accélération et un intérêt fort, pas forcément des ministères, mais en tout cas de… y compris de la base, alors que ce soit des enseignants, que ce soit des parents d’élèves ou autres, à dire pourquoi est-ce qu’on irait payer des licences ? C’était plus l’argument économique que l’argument politique, social ou éthique, mais il y avait un intérêt à pousser le logiciel libre au niveau de l’école. Et encore une fois, c’est différent si on prend le primaire, le secondaire, etc. Et pour moi, qui étais du coup au côté éducation supérieure et recherche, il y avait quelque chose d’un peu plus souple parce que globalement, dans le milieu de la recherche, on fiche un petit peu plus la paix aux chercheurs sur les logiciels qu’ils peuvent utiliser, alors qu’à l’éducation nationale, quand le prof arrive dans sa salle de classe, et notamment les salles informatiques, il y avait les logiciels qu’il y avait dessus, et il ne pouvait pas nécessairement choisir quoi installer dessus.
Alexis : ce qui est certain, c’est que ça a été quand même une déception, globalement. Moi, quand j’ai découvert le logiciel libre, je me suis dit, « bon sang, mais c’est bien sûr », et pour moi, c’était très naïvement, je me suis dit, c’est une… ça va être du bon sens que le logiciel libre pénètre l’éducation nationale. Et que, comme dit aujourd’hui mon directeur, ce n’est pas pour le citer, mais il dit « ils étaient faits pour se rencontrer et pour vivre ensemble ». Mais non, malheureusement, ça n’a pas été le cas. Et d’ailleurs, je ne sais pas si tu l’as cité, Pierre-Yves, mais vous avez écrit un article, Nous n’irons plus prendre le thé, c’est ça, rue de Grenelle qui était un petit peu l’aboutissement, voilà, de ces atermoiements et de ces hésitations de l’institution. Et Framasoft a plus ou moins décidé que ça ne valait pas forcément la peine de dépenser de l’énergie pour des personnes qui ne donnaient pas de garantie, ou en tout cas des politiques qui ne donnaient pas vraiment de garantie, de véritablement vouloir développer une stratégie autour du libre dans l’éducation.
Walid : ces années-là, c’est aussi, je viens de regarder, c’est 98. La sortie d’un livre qui m’avait beaucoup marqué à l’époque, c’était un livre de Roberto Di Cosmo et Dominique Nora, le Hold Up Planétaire.
Pierre-Yves : oui, qui avait fait grand bruit sur la puissance, encore une fois, du lobbyisme de Microsoft. Et je rejoins complètement Alexis,
enfin c’est en 2016 qu’on a écrit ce biais Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’éducation nationale ? qui est un article qui a été écrit par Christophe Mazutti, qui était le président à l’époque de Framasoft et qui est toujours administrateur de Framasoft. Il avait écrit ce biais parce que moi, en tant que salarié, j’ai passé beaucoup de temps à aller dans des réunions au ministère, que ça soit éducation nationale, mais que ça pouvait être dans d’autres instances de l’éducation nationale, il y avait une volonté de co-construction, mais qui était quand même avec un organigramme très clair ou très pyramidal, en vous disant « ok, on veut bien co-construire avec vous, mais notre projet, c’est celui-là ».
Pierre-Yves Gosset
Et pour nous, au bout d’un moment, comme le disait Alexis, on mettait de l’énergie à essayer de soutenir des projets qui étaient portés. je pense à Open-Sankoré ou à d’autres, portés par le ministère. Et puis, deux ans après, il fallait faire marche arrière parce que, je ne sais pas, un problème de licence ou autre, etc. Et donc, on a fait des allers-retours comme ça très longuement. Et nous, en tant qu’association, qui n’étaient absolument pas subventionnés, on s’est dit, « mais en fait, ou on sert de caution, ce qui n’est pas très agréable, ou ils se servent de nous, tout simplement pour pouvoir, derrière, dire, si, si, mais ça, ça a été travaillé avec Framasoft, qui avait plutôt bonne réputation », et donc… On servait de caution en tant qu’image, on servait aussi de main-d’œuvre potentiellement bénévole gratuite derrière. Et c’est vrai que c’était nécessairement un problème derrière de se dire, en fait, nous, on fournit de l’énergie bénévole à essayer de faire bouger des choses dans un ministère, mais ce ministère, parce que le ministre change, on va dire, à minima tous les cinq ans, voire beaucoup plus souvent, enfin, soit beaucoup plus souvent, mais rarement moins souvent. On avait cette problématique de toute façon de savoir qui allait être le ministre suivant, est-ce que ce ministre allait suivre les directives qui avaient déjà été mises en place par la précédente ministre de l’Éducation nationale, et ainsi de suite. Et donc, ça explique un des virages importants qu’a pris Framasoft, mais plutôt à partir de 2014.
Alexis : je vais bien enchaîner et dépasser 2014. Parce que quand Pierre-Yves dit qu’on ne voulait pas servir de caution, c’est exactement la question que je me suis posée moi-même à titre personnel quand je suis rentré au ministère il y a trois ans. Et d’ailleurs, je suis rentré parce que le confinement s’est pas très bien passé au niveau numérique pour le ministère de l’Éducation nationale. On va le dire comme ça pour le résumer. Et d’ailleurs, certains ont fait appel au service Framasoft sans même les prévenir parce que eux, ça fonctionnait alors que ce qui avait été mis en place chez nous, Sup & Sco, enfin quand je dis enseignement supérieur et enseignement national d’éducation nationale ensemble. On a fait des états généraux numériques pour l’éducation, c’est-à-dire on a mis un peu les choses à plat et on a invité les gens à s’exprimer. Souvent, ces choses-là, ça peut être assez politique, c’est parfois même pour noyer le poisson, mais il y a des enseignants qui se sont exprimés, et parmi les 40 propositions qui sont sorties du bilan, il y en a une qui s’était favorisée davantage du logiciel et des ressources éducatives. Ça a été publié, et moi, à l’époque, je travaillais en Italie, au lycée français à Florence. Et je balance un tweet en disant, écoutez, moi j’arrive en fin de contrat, si vous voulez que pour cette proposition-là, de favoriser le libre, moi, si moi, je suis, je vous propose ma candidature spontanée. Et le conseiller numérique à l’époque, c’était de M. Blanquer, est tombé sur ce tweet et il a dit Banco Et c’est comme ça que je suis arrivé au ministère. Et ce que je veux dire, c’est que moi je suis enseignant : généralement, quand on travaille en administration centrale, ce sont souvent des enseignants qui ont suivi un parcours un peu agrégation, inspection. Enfin, je ne rentre pas dans les détails, mais un parcours assez classique de montée en diplôme, etc. Moi, pas du tout. Je suis arrivé complètement par en bas en n’ayant pas du tout ces références. Mais c’est vrai que je suis arrivé, non pas pour ce que j’ai fait en tant qu’enseignant, mais pour justement passer associatif au sein de Framasoft. Et maintenant, je ne vous parle pas de l’objet, mais toujours est-il quand même qu’un des acquis sur ces trois années, on ne rentre pas dans les détails, mais c’est quand même d’avoir pris en considération tout ce que font les enseignants sur le terrain. Framasoft, c’est une initiative du terrain, au départ, d’enseignants. Il y en a plein d’autres. On a vu passer plein de projets hyper intéressants. On en a même vu mourir, Pierre-Yves, de leur belle mort alors qu’ils étaient… Il y avait un plein potentiel. Je me souviens de Abulédu, je ne sais pas si…
Pierre-Yves : oui, très bien.
Alexis : il y avait des vrais projets qui étaient transformants, mais ils étaient sous les radars. Parfois, c’était vaguement repéré par le territoire, l’académie, mais ça n’allait pas plus loin. Et puis, ça tenait aux personnes. Et quand les personnes s’en allaient, ça retombe. Là, ce que j’essaie quand même d’apporter, je dis je mais on est quand même une équipe, c’est reconnaître, accompagner, valoriser les projets qui viennet de profs, d’associations de profs, projets libres qui ont du potentiel. On a mis des millions pour faire de la commande éducative à l’extérieur, à ce qu’on appelle l’ITEC : l’industrie technologique de l’éducation qui sont innovants et proposent plein de trucs, pas de problème. Toujours est-ils qu’on a aussi plein de choses à faire valoir et le savoir faire et que ce n’est pas toujours la peine non seulement de commander… évidement quand on commande, celui qui remporte le contrat garde toute sa propriété intellectuelle ce qui fait qu’on l’aide à sortir de terre, et ensuite il faut lui payer des abonnements pour utiliser ses services… Ce qui fait que, bon, on voit qu’aujourd’hui où on est en période de restriction budgétaire, ce modèle a ses limites et donc au moins on a des dispositifs, on a des associations qui sont soutenues, on a des évènements, etc. On essaye sur ces projets de profs… parce qu’il y a 1 million de profs dans le seconde, y’a un potentiel unique. Y-a des talents numériques, y’a des développeurs, y’a des reconversions… On a même des profs d’informatique car l’informatique est arrivée en tant que discipline dans le nouveau lycée. Au moins ça ça a avancé, mais cela a pris un temps hallucinant, cela a pris un quart de siècle.
Pierre-Yves : et vraiment pour moi, ce qui se passe, c’est qu’il y a des gens formidables à l’éducation nationale qui ont envie de faire bouger à la fois le numérique au sens large, libre ou moins libre d’ailleurs, mais il y a des gens absolument formidables. La difficulté pour nous en tant qu’association Framasoft, c’était d’être dépendants d’un changement politique sur lequel on n’avait strictement aucune maîtrise. Et donc, on avait l’impression de progresser et pouf, on fait deux pas en arrière. Là, je pense que des personnes de l’APRIL pourront te faire tout le détail de tous les décrets, de toutes les propositions, les rapports, etc., qui ont été faits tout au long de ces dernières années. Côté éducation nationale, il y en a eu quand même un paquet. Et c’est vrai que c’est… Pour nous, en tout cas sous forme associative, c’était beaucoup trop compliqué de se dire qu’on met beaucoup d’énergie sur un ministère pour essayer de changer les choses dans un ministère, alors que finalement, on a beaucoup plus de facilité d’accès à d’autres types de publics qui, eux, sont potentiellement déjà convaincus.
Alexis : pour revenir un petit peu sur cette période, parce que je voulais aborder l’exemple de Sésamath, qui est né à peu près en même temps que nous. Sésamath, c’est une association… en enseignant de mathématiques, qui est vraiment pionnière sur le libre, parce qu’ils ont réussi jusqu’à créer des manuels, des manuels scolaires, en papier et en numérique, sous licence libre. C’était pour tout le collège, enfin, c’était quelque chose d’impressionnant. Et ce que je veux dire, c’est que moi, aujourd’hui, je dis que j’essaie de soutenir ces projets. Je peux vous dire que pour ces Sesamath, il a fallu plus de trois ans pour les convaincre de faire quelque chose avec le ministère, parce qu’il y avait un passé, pour ne pas dire un passif. Et que… en arrivant, même si Alexis Kaufmann, OK, on te connaît, tu es rassurant, mais il n’empêche que tu représentes l’institution, que tu arrives avec education.gouv.fr derrière, et qu’ils étaient extrêmement méfiants. Et il y a toute une confiance à renouer à ce niveau-là.
La création de l’association Framasoft et du forum
Walid : je voudrais bien qu’on reprenne un peu la chronologie et qu’on arrive à deux événements. Le premier, c’est la création de l’assaut. Et a priori, le deuxième qui a l’air marquant aussi, c’est la création du forum. Est-ce que vous pouvez nous refaire un peu l’historique ?
Alexis : il y a quelques temps marquants dans l’association. Moi, je me souviens qu’en 2003, parce qu’on était hébergé chez Amen, qui est un hébergeur qui a disparu, mais qui est un peu comme Gandi, OVH, etc. Donc moi, j’avais l’abonnement, on avait l’abonnement de base. Et puis tout d’un coup, face à l’affluence et au trafic, Amen coupe complètement le serveur parce qu’on avait dépassé les quotas. Et moi, un peu naïvement, je m’insurge sur LinuxFR, je me souviens, je dis, voilà, vraiment, « Amen n’aime pas le libre, ils ont supprimé Framasoft », alors que c’était juste parce qu’ils avaient leur truc automatique de quotas, tu dépassais et boum, t’étais supprimé. Donc je suis arrivé un peu naïvement, mais c’était un événement important parce que l’article existe toujours. Il y a eu énormément de commentaires positifs et c’est là que je me suis aperçu vraiment que Framasoft aurait représenté quelque chose. Et en plus, Amen a accepté d’ailleurs après de nous faire une offre justement à la catégorie un peu supérieure en termes de ressources machines.
Mais c’est là que je me suis vraiment aperçu que ça avait essaimé et qu’on était d’abord accepté par la communauté, notamment pour le coup de LinuxFR qui est quand même historiquement une communauté de libristes, on va le dire comme ça, et qu’on avait un certain impact. Donc ça pour moi, ça a été une date importante, je me souviens bien de cette suppression du service, suppression du site momentané sur Amen en 2003.
Alexis Kauffmann
Et puis 2004, c’est ça, c’est l’arrivée du forum. Vraiment, il faut vraiment s’imaginer qu’il n’y avait pas de réseaux sociaux. Donc, on n’avait pas de temps à perdre sur le réseau sociaux, à dire « moi, je, moi », je. Et donc, on avait du temps à consacrer à s’entraider. Et c’est vrai que si tu ne sais pas demande, si tu sais partage, ça fonctionnait à plein à cette époque-là.
Pierre-Yves : et du coup, c’est à ce moment-là que tu décides de créer l’association avec deux autres profs ?
Alexis : oui, en fait, ce qui se passait, c’est qu’on commençait à être invités à des événements. Et donc, on commençait à avoir des frais, tout simplement. Et puis, on voulait aussi peut-être faire des affiches, des kakemonos, des choses comme ça. Vraiment, vraiment. Et donc, on n’avait aucune structure. Et puis, le fait de ne pas avoir de structure aussi, quand on était invité, ça ne donnait pas forcément confiance. Les personnes avaient des électrons libres, etc. Et donc, c’était vraiment, c’était quasiment une formalité administrative. Je me souviens même que je me disais, mais ça va faire bizarre parce qu’il va y avoir une association qui arrive alors qu’on est une communauté. Est-ce que c’est vraiment…
Je me souviens même des discussions, « est-ce que la structure associative, est-ce qu’elle est vraiment soluble dans les communs ? », j’ai envie de dire. Je me souviens de ces discussions-là. En fait, idéalement, c’était peut-être une fondation, mais pas une fondation française. Ça ne correspondait pas. Mais je me souviens de ces discussions.
Alexis Kauffmann
Donc, en tout cas, c’était avant tout administratif, parce qu’on n’envisageait pas du tout d’avoir des salariés et d’accueillir des personnes comme Pierre-Yves, par exemple, tout simplement, à l’époque.
Walid : qui c’est qui héberge le forum à l’époque ? Il faut avoir un minimum de connaissances techniques quand même à l’époque pour monter un forum.
Pierre-Yves : ça, du coup, s’était hébergé entre autres par le CITIC 74, qui lui aussi fait partie des structures qui ont disparu. C’est-à-dire que c’était un organisme public, peut-être un GIP, peut-être un groupement d’intérêts publics, je ne sais plus, de Haute-Savoie, qui nous mettait gracieusement à disposition une machine qui était elle-même administrée par un adminsys (NDLR : administrateur système) de l’université d’Aix-Marseille, qui a fait un travail formidable, qui pendant des années a géré les parties techniques. Puisque à l’époque, dans l’association Framasoft, il y avait quasiment zéro personne technicienne. On était quasiment tous issus du milieu de l’éducation nationale. Vraiment, j’ai envie de dire, des personnes qui n’avaient pas du tout un profil technique.
Alexis : c’est une succession un petit peu aussi comme ça d’opportunités, de rencontres. Parfois je dis que je suis à l’initiative de Framasoft, mais ce n’est même pas vrai. C’est Caroline et moi quand on était dans ce collège, c’est elle qui m’a poussé. Je ne rentrerai pas dans la vie privée, mais il y avait même une petite histoire entre nous. Donc il y a un peu d’amour dans la création de Framasoft (rires).
Je voudrais quand même dire un mot sur peut-être le contexte de l’époque, l’Internet aussi de l’époque. Mine de rien, c’était très engageant, c’était très motivant. Il y avait quand même quelque chose de porteur, c’est-à-dire… Il faut s’imaginer, on ne va pas faire les vieux combattants des internets. Il n’y avait pas les réseaux sociaux. Il faut s’imaginer que, par exemple, sur Google, ils donnaient le même résultat à tout le monde. Mais oui ! Toute la presse était complètement accessible gratuitement, puisque la presse vendait le papier, vendait les journaux papier. Donc, ils se disaient, on le met en ligne, ce n’est pas un problème. On accédait aux articles de presse via RSS. C’est la presse qui allait vers nous. On n’allait pas vers la presse qui était découpée en articles, etc. C’était tout un autre monde. Il y avait Napster, ça a été quelque chose d’absolu et Emule, mais Napster, ça a été absolument fascinant. Tout d’un coup, on se partageait la musique du monde et d’ailleurs, on se le partageait de manière totalement non marchande. Et Emule aussi d’ailleurs, c’était à mon avis un moment qui était aussi intéressant. Il y avait aussi l’émergence des blogs, petit à petit. Il y avait des discussions, il y avait des échanges, il y avait quelque chose qui était peut-être un peu différent de l’Internet qu’on connaît aujourd’hui. Moi, ça m’est arrivé d’intervenir, on m’avait posé une question et je me disais peut-être que Framaceur ne pourrait pas se créer aujourd’hui parce que les gens sont peut-être moins disponibles et parce que l’Internet est trop centralisé.
Walid : les modèles ont peut-être… C’est-à-dire qu’à l’époque, c’était certainement beaucoup plus logique de se créer en association et tout.
Pierre-Yves :
il y a beaucoup de projets qui se sont créés autour de ces années-là, où la question de la création du commun et des projets d’intérêt général ou à viser d’intérêt collectif, plus forte là où aujourd’hui on a plutôt des structures et des associations, et c’est très bien, qui sont militantes sur un sujet, mais qui vont surtout viser à essayer de faire changer une loi, une action, etc. Avec toujours un paysage associatif qui est malheureusement très très morcelé. Et je pense que aujourd’hui, créer une association en 2024 est administrativement plus simple, mais politiquement plus complexe, parce que les niveaux des subventions s’est effondré, parce que les associations sont en compétition les unes avec les autres, alors que, aussi Alexis doit s’en souvenir, nous on travaillait beaucoup avec d’autres associations en fait.
Pierre-Yves Gosset
Et on pouvait avoir le même sujet, il y avait de la place pour tout le monde. Là où aujourd’hui c’est devenu peut-être plus compliqué. Moi, quand je vois le nombre de structures qui fêtent aujourd’hui leurs 20 ans, etc., je me dis, « ah oui, en fait, ce sont quand même des projets d’importance qui se sont créés à ces moments-là ». Comme tu le disais, Alexis, je ne suis pas sûr qu’effectivement, lancer Wikipédia en 2024 fonctionnerait. Là où l’espace était libre, il y avait une volonté peut-être de co-construire différente. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de co-construction aujourd’hui, bien au contraire, mais elle se faisait de façon différente. Et du coup, Framasoft a su trouver sa place, en tout cas sur 2004-2006, très rapidement. Moi, je me souviens, au bout de post-création de l’association, il s’est passé quand même beaucoup, beaucoup de choses sur ces quelques années.
L’arrivée de Pierre-Yves Gosset
Walid : comment t’en es arrivé en fait ? T’es arrivé en 2004 ?
Pierre-Yves : tout à fait. Moi, j’arrive en 2000… donc, j’ai retrouvé mon premier message sur le forum. Il date de fin 2004.
Alexis : il est historique !
Pierre-Yves : voilà, c’est ça. Et j’avais déjà utilisé les services de Framasoft. J’avais déjà contribué à Framasoft sous forme de commentaires, etc. En fait, moi en 2004, je travaille sur un LMS, donc un Learning Management System, un logiciel libre qui permet de diffuser des cours, etc., qui s’appelait Ganesha, parce que je crois qu’il n’existe plus aujourd’hui. Donc je suis à la fois utilisateur de logiciels libres, je suis un petit peu développeur, moi je n’ai pas du tout une formation de développeur, je suis économiste de formation. Par contre, ma rencontre avec Framasoft, elle s’est faite aussi au travers d’un message tout bête où j’écris, en fait, moi, je me pose une question sur un logiciel qui s’appelait à l’époque PHP-Nuke, qui était un des premiers CMS en PHP.
Walid : je l’ai longtemps utilisé.
Pierre-Yves : voilà, j’ai vu ta réaction sur la vidéo. Et effectivement, j’avais un problème avec PHP-Nuke. Je vais poser la question sur le forum de Framasoft. Et vraiment, je crois, dans la demi-heure ou dans l’heure, mes souvenirs sont un peu flous, mais en tout cas, dans la journée, j’ai une réponse de quelqu’un qui me répond et cette personne, je ne sais absolument pas qui c’est. Je ne sais absolument pas pourquoi est-ce qu’elle prend du temps pour me répondre. Elle prend le temps de me répondre de façon polie, propre, en expliquant les différentes étapes que j’ai à suivre pour résoudre mon problème. Moi, mon déclic, il s’est fait à ce moment-là. Donc, ce n’était pas en lisant l’article de Jean-Claude Guédon, mais il s’est fait en lisant une réponse. Et je me suis dit, ah, mais en fait, il y a des gens qui donnent de leur temps sans se poser la question de la contrepartie. ce qu’on citait tout à l’heure, si tu ne sais pas, demande, si tu sais, partage. Et c’est ce monde du partage qui, pour moi, fait le déclic. Donc, à ce moment-là, je commence à contribuer à Framasoft. Je suis effectivement, je pense, un des rares développeurs à se manifester comme tel sur le forum. Alexis me voit arriver avec mes gros sabots et fait un très beau numéro de séduction, en mode « Ah, mais un développeur, mais c’est trop bien, dis donc, est-ce que tu ne voudrais pas nous aider ? ».
Donc, je commence à donner effectivement des petits coups de main. Et en fait, je commence à travailler sur différents projets, notamment à partir de… C’était en 2004-2005 un projet qui s’appelait The OpenCD, qui était une compilation de logiciels libres sur CD-ROM – même pas DVD à l’époque – et que je traduis. J’aide à la traduction en français et à faire une version française de cet outil de diffusion du logiciel libre qui n’existait pas à l’époque. À partir de The OpenCD naîtront deux autres sous-projets et… que je vais porter dans Framasoft, qui sont FramaDVD, parce que du coup, un CD, c’était 600 mégas, alors qu’un DVD, c’était 4 gigaoctets, donc vous pouvez mettre plus de contenu, on a mis des vidéos, on a mis plein de choses, etc. dedans. Et le projet Framakey qui, lui, était un projet de diffusion de logiciels libres sur clé USB.
Et donc, ces trois projets, moi, m’intéressent parce que c’est vraiment quelque chose qui permet de diffuser du logiciel libre à large échelle. Et quelque part, Framasoft m’apporte la capacité et la structure pour le faire. Et quand je dis la structure, le fait de se retrouver dans une association, alors ce n’est pas la première association à laquelle je participais, mais c’est celle dans laquelle, moi, je vais m’investir à ce moment-là beaucoup. Et je crois que c’est en 2005 ou 2006, je suis secrétaire de l’association. En 2007, moi, je change de boulot. Je travaille à ce moment-là pour le CNRS sur un projet sur lequel j’ai été embauché grâce à Framasoft.
Donc, le CNRS lance, je vais dire, un équivalent de Framasoft qui s’appellera le projet Plume pour plateforme libre, utile, maîtrisée, enfin, plateforme logicielle utile et maîtrisée. Et donc, le CNRS m’embauche en CDD parce que j’étais membre à ce moment-là de Framasoft et donc j’avais une bonne connaissance à la fois un petit peu du code, mais surtout des logiciels. Et ce contrat au CNRS se termine, parce que c’était un CDD, le labo de recherche qui s’appelait l’UREC, l’unité réseau CNRS, se dissout. Le projet Plume, on voit qu’il touche à sa fin parce que le service valorisation du CNRS, à l’époque, n’aime pas. pas trop l’idée du logiciel libre, parce que le logiciel libre ne rapporte pas d’argent au CNRS, pas comme il voudrait que ça rapporte de l’argent.
Pierre-Yves Gosset
Et donc on nous dit gentiment, et on me dit gentiment, que il va falloir aller voir ailleurs, et il restait un petit peu de possibilité de poursuivre du travail, parce que le projet Plume continuait de tourner, et il se passe deux éléments importants pour Framasoft à ce moment-là. Le premier, c’est qu’on avait un petit peu d’argent parce qu’on avait de la publicité Google. à ce moment-là.
Les ressources financières de Framasoft dans les premières années
Walid : c’était une de mes questions, mais comment vous avez de l’argent ?
Pierre-Yves : concrètement, les ressources de Framasoft, moi je me souviens, je suis rentré dans l’association, le trésorier qui est toujours un ami, Thomas Cézard… on devait avoir je crois un budget de 800 euros annuel, et donc avec 800 euros annuel, on ne va pas bien loin. Et à un moment donné, on s’est dit, si on veut avoir un petit peu quelques moyens, qu’est-ce qu’on a comme solution ? Et Google, alors il faut se replacer, on est en 2007, dans le contexte historique, Google n’est pas le méchant. Google n’est pas du tout perçu comme un ennemi du logiciel libre
Walid : c’est l’inverse
Pierre-Yves : voilà, et Google n’a pas du tout la puissance financière qu’il a en plus aujourd’hui et la domination économique, technique, politique qu’il peut avoir aujourd’hui. Et du coup, on décide de mettre de la publicité Google, ce qui nous rapporte dans les plus fastes mois jusqu’à 1200, presque je crois un mois, on a frôlé les 2000 euros. Ça a duré je crois 18 mois de publicité. Et donc, ça nous permet d’accumuler parce qu’à ce moment-là, il y a zéro salarié à Framasoft. Donc, on commence à avoir un compte en banque qui se remplit un petit peu. Pas suffisamment pour payer une personne à temps plein, mais globalement, on commence à avoir un petit peu de trésorerie. Et en parallèle de ça, moi, je termine mon contrat au CNRS et le CNRS me dit, « en fait, on ne peut pas renouveler ton CDD. Par contre, on a encore besoin de tes compétences. Est-ce que tu accepterais une prestation ? ». Et moi je dis à ce moment-là, j’en discute notamment avec Alexis, avec le bureau de l’association, et je dis, « moi je trouvais ça intéressant qu’il y ait des salariés à Framasoft ». Alexis pousse aussi dans ce sens-là en disant, « ben oui, en fait, si on veut passer la seconde, ce serait quand même pas mal ». Et la proposition qui est faite au CNRS, c’est de dire, « payez l’association Framasoft qui mettra à votre disposition du temps de travail de Pierre-Yves Gosset ». Et l’avantage, c’est que cette prestation était mieux payée que ce que rémunérait la publicité Google à ce moment-là.
Et donc, le premier poste s’est créé à la fois sur la volonté de l’association de se dire, en fait, avec des salariés, on pourra sans doute mieux gérer un certain nombre de projets au sein de l’association et leur donner une taille plus importante. Et d’un autre côté, de l’argent qui arrive… et je vais quand même citer un troisième apport financier qui a été conséquent pour nous à ce moment-là, qui a été le fait de la dissolution de l’association Mozilla Europe, qui était géré par Tristan Nitot. Et cette association est dissoute. Je n’ai jamais eu les dessous de l’histoire, tu pourras toujours interroger Tristan à ce sujet-là. Mais du coup, l’association européenne qui portait Mozilla est dissoute. Et les responsables de cette association, dont Tristan, décident de répartir les fonds qui restaient entre différentes associations, dont l’APRIL, dont Framasoft et d’autres associations. Et donc, on s’est retrouvés à ce moment-là avec de l’argent. Et une personne, donc moi qui étais secrétaire, donc j’ai quitté le bureau de l’association à ce moment-là, disant « Ok, on peut essayer aujourd’hui de recruter quelqu’un et on verra bien où ça nous mène ». Alexis ?.
Pierre-Yves Gosset
Alexis : on peut quand même dire que c’est un petit peu grâce à Google que tu es là (rires).
Pierre-Yves : à Google, au fait que les services publics ne sont pas toujours très bien gérés et au fait qu’il y a une association qui a été dissoute.
Alexis : c’est intéressant de le souligner. Et c’est vrai que je disais tout à l’heure qu’aujourd’hui, Framasoft apparaît un peu comme… un petit peu la voie à suivre. Mais donc, on s’est retrouvé à mettre de la pub Google et on n’en était pas forcément fiers parce que parfois, la pub envoyait vers du téléchargement frelaté.
Pierre-Yves : d’OpenOffice vérolé.
Alexis : d’OpenOffice, de GIMP, etc. Donc, on trompait nos utilisateurs. Je me souviens de ça. Nos mails et nos groupes de discussion, on était sur Gmail à un moment donné. Je ne sais pas si tu te souviens.
Pierre-Yves : si, si, tout à fait.
Alexis : tu soulignais que j’avais commencé avec Dreamweaver. Et une autre anecdote aussi pour dire que, c’est un cheminement aussi. D’ailleurs, plus de liberté, j’ai envie de dire, la première licence que j’avais adoptée, d’ailleurs, c’était celle de Wikipédia qui était la GNU FDL, c’est-à-dire la GNU GPL adaptée à la documentation. Et arrivent les Creative Commons. Et là, on était déjà en mode associatif parce que moi, je souhaitais que ce soit la CC by SA. Et je me souviens que les autres, globalement, enfin, la première licence qu’on a adoptée, ça a été la CC by NC SA. On a mis la clause de non commercial parce que les membres, on avait décidé ainsi. Et on a reculé plus tard parce qu’on s’est dit quand même que ce n’était pas tout à faire d’adéquation avec toutes les libertés du libre. Mais il y a eu aussi un temps, je ne sais pas si The Wayback Machine l’a enregistré, mais il y a eu aussi un temps où notre licence n’était pas celle des purement libres, entre guillemets, parce qu’il y avait la clause non commerciale.
Je voulais dire que c’est vrai que, autant la création de l’association a été… plutôt une chambre d’enregistrement administrative et l’importance, elle s’est faite ensuite. C’est rétrospectivement, rétroactivement que la création de la société a été fondamentale parce que sinon, on n’aurait pas pu accueillir Pierre-Yves. Mais c’est vraiment l’arrivée de Pierre-Yves qui a fait monter d’un cran parce qu’on croulait un peu sous les charges et sollicitations. On arrive en mode bénévole, en fin de journée, etc. On n’y arrivait plus. Et donc, ça a vraiment, l’arrivée de Pierre-Yves a vraiment fait franchir un cap. Moi, je pense que tu peux peut-être développer un petit peu la framaki parce que mine de rien, ça a été un projet qui était… Il y a des gens qui me citaient la Framakey et qui ne savaient même pas qu’il y avait Framasoft derrière, par exemple.
Pierre-Yves : c’est encore le cas d’autres projets Framasoft, de Peertube, par exemple, où les gens ne savent pas que c’est Framasoft derrière.
La Framakey
Alexis : ça vous fait un peu développer le projet Framakey, son histoire, parce que c’est assez intéressant.
Pierre-Yves : en fait, une fois qu’on avait fait justement le The OpenCD dont je parlais tout à l’heure, qu’on s’était dit, tiens, ça fonctionne sur clé USB, Alexis m’envoie un message en me disant, « tiens, ce serait intéressant de faire ça sur clé USB ». Moi, du coup, mon côté geek, encore une fois, je ne suis pas développeur du tout de formation, mais mon côté geek me fait, oui, en fait, c’est possible, il y a des solutions pour faire tourner les logiciels sur clé USB, et c’est vachement plus intéressant que de les avoir sur un CD, puisque si OpenCD ou FramaDVD, etc., c’était des supports sur lesquels tu choisissais quel logiciel tu allais installer sur ta machine, et ils étaient transférés du CD à ton ordinateur, et voilà. Mais là, du coup, c’était vraiment l’idée de pouvoir dire, je vais faire tourner Firefox sur la clé USB. Et donc, je branche la clé USB, je lance Firefox depuis la clé USB, je retrouve mes bookmarks (NDLR : favoris), etc. Puis, je vais débrancher la clé USB et je vais aller sur un autre ordinateur et je vais aussi retrouver mon historique, mes bookmarks, etc.
Et ça, du coup, là, je pense que j’ai été détesté au sein de l’éducation nationale et de pas mal d’entreprises par beaucoup de responsables informatiques parce que ça permettait à des gens de faire tourner des logiciels qui n’étaient pas installés et ça a été longtemps problématique. Et donc, en tout cas pour eux. Et donc, le nombre de téléchargements de Framakey au fil des années… j’avais commencé, le projet originel était largement dû effectivement aux compétences que j’avais mis en œuvre sur The OpenCD. Puis, il y a une personne qui s’appelle Pascal Parraud qui est venu m’aider à ce moment-là aussi sur la clé. Plus tard, il y a eu d’autres personnes encore qui sont revenues, je pense à Laurent Sakka ou à d’autres qui sont venues sur l’aspect promotion de la clé. Il y a eu Arnaud (FAT 115), qui est venu aussi plus tard compléter. Et donc, on a eu comme ça toute une succession de personnes qui sont venues enrichir un projet logiciel qui, lui, était totalement communautaire et dont certains travaillent aujourd’hui pour l’éducation nationale, encore aujourd’hui.
Derrière, on a cette clé USB qui se diffuse et on décide d’en faire un objet physique. Et là, je fais le lien avec un autre projet Framasoft qui est Framabook. C’est comment est-ce que Framasoft a décidé de sortir de l’ordinateur, entre guillemets, pour s’intéresser à des objets physiques, que ce soit le livre, que ce soit la clé USB, etc.
Pierre-Yves Gosset
Et il y a eu une autre dimension qui a été donnée au projet, c’est quand le conseil régional d’Île-de-France a décidé de diffuser, pendant deux ou trois ans je crois, peut-être même plus que ça, l’équivalent de la Framakey à tous les lycéens, je ne sais plus quelle classe, à l’ensemble des lycéens d’Île-de-France. Et donc, on s’est retrouvés jour au lendemain avec une diffusion massive. Alors ça, ce n’est pas du tout nous qui l’avons gérée, c’est une société qui s’appelle Meliweb, qui a longtemps soutenu Framasoft financièrement, j’allais dire en contrepartie, parce que nous, on avait fourni la base logicielle qu’eux ont adaptée pour le Conseil Régional d’Île-de-France. Et ça a permis de diffuser la Framakey à des échelles que nous, on n’aurait jamais atteintes, parce que c’était à coup de, je crois, 800 000 clés par an. Si je ne dis pas trop de bêtises, du coup, ce n’était pas nous qui les vendions, donc je n’ai pas les chiffres exacts, mais ça s’est très largement diffusé.
Et au final, moi, je sais que la dernière fois que j’avais regardé les chiffres de téléchargement de la Framakey, on était à plus de 4,5 millions. Donc, 4,5 millions de téléchargements pour un projet logiciel, ça commence quand même à faire beaucoup. Le tout étalé sur, on va dire, une dizaine d’années, parce qu’aujourd’hui, ça a beaucoup moins de sens de faire un projet comme la Framakey. Il y a encore des gens qui l’utilisent, mais ça fait totalement partie des projets, comme disait Alexis, par lesquels les gens ont découvert le logiciel libre, ont utilisé du logiciel libre, sans forcément savoir que c’était du libre et ce qu’était le logiciel libre, et en plus, sans savoir que c’était fait par une association francophones.
Effectivement, c’est un des projets qui résume assez bien ce que fait Framasoft, c’est-à-dire proposer quelque chose d’utile, de l’outillage, au public le plus large possible, en essayant de le packager de façon un petit peu sympathique, de façon à ce que ces personnes, finalement, se retrouvent à utiliser du libre sans forcément le savoir.
Pierre-Yves Gosset
Et j’oubliais, on a aussi fait une clé avec l’association Ubuntu FR, sur laquelle il y avait la Framakey Windows et Ubuntu, donc tu avais vraiment une clé qui te permettait d’aller à peu près sur n’importe quel ordinateur pour utiliser du logiciel libre en total autonomie.
Alexis : l’idée, c’était quand même, alors c’était une minorité des utilisateurs, mais d’essayer quand même d’embarquer la minorité de ces utilisateurs dans le partage de valeurs du libre, mine de rien. Et ce qui pouvait d’ailleurs faire grossir l’association ou le noyau des contributeurs, etc. Il y avait aussi cette dimension-là.
Tu as évoqué le projet de, comment dire, l’aventure un peu dans le matériel. Le livre est intéressant. Les Framabooks, je pense que c’est quelque chose d’intéressant en soi, mais également parce que mine de rien, s’il y a des Pouhiou et des Christophe Mazutti, c’est avec Framabook qu’ils sont arrivés. Donc rien que pour ça, c’est important.
Les Framabooks
Walid : vous pouvez expliquer ce qu’est Framabook pour les gens qui ne connaissent pas et comment naît l’idée de Framabook ?
Alexis : c’est toujours une question d’opportunité, de rencontre. Ici, c’est un des membres de la création de l’association, Georges Silva, qui était un professeur des écoles, instituteur qui doit l’être encore, mais malheureusement, je n’ai pas réussi à le recontacter. Voilà, donc on a Georges Silva qui écrivait de la documentation et qui avait fait un tutoriel sur Thunderbird qui était assez conséquent. Je pense qu’il y avait une vingtaine de pages chez nous. Et il est contacté par une maison d’édition qui n’existe plus, mais c’était O’Reilly, mais O’Reilly France. O’Reilly existe toujours, c’est une institution dans la documentation, les tutoriels de logiciels libres, mais il y avait aussi une antenne française. Et donc il décide de publier à un livre sur l’usage de Thunderbird. Donc, Georges écrit ce livre avec l’éditeur, mais c’était en mode droit d’auteur classique. C’était comme ça que fonctionnait O’Reilly. Simplement, la maison d’édition française, elle périclite en fait. O’Reilly, la maison mère, décide, non, non, ce n’est pas rentable, on ferme, on ferme tout. Et donc, Georges se retrouve avec ce livre sur les bras, tout simplement. Il négocie avec O’Reilly de récupérer les droits, qu’on peut y mettre une licence libre. Et nous, comme on avait déjà ce livre qui était fait, qui avait été fait d’une manière éditoriale avec O’Reilly, on décide de le publier nous-mêmes. Parce qu’on avait déjà un livre conséquent qui avait été fait dans ce cadre-là. Et c’est comme ça qu’est né le premier Framabook, et d’autres sont enchaînés. Mais voilà, c’était aussi une question de… Il y avait une opportunité à saisir, on s’est dit, allez, pourquoi pas, on y va. Et on s’est appuyé aussi sur… Pierre-Yves, peut-être que tu peux compléter sur une maison d’édition en devenir qui s’appelait InLibroVeritas.
Pierre-Yves : tout à fait, et c’est avec Mathieu Pasquini, qui était le dirigeant de cet éditeur, qui s’appelle InLibroVeritas, qu’on commence à diffuser d’autres livres, parce qu’il faut bien voir, là, quand on a… Donc le projet Framabook est aujourd’hui, entre guillemets, gelé, parce qu’il a donné naissance à un autre projet Framasoft qui s’appelle Des Livres en Commun, qui vise, lui, plutôt à renverser le modèle de l’édition qu’autre chose. Mais au lancement de Framabook, c’était quand même un pari un peu fou, moi, c’est vraiment un des projets sur lesquels j’ai le moins travaillé dans Framasoft. mais il fallait y aller pour se dire on va écrire des livres et les publier des livres sous licence libre. Il n’y en avait pas beaucoup à l’époque. Ce projet sur Thunderbird, dont parle Alexis, dont j’ai encore un exemplaire je crois chez moi, Thunderbird 1.5, était le premier. Et dans la maison d’édition Framabook, on est allé je crois jusqu’à 50 ouvrages qui vont de la BD, du roman, des tutoriels, etc. Donc une biographie de Richard Stallman, quand on regarde le nombre de livres produit via Framabook, ça représentait, j’avais fait le calcul une fois, j’aime bien compter les choses, on était à plus de 20 000 pages rédigées et publiées au sein de cette maison d’édition.
Moi, je ne le vois pas du tout comme un side project (NDLR : projet lancé en parallèle) de Framasoft. Souvent, les gens disent votre projet principal, c’est l’annuaire de logiciel libre, et puis la Framakey, Framabook sont des projets à côté. Mais en fait, tous ces projets-là visent à la même chose, c’est comment est-ce qu’on fait prendre conscience aux gens en leur faisant manipuler que ça soit un objet logiciel, un livre, une clé USB, etc., qu’un autre monde est possible, pour citer une phrase célèbre. Et que cet autre monde peut être non marchand, il peut être basé sur le partage, il peut être basé sur les communs, etc. Et donc, c’est au contraire très, très cohérent que ça soit Framasoft qui ait porté à un moment donné un tel projet.
Alexis : et en plus, on commençait à être plus proactifs, notamment dans la migration Windows -> Linux. Et je me souviens que parmi les ouvrages, celui sur Ubuntu, tu y avais plus de succès. C’était Didier Roche qui l’avait écrit et qui arrivait à suivre les différentes versions tous les six mois. À l’époque, je crois que….
Pierre-Yves : ça faisait beaucoup.
Alexis : ça faisait beaucoup. Ça faisait beaucoup, mais en tout cas, on était à plusieurs milliers, voire à 10 000 exemplaires si on fait le total. Et 10 000 exemplaires dans l’édition technique en français. C’est vraiment pas mal. Et sinon, il y a aussi effectivement la biographie de Stallman qui est quand même intéressante. C’est vrai parce que ça nous a fait rencontrer Christophe Mazutti, qui est aussi un membre clef de l’histoire de l’association. Il y avait une biographie qui avait été écrite par un journaliste, Sam Williams ?
Pierre-Yves : je crois.
Alexis : je ne sais plus. Enfin, peu importe. Un journaliste américain qui avait fait une bio sur Stallman en disant que c’est quand même une figure majeure du Free Software Foundation et du mouvement. Et Stallman avait imposé que ce livre soit sous licence libre, évidemment. Moi, j’étais tombé là-dessus en disant, « bah oui, c’est quand même intéressant ». Mais ce qu’il y a, c’est que moi, j’étais mauvais en anglais, je le suis toujours d’ailleurs. Et du coup, c’est là que j’ai rencontré Christophe qui maîtrisait beaucoup plus la langue de Shakespeare et qui dit que c’était intéressant et qu’on est rentré en contact avec Christophe Stallman comme ça, les deux ensemble, c’était assez amusant. Et la réponse de Stallman était amusante, c’était, il a dit, « je suis d’accord, mais par contre… Il y a quelques petits points à modifier parce que le journaliste n’a pas été assez précis ». Alors on s’est dit bon d’accord, il y a quelques points à modifier, donc on va faire une traduction avec quelques points à modifier. Non pas du tout, en fait c’est un tiers du livre qui a été modifié. Je crois plus ou moins, tu as donné une biographie différente de la première version, ce qui a aussi du sens quand on fait du logiciel libre avec les différentes versions qui succèdent. Et c’était un beau projet. Après Christophe… pour vous en parler, ça n’a pas toujours été facile. Ça n’a pas toujours été facile avec Richard Stallman, ça n’a pas toujours été facile avec l’éditeur qui était Eyrolles, mais toujours est-il qu’on a mené à bout et que c’était là aussi une belle aventure.
Et un dernier élément aussi, c’est qu’il y avait, on n’avait pas, je me souviens qu’au début on était vraiment focalisés sur des tutoriels, puis il y a eu la bibliographie de Stallman. Et puis je me souviens, moi j’avais fait une intervention à Toulouse, je crois que c’était sur les questions de licence libre, avec quelqu’un qui s’appelle Benjamin Jean.(NDLR : voir son interview) qui a fait aussi partie de l’aventure Framasoft qui aujourd’hui est à Inno3. Parmi le public, il y avait quelqu’un qui s’appelait Pouhiou et qui nous a dit c’est vraiment intéressant votre maison d’édition, mais est-ce que vous acceptez aussi les romans ? Ah oui, ben non, on n’en a pas, mais pourquoi pas ? Et c’est comme ça que Pouhiou est entré dans l’association et dans l’aventure.
Les identités graphiques de Framasoft
Walid : il y a une question aussi que je voulais vous poser. Il y a vraiment une identité graphique autour de Framasoft.
Pierre-Yves : c’est plus récent ça.
Walid : c’est plus récent ?
Pierre-Yves : il y a eu deux identités graphiques qui se sont succédées. La première autour notamment du manchot/pingouin qu’on appelait Pinchot de LL de Mars. Et là du coup Alexis, tu veux peut-être en parler ?
Alexis : je peux juste se dire à Walid de faire une émission complète sur LL de Mars. Parce que c’est une personnalité… pour moi c’est le plus grand artiste contemporain vivant, tout simplement. Et c’est vraiment une personnalité hors du commun. Voilà, c’est tout ce que je peux dire. Parmi toutes ces œuvres, il y avait justement des pingouins, mais qui étaient des pingouins complètement dépressifs. Il avait des problèmes sentimentaux avec sa copine. Et il avait fait un recueil de pingouins mis en situation, un petit peu avec de l’ironie, mais de beaucoup d’humour noir. Et c’était vraiment un moment de tristesse. Et moi, j’avais extrait quelques pingouins qui me semblaient un peu plus joyeux dans l’histoire. J’étais un peu balourd, un peu gros. Je ne me souviens plus. En tout cas, je dis gros parce qu’aujourd’hui, le logo, il est beaucoup plus fin et effilé. C’est pour ça. Et donc, ça a été la première identité. Mais c’est vrai que là, tu peux prendre la parole pour Dave, pour David Revoy et les autres, c’est vrai qu’aujourd’hui, l’identité, elle est magnifique d’abord, et elle est vraiment ancrée chez les gens. Comme on a plus de 25 ans d’histoire, du coup, évidemment, il y a des différents. En tout cas, c’était de la récupération. Au début, d’ailleurs, je ne l’ai même pas dit, c’est après que je suis rentré en contact avec LL de Mars. D’abord, c’était juste de la récupération sauvage, mais autorisée par les licences libres. J’avais extrait deux, trois trucs et puis j’en avais mis un pingouin avec cette idée d’un pingouin balourd, mais qui… qui cherche quand même à voler et qui peut réussir à voler. Et les pingouins ne volent pas, donc rien n’est impossible dans le bas-monde.
Pierre-Yves : c’est ça. Et c’est plutôt à partir de 2016-2017 qu’on fait la rencontre via Pouhiou d’un autre artiste qui s’appelle David Revoy, qui lui est illustrateur notamment d’une bande dessinée qui s’appelle Pepper and Carrot, qui est aujourd’hui… je pense, internationalement connue et qui a là encore une histoire très particulière au niveau des licences libres, c’est que cette bande dessinée, elle est publiée sur le site Pepper & Carot sous licence libre, mais elle est aussi diffusée par un énorme éditeur de BD qui est Glénat. Et donc, David est pour moi, à mon avis, un des rares auteurs libres à avoir réussi à casser un petit peu ses frontières de « Ok, en fait, vous pouvez trouver Pepper & Carot chez tous les bons distributeurs de BD, mais pourtant la BD reste sous licence libre ». Et il se trouve que David est juste une des personnes les plus gentilles que j’ai jamais rencontrées de ma vie, mais aussi une des plus talentueuses.
En fait, on s’est posé la question de comment illustrer la campagne Contributopia qui, elle, arrivait en 2017. Et je me souviens qu’à ce moment-là, c’était Pouhiou qui avait dit « je vais contacter David, je vais voir ce qu’il peut faire ». Et je crois, dans la demi-journée, il avait fait un dessin qui était absolument magnifique et qui représentait quelque chose que nous, on avait du mal à projeter, qui était quel peut-être un imaginaire positif du numérique. Et donc, pour moi, c’était absolument merveilleux. Enfin, moi, j’ai vraiment eu de l’émerveillement sur le truc, vraiment, qu’il avait fait en sketching sur Krita. Parce que David est aussi un des gros contributeurs à Krita. En tant qu’utilisateur, je pense que si Krita aujourd’hui… En gros, il y a trois logiciels, GIMP, Krita, Inkscape. Et le fait que Krita aujourd’hui prenne de l’ampleur, c’est en partie grâce à David. Parce que David est la preuve vivante qu’en utilisant uniquement Krita, mais en l’utilisant de façon intelligente et en l’utilisant bien, on est tout à fait capable de produire quelque chose de qualité professionnelle. Et donc, il nous avait fait juste un petit dessin, mais un petit crayonné sous Krita de ce qu’allait être la campagne Comprisbutopia avec des personnages qu’on voit de dos, qui regardent des planètes au loin, des espèces de globes volants qui représentaient un petit peu des mondes du numérique dans lesquels on voulait emmener notre public en disant que « le numérique, ce n’est pas forcément quelque chose de nuisible ou de toxique ». On peut avoir un imaginaire positif du numérique.
Et David a su illustrer ça avec un talent fou. Et depuis cette année-là, on travaille avec David plusieurs fois par an. Et voilà, on s’entend extrêmement bien. Et il a parfaitement compris quel était l’état d’esprit de Framasoft qui ne voulait pas se détacher justement du grand public. Et l’autre avantage des illustrations de David, en dehors du fait qu’elles sont effectivement très reconnaissables parce qu’il y a un style, je suis nul là-dedans, mais je vais dire un peu kawaii, un peu manga. c’est tout mignon, etc. Mais qui permet aussi, dans cette communication graphique-là, de tenir à distance la Startup Nation.
Pierre-Yves Gosset
C’est-à-dire que quand on va sur, je ne sais pas, framapad.org, le premier dessin qui nous accueille ne correspond pas aux chartes graphiques, je ne sais pas, je vais dire de la DINUM, qui sont très jolies par ailleurs, la question n’est pas là, mais qui ont quelque chose de très propre, avec de leurs propres codes graphiques, etc. et qui disent, bonjour, vous êtes sur un site institutionnel. Nous, on voulait casser ce code-là. Et c’est grâce à David et à Pouhiou qu’on a réussi à le faire.
Walid : l’heure tourne. On a parlé du premier salarié. Si on va jusqu’à le lancement de Degoogelisons Internet, dont on parlera dans un deuxième épisode, là, le nombre de salariés augmente, en fait ? Qu’est-ce qui se passe entre temps, en fait ?
Alexis : c’est intéressant. Je disais que l’arrivée d’une association dans une communauté qui était informelle était déjà quelque chose d’important et de délicat. C’est un passage délicat. L’arrivée du premier salarié également. Et… Mine de rien, ça a tenu quand même beaucoup à la personnalité, aux compétences, au profil de Pierre-Yves qui savait travailler à distance, qui savait se prendre en charge. Il y avait plein de choses qu’on n’avait pas forcément anticipées. On pensait que tous les salariés allaient être comme Pierre-Yves, par exemple (rires). Pas pour lui lancer des fleurs, mais c’est vrai. Moi, ce que je me souviens, c’est qu’on a accueilli un deuxième salarié, vraiment très sympathique, compétent, on ne le nommera pas, mais parce que ça ne s’est pas bien passé. Pourquoi ça ne s’est pas bien passé ? Parce que le CA de l’association dont je faisais partie, Voilà, on l’a mal géré, on n’avait pas cette expérience-là, on n’avait pas forcément le temps, c’était à distance, c’était difficile. Donc ça ne va pas de soi, la question de tout d’un coup, déjà une association dans une communauté de faits, ensuite un salarié qui lui est payé à temps plein pour le faire, tandis que les autres sont bénévoles et font ça un peu quand ils veulent. Ce n’est pas facile. Et d’ailleurs, Pierre-Yves, il a fallu beaucoup de flexibilité aussi pour répondre de 18h à 22h, parce que c’est là où on était dispo, ce n’est pas des horaires de travail, mais c’est comme ça. Et ce deuxième salarié, en tout cas… Ce dont je me souviens, ça nous a fait réfléchir parce qu’on a eu du mal à le piloter, tout simplement, à le gérer. Mais en tout cas, je me souviens qu’il y a eu un moment de grand flottement. Puis à la fin, c’est qu’est-ce qu’on peut lui faire faire ? Surtout qu’on avait déjà acté qu’il s’en allait. Et moi, je me souviens qu’on avait dans les tuyaux d’installer une instance d’Etherpad chez nous. Je me souviens très bien. Et j’ai dit bon ben… On va l’appeler Framapad et puis on va lui demander de s’occuper de ça sur les deux mois qui lui restent. Et c’est comme ça qu’est né Framapad et c’est comme ça d’ailleurs qu’est né tous les Framas, instances cloud de Framasoft.
Et alors, je voulais aussi terminer par ma propre expérience personnelle, parce que comme j’évoquais les difficultés tout d’un coup de gérer des salariés dans l’association, je sais pas ce que ça marque mine de rien. Mon arrivée, surtout mon départ, c’est aussi une date marquante dans l’association et fondatrice. Je pense que Pierre-Yves nous en parlerait après dans la section suivante. Mais je pense que ça a été là aussi, ça n’a été pas facile, ça n’a été pas forcément bien anticipé. Et moi, j’ai carrément, moi, passant de fondateur, président pendant des années à salarié, ça a été assez catastrophique, il faut le dire, pour plein de raisons. Mais ce que je veux dire, c’est que ça illustre aussi les difficultés de ces associations. On parlait de Wikipédia ou de l’APRIL ou de de la Quadrature… toutes ces associations-là, elles ont connu des crises aussi avec leurs salariés. Ça n’a pas été un long fleuve tranquille. Et c’est des questions qui se posent justement quand on est dans les communs, quand on est une communauté, quand il y a des bénévoles, des salariés, des gens qui sont dispo, pas dispo. C’est pas facile de gérer tout ça. Le processus décisionnel. Quand il y a consensus, c’est assez facile. Mais alors, quand il faut choisir et qu’on n’est pas d’accord, il faut trancher, comment on prend les décisions ? Tout ça, c’est une question intéressante dans la vie d’une structure.
Le départ d’Alexis Kaufmann et les transitions dans les associations
Walid : ça me fait penser à une question. Il y a quelques jours j’étais en train de faire la transcription de mes anciens épisodes (NDLR : GLPI en mode communautaire). Et j’étais en train de faire une transcription d’un épisode un peu particulier pour moi parce que c’est un épisode qui parle de ma propre expérience sur un logiciel qui s’appelait GLPI. Donc un logiciel historique. Et j’interviewais les deux fondateurs, les deux mainteneurs historiques du projet. Et on parlait de la transition de mainteneurs. Et il y en a un des deux qui dit, en fait, la transition pour moi, elle a été très simple parce que GLPI, c’était mon bébé. Et trois mois après, j’avais un vrai bébé physique, un vrai bébé. Et donc, en fait, la transition, elle s’est faite hyper rapidement. Et en fait, quand tu as lâché Framasoft, tu n’as pas eu une période de déprime ?
Alexis : très compliqué parce que, évidemment, Pierre-Yves, c’est un ami, en fait. Je veux dire, ce n’est pas juste, ce n’était pas un collègue de travail. Et tout ça, c’était des personnes qui étaient aussi dans… Voilà, moi, je les considérais comme des amis. On a vécu des choses très fortes. Même si parfois, ça pouvait être des amis sans connaître leur vie privée. Il y a certains, je ne savais même pas s’ils avaient des enfants ou pas. Parce qu’on n’allait pas forcément sur ce terrain-là. Pour certains, oui, mais d’autres, non. Donc oui, ça a été extrêmement compliqué. Et moi, je suis carrément parti à Taïwan. Donc je suis carrément parti très loin. Et pendant deux ans, absent des réseaux, absent des réseaux sociaux, j’ai carrément fait autre chose. J’étais prof de maths à Taïwan et je ne voulais plus entendre parler de quoi que ce soit. Non, non, c’était difficile. C’était franchement difficile. Parce qu’on mélangeait le côté professionnel, le côté personnel, le côté amitié. Et non, ça a été personnellement difficile et en même temps, je pense que ça a été aussi nécessaire pour l’association.
Pierre-Yves : je repense à ce que tu disais Alexis sur le côté où on a vu ça dans d’autres associations. Je pense que tu citais La Quadrature, Wikipédia, etc. Moi, j’en suis à voir ça dans plein d’autres associations et je peux le vivre encore même aujourd’hui. Il y a quelque chose de très freudien où il faut tuer le père. Et je pense qu’il y a ces phases-là dans le milieu associatif qui sont assez différentes du milieu entrepreneurial où c’est la personne qui a investi ou qui porte son projet, etc. Dans le milieu associatif, c’est assez particulier puisque ce sont les membres qui composent l’association. Or, les membres changent, les membres évoluent. Et à un moment donné, je continuerai à défendre jusqu’au bout tous les apports qu’a pu avoir Alexis, parce que, très clairement, les projets étaient impulsés par une vision que lui avait du libre. Et que je n’aurais pas eu mon poste au CNRS, je ne me serais peut-être jamais intéressé au logiciel libre, si à un moment donné, il n’y avait pas des personnes comme Alexis qui avaient dit « Tiens, là, il y a un projet dans lequel tu peux trouver ta place. » Et à la fois, comme rien n’est éternel en ce bas monde, déjà, des projets qui ont 20 ans, il n’y en a pas tant que ça. Mais ce qui fait durer les projets, c’est aussi un… la capacité à se dire, « ok, en fait, le projet… doit évoluer ou peut évoluer, ça dépend comment on se place évidemment, avec les personnes qui le composent ».
Et donc, pour moi qui étais là dans l’association en 2004 et qui y est encore en 2024, je vois les populations – là on fait une digression sur le monde associatif – mais ce n’est pas lié qu’au logiciel libre, je le vois dans des milieux écologistes ou autres, où forcément tous les 5 à 10 ans, disant, il y a des crises de mutation du projet associatif qui font que les personnes qui le composent doivent ou remettre la vision en cause ou prendre de la distance. C’est exactement d’ailleurs ce que moi j’ai fait en quittant la co-direction de Framasoft il y a quelques mois.
Pierre-Yves Gosset
C’est quelque chose de complexe, évidemment. Et évidemment, ces créateurs de souffrance, moi j’en suis malheureusement très conscient à la fois de ce qu’a vécu Alexis, mais de ce qu’ont pu vivre d’autres fondateurs d’associations. Et il y en a eu un paquet qui sont passés par là, y compris dans le milieu du libre, je pense à la FDN, la Quadrature, etc. Et c’est des milieux qui ne sont pas forcément bisounours. On peut être sur des projets qui, eux, le sont, mais le projet associatif, quand on se retrouve effectivement… Quand Alexis est parti, on s’était dit « Ok, qu’est-ce qu’on fait ? » Et on est obligé de repenser à ce moment-là. Moi, je me suis très sincèrement… On en reparlera peut-être dans l’épisode suivant, mais il restait quelques milliers d’euros sur le compte. On était à cette époque-là deux salariés. Et on s’est dit « Ok, est-ce qu’on arrête ou est-ce qu’on continue ? »
Alexis : alors oui, j’ai souffert, mais je ne me victimise pas du tout.
Pierre-Yves : non, non, tout à fait.
Alexis :
autant j’étais un bon président pendant une certaine époque, autant j’étais un mauvais salarié, tout simplement. Le problème, c’est que je ne pouvais pas trop le savoir avant. Et d’ailleurs, pourquoi j’avais fait cette demande ? C’est moi qui avais fait cette demande, parce que je n’arrivais plus à concilier ma vie pro, Framasoft et ma vie perso, famille, enfant, etc. Des caps à franchir, c’est intéressant. Je pense qu’effectivement, il y a aussi des visions. Et donc, le tuer le père, je l’entends très bien – certains l’ont fait avec Stallman aussi, d’ailleurs- (rires).
Alexis Kauffmann
Par contre, le mauvais salarié, moi, je me souviens qu’au tout début, j’avais rencontré Frédéric Couchet, qui est le salarié de l’APRIL depuis l’historique. Et il m’avait dit : « Mais quelle est ta lettre de mission ? » Je dis « Bah, j’en ai pas de lettre de mission ». « Mais t’es malade ! » « Non, on s’entend très bien, y’a pas de problème »… Voilà, c’était on était un peu à ce niveau-là au début, quoi. Les choses étaient pas forcément écrites, du coup, ça a assez flotté. Et puis moi, j’étais absolument avec mes années de président, je t’ai pas non plus habitué tout d’un coup à être mis en minorité ou à qu’on me dise Faut faire ça. Alors, je commençais à ouvrir ma gueule en disant « Mais t’es sûr qu’il faut vraiment que je fasse ça ? ». Et voilà, ça a été le début de la fin.
Que retenir de cette période ?
Walid : si maintenant, on prend un peu de recul… Qu’est-ce que vous retenez de toute cette période ?
Alexis : moi, je retiens que c’est toujours d’actualité, tout simplement. Le petit supplément d’âme qu’avait le logiciel libre, en tout cas, quand je l’ai découvert, il est plus que jamais présent et nécessaire. Et aujourd’hui, là où je suis positionné au ministère, on parle de réussir en même temps la double transformation numérique et écologique, par exemple, à l’intersection. Je pense qu’il y a les valeurs du libre. Alors, moi, je l’appelle plutôt communs numériques à mon niveau, mais c’est toujours et urgemment d’actualité. Ce qu’on n’avait pas prévu par rapport aux origines, c’est qu’il y a des choses qui ont été des avancées technologiques, mais qui ont pu compliquer notre tâche, comme le cloud, le mobile, l’avènement du téléphone. Ce n’est pas un super outil pour éditer, pour écrire. C’est de lecture, oui, mais moins d’écriture, même si on peut écrire des petits messages. Pour faire des vrais projets, c’est plus compliqué. Aujourd’hui, mine de rien, l’IA aussi, ce n’est pas facile. Parce que Pierre-Yves, il disait, moi, j’ai demandé sur un forum, on m’a répondu de façon telle que ça m’a… Aujourd’hui, on peut demander à l’IA et pas forcément sur un forum. Est-ce que l’IA va nous rapprocher ou va plutôt nous – c’est des vraies questions- , va plutôt nous éloigner.
Pierre-Yves : moi, ce que j’en retiens, ça paraît hyper plan-plan de dire ça, mais c’est quand même le côté humain. Effectivement, Alexis le disait, je n’ai pas été un bon salarié, mais le fait est que pendant ces dix années-là, moi j’ai pris un pied monstrueux à bosser pour Framasoft, que ce soit en tant que bénévole ou en tant que salarié. J’ai noué des amitiés qui existent encore aujourd’hui. On a, je pense, transformé la vie de certaines personnes. Il y a encore quelques semaines ou mois, une personne qui aujourd’hui est membre de l’asso, qui est bénévole dans l’assaut, qui me disait, mais… « Moi, Framasoft a juste changé ma vie. La personne que je suis aujourd’hui, je ne l’aurais pas été sans avoir écouté des confs sur c’est quoi la problématique des GAFAM, sans avoir montré qu’il y avait un autre numérique qui était possible, etc ».
Et donc, ce que j’en retiens, c’est la capacité de transformation, certes minime par rapport à celle de Google, mais absolument non négligeable que peut avoir une minuscule association francophone. Voilà, enfin, et Framasoft… C’était le cas aussi du temps d’Alexis, c’est toujours entre 30 et 40 personnes adhérentes. On n’est pas plus nombreux aujourd’hui qu’avant. Moi, je trouve ça assez fabuleux de se dire qu’avec aussi peu de moyens, on a réussi à transformer autant de choses. Ça paraît manquer totalement d’humilité : mais du coup, factuellement, je peux le démontrer. J’ai des rapports d’activité. des retours, on a des enquêtes utilisateur.ices, etc., qui nous disent non, non, mais en fait, vous avez changé des choses.
Pierre-Yves Gosset
Alexis : je voudrais ajouter, alors je ne veux pas parler d’argent quand tu parles d’humains, mais c’est vrai que quand j’étais à Framasoft, c’est là au milieu, on a lancé les premières campagnes de dons.
Mine de rien, ce qui impressionne quand même toujours, c’est que l’indépendance de Framasoft, parce que majoritairement, ces fonds viennent des donateurs. Et je me souviens que sur les campagnes de dons, on laissait aussi la possibilité aux gens juste de nous dire, de commenter, de dire quelque chose. Aller lire, ça faisait chaud au cœur de l’impact qu’on pouvait avoir.
Alexis Kauffmann
C’est les rencontres et puis on se retrouve avec des personnes, je ne sais pas exactement comment le décrire, mais avec une sorte de confiance. Parce que moi, je me retourne dans des milieux où il y a quand même, entre guillemets, parfois un peu d’hypocrisie, où il y a des marchés, où il y a des clients, des choses comme même si c’est au niveau public, mais où il y a aussi des stratégies de pouvoir et de carriérisme, enfin tout ce que vous voulez. Quand on se retrouvait comme ça, entre guillemets, libristes, parfois en ayant échangé pendant toute l’année en distanciel, comme on dit aujourd’hui, il y avait tout de suite une connexion, quelque chose qui faisait que c’était très agréable de partager du temps avec toutes ces personnes, peut-être un peu trop masculines, ça c’est vrai aussi. C’est un moteur extrêmement précieux pour continuer d’avoir envie d’avancer ensemble.
Mot de la fin
Walid : ça fait un espèce de mot de la fin tout à fait sympathique. Je ne sais pas si tu veux faire un mot de la fin aussi, Pierre-Yves, avant qu’on rende l’antenne.
Pierre-Yves : moi, ce que je disais tout à l’heure me convient sur ce qu’on a pu apporter au monde… qui est encore une fois avec beaucoup d’humilité, ce qui n’est pas non plus quelque chose de gigantesque.
Mais encore une fois d’avoir été un élément transformateur, et je pense du coup que ça fera la transition avec le deuxième épisode, mais passer un petit peu de l’éducation nationale à l’éducation populaire. On était quelque part obligés de passer par cette phase des dix premières années pour pouvoir entamer la deuxième. Et on n’aurait pas pu, je pense, se lancer directement dans une phase, tiens, on va faire de l’éducation populaire au numérique, sans passer par toute cette phase où on a expérimenté énormément de choses et où on se posait très, très peu de questions parce que ça venait, comme le disait Alexis, d’opportunités, de rencontres, d’alignements de planètes. Et on se disait, tiens, on n’a qu’à essayer ça. Et ça, encore une fois, je suis militant associatif avant d’être militant libriste. Je trouve que les associations permettent encore ça aujourd’hui et que ça, c’est quand même merveilleux.
Pierre-Yves Gosset
Walid : pas grand-chose de plus à dire à part que je suis absolument admiratif de tout ce qui a été fait, tout ce qui est fait encore chez Framasoft. C’est exactement ça, je trouve ça assez fou comme on peut avoir de l’impact alors qu’on peut être une petite structure. Mais on en parlera plus en détail dans le deuxième épisode. Alexis et Pierre-Yves, merci beaucoup d’avoir pris du temps pour échanger et reparler de vos souvenirs. Je vois qu’Alexis, ça t’a permis de repenser un petit peu et de relire des trucs là-dessus.
Alexis : je disais que j’avais des souvenirs très, très… Je ne me souvenais même plus d’OpenCD, par exemple, Pierre-Yves. Ça m’avait complètement passé. C’est vrai, c’était Open CD, je me souviens. C’est vrai. Et puis, ça a permis aussi de réfléchir de son propre parcours, la manière dont on vit les choses. Ce qui est certain, c’est qu’il y a des gens qui me… C’est encore tous les jours. « Ah bon ? Cette fois, il était à l’Initiative. avec Framasoft ». C’est très impressionnant avoir réussi à passer comme ça différentes étapes au long de ce quart de siècle. Ce n’est pas toutes les structures qui réussissent ça, sachant qu’en plus, la technologie a énormément évolué. Vous aurez l’occasion de le dire.
Pierre-Yves : sur le deuxième épisode.
Alexis : il y a une grande flexibilité, ce que j’apprécie aussi beaucoup, mais ça, vous le direz, c’est qu’il y a eu un renouvellement, notamment de génération, ce qu’ont pas réussi d’ailleurs à faire toutes les associations, je ne citerai pas de nom, mais c’est… Il y a eu vraiment un air frais qui a soufflé sur l’association. Je suis admiratif de ce qu’elle est aujourd’hui. Je suis fier d’avoir impulsé ça quand j’étais à Bobigny.
Walid : merci beaucoup à tous les deux. Pour les auditrices et les auditeurs de Projets Libres!, j’espère qu’encore une fois, cet épisode vous a plu. Il y a une deuxième partie qui va arriver avec la deuxième partie de Framasoft. Je vous invite à partager cet épisode, à le commenter aussi.
Rendez-vous bientôt pour le deuxième épisode. Pour ceux qui seront là, on peut se retrouver au Capitole du Libre aussi, où je vais faire une conférence le samedi matin à 10h30 pour parler du podcast et expliquer tout ce que je fais. Pour ceux qui veulent faire le retour, ce sera avec moi. Écoutez, Alexis et Pierre-Yves, portez-vous bien. Et puis j’espère à une prochaine fois. Pierre-Yves, à bientôt, mais sinon à une prochaine fois, Alexis, pour échanger avec toi.
Pierre-Yves : merci Walid.
Alexis : merci beaucoup.
Cet épisode a été enregistré le 19 octobre 2024.
Licence
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