L’histoire de Peertube – Pouhiou & Booteille – FRAMASOFT

Peertube avec Pouhiou et Booteille

Walid : bienvenue à toutes et à tous sur Projets Libres! pour ce nouvel épisode. Alors là, je suis ravi aujourd’hui, car on va parler d’un logiciel, encore une fois, que j’aime beaucoup, comme dans la plupart de tous les épisodes que je fais, c’est Peertube.

Peertube, c’est un logiciel que j’utilise à titre personnel, qui me permet de publier des vidéos sur Internet sans avoir à passer par YouTube. Je m’en sers, à titre personnel, pour la mémoire de mon sport, pour éviter de mettre en fait toutes les vieilles vidéos et tout ce qui se passe dans mon sport qui est le roller. Et donc j’ai ma propre instance sur laquelle je mets des gigas et des gigas de vieilles vidéos. Et donc c’est comme ça que j’ai appris à connaître et à aimer Peertube. Et je voulais vraiment faire un épisode dessus pour savoir un peu l’histoire de Peertube, pourquoi ça avait été développé et aussi tout ce qui va autour du logiciel en lui-même, c’est-à-dire un peu l’économie de la création et avoir la vision de Framasoft de où est-ce qu’ils veulent aller avec Peertube, où est-ce qu’ils ne veulent pas aller. Et donc pour ce faire, je suis ravi d’avoir avec moi Pouhiou et Booteille qui sont deux membres de Framasoft et avec qui on va échanger sur ce sujet-là. Donc j’espère que vous allez bien et que vous êtes prêts pour parler beaucoup de Peertube aujourd’hui.

Pouhiou : je suis hyper chaud moi.

Walid : et toi Booteille ?

Booteille : ouais carrément, ça va être bien.

Présentation de Framasoft

Walid : avant que je vous passe la parole pour vous présenter, je voudrais que s’il vous plaît qu’on fasse une introduction assez rapide à Framasoft. Je pense qu’un jour on fera un épisode complet sur Framasoft parce qu’il y en a pareil, il y a beaucoup beaucoup à dire là-dessus. Mais là je voudrais qu’aujourd’hui on se concentre pas mal sur le Peertube. Alors est-ce qu’un de vous deux pourrait introduire ce qu’est Framasoft s’il vous plaît ?

Pouhiou : allez je me lance. Du coup Framasoft c’est une association à but non lucratif, à 1901, dont l’objet social, l’objectif c’est l’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels. C’est un bien grand mot, mais derrière tout ça, en fait, l’idée c’est d’essayer de trouver comment faciliter dans la vie d’un plus grand nombre de personnes, à la fois l’usage de logiciels libres et de logiciels éthiques, parce que c’est pas parce que c’est libre que ça suffit à ce que ce soit complètement éthique, donc voilà, et de faciliter une vie numérique saine, émancipée, autonome, etc. L’association compte 38 membres uniquement, dont 11 de ces membres sont des salariés et j’en fais partie, alors que ? ?l’Unité ? ? est membre bénévole.
On est financé quasi exclusivement par les dons, on a plus de 50 projets actifs, c’est une association qui a quasiment 20 ans, enfin qui aura 20 ans l’année prochaine. Et selon le professeur Lalouche, l’institut du doigt mouillé, c’est totalement une estimation approximative, nous pensons que nos actions bénéficient à plus de 1,4 million de personnes chaque mois. C’est très difficile à savoir parce qu’une des règles c’est qu’on ne piste pas.

Walid : Je pensais que vous disiez qu’il y avait plus de membres en fait dans Framasoft ?.

Pouhiou : ça arrive souvent. Après attention, il y a plein de personnes qui sont les bienvenues pour contribuer bénévolement à nos projets, alors si tant est qu’on arrive à accueillir la contribution et ça, ça demande toujours du temps, de l’énergie du soin, dans la limite de l’énergie humaine disponible, mais c’est une toute petite association et c’est vraiment une des spécificités de Framasoft, l’idée de d’abord rassembler un petit groupe d’humains pour ce groupe d’humains qui est d’accord sur des valeurs et des façons de faire un manifeste, qui est sur notre site framasoft.org, se mettent d’accord pour faire avancer tous les projets que peut lancer l’association.

Présentation de Booteille et Pouhiou

Walid : maintenant, je vais vous demander à tous les deux de vous présenter.

Booteille : moi, du coup, c’est Booteille. Je suis membre bénévole de Framasoft depuis un an et demi et je passe un peu mon temps à faire de l’éducation populaire ou de la pédagogie autour des enjeux du numérique. Je fais ça à la fois à l’échelle bénévole chez Framasoft, je fais ça aussi un petit peu avec les petits débrouillards, une autre association dans laquelle je suis.

Et à l’échelle professionnelle, j’ai monté une auto-entreprise pour accompagner des structures dans leur transition numérique éthique et du coup les aider à sortir de Google, Microsoft, tout ça.

Walid : t’as quoi comme passé ?

Booteille : j’ai appris à programmer quand j’étais ado parce que j’aimais bien les mangas et je voulais filer un coup de main sur l’administration d’un site de mangas. Puis j’ai fini par posséder ce site de mangas. J’ai vécu de la publicité, notamment celle de Google, qui était très lucrative à un moment, plus beaucoup très rapidement. Et en fait, je suis juste un éternel curieux qui s’est intéressé à plein de sujets et c’est ce qui m’a mené progressivement vers le logiciel libre aussi.

Walid : tu as rejoint Framasoft en tant que bénévole il y a longtemps ?

Booteille : il y a un an et demi.

Walid : d’accord. Et toi Pouhiou ?

Pouhiou : je suis Pouhiou, je suis salarié de l’association et actuellement co-directeur de l’association. Donc l’idée c’est vraiment de travailler un peu à la fois la stratégie, la communauté et puis travailler aussi les prises de décisions pour qu’elles se fassent au maximum en collectif, tout ça dans le sein de l’association, ça c’est mon métier. En fait j’ai goûté au libre, je suis pas venu au libre par le logiciel, moi à l’origine j’ai une carrière artistique, j’ai été comédien, j’ai fait de la radio associative, j’ai même été youtubeur d’ailleurs, pas en étant salarié à Framasoft, en débutant, mais j’ai été youtubeur, j’avais une chaîne avec plus de 42 000 abonnés sur Youtube donc je pourrais en parler.
C’est en faisant des romans que j’ai commencé à bloguer, que je me suis rendu compte que je ne voulais pas de limite entre mes œuvres et le lectorat, et donc je les ai mises dans le domaine public. Et donc quand j’ai fini le premier roman blog comme ça, j’ai contacté Framasoft en leur disant « Coucou, si vous voulez en parler sur le blog », ils m’ont dit « Coucou, on a une maison d’édition, on aimerait bien publier un roman, on ne l’a jamais fait, est-ce que tu le dirais ? »
Et c’est comme ça que j’ai découvert et je suis rentré dans l’association, et voilà. J’ai été d’abord bénévole et puis pendant quelques temps j’ai fait de la communication en tant que chargé de communication.

Walid : des beaux chemins détournés pour en arriver là où vous êtes.

Pouhiou : tout à fait.

La génèse de Peertube

Walid : alors si on commence maintenant à rentrer dans le vif du sujet, à parler de Peertube, ce que j’aimerais comprendre d’abord c’est comment naît Peertube en fait ? Quel est un peu l’environnement au moment où ça naît, d’ailleurs à quelle année vous commencez à travailler là-dessus ? Est-ce que vous pouvez un peu m’expliquer un peu la genèse de Peertube ?

Pouhiou : du coup là je vais me lancer parce que vous savez que vous n’étiez pas forcément là à cette époque-là même si tu connais l’histoire. Framasoft lance une campagne entre 2014 et 2017 « dégooglisons Internet » où on dit il y a un problème avec les outils des géants du web. Donc on va identifier 30 outils des géants du web, on va mettre 30 logiciels libres en face et sur 3 ans on va sortir des services comme ça pour ces outils. Celui qu’on n’a pas sorti, c’était l’alternative à YouTube. Il y avait des logiciels libres qui permettaient de faire des plateformes vidéo, mais ça ne répondait pas à tous les problèmes.

Et notamment, en fait, on s’est rendu compte qu’il y avait trois problèmes quand tu veux faire une plateforme alternative à celle de YouTube, à celle de Google.

Un, le problème de la confiance. Il faut avoir confiance dans le logiciel. Donc pour ça, évidemment, il faut du logiciel libre. Et en plus, ce qui est bien, ce serait d’avoir un logiciel libre vraiment communautaire et pas maintenu par une entreprise qui derrière peut le fermer ou faire du faux pain de source, des choses comme ça.

Deuxièmement, l’autre problème, c’est que si tu mets ton serveur de vidéos juste pour toi, c’est cool, mais t’es tout seul dans ton armure et t’as un petit catalogue de vidéos. Et un des grands avantages de YouTube, c’est que tu y trouves toutes les vidéos du monde, puisque tout le monde vient y mettre ses vidéos. Mais pour ça, il faudrait accueillir les vidéos du monde entier, et c’est très très lourd. Et donc, il faut trouver une architecture qui ne soit pas centralisée et qui permette d’avoir un énorme catalogue de vidéos sans avoir besoin des fermes de serveurs de Google. Ça, c’est le deuxième problème que ça posait, et auquel les logiciels libres de l’époque ne répondaient pas puisque ils étaient aussi en architecture centralisée.

Le troisième problème purement technique que posait aussi le fait d’héberger une alternative à YouTube, c’est si une vidéo à du succès. Et quand tu es hébergeur, tu dois craindre le succès, parce que le succès, ça veut dire que tout le monde vient télécharger la vidéo pour la regarder sur son écran en même temps. Le streaming, c’est juste du téléchargement qui s’efface au fur et à mesure, mais c’est du téléchargement. Et donc du coup, si tout le monde vient en même temps, ça crée un embouteillage au niveau du tuyau, ce qu’on appelle la borne passante. Donc voilà.

Et donc là aussi, il fallait trouver une astuce technique pour que lorsqu’il y a une vidéo qui a du succès, ce qui est plutôt chouette en général, en tout cas pour les créateurs et créatrices, c’est plutôt cool, comment est-ce qu’on fait techniquement pour qu’il n’y ait pas besoin d’avoir les fibres internet et les câbles sous-marins de Google ? Donc voilà, on avait besoin de répondre à ces soucis techniques et c’est comme ça qu’on a commencé à se pencher sur la question.

Walid : vous avez commencé à vous pencher sur la question, on était en quelle année là ?

Pouhiou : on est en 2017, on est vers la dernière année de dégooglisons, on se rend compte qu’il y a des choses qu’on a fait en plus qui n’étaient pas prévues dans le plan originel, des choses qu’on ne fera pas : typiquement le mail.

À une époque on pensait faire un Framamail et on s’est dit ben en fait si on fait ça il faudrait embaucher trois administrations à plein de temps, il faudrait s’assurer que ça soit des moyens démesurés, on va pas s’en serre. Et du coup qu’est ce qu’on fait de YouTube quoi ?

Et je me rappelle le FOSDEM 2017, on est en Belgique, plusieurs membres de l’association, donc début février 2017, et on se dit mais comment est-ce qu’on peut résoudre ces problèmes-là, ces problèmes de devoir héberger les vidéos du monde entier et tout ça. On regarde les logiciels libres qui existaient à l’époque, tu avais Media Goblin, Media SPIP, Media Drop je crois, ouais merci. Et ça répondait pas parce qu’on était dans l’architecture centralisée. Et je commence limite comme une blague à dire « mais et Popcorn Time ? » Popcorn Time c’est du logiciel libre et c’est un logiciel qui était utilisé pour que les fichiers de torrents de films piratés soient visibles un peu en mode streaming avec une interface à la Netflix.

Donc c’était un truc totalement utilisé principalement pour du partage illégal de cultures. Et je fais « mais si Popcorn Time, derrière, on met des seedbox pour booster un peu les vidéos et qu’on fait une interface d’upload, on peut peut-être s’en servir pour que finalement les vidéos soient hébergées en tant que fichiers torrents et sur la fédération Torrent et éviter cette centralisation. Donc on réfléchissait à ça.

On réfléchissait mais on n’était pas sûr. On s’est dit, ce n’est pas grave, on n’y arrivera pas en 2017, on le mettra dans le prochain plan de trois ans. Au cours de ces mois-là, il y a quelqu’un qui tombe sur un projet d’un jeune étudiant, dont le pseudo est Chocobozzz, et qui avait du coup ce projet de dire « tiens mais moi en fait je veux faire une plateforme de vidéo, mais fédérée comme Diaspora« . Et en plus que ce soit fédéré, donc du coup plutôt que d’avoir une architecture centralisée et un géant en serveur, une ferme de serveurs géante, t’as besoin juste d’un réseau de plein de petits serveurs, donc ça c’est génial, c’est le web quoi, tu vois. En plus de ça, justement pour le problème d’une vidéo qui a du succès, je veux qu’en plus du streaming, il y ait une diffusion des vidéos en pair à pair, ce qui permet qu’au moment où tout le monde veut regarder la vidéo, les gens peuvent s’échanger des bouts de fichiers entre eux, leurs ordinateurs peuvent s’échanger des bouts de fichiers entre eux, et du coup c’est résilient. Et donc voilà, on est tombé sur ce projet d’étudiant, on s’est dit trop fou le coup.

Walid : donc Chocobozzz, il était étudiant d’informatique tout simplement ?

Pouhiou : c’était ses dernières années d’études et tout ça. On commence à le contacter. Je crois que ça fait un ou deux ans qu’il avait déjà commencé à bosser. Mais tu vois, c’était un side project pour lui, pour se faire plaisir. Et puis pour se former aussi. Et puis du coup, on commence à lui dire « Coucou, en fait, nous, ton petit projet à côté nous intéresse. Est-ce qu’à un moment donné, on peut pas te financer, faire quelque chose ensemble, pour voir si on arrive à un Proof of concept, à quelque chose qui marche ? ». Un truc où on se dit ça peut marcher et donc on peut mettre des billes dedans. À ce moment-là, il nous a dit « écoutez, non, je sors de mes études, je vais vers un boulot, donc non, bof ».

Sauf que quelques mois plus tard, il fait « en fait là je vais être entre deux boulots, je vais avoir je sais plus 3 à 6 mois de libre ». Et donc là on a dit « écoute, nous on te salarie pendant 3 à 6 mois, tu bosses sur ton projet perso professionnellement, on fait en sorte de ça pour voir si ça peut marcher et si ça peut marcher, après on décide de ce qu’on fait ensemble ». Et c’est comme ça que fin 2017, on est arrivé devant le public en disant « coucou, on a ce projet là, on veut faire une campagne de financement, est-ce que vous financeriez pour qu’on paye Chocobozzz pendant un an pour arriver à une V1 ? parce qu’on a une V0 qui tient la route ».

Walid : deux questions, la première, Chocobozzz, il était déjà assez convaincu du logiciel libre ?

Pouhiou : je ne veux pas trop parler à sa place, pour info d’ailleurs il est hyper à l’aise avec le fait que ce soit pas lui qui parle, parce que lui il préfère ne pas prendre les devants de la scène. Voilà, mais du coup je ne veux pas trop parler à sa place, mais il me semble bien que lui déjà dès le départ il y avait tout un tas de valeurs, et notamment des valeurs pour se dire en fait comment est-ce qu’on peut sortir de cette centralisation qui favorise forcément les monopoles des géants du web. Donc il y avait déjà ça. Et du coup, comment est-ce que moi, ingénieur, je peux répondre techniquement à des problèmes pour essayer de penser autrement une plateforme vidéo ? Et voilà. Il y avait déjà cette démarche, il y avait déjà une licence libre qu’on a affinée ensuite ensemble quand on est passé à la V1. Pour lui, il y avait déjà quelque chose. Et puis voilà, il était inspiré par Diaspora, il était inspiré par des choses comme ça, enfin oui il était déjà quand même dans la communauté du libre et de l’open source.

La complexité de Peertube par rapport aux autres logiciels créés par Framasoft

Walid : est-ce que Peertube était un des éléments qui techniquement étaient les plus difficiles ou est-ce que vous aviez d’autres projets qui étaient plus difficiles techniquement que Peertube ?

Pouhiou : techniquement ? Hum…

Walid : je vais reformuler, est-ce que pour les autres projets les technologies étaient déjà disponibles ?

Pouhiou : non, pas toutes. Toutes les technologies n’étaient pas disponibles sur les autres projets et les autres services qu’on a voulu sortir. Il y en a quelques-uns qui ont été développés par exemple par Sky, notre admin sys préféré historique. Il y a typiquement Framagenda qui permet d’avoir un agenda synchronisé et partageable, etc. En fait, il est basé sur une installation de Nextcloud, qui est toute une suite logicielle, et notamment pour synchroniser des dossiers et des fichiers. Mais quand tu te crées un compte sur un agenda, tu n’as quasiment pas d’espace de partage de fichiers. Tu dois avoir 2-3 mégas, le minimum possible.

Or, ce qu’il fallait, c’est arriver à avoir une application Calendar de Nextcloud, donc qui gère comme ça les calendriers, les contacts et tout, une application suffisamment évoluée et à l’époque elle ne l’était pas. Et du coup, on a pris un stagiaire d’école ingénieur, on lui a dit « six mois, on te propose ce stage-là ». C’était quelqu’un qu’on connaissait déjà bien, qui était un petit génie du logiciel libre, qui avait déjà été contributeur à Wallabag, qui nous avait permis de faire le service Framabag, qui est un service de conservation d’articles dans ton petit carnet d’articles web personnel, ou de pages web, ou de signés, des choses comme ça. Et du coup, voilà, Thomas a développé l’application Calendar, qui existait déjà dans Nextcloud, mais il a développé de manière à ce que vraiment toutes les fonctionnalités, que ce soit facile d’utilisation, etc. Et on a d’ailleurs été tellement contents de ce travail avec Thomas que derrière, à la sortie de son stage, on lui a fait une proposition d’embauche et il est toujours aujourd’hui développeur au sein de Framasoft.

Le début du développement de Peertube

Walid : si on revient sur Peertube, comment ça se passe les débuts, les débuts du développement sur Peertube ? C’est-à-dire que vous faites une campagne de financement participatif ?

Pouhiou : oui, une première, oui.

Walid : vous estimez qu’il faut combien d’argent pour développer Peertube au départ ?

Pouhiou : pour nous en fait c’était un an de salaire, toute cotisation et charges comprises. Quand je parle de charges, je pense plutôt à des locaux, à un ordinateur, des choses comme ça. Et donc du coup, je ne me souviens plus exactement, mais je pense que c’était 50 000. On avait mis un financement à 50 000 euros, me semble-t-il.

Walid : et à la fin de la campagne de financement, vous arrivez à quel montant ?

Pouhiou : on a eu un peu plus, on a eu 68, 69 000. Là aussi, je te le fais de mémoire et je n’ai pas regardé les chiffres.

Walid : Vous avez atteint plus que l’objectif ?

Pouhiou : oui, tout à fait. Je crois d’ailleurs que c’est le cas sur toutes les campagnes Peertube, qu’on atteint plus que l’objectif. En général, même sur les campagnes de ?donneurs?, sachant qu’il y a eu deux campagnes de crowdfunding pour Peertube, une pour arriver à la V1, où on a eu en effet plus des 50 000 demandées, et une autre pour la V3, qui comportait notamment le moteur de recherche dans toute la fédération et le live.

Et sur ces deux campagnes de crowdfunding, l’argent a été donné spécifiquement pour le projet et donc a été consacré exclusivement au projet évidemment, en comptabilité on appelle ça un compte dédié. Mais à part cela, et on préfère aujourd’hui de toute façon dire que de toute façon tous les dons dédiés à Framasoft vont à l’ensemble des projets de Framasoft. Parce qu’on se rend compte que forcément, à un moment donné, ça s’équilibre. Et puis parce que, par exemple, on ne peut pas dire que, ne serait-ce que Chocobozzz va travailler à 100% de son temps sur Peertube.

Si je reprends justement cette époque de la V3 et du live, en fait c’est en 2020, c’est en pleine pandémie. Et pendant la pandémie, du coup, notre service de visioconférence Framatalk voit en 15 jours son usage multiplié par 10 ou 100, c’est un truc absolument phénoménal. Et donc là Chocobos a arrêté de coder le live dans Peertube et s’est mis à faire de l’administration système pour balancer la charge sur plusieurs serveurs pour que Framatalk tienne le coup et qu’on puisse fournir de la visio aux gens qui étaient confinés. Tu vois, et donc il y a des moments où il n’a pas bossé, parce que c’est normal à Framasoft, on fait tous et toutes 50 000 trucs. La campagne de financement participatif se passe bien, donc la V1 est financée.

Walid : qu’est-ce qu’il y a au moment de la V1, quand vous avez fini la campagne de financement participatif, qu’est-ce que vous avez déjà comme première base en fait ?

Pouhiou : on a une base qui fonctionne, oui, mais par exemple, à ce moment-là, on n’était pas encore passé sur la base de données que nous on favorise à Framasoft par expérience PostgreSQL. Je crois que c’était encore sur MongoDB à l’époque, lors du Proof of concept. Au niveau fédération, je crois que c’était plutôt inspiré de Diaspora.

Et au même moment où dans les premiers mois du développement de la V1, donc je parle de fin 2017 à fin 2018, il y a ActivityPub, qui est un protocole, un langage de fédération qui est accepté par le consortium mondial du web, le W3C. Et donc là on se dit, en fait non, il faut vraiment partir sur ActivityPub, là ça va être utilisé par tout le monde, cette machin. Donc du coup il faut tout changer au niveau du protocole de fédération, de ce qu’on avait déjà dans le Proof of concept. Mais même, nous ce qu’on voulait aussi, c’était ce qu’on n’avait pas dès le départ, c’était un lecteur vidéo qui marche dans les deux cas de figure, qui était à la fois le streaming habituel du serveur vers la personne qui regarde et son ordinateur, et faire du pair-à-pair. L’idée étant de pouvoir faire de manière transparente et sans que ça se voit au niveau des gens les deux potentiellement. Ça, ça ne marchait pas encore. Il nous fallait un lecteur vidéo qui marche.

Walid : au départ, dans le Proof of concept, il y avait quoi ?

Pouhiou : il y avait juste la lecture vidéo type streaming ou il y avait… Il y avait déjà un peu du protocole de fédération, me semble-t-il, de Diaspora à l’époque. Il y avait du streaming. Enfin voilà, il y avait des pistes pour faire du peer to peer. Il y avait aussi des idées pour tout ce qui va être créer son compte, s’abonner, s’abonner en transparence, etc.

Il y avait des premières idées de fédération mais qui étaient plutôt calquées sur Diaspora, c’est-à-dire tout le monde est fédéré à tout le monde et personne ne choisit à qui il est fédéré. Ce sur quoi très vite on a changé l’autorité des pôles en disant non, il faut qu’il y ait une maîtrise vraiment des personnes qui servent une instance, qui hébergent une instance, qui l’administrent. Il faut que ces personnes-là puissent décider de ces personnes-là je les suis, ces personnes là je ne les suis pas. Et du coup ça change complètement l’architecture et les modes de fédération. Donc voilà.

Walid : la V1 elle a pris combien de temps à développer ?

Pouhiou : enfin une bonne dizaine de mois, entre 10 et 12 mois ouais. Et à la fin de la V1 on avait toutes les promesses qui marchaient. Et en plus, ça je me rappelle qu’il avait rajouté, Choco, il a rajouté la capacité de faire de la redondance d’une instance vers une autre, c’est-à-dire que typiquement si mon instance j’ai pas mal de… j’ai un gros serveur avec pas mal de capacités, je peux dire bah écoute je vais soutenir ton instance ou ta chaîne ou ta vidéo et si à un moment donné ton serveur il est un peu surchargé, ça va aller sur le mien.

Les premières réactions à Peertube v1

Walid : et donc la V1 elle sort, quelles sont les premières réactions et je veux dire quel est un peu l’accueil public de la communauté libre autour de cette de Peertube ? Qu’est ce qui se passe à ce moment là ? Est-ce qu’il y a de l’engouement ?

Pouhiou : oui, oui, non, il y a un vrai engouement. De toute façon on a fait aussi nous à côté un travail de dire on veut montrer les cas d’usage qu’on veut etc donc on est aussi allé voir des créateurs de contenu. Je me rappelle on était déjà en contact avec DataGueule, par exemple, des journalistes qui font des vidéos de vulgarisation et de visualisation de données. On était aussi en contact avec les conférenciers et conférencières gesticulants, donc voilà, les aider à mettre en place une instance et à s’autonomiser dessus. Donc on a voulu qu’il y ait des choses déjà qui sortent avec. Et ce qui était très intéressant, c’était que autant justement la communauté du libre et la communauté technique comprenaient la petite prouesse technique et en tout cas le côté intelligent de la réponse technique à des problèmes politiques.

Le problème politique c’est une centralisation par les géants du web et un monopole et la réponse technique, c’est on va démocratiser les moyens de diffusion de la vidéo et faire en sorte que pour diffuser des vidéos et avoir les mêmes avantages que Google, t’as pas besoin d’avoir les moyens de Google. Donc il y avait une vraie compréhension et par contre il y avait tout un travail à faire d’éviter d’avoir notamment au niveau des médias un peu plus grand public etc la mode de l’époque qui était voici le nouveau YouTube killer. Voilà et parce qu’à l’époque sortait tout le temps une start-up qui disait bonjour j’ai le nouveau Facebook killer et inscrivez-vous à Hello, inscrivez-vous à machin ou le Twitter killer etc c’était vraiment la mode médiatique à l’époque dans les médias traitant du numérique. Et donc nous très très très vite on a dit, quand on annonçait la V1, on annonçait bien en gros ceci n’est pas le YouTube killer. Notre petite association avec 50 000 balles et un an de boulot à un dev ne peut pas concurrencer les géants du web et les plus grandes puissances financières, technologiques, économiques, culturelles mondiales. C’est pas possible.

Booteille : et je pense que là tu appuies sur un point qui est très important avec Peertube et beaucoup de projets notamment portés par Framasoft, c’est l’idée qu’on ne cherche pas à recréer un YouTube, on ne cherche pas à recréer un Facebook, on ne cherche pas à recréer tout ça, on cherche à construire des alternatives qui sont pensées pour les humains et les humaines qui partagent nos valeurs ou non, mais c’est un autre concept. On ne cherche pas, j’appuie là-dessus, on ne cherche vraiment pas à reproduire YouTube. Par contre, s’il y a des fonctionnalités chouettes dans YouTube qui nous intéressent, effectivement, on va les réfléchir, on va chercher à les intégrer. Par contre, toujours sous notre prisme, celui qui a nos valeurs et nos principes.

Walid : et effectivement, j’avais pas capté que la sortie de Peertube V1 était concomitant avec l’arrivée du protocole ActivityPub, ce qui montre bien que le logiciel a été pensé dès le départ pour la fédération et a grandi avec. J’ai une question un petit peu technique, tu l’as abordée Pouhiou un tout petit peu avant, tu as dit sur la V0 il y avait une licence libre et puis on a affiné la licence pour la V1. Donc pour la V1, la licence actuelle de Peertube c’est une AGPL V3+, qu’est-ce qui fait que vous choisissez cette licence-là ?

Pouhiou : donc il faut savoir que Choco, très vite, quand on lui a dit « Écoute, nous on veut pérenniser ton emploi au sein de Framasoft et le développement de Peertube, on veut le mener le plus loin qu’on pourra et que ça intéressera le monde, quoi, tu vois. » Et tout ça, il nous a dit « Ok, mais du coup, moi, qu’on soit clair, maintenant, le projet Peertube appartient à Framasoft et non pas uniquement à Chocobozzz. » Donc voilà, et du coup, on a travaillé un peu plus la licence ensemble, et du coup, Framasoft, on a toujours eu une politique sur clairement 1, licence libre, tout ce qu’on produit doit être sous licence libre, on vient du milieu du logistique libre, pour nous c’est une évidence, d’autant plus qu’on est financé par les dons, par la communauté, donc la moindre des choses c’est de reverser notre production dans les communs. La politique de Framasoft aussi sur ces productions, c’est que ce soit des licences virales à l’inverse des licences permissives. Tu me dis si je développe sur cette partie là.

Walid : non ça va, j’ai déjà fait un épisode avec Benjamin Jean là dessus.

Pouhiou : Benjamin Jean qui était membre de Framasoft. Tout à fait, super du coup c’est bon. Mais voilà donc du coup pour nous ça a été toujours clair donc là pour un logiciel une licence GPL v3 est très bien et le A dans AGPL en fait c’est parce que comme c’est un logiciel principalement serveur ça permet encore une fois de mieux protéger le commun au niveau des modifications qui pourraient être faites sur d’autres serveurs.

Donc là il y a la v1 alors je sais plus à quel moment c’est, ma mémoire me fait défaut j’ai pas forcément trouvé l’article, je sais qu’à un moment la FSF avait mis Peertube comme un des logiciels principaux à soutenir. Je me demande, à partir du moment où la V1 sort et les gens commencent à l’utiliser, est-ce que ça vous pousse tout de suite à faire une V2 ? Comment vous organisez finalement après la V1 et après les premiers retours ?

Pouhiou : en fait, nous on a pensé V2 à partir du moment où on a réussi le crowdfunding pour financer la V1. On s’est dit en fait, on sait très bien qu’on ne va pas réussir en un an à faire tout ce qu’on voudrait et on va non pas viser de tout livrer d’un coup et de mettre, voilà… Mais on va viser une progression dans la vie du logiciel et donc d’année en année à l’améliorer. Donc pour nous ça a été dès le départ pensé comme ça et justement ça a été le truc, c’est ceci n’est pas un YouTube killer mais on va avancer au fur et à mesure et notamment quand on s’est adressé à des publics, on sait qu’au début de la vie du développement de Peertube, on s’est adressé à des publics plutôt techniques qui comprenaient mieux les enjeux, et puis quand ce public-là a été acquis, on a pu s’adresser à des publics un peu plus néophytes, et de plus en plus on essaie de s’ouvrir au fur et à mesure parce que le logiciel mûrit et devient accessible à un plus grand nombre, ce qu’il n’était pas lors de sa v1 ou v2, ce qui est bien normal. Donc ça c’était pensé de départ, et au niveau de l’accueil, au niveau du libre, il est plutôt chaleureux. En effet, la FSF, je me rappelle que même à l’époque, Richard Stallman, lui-même, est intervenu sur le guide pour nous donner des indications sur comment bien implémenter la licence de manière, avec un protocole rigoureux. La FSF nous a demandé à Framasoft de leur offrir un hébergement d’une chaîne Peertube qu’on a fait sur notre instance Framatube, c’est une des rares exceptions parce que d’habitude on n’héberge pas de monde exprès. Bon voilà, cétait la FSF, on a fait une exception.

Mais en même temps aussi, évidemment, il y avait des critiques qui sont en plus, en somme toute légitime et tout ça, des critiques par exemple sur l’utilisation de JavaScript, en plus JavaScript sous forme de TypeScript qui a été conçu par Microsoft. Enfin voilà, et JavaScript n’est pas forcément très très apprécié par toutes les personnes qui aiment le libre. On a essayé de travailler un peu sur la question de de LibreScript, c’est ça la version JavaScript libre par la FSF, et les échanges qu’on a eu, alors qui sont un peu en off, voilà, mais qui sont pas non plus un grand secret, c’est qu’on s’est rendu compte que LibreScript a été écrit à une époque où la manière dont c’est fait n’est plus la mieux adaptée maintenant et ce qu’il faudrait, ce serait modifier la manière dont on peut reconnaître du code JavaScript libre et respectueux. Donc il faudrait une évolution peut-être de LibreScript, en tout cas pour nous ce serait beaucoup trop contraignant de faire en sorte que le code JavaScript de Peertube soit compatible de LibreScript. C’est juste au niveau travail, c’est juste indécent. Mais voilà, des critiques, des choses comme ça, c’est comme dans la vie du libre.

Pouhiou : j’étais à l’extérieur de l’assaut à cette époque-là, et il y avait un moment qui a été marquant pour moi, c’est quand Blender a des problèmes de monétisation avec YouTube et annonce, « ok, grosso modo on emmerde YouTube, on va sur Peertube ». Moi, à ce moment-là, j’ai vu Reddit s’enflammer, j’ai vu Internet commencer à parler massivement de Peertube comme une alternative à YouTube.

Et après, quand Debian fait son don de 10 000 euros pour la sortie de Peertube V3 avec le live et tout ça, il y a eu un nouveau petit coup de fouet en termes de popularité. Et je pense que ces deux moments ont été vraiment des game changers (NDLR : ont changé la donne) aussi au niveau de la communauté, de l’acceptation du logiciel comme une alternative pour faire de la vidéo.

Pouhiou : de toute façon, on ne le dira jamais assez, les meilleurs promoteurs du libre et du numérique éthique ce sont les géants du web. A chaque fois qu’ils font de la merde et qu’ils font des choses qui vont à l’encontre du bien commun et des gens etc parce qu’ils veulent juste donner de l’argent à leurs actionnaires, à chaque fois qu’ils font de la merde, ça permet de promouvoir en même temps les alternatives libres, à chaque fois que Twitter a eu un scandale avec Elon Musk, ça a ramené du monde sur Mastodon, à chaque fois qu’un nouveau Windows sort, il y a plein de gens qui se mettent à découvrir GNU Linux et plein de distros sympas.

C’est cool, on se rend compte qu’à chaque fois qu’ils font des erreurs, il y a des gens qui viennent nous trouver.

Booteille : ça m’évoque vraiment la dimension du pas de côté. Je suis assez partisan du fait d’essayer de construire des alternatives et un environnement numérique alternatif qui fait que au moment où ça demandera… ou au moment où les gens auront envie de faire l’effort de faire ce petit pas de côté vers chez nous, ce pas de côté soit le plus simple possible, le moins énergivore possible. Et c’est ce qui s’est passé dans les exemples que tu as cités Pouhiou quand Elon Musk rachète Twitter, fait de la merde etc.

Des millions de personnes arrivent sur Mastodon. Quand Blender a des problèmes avec YouTube, bam, on parle de Peertube et on commence à financer Peertube. Je pense que c’est un de nos enjeux en tant que communauté du libre en tout cas, pas d’attaquer frontalement les géants du web parce qu’on n’a pas l’énergie tout simplement, on n’a pas les moyens, mais vraiment de chercher à construire des alternatives qui donnent envie pour que le grand public, en fait, à un moment puisse simplement venir nous trouver parce qu’on a construit des portes faciles, parce que ça demande le moins d’énergie possible.

Pouhiou : si je peux me permettre de rebondir, ce qui est génial là-dedans, c’est que tu te rends compte qu’en fait les géants du web sont aussi enfermés dans leur modèle économique, politique, dans leur choix de société. Donc leur modèle économique, c’est l’économie de l’attention, leur modèle politique s’appelle le capitalisme de surveillance, voilà, et du coup avec l’objectif d’avoir une captologie, donc de capter un maximum d’attention pour capter des données pour les revendre, en fait ils sont enfermés dans ça et du coup nous on a tout un espace de liberté que eux ne peuvent pas s’offrir parce qu’on n’a pas les mêmes contraintes, on n’a pas les mêmes objectifs. Eux leur objectif c’est de capter l’attention.

Et un truc tout bête, depuis très très longtemps sur YouTube, tu peux partager une vidéo en démarrant à 3 minutes 10. Et si tu regardes, ça te donne l’adresse web, l’URL de la vidéo avec T égal, enfin c’est pas 3 minutes 10, c’est un nombre de secondes, mais voilà. C’est extrêmement simple pour Google de coder un « je te partage un lien, la vidéo démarre à 3 minutes 10 et tu finis l’extrait à 5 minutes 40, même si la vidéo fait 10 minutes. C’était trois fois rien de rajouter un deuxième paramètre. Pour eux c’était trois fois rien. Ils ne l’ont pas fait pendant des années. PeerTube on l’a fait deux ou trois ans avant eux et deux ou trois ans plus tard Google a copié. Alors ils n’ont pas copié, ils ont fini par le faire, tu vois. Mais voilà, et nous on était totalement libre de faire ça parce qu’on n’avait pas besoin que les gens restent le plus longtemps devant leur Peertube.

On avait juste besoin qu’ils voient les extraits qui les intéressent, ou qu’ils partagent les extraits qui les intéressent, même si ça s’arrête au bout de trois minutes.

Les modes de financement de Peertube

Walid: ce que vous venez de dire juste avant me fait une bonne transition parce que je voulais parler du mode de financement de Peertube, qui est vraiment une question que je me posais. Donc on a parlé de financement participatif, là on a parlé de dons Debian par exemple. Je voulais savoir un peu quels sont les différents moyens que vous avez pour financer Peertube. C’est Peertube ?

Pouhiou : Framasoft, ça dépend des années, est financé entre 90 et 98% par des dons.

Dans ces dons, il faut quand même distinguer deux types de dons, des dons de fondations, des gros dons entre guillemets, parfois d’entreprises, c’est plus rare mais il y en a eu quelques-unes, et les dons particuliers mais qui restent quand même, genre c’est les trois quarts de notre budget, c’est les dons de légendes. Ça c’est en général pour les activités de Framasoft. Concernant Peertube c’est principalement ça, parfois spécifiquement pour l’AV1 en 2017-2018 et pour l’AV3 qui est sorti fin 2020, ça a été des crowdfunding, donc un financement spécifique avec un objectif spécifique etc. Sauf que pour les crowdfunding, il faut avoir quelque chose, il faut aussi susciter l’engouement auprès du grand public. Donc dire, on veut montrer que c’est possible et offrir une V1, c’était quelque chose. Pour la V3, ça a été on veut vous offrir la recherche à travers toute la fédération et le live. Et on va pas faire juste du YouTube, on va faire du Twitch aussi. Là, ça, c’était assez énorme.

Il y a eu ce premier modèle économique du don et du crowdfunding. Une très très faible partie, mais notamment en 2022 particulièrement, on a eu quelques prestations.

Ça a été des prestations en développement pour des développements spécifiques. Typiquement, on a eu le ministère de l’Éducation nationale qui, pour intégrer Peertube à sa plateforme apps.education.fr, qui est un ensemble d’outils libres mis à disposition de l’ensemble des profs et des élèves de l’Éducation nationale, ils avaient besoin de pouvoir se connecter à son compte via des protocoles spécifiques, LDAP, SAML, bref, machin. On a développé le plugin qui nous ont financé. On a eu aussi un média All-around, donc c’est un média des arts de la scène hébergé par l’Université Emerson à Boston. All-around qui avait besoin sur Peertube de différentes choses et qui nous ont financé différentes fonctionnalités que nous on avait envie de faire en plus donc ça tombait bien. Mais ça c’est quand même plutôt rare et c’est une très faible partie du financement de Framasoft en général et de Peertube en particulier et sinon en 2021, là pour la v6 qu’on vient de sortir en 2023 et si tout va bien, logiquement c’est bon, pour la v7 de 2024, sur Peertube on a touché des bourses de NLNet. NLNet qui fait partie d’un collectif plus grand qui s’appelle Next Generation Internet qui finance des projets pour un meilleur internet et qui finance ces projets en redistribuant des fonds européens, mais en les redistribuant sur différents petits projets en vérifiant l’avancement de ces projets. On a une très bonne relation avec NLNet et Next Generation Internet.

Walid : je conseille à tous les auditrices et auditeurs d’écouter l’interview que j’ai faite de Benjamin Jean dans lequel on parle justement de ce financement européen. Et c’était justement une de mes questions de savoir est-ce que vous bénéficiez de financement européen. Donc voilà tu viens de répondre à la question. Dans Next Generation Internet, ce que Benjamin explique c’est qu’en fait c’est des financements qui sont beaucoup plus simples à obtenir avec beaucoup moins de côtés administratifs que ce qu’on pouvait avoir avant avec les financements européens. Et donc ça avait justement pour but de bénéficier à des projets typiquement comme Peertube.

Pouhiou : c’est ça, à Framasoft on n’a pas l’énergie, les savoir-faire, les connaissances de monter un dossier de subvention européenne. C’est juste un boulot de dingue, c’est un mi-temps sur un an, etc. Mais même, tu vois, il y a des projets de l’écosystème Peertube, je pense notamment à l’application Live Chat, qui permet d’avoir un chat pendant les directs sur Peertube. C’est une application externe qui est développée par un développeur externe qui s’appelle John Livingston, qu’on embrasse d’ailleurs. Nous on l’a soutenu plusieurs fois, vraiment, on l’a soutenu même financièrement et puis évidemment on travaille en collaboration avec lui parce qu’on trouve son travail hyper important.

Et là récemment, une grande partie de son travail a été financé aussi par une bourse NLNet alors que c’est quelqu’un qui est tout seul dans son auto-entreprise de développement, il n’aurait jamais la possibilité de monter un dossier de subvention européenne, c’est pas possible.

Equipe de développement et communauté

Walid : donc en plus de ChocoBuzz, est-ce que déjà chez Framasoft, de manière générale, il y a d’autres personnes qui touchent et qui travaillent sur Peertube, est-ce qu’il y a une communauté qui s’est créée autour de Peertube, de développeurs ou de gens qui contribuent, qui en fait travaillent sur l’outil ?

Pouhiou : alors pour la partie Framasoft, déjà moi, ça fait quelques années que je me consacre à être Product Owner de Peertube, c’est-à-dire vraiment à travailler en accord avec ChocoBuzz sur une stratégie, sur les roadmaps (NDLR : feuilles de route), sur des choses comme ça. Mais en fait on est nombreux et nombreux au sein de l’association et même au sein de l’équipe salariée. Il y en a qui vont faire des articles blog, de la communication, des pouets, des choses comme ça. Il y en a qui vont travailler sur les stratégies, sur des choses comme ça.

Mais en effet, pendant un moment, on a été un peu, même limite, goulots d’étranglement au niveau développement puisqu’il y avait un seul développeur salarié qui était Chocobozzz. Et que ça commençait à devenir trop peu vu l’ampleur que prend le projet. Sauf qu’à Framasoft, on a fait un choix assez radical de limiter au maximum notre croissance, parce que notre objectif ce n’est pas de redevenir un géant et parce que nous on sait qu’on fonctionne bien tant qu’on garde une taille humaine, une chaleur humaine dans l’équipe salariée, dans l’équipe des membres de l’ensemble des membres d’associations, dans tout ça. Donc voilà, créer un nouveau poste au sein de Framasoft, c’était vraiment un enjeu très fort, ça nous a demandé beaucoup de travail, beaucoup de réflexion, beaucoup de choses comme ça. Cependant, on savait qu’il y avait un besoin au niveau de Peertube et donc il y a eu une première demande de Chocobozzz fin 2022 de dire voilà en 2023, je ne sais pas si on pourra avoir une personne salariée de plus à Framasoft pour Peertube mais j’aimerais bien moi savoir si je peux travailler en équipe alors que ça fait 6 ans que je travaille en solo sur le développement de ce projet. Et puis j’ai envie de former quelqu’un, donc j’aimerais bien prendre un stagiaire.

Et donc on a eu un développeur stagiaire entre février et juillet 2023, Wicklow, qui est venu là-dessus. Donc quand il est arrivé, en plus j’ai dit les yeux dans les yeux à Wicklow, « attention on va parler de la possibilité d’ouvrir un poste de développement sur Peertube à Framasoft, savoir est-ce qu’on y va ou pas, je te regarde droit dans les yeux, là tu es au début de ton stage, ce poste ne sera pas pour toi, vu que si c’est quelque chose qu’on fait, du coup on peut peut-être comprendre une personne avec une expertise pour éventuellement faire une app mobile, des choses comme ça ».

Les discussions avancent, les discussions se font et en juillet dernier, lors d’un camp où un maximum des bénévoles de l’association, des membres par exemple de l’association se retrouvent, on retravaille sur, « ok on se sent prêt à prendre une personne en plus, et c’est quand même un risque pour l’association » parce que c’est un salaire qu’il va falloir sortir tous les ans, tous les mois, etc.

Mais c’est trop important, il faut y aller. Et du coup, quel type de poste on veut, etc. Et en fait, au bout d’un moment, on se rend compte que stop, il faut qu’on arrête les conneries, ça se passe trop bien avec Wicklow, il faut qu’on lui fasse une proposition d’embauche. Et donc depuis septembre dernier, nous avons embauché un deuxième développeur sur Peertube. C’est une de nos grandes annonces de cette fin d’année parce que pour nous c’est beaucoup, c’est un gros risque, ça veut dire que Framasoft va avoir besoin de plus de dons pour continuer à vivre, tu vois, mais en même temps pour nous c’est essentiel et notamment ce que va permettre le fait d’embaucher un deuxième développeur c’est à la fois d’avoir une autre personne qui va avoir de l’expertise sur les 200, 250 000 lignes de code,

Booteille : 220 000,

Pouhiou : cork, tu vois, c’est quand même pas tout le monde ne peut se dégager du temps pour avoir ça. Et si ce qu’on appelle malheureusement le bus factor, je ne le souhaite pas, mais si un jour Chocobuzzz se prend un bus ou prend un bus pour aller vivre une autre vie ailleurs, dont il a envie, du coup il n’y aura plus personne qui a de l’expertise. Donc là ça permet de doubler cette expertise et d’avoir d’autres personnes.

Et puis ce qu’on va demander aussi à Wicklow là sur l’année prochaine, c’est de se former sur les applications mobiles parce qu’on aimerait bien sortir une application virtuelle. Mais ça on en reparlera je crois.

Walid : en termes de communauté, il y a d’autres gens en dehors de Framasoft qui contribuent ? Et si oui, comment vous animez en fait cette communauté ? Désolé, mon ancien passé développeur de logiciels libres refait surface.

Booteille : non mais la question est intéressante notamment sur la question d’animation de la communauté. Je dirais peut-être commencer par les chiffres.

Depuis la naissance du projet Peertube, il y a à peu près 400 personnes qui ont contribué au code de Peertube. Donc mine de rien, c’est quand même quelque chose. Sachant que le projet Peertube est un projet extrêmement complexe. Ça prend vraiment beaucoup de temps pour s’habituer à la complexité du code, à la manière dont il a été fait. Et il y a un gros enjeu de maintenance, donc c’est pas si évident de voir un bout de code arriver dans le cœur de Peertube parce que derrière, Chocobozzz et Wicklow aujourd’hui, et même tout Framasoft sait très bien qu’il faut maintenir le code qu’on rajoute, donc on peut pas faire les choses juste à la va-vite.

Il faut vraiment prendre du temps pour accompagner chaque contribution. La manière la plus fréquente de contribuer, en fait, c’est vraiment de reporter des bugs sur le tracker de bugs, soit sur GitHub, soit sur Framagit. Sinon, ça va être aussi, s’il y a des problèmes d’administration système, on va plutôt orienter sur le forum Framacolibri, pour vraiment bien ordonner la manière dont on va pouvoir traiter les problèmes. Et sinon, on accueille surtout les propositions aussi. On a lancé ideas.joinpeertube, je ne sais plus si c’est cette année ou en fin d’année dernière. Fin d’année dernière.

Ouais c’est ça. Où on accueille énormément de propositions d’amélioration de fonctionnalité, enfin d’amélioration de Peertube en général, et sur laquelle on se base aujourd’hui maintenant pour établir nos roadmaps, pour savoir dans quelle direction est-ce qu’on va aller avec Peertube. Grosso modo pour les chiffres c’est à peu près ça. Après la question d’animation de la communauté, comme je te l’ai dit, c’est compliqué de contribuer au code, donc ça demande beaucoup d’accompagnement. Donc on essaie de le faire et en même temps on sait qu’à framasoft on est assez mauvais à ça, on est assez mauvais à accompagner, à accueillir les contributions des gens, parce que ça nous demande une énergie de dingue qu’on n’a pas forcément sur le moment.

Pouhiou : cependant il y a quand même eu un soin particulier apporté au projet Peertube et notamment par une volonté de Chocobozzz qui passe en général au minimum 50% de son temps à l’animation de communauté. Quand on dit 400 contributions au code, ça veut dire faire tous les tests, réviser, intégrer le code, etc. Donc voilà, et c’est quelque chose qu’il a fait et qu’il continue de faire. Les issues, discuter chacune des issues et tout ça. Donc les issues, c’est les retours sur le dépôt du code. Voilà, il y a eu quand même plus de 4 500 issues qui ont été fermées et il y en a 450 encore en discussion. Mais tout ça veut dire qu’il y a quand même un gros investissement de temps salarié justement pour essayer d’accueillir les contributions. Mais c’est vrai que finalement les contributions en code les plus faciles et donc les plus nombreuses vont être plutôt sur ce qui est le système de plugins. Et donc dès qu’il y a besoin d’ouvrir l’API pour que un petit bout de logiciel tiers, un plugin puisse communiquer avec le code de Peertube, ça on le fait vraiment facilement. Et tu vois aujourd’hui il y a plus de 130 plugins disponibles pour Peertube, plus de 40 thèmes aussi pour changer le code physiquement. Et ça c’est des contributions qui sont extrêmement précieuses, les traductions aussi.

Walid : le travail de mainteneur c’est long quoi, c’est vraiment long.

Booteille : c’est clairement long et très chronophage. Et c’est aussi, j’allais appuyer sur le fait que là, ce qu’on décrit, c’est aussi une partie au final de la manière d’accueillir les contributions, de notre manière d’animer tout ça. Parce qu’au final, dans l’équipe, il y a pas mal de personnes qui font aussi une veille active de tout ce qui se passe autour de Peertube. On a un regard sur beaucoup de sujets autour de Peertube, même si on ne prend pas forcément part à tout ça, mais on essaie de vraiment voir ce que les gens font. Il y a quelques semaines, on a vu qu’il y avait une interface pour produire une sorte de TikTok en se basant sur Peertube. On a vu ça, on a vu que la communauté agit là-dessus, on a vu aussi qu’un développeur est en train de construire une application mobile pour Peertube. On est rentré en discussion avec pour se renseigner un peu quelles sont les ambitions et tout ça. Donc il y a vraiment, même si c’est pas forcément toujours visible, la volonté en tout cas de se lier à la communauté et de marcher main dans la main avec la communauté qui va aider à contribuer à l’écosystème de Pierre. Et enfin il y a toujours les efforts de communication sur Reddit, sur Mastodon, etc. autour de sur Lemmy aussi, autour du projet.

Pouhiou : c’est d’ailleurs pour ça qu’on s’est rendu compte qu’on était, quand je parlais de goulot d’étranglement, c’est-à-dire que vu le temps passé par Choco sur le travail de maintenance et d’animation de communauté, ça réduisait mécaniquement son temps de capacité de développement. Et donc le fait d’avoir une nouvelle personne dans le développement du projet, c’est aussi pour partager ce travail de maintenance qui est nécessaire et qui est beau, et avoir plus de temps pour développer des nouvelles fonctionnalités.

Peertube et le Fediverse

Walid : le sujet suivant que je voulais aborder c’était le Fediverse. On voit bien que Peertube est on va dire concomitant à l’arrivée du Fediverse finalement. J’ai pas encore fait d’épisodes dessus, il y a un épisode assez sympa dans je ne sais plus quel numéro de podcast de Libre à vous, je le mettrais, où justement il parle de ça, je crois que ça a été en plus il n’y a pas très longtemps, repartagé.

Est-ce que vous pourriez, juste en deux, trois mots, dire pour les gens qui ne connaissent pas ce que c’est que le Fediverse avant qu’on explique un petit peu quelle est la place justement de Peertube dans ce Fediverse ?

Booteille : Tu t’y colles ? Ou je m’y mets ?

Walid : ah, c’est pas facile! C’est la colle ça !

Booteille : on le fait assez quotidiennement. Le Fediverse, en fait, ça tire son nom de l’univers fédéré en anglais. L’idée c’est d’avoir, plutôt que d’avoir des réseaux, des médias sociaux centralisés, gérés par des superpuissances, on va s’appuyer sur des protocoles de communication, on parle par exemple d’ActivityPub, on en a parlé tout à l’heure, mais qui permet en fait à chaque entité de créer à la fois son petit réseau, son média social dans son coin, et en plus de faire en sorte que ce média social-là va communiquer avec les autres et créer une fédération. Ce qui est génial c’est qu’on pourrait se dire « ok c’est super ça marche un peu comme le mail et du coup on peut s’échanger des mails de mon gmail à mon protonmail » etc etc

Sauf que ça c’est qu’une partie du Fediverse. Un des gros avantages du fait divers c’est que le protocole utilisé entre tous les médias sociaux est souvent le même et du coup même si on est sur des logiciels très différents comme par exemple Peertube et Mastodon, ces deux logiciels vont quand même pouvoir communiquer ensemble. Et du coup on arrive sur un énorme média social qui regroupe plein de médias sociaux différents, plein de fonctionnalités différentes, dont la modération est gérée par des plus ou moins grandes entités, il y a quelques grandes entités dans le Fediverse, mais au final on répartit toute la charge de la gestion de médias sociaux. Et aujourd’hui, je crois que le fait divers, c’est 12 ou 13 millions de personnes qui interagissent, soit avec l’alternative à Twitter, enfin une des alternatives à Twitter qui s’appelle Mastodon, qui est le logiciel du fait divers le plus populaire, soit en envoyant des photos sur une alternative à Instagram qui s’appelle Pixelfed, soit en publiant des vidéos sur Peertube, en publiant des événements comme sur les événements Facebook avec Mobilizon. Bref, il y a pour beaucoup de logiciels, de médias sociaux classiques qui sont centralisés et sclérosés, j’ai envie de dire, il y a aujourd’hui des alternatives qui s’intègrent dans le Fediverse et qui va communiquer avec tout le Fediverse.

Walid : qu’est-ce que vous donneriez comme exemple concret pour quelqu’un qui puisse comprendre comment Peertube interagit avec le reste du Fediverse ?

Pouhiou : donc le Fediverse, du coup, du point de vue d’un utilisateur, d’une utilisatrice, il y a un problème de complexité, c’est que c’est plein de portes d’entrée possibles, à la fois dans les usages, c’est-à-dire, tiens, je voudrais plutôt faire des petits messages, des petits micro-blogs à la Twitter, du coup, je vais aller vers une instance Mastodon, mais après, quelle instance Mastodon ?

Il y a plein d’installations de Mastodon sur des serveurs différents, dans des communautés différentes. Il faut trouver la sienne. Et donc là, si tu vas vers du Peertube, c’est que plutôt tu vas avoir envie de partager des contenus vidéo et de monter comme ça une collection de contenus vidéo, comme si tu voulais monter une chaîne YouTube ou Twitch, par exemple. Et l’avantage, c’est que par exemple, quand tu publies une vidéo sur ta chaîne Peertube, du côté de Mastodon, donc de l’équivalent Twitter on va dire, du côté de Mastodon cette vidéo va apparaître comme un tweet, comme un pouet on dit dans Mastodon. Et donc le titre de ta vidéo va être le message, peut-être aussi un petit bout de la description de la vidéo, en dessous va y avoir la vidéo comme un média embarqué, comme quand tu publies une vidéo. Et ce qui est intéressant c’est que du coup le Peertube a créé un pouet sur Mastodon, mais si toi, sur Mastodon, avec ton compte Mastodon, tu mets un favori à ce pouet-là, ça va créer un plus-en sur la vidéo Peertube.

Si tu réponds au pouet de la vidéo, ça va créer un commentaire. Si je réponds à ton commentaire, ça va créer une discussion imbriquée dans les commentaires de la vidéo. C’est un petit peu comme si tu pouvais répondre à une vidéo YouTube avec ton compte Twitter. Aujourd’hui on n’imagine pas que c’est possible et là comme tout le monde a fait le choix de parler le même langage, ça n’est pas la tour de Babel. On s’entend, personne n’est enfermé dans son coin, on peut discuter.

Booteille : et ça crée aussi un enjeu d’interopérabilité auquel on peut répondre. C’est-à-dire qu’aujourd’hui si tu veux migrer toutes tes vidéos qui sont sur Twitter vers YouTube, bon courage je pense parce que tu n’as pas d’outils adaptés. Dans le Fediverse ça n’existe pas totalement encore d’avoir des migrations possibles ou de l’import-export possible d’un logiciel à l’autre de manière très facile mais en tout cas ça peut s’envisager beaucoup plus facilement que face à deux entités qui sont concurrentes financièrement et tout ça.

Walid : le Fediverse c’est un mode à part, qui prend du temps à explorer, c’est assez fascinant. On va pas passer plus de temps forcément sur le Fediverse parce que ça mériterait un épisode et que ça fait déjà une heure qu’on parle.

Peertube et les créateurs de contenu

Walid : parlons maintenant de de la relation de Peertube avec les créateurs de contenu. Ma vision de YouTube c’est que c’est une plateforme qui uniformise des contenus et c’est une plateforme aussi qui te dicte ce que tu peux dire, enfin sur ce que tu ne peux pas dire surtout quoi.

Et ce que j’aimerais bien comprendre c’est quelle est, moi j’allais dire l’idéologie mais bref, quel est votre état d’esprit par rapport aux créateurs de contenu en fait ?

Pouhiou : de toute façon je pense pas qu’il y ait quiconque qui n’ait pas d’idéologie. Tu peux ne pas avoir ton idéologie parce que c’est l’idéologie dominante et présente partout mais tout le monde finalement même quand on ne le veut pas on est à l’intérieur d’une idéologie. Et donc il y a clairement une idéologie autour de Peertube. Et notre idéologie, c’est favoriser l’émancipation numérique, notamment pour pouvoir s’extraire, tant que faire se peut, du capitalisme de surveillance, donc de tout ce système qui, fondamentalement, essaie de nous traire nos données un maximum pour créer de la valeur, et pour la centraliser par des géants et la redistribuer à des actionnaires, grosso merdo. Et donc nous, l’idée, c’est de pouvoir favoriser ça. Et donc la politique sur Peertube précisément, c’est d’avoir un outil pour les personnes qui sont un peu laissées pour compte par ça.

Parce qu’aujourd’hui, typiquement moi, quand j’ai fait ma chaîne sur YouTube en 2014-2016, c’était une chaîne d’éducation sexuelle, d’éducation populaire à la sexualité, sexe positif, queer, femme, avec des influences de tout ça, c’est quelque chose que tu ne pourrais pas faire aujourd’hui. Aujourd’hui, si tu parles de règles ou d’avortement sur YouTube ou sur Twitch, déjà tu vas avoir des mots qui vont être interdits ou qui vont créer de la censure au niveau des robots automatiques, ou alors tu vas être sous-référencé et mis tout en bas des contenus et de l’algorithme et être invisibilisé. Et donc nous on se dit, mais en fait finalement, il y a plein de personnes pour qui ce modèle-là, qui est normal, c’est… le boulot de Google c’est de vendre de la pub. Donc leur objectif c’est de faire des trucs qui permettent de vendre de la pub et ah bah tiens le sujet de l’avortement, le sujet des personnes queers etc. c’est pas vendeur. Il y a des moments c’est pas vendeur. Donc bah du coup, ça ne leur intéresse pas dans leur modèle économique.

Et du coup on s’est dit mais il y a des gens qui veulent juste partager des contenus, il y a des profs qui veulent partager des contenus pédagogiques, il y a des artistes qui veulent partager simplement leur création auprès du plus grand public, il y a des gens dont l’objectif n’est pas justement de récolter de l’argent ou de la gloire, mais de présenter leur travail ou de présenter des techniques, des magasins de tricot qui ont juste besoin de montrer comment est-ce que tu fais tel ou tel point en vidéo pour pouvoir d’ailleurs vendre des laines et des aiguilles.

Donc voilà, toutes ces personnes-là sont laissées pour compte par les YouTube, par les Twitch, par les machins. Et donc nous, c’est plutôt à elles et à eux qu’on s’adresse en premier. Et attention quand je parle de ça, cela n’inclut pas des rejetés de ces plateformes des géants du web qui se sont fait virer parce qu’ils ont des contenus criminels, qui se sont fait virer parce qu’ils ont des contenus qui mettent en danger la vie d’autrui ou des contenus qui promeuvent la intolérance. Et là je vais être hyper clair, Framasoft croit très clairement et très très clair dans sa position qu’il y a des limites à la liberté d’expression et que ces limites sont définies par le paradoxe de la tolérance. Un peu philosophique mais pour résumer en gros le paradoxe de la tolérance c’est que si la liberté tolère même les paroles et les expressions intolérantes, alors on peut finir à ce que l’intolérance détruit la liberté et la liberté d’expression. Pour protéger même la liberté d’expression, il ne faut pas accepter l’expression d’intolérance.

Mais attention, cette idéologie-là, c’est la nôtre, il faut voir comment ça se concrétise au niveau de nos actions sur Peertube. Et pour moi, ça se concrétise dans deux manières de faire. C’est qu’à la fois dans nos choix de développement, quand on nous demande plutôt de faire des outils de pistage des comportements ou des algorithmes qui vont manipuler les gens à regarder plus de vidéos, ça va pas être prioritaire pour nous par rapport à des outils de modération, des outils d’accessibilité, des outils qui vont permettre au plus grand nombre d’être autonome et de s’emparer de Peertube. Et puis on n’a pas juste un rôle de développeur et d’éditeur de logiciels, on a aussi un rôle éditorial parce que par exemple on maintient un moteur de recherche des contenus sur Peertube avec un index et donc là c’est à nous de choisir ce qu’on met ou pas dans cet index. Et si t’es pas d’accord, tu prends le code de notre moteur de recherche et la manière de faire l’index, tout est libre, tu peux le faire de ton côté et avoir ta politique à toi. Mais nous on va appliquer notre politique et quand on nous dit « coucou dans votre index il y a des contenus fachos, on dit que c’est intolérant, par la cause de l’intolérance, on vire ça de notre index ». Cependant si je reprends l’exemple des fachos, ça reste du logiciel libre, la première liberté c’est d’utiliser le logiciel, si les fachos veulent utiliser Peertube, ils le peuvent.

Notre rôle ça va être de donner à la communauté les moyens de se protéger d’eux, et notamment c’est ce qui est arrivé avec Peertube, il y a même eu une étude hyper intéressante par un institut allemand qui montre que les contenus d’extrême droite et les contenus aussi fake news et conspirationnistes, etc. utilisent Peertube, mais finalement sont dans leur bulle de fédération, ont été ostracisés par le reste de la fédération qui s’est coupé d’eux qui ne veulent pas promouvoir leur contenu. C’est une manière de dire, vous êtes libre d’utiliser le logiciel, mais pourtant, nous n’avons pas pour devoir de nous mettre à genoux pour vous servir de plateforme et de portefeuille.

Des exemples d’instances Peertube connues ou remarquables

Walid : il n’y a pas très longtemps, par exemple, j’ai interviewé Nick qui fait la chaîne de The Linux Experiment. Pendant l’interview, il parlait de son modèle économique, des revenus avec Patreon, avec YouTube, avec les sponsors, etc. Ce serait compliqué pour lui, sur Peertube, d’avoir un modèle qui lui permette potentiellement de vivre. En fait, la question que je me pose, c’est si moi, je voulais être créateur de contenu en faisant des vidéos et que je voulais essayer d’en vivre et que j’essayais de poster mes vidéos sur YouTube quel serait pour vous un bon modèle en fait ? Est-ce que le modèle ça serait de passer par des alternatives, enfin par par des financements type Open Collective ou Patreon ce genre de trucs ?

Pouhiou : alors moi je veux bien prendre un premier début de réponse pour que toi Booteille tu répondes vraiment à cette question mais je vais d’abord prendre une tangente si tu le permets, c’est que j’ai été youtubeur. Pour te donner un peu mes chiffres sur 2 ans 2014-2016, 42 000 abonnés, une cinquantaine de vidéos, 2 millions de vues.

J’ai activé la pub Google sur mes vidéos parce que je voulais pas être sous référencé et que je savais comment fonctionnait Google. J’ai touché sur 200 et 200 millions de vues entre 250 et 300 dollars. Je le sais parce que cet argent était sale pour moi, je l’ai redistribué en préservatif gratuit. Donc voilà, à l’époque même où moi je commençais YouTube, la fable des « tu touches 1 euro par 1 millier de vues grâce à la pub » ne marchait plus.

Et il faut bien se rendre compte que ça fait plus de 10 ans que la pub ne finance plus les créateurs de contenu, les publicités qu’on regarde, ne financent plus ça. Et ça c’est Google qui nous a mis ça dans la tête parce qu’ils ont été très malins, ils ont sorti un outil de diffusion vidéo, ça c’est un outil technique, et ils l’ont associé à un outil marketing de diffusion publicité et de captation de l’attention. Or, ça n’est pas obligé de mêler les deux. Et nous, à Framasoft, on s’est dit, la monétisation des contenus, le financement de la création, etc.

C’est un énorme problème. Nous, on va se concentrer sur ce qu’on sait faire, l’outil technique. On fait cet outil technique derrière. Le reste, ça ne va pas être notre rôle, même si c’est plutôt cool qu’il y ait des possibilités de financer. Mais juste pour vraiment rentrer ça dans le crâne, aujourd’hui les pubs sur Youtube, sur Twitch, etc. rémunèrent avant tout les actionnaires de Google et d’Amazon. C’est des dividendes, quand vous regardez des pubs vous offrez des dividendes aux actionnaires, parfois il y a quelques miettes qui sont offertes comme ça maigrement à la plèbe des créateurs de contenu, mais c’est purement de l’argent du mépris et pas autre chose.

Booteille : Ah non, pas du tout et puis je pense que t’as dit à peu près l’essentiel. J’appuie vraiment sur le fait que j’ai pas le sentiment que la publicité rapporte à beaucoup de créateurs et créatrices de contenu aujourd’hui. T’as souligné des initiatives comme aller sur Open Collectives, Patreon, tout ça. J’ai le sentiment que c’est plus au final, les créateurs et créatrices de contenu s’autogèrent au niveau des financements.

Pour beaucoup vont aller sur des plateformes qui sont décorrélées de YouTube ou Twitch pour demander des dons, pour demander du financement régulier, etc. Aujourd’hui, j’ai pas l’impression, à part sur Twitch qui a vraiment intégré cette question de l’abonnement, je crois que YouTube l’a fait aussi, mais l’a intégrée. Par contre, Twitch prend 70% de la commission de base et il faut avoir reçu je ne sais pas combien de milliers d’abonnements pendant je ne sais pas combien de mois pour demander la moitié des gains. Donc on voit que les créateurs et créatrices de contenu qui s’en sortent le mieux sont souvent, si ce n’est quelques exceptions, évidemment, il y a des géants et des géantes, mais vont plutôt s’orienter vers des plateformes qui ne sont pas liées à la plateforme vidéo.

Et donc est-ce que ça nous intéresse nous de nous prendre la tête avec la question de la monétisation alors que vraiment c’est extrêmement compliqué comme sujet, comme l’a dit Pouhiou, pas forcément on va se concentrer sur ce sur quoi on est bon c’est à dire faire un logiciel qui aide les gens à s’émanciper.

Walid : donc finalement le vrai problème pour le créateur qui voudrait aller sur une instance Peertube, c’est de se faire connaître ?

Pouhiou : tout à fait. Et du coup, c’est pour ça aussi que nous, on est beaucoup plus à vouloir travailler sur des questions, à la fois de les aider à avoir des statistiques intéressantes pour pouvoir derrière en faire ce qu’elles veulent, parce que c’est parfois avec des statistiques que tu vas soit trouver des sponsors, soit montrer à ta communauté qu’il y a intérêt sur ce que tu fais, des choses comme ça. Ça va être aussi trouver, et là c’est un des enjeux futurs de Peertube et d’autres projets qu’on a autour de, dans l’écosystème de Peertube, de trouver comment mettre en valeur les contenus de qualité, donc la curation de contenus. Il y a déjà des gens, des instances qui font un travail de curation de contenus qui est important, et donc comment mettre en valeur et promouvoir ça.

Voilà, nous on va essayer d’initier quelques petites choses pour donner des idées en espérant qu’elles soient reprises et reproduites. Mais après on a aussi été en contact par exemple dans le milieu du libre aussi il y a les espagnols de Goteo qui font une plateforme de crowdfunding. Je crois qu’à un moment donné, elles se sont intéressées à trouver comment faire des ponts entre Peertube et Goteo pour faciliter l’utilisation. Nous on est hyper ouvert à des modèles comme ça vertueux de financement en commun, de financement des communs, etc. Encore une fois, tant que ça ne capte pas la vie numérique des gens contre leur consentement, tant qu’il n’y a pas trop des dark patents, manipulation de l’attention et tout ça, nous on est toujours prêt à accueillir des initiatives tierces. Et de quoi qu’il arrive, dès le départ, je crois que c’était même depuis la V1, il y a toujours la possibilité pour les créateurs et créatrices de vidéos d’avoir un bouton soutenir et si tu cliques sur ce bouton soutenir le champ est libre : c’est à dire que les personnes qui téléversent le contenu peuvent aussi bien mettre un lien je sais pas vers leur paypal ou leur que sais-je, leur patreon, ou dire si vous voulez soutenir mes vidéos envoyer une gentille carte postale à ma grand mère ça lui fera plaisir voilà tu mets ce que tu veux derrière ça alors c’est insuffisant il faudrait faciliter tout ça, etc. Mais ça a quand même été pensé dès le début.

Walid : j’ai vu il n’y a pas très longtemps que, par exemple, la Commission européenne avait une instance PeerTube. Est-ce qu’il y a des instances un peu visibles et connues ?

Pouhiou : oui, c’est parce qu’à un moment donné on peut aussi donner des instances plus de contenu vidéo et tout ça. Ça va être hyper compliqué parce que tu veux toujours citer tout le monde et tu ne peux jamais penser à tout le monde en même temps.

Donc au niveau institutionnel, typiquement en effet, donc la Commission européenne, il y a aussi l’Institut national de l’audiovisuel hollandais, je ne sais pas prononcer leur nom parce que je suis très très nul, je suis désolé en dutch, mais enfin voilà, qui l’équivalent de l’INA hollandais qui ont hébergé leur contenu vidéo public sur une instance Peertube autogérée, qui ont travaillé sur le passage à l’échelle, et qui ont contribué à l’écosystème Peertube.

L’éducation nationale, j’en parlais via leur plateforme apps.education.fr. On est aussi en train de parler avec d’autres institutions qui sont en train d’envisager ces choses-là, mais je ne veux pas non plus, enfin voilà, c’est des projets, je ne veux pas dévoiler des choses à leur place, on a régulièrement des institutions qui font ça. Je parlais par exemple aussi, moi je trouve ça hyper intéressant, All-Around, donc un média pour les arts de la scène dans une université de Boston et qui en fait utilise Peertube pour des espèces de webinaires et j’aime beaucoup cet usage, c’est des webinaires pour des artistes qui parfois sont à Boston mais qui parfois sont au Gabon et qui parfois sont en Russie, et donc comment faire en sorte que tout le monde puisse voir les vidéos à un moment donné, un de leurs besoins c’était est-ce qu’on va pouvoir avoir des vidéos en 140p, donc en très très très faible résolution, pour les très très très faibles bandes passantes, parce que, ben voilà, il y a des connexions, notamment sur le continent africain, qui sont complexes. Voilà, et on l’a développé.

Et tiens, je vais parler d’une autre, alors là, qui héberge des contenus vidéo anglo-saxons, de créateurs et créatrices en général sur YouTube, et de ce qu’on appelle « edutainment », donc à la fois de l’éducation et de l’entertainment, du divertissement. Je vais parler de Tilvids. C’est pas pour un par-dessus les autres, mais c’est parce que je trouvais ça hyper intéressant comme démarche. C’est une personne du milieu du libre, qui a été aussi créateur de contenu sur YouTube et tout ça, qui s’est dit « tiens, je vais faire du Peertube et proposer à des vidéastes de copier leur chaîne YouTube sur Peertube. Les personnes n’auront rien besoin de s’occuper, mais au moins ça mettra leur contenu aussi sur la fédération ».

Et il s’est retrouvé avec un problème, c’est que du coup, une très grande majeure partie de son public est aux États-Unis, or son serveur me semble-t-il était en Europe. Et du coup, le serveur était trop loin et ça créait des ralentissements dans la vision. Eh bien, il a pris un autre serveur aux États-Unis, qui l’a mis en redondance dont on parlait de la V1, tu vois, et donc qui… En fait, ça lui fait un relais web, exactement comme Google a des relais, ou Netflix d’ailleurs, ont des relais un peu partout pour relayer leurs flux vidéo dans tout le réseau d’Internet mondial. Et bien là, en fait, il a fait ça artisanalement avec le logiciel Peertube. Je trouve ça génial comme usage de la redondance qui n’était pas imaginée par nous au départ, mais il a pu le faire parce que le logiciel est souple.

Peertube v6 et la feuille de route pour 2024

Walid : parlons maintenant de l’avenir, on va dire qu’on est en 2024 par exemple, on est fin 2023, on arrive en 2024. Qu’est-ce que vous allez faire par exemple sur 2024 ?

Pouhiou : je dis juste là ce qu’on vient de sortir, tu vois avec la V6 qui là vient juste de sortir, quand même, donc bon déjà il y a eu le remote transcoding qui a été, là aussi tu vois financé par NLNet et c’était bien parce que c’était un truc pas du tout sexy, mais alors au niveau technique c’est assez révolutionnaire. C’est le fait de dire qu’aujourd’hui même si tu as un tout petit ordinateur pour ton serveur Peertube, les tâches les plus difficiles qui vont être demandées à ton processeur, qui vont être les tâches de transformation de la vidéo pour qu’elle soit correcte à streamer, ces tâches-là tu peux les mettre sur un autre ordinateur plus puissant.

Ce qui veut dire que du coup aujourd’hui le réseau Peertube peut devenir totalement plus résilient et mettre en commun les tâches de transformation de vidéos qui sont ponctuelles : c’est quand tu uploades une vidéo ou quand tu fais un live, il faut transformer la vidéo. Ces tâches-là, tu peux les mettre en commun sur des grosses machines qui du coup seraient consacrées à ça. Ça, c’était un vrai défi technique et on est hyper fier de l’avoir rempli parce que ça rend Peertube encore plus souple. Et puis, dans la V6, on vient de sortir la prévisualisation de la vidéo quand tu survoles la barre de lecture.

Walid : ça c’est cool. Ouais, ouais, ouais.

Pouhiou : ça a manqué. Le fait, alors si les admins sont d’accord bien sûr, mais le fait pour un vidéaste de pouvoir uploader une nouvelle version de sa vidéo, tu vois quand il y a une mise à jour à faire, quand il y a une version qui était problématique et où on réglait les problèmes ensuite, etc. Le fait de pouvoir ajouter des chapitres à ses vidéos, et puis on a fait aussi tout un travail de fond pour se préparer à l’année prochaine, je vais laisser la parole à Booteille pour l’année prochaine, tout un travail de fond d’améliorer l’accessibilité au maximum du niveau de nos connaissances avant de demander un audit complet de l’accessibilité donc de la facilité d’utilisation de Peertube et surtout des difficultés pour les personnes en situation de rentrée.

Booteille : et ben du coup je vais parler de l’année prochaine et en appuyant sur cet Audi d’accessibilité. Donc là le travail qui vient d’être fait, c’est vraiment un travail préparatoire pour qu’en 2024 on puisse vraiment avoir un audit de qualité et sur la question de, est-ce que Peetube est suffisamment accessible pour les personnes en situation de handicap ou autre. Voilà, c’est un gros gros projet, on est vraiment content parce que du coup on arrive à avoir du financement pour ça, ce qui est encore une fois une fonctionnalité qui n’est pas sexy pour la plupart des personnes valides, mais qui pour nous, nous tient énormément à cœur et qui a demandé pas mal de boulot déjà cette année.

Du coup, dans la roadmap de l’année prochaine, je l’ai un peu dit tout à l’heure, mais on s’est inspiré des propositions qu’on avait sur ideas.joinpeertube.org. Donc n’importe qui peut venir faire des propositions et nous vraiment, on pioche à chaque fois qu’on se réunit pour faire la roadmap on pioche dedans. Et du coup dans les fonctionnalités qu’on a prévues il y a l’import et l’export de compte pour pouvoir importer son… enfin exporter son compte Peertube. Alors attention on parle pas de migration c’est pas… ça va pas être automatique dans un premier temps on y va par étapes mais c’est vraiment le voilà « je clique sur un bouton ça m’exporte un fichier Zip ou je ne sais quoi. Et derrière sur une autre instance on va pouvoir importer le compte ». Il ne faut pas s’attendre pour l’instant à de l’automagie, c’est une première étape. Mais c’est déjà un pas en avant, c’est une fonctionnalité sur laquelle on réfléchit depuis, enfin qu’on aimerait implémenter depuis longtemps et on réfléchit beaucoup dessus.

Alors attention, ça c’est un point technique très compliqué de parler techno qu’on utilise mais on a envie de séparer les flux audio et vidéo et de pouvoir accepter des fichiers audio uniquement donc que les podcasts soient plus facilement aussi hébergés sur Peertube mais on a vraiment un point d’attention là dessus ça c’est dans nos envies on travaille là dessus mais on ne sait pas à quel point ce sera faisable techniquement l’année prochaine pour le jour d’aujourd’hui.

Pouhiou : c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a une grande cassure dans la version qu’on vient de sortir, c’est qu’on va arrêter de supporter WebRTC, c’est bien ça ?

Booteille : WebTorrent.

Pouhiou : WebTorrent, WebRTC c’est toujours utilisé, bien sûr, pardon. WebTorrent dans le partage des vidéos en pair à pair et se concentrer plutôt sur la partie HLS. Là encore une fois c’est technique, mais parce qu’en abandonnant WebTorrent, ça va notamment permettre, donc HLS qui était nécessaire notamment pour le live, ce que WebTorrent ne permettait pas déjà. Et là en plus, du coup, ça va nous permettre de séparer par exemple les flux audio-vidéo. Séparer les flux audio-vidéo, c’est une première étape qui dans l’avenir pourrait permettre d’avoir par exemple plusieurs vidéos avec le même flux audio ou plusieurs langages, ça qui pourrait intéresser par exemple des gens comme la Commission Européenne, pour une même vidéo.

Booteille : dans les dernières fonctionnalités qu’on a prévues pour le moment, sachant que tout est vivant, il y a une volonté d’améliorer le panel d’outils de modération, notamment la modération des commentaires, pour rendre ça beaucoup plus facile et accessible pour les administrateurs et administratrices, pour les créateurs et créatrices de contenu. Il y a un gros travail là-dessus.

Deux derniers points, une réflexion autour de la catégorisation not safe for work (NSFW) ou safe for work (SFW). On va travailler avec la coopérative des internets avec laquelle on a déjà travaillé cette question de comment mieux catégoriser les contenus et notamment les contenus sensibles. Donc voilà c’est un travail qu’on aimerait effectuer.

Et enfin un des objectis de Wicklow, notre salarié depuis septembre, c’est de commencer le travail sur une application mobile officielle de Peertube. Application Android et iOS dans un premier temps. On aimerait bien faire aussi du Google TV. L’objectif c’est de choisir des technos en tout cas qui nous permettent une assez grande adaptabilité sur du long terme au niveau des plateformes pourrait adapter cette application. Donc voilà, ça fait une roadmap assez conséquente avec pas mal de…

Pouhiou : Je me permets un dernier point, Booteille aussi, il y a aussi un travail toujours avec la coopérative des internets, donc il y a un prestataire en design avec lequel on travaille super bien, voilà, dans un travail d’un remodelage complet de l’interface de Peertube qui commence à avoir son temps, on voit bien il y a des endroits de problèmes tout simplement parce qu’il y a aussi des fonctionnalités qui se sont rajoutées donc là typiquement aujourd’hui quand on est créateur de contenu la gestion de ces vidéos c’est complexe parce qu’il y a plein de possibilités donc là on va retravailler tout ça et retravailler tout ça avec d’abord et avant tout une enquête de design, une enquête des usages et partir des usages des gens pour remodeler l’interface et ça je pense que déjà pour nous c’est un travail très important, ça va améliorer l’effectivité, mais en plus ça va être hyper visible dès que tu changes l’interface, les menus, les couleurs, les machins, les capacités de personnalisation, ça se voit.

Walid : deux questions, je vais les poser ensemble, sinon je vais oublier la deuxième, c’est sûr. La première c’est si vous séparez les flux audio et vidéo, est-ce que ça veut dire que demain on pourrait avoir de la retranscription ou ce genre de choses, qui est clairement pour moi un vrai sujet. Et je pose la deuxième tout de suite avant que j’oublie. Vous parliez de faire une application mobile, pourquoi pas se baser sur des applications type Newpipe qui peuvent permettre déjà de récupérer des flux de Peertube par exemple ?

Pouhiou : pour la première, flux audio et vidéo, en fait la question de la transcription est indépendante du fait de pouvoir séparer les flux audio et vidéo.

Donc voilà, mais en tout cas, la question de la transcription nous est demandée notamment par des institutionnels. Et là, c’est un projet d’un des partenaires de l’écosystème Peertube de mettre ça en place et on est en train de travailler avec eux pour que ce soit une contribution qu’ils apportent et que nous, on les accompagne au maximum pour intégrer cette contribution. Mais c’est clairement un besoin que nous aussi, on a repéré.

Et justement, le remote transcoding, l’outil de pouvoir déporter une tâche complexe en CPU sur un ordinateur distant, pourrait aussi servir à ça. Parce que là aussi, le fait de transcrire l’audio en texte et de créer un transcript ou des sous-titres, etc., c’est une tâche qui va demander beaucoup de travail au CPU du serveur. Et donc, c’est une tâche qu’on pourrait aussi proposer à la fois dans le corps de Peertube mais aussi en tâche distincte. Donc on essaie de travailler ça.

Donc voilà, mais ça ne va pas forcément être nous qui allons le faire, on va juste contribuer. Voilà.

Booteille : sur la question de la transcription, il faut savoir qu’il existe déjà en tout cas un plugin de transcription qui a été développé par des tiers, qui peut être intégré à Peertube, et de ce que j’en ai vu, ça marche plutôt correctement déjà.

Donc voilà il faut savoir qu’il y a déjà une option en tout cas possible.

Pouhiou : et au niveau de l’application en fait donc une des problématiques c’est de trouver PeerTube sur les stores, sur les usages mobiles etc. Autant Newpipe font un boulot vraiment formidable autant pour l’instant ça va remplir les besoins que va faire la première version de notre application, c’est-à-dire les besoins juste de consommation de vidéos. Mais d’ores et déjà, si on veut se connecter à son instance, ce qu’on aimerait déjà mettre dans la première version de l’application, se connecter à son instance, avoir ses playlists, avoir ses abonnements, avoir ses notifications, etc., Bah déjà ça c’est difficile à trouver sur des applications tierces et on ne va pas forcément le demander à Newpipe.

Et derrière, ce qu’on aime, c’est qu’au départ, cette application sera vraiment consacrée à la consommation de contenu vidéo, donc c’est vraiment pour les spectateurs et spectatrices, mais qui peuvent aussi faire leurs playlists, gérer leurs abonnements, etc. Et ce qu’on aimerait, c’est que par la suite, cette application puisse aussi servir éventuellement aux créateurs et créatrices de vidéos, éventuellement même pour faire un live en direct, et pourquoi pas aux modérateurs et modératrices d’instances, aux administrateurs, administrateurs d’instances, etc.

Donc voilà, et ça c’est quelque chose qu’on ne peut clairement pas demander comme évolution à des applications tierces. Donc voilà, on va essayer de s’y coller et puis on va voir si ça prend, mais on espère, on voit vraiment que les usages mobiles sont essentiels aujourd’hui.

Présenter Peertube à un créateur de contenu sur Youtube ou a un utilisateur de Youtube

Walid : on arrive sur la fin. Pour conclure, je voudrais vous poser deux questions. La première c’est qu’est ce que vous diriez à un créateur de contenu qui est sur youtube pour lui parler de Peertube ?

Pouhiou : du coup moi comme je l’ai été déjà je veux que tu te détendes créateuriste de contenu, je veux que tu te détendes, c’est totalement possible que tu te sois tellement habitué à Youtube, que tu aies tellement pensé ton travail en fonction de Youtube parce que c’est très très très prenant que du coup Peertube ne répond pas du tout à tes besoins et à ton cas d’usage c’est ok, ce n’est pas grave, tu n’es pas une mauvaise personne si tu continues d’utiliser Youtube. On se détend, tout va bien ça c’est la première chose.

Par contre il faut aussi prendre conscience que tu es hébergé par Google ou par Amazon et donc tu es hébergé, tu es chez eux, littéralement et on est vraiment, alors sans infantilisation, mais on est vraiment dans le cas de Tanguy, qui reste chez maman Google et papa Amazon, tu vois. C’est-à-dire qu’à la fois, il y a quelque chose d’hyper confortable, t’as toujours de la bouffe dans le frigo, tu t’occupes pas forcément du ménage, mais en même temps tu dois ranger ta chambre, tu choisis pas ce que tu vas regarder le soir à la télé, tu peux pas te faire un délire porno le jour où t’en as envie, ou parler de règles à table, tu vois. Enfin voilà, t’es pas chez toi quoi, tu vois, et c’est ça qui est compliqué.

Et donc, ben, le fait à un moment donné de prendre son autonomie, donc d’utiliser par exemple un outil d’autonomisation et d’émancipation tel que Peertube, ça va être à la fois très libérateur, c’est une magnifique aventure parce que vraiment tu peux créer un lien beaucoup plus direct et beaucoup plus libre entre toi et la communauté qui suit tes contenus et la communauté qui crée des contenus similaires aux tiens et avec qui tu as envie de t’associer. Et en même temps, c’est extrêmement plus de travail, d’investissement, de choses comme ça. Et donc vraiment ce que je veux te dire c’est, vas-y tranquille, prends ton temps, c’est voilà, si tu veux aller dans cette démarche là qui est belle et magnifique, prends ton temps, vas-y tranquille, ne sois pas isolé, entoure-toi de personnes qui te ressemblent, avec qui tu es plutôt d’accord et tout ça, pour essayer de trouver, ou de personnes qui ont déjà fait ton chemin, pour essayer de trouver leurs astuces, d’avoir du partage d’expérience, etc. Et vas-y par étapes. Il y a plein de personnes aujourd’hui qui vont maintenir en parallèle une chaîne YouTube ou Twitch et un Peertube. Le Peertube va soit être en backup, etc. Soit être plutôt mis en avant sur leur site et tout ça, mais on se sert quand même des géants du web pour le début. C’est totalement ok de maintenir les deux en parallèle aussi. Mais encore une fois c’est plus d’effort et bon courage à toi.

Walid : c’est beau ce discours. Alors la deuxième question pour toi Booteille, c’est qu’est-ce que tu dirais pour présenter Peertube à un utilisateur de YouTube comme moi qui suis un gros utilisateur de YouTube?

Booteille : un des retours que j’ai le plus souvent quand je lis la communauté de Pierre Tube, quand il en parle à d’autres personnes, c’est que Peertube fait penser au YouTube de ses débuts, des premières années de YouTube. C’est-à-dire qu’on va y trouver plein de contenus, mais très différents les uns par rapport aux autres, et il y a un côté parfois ennuyant parce que tu te dis, « putain c’est quoi ces vidéos, elles sont cheloues ». Et en même temps, il y a vraiment un truc un peu magique dans le contenu qui se crée petit à petit et on ressent la liberté des gens et leur envie. Je sais pas, des fois on voit des vidéos de grands-parents qui parlent à leurs petits-enfants, des fois on voit du contenu éducatif, des fois c’est de la musique, il y a un peu de tout ça et je pense que ça évoque vraiment le YouTube des premières années.

Donc c’est un peu retrouver cette vibe là, sachant que du coup il n’y a pas d’algorithme de recommandation basé sur nos comportements et du coup on sort de notre bulle confortable, de notre maison chez papa, maman, Google et Amazon.

On laisse beaucoup plus sa place au heureux hasard, la fameuse sérentipité, c’est-à-dire que tomber sur une vidéo, on ne serait jamais allé vers celle-ci, mais bam, par hasard, vu que l’algorithme de recommandation est extrêmement basique et se base pas sur nos comportements, je suis tombé sur cette vidéo et ça m’a plu. J’ai découvert une nouvelle personne, j’ai découvert un nouveau ou une nouvelle créatrice de contenu qui va me donner envie. Donc il y a ça, et après effectivement, Peertube a ses propres défauts, notamment dans la découverte de contenu. On sait que même si Sepia Search existe, donc un moteur de recherche qui permet de chercher dans la vaste majorité de ce qui existe sur Peertube, Sepia Search est méconnu et ce n’est pas toujours évident de trouver ce qu’on veut.

Mais comme c’est un logiciel libre et qu’il y a de l’engouement autour, que nous on met des moyens dedans, que les gens nous font confiance aussi pour mettre des moyens dedans, c’est un logiciel libre qui ne peut que s’améliorer. Petit à petit, avec le temps, on est presque sûr d’avoir un logiciel qui déchire littéralement. Je trouve que ça déchire déjà aujourd’hui, mais ça ne peut qu’aller vers le mieux.

Pouhiou : juste, quand tu décrivais le fait de chiner des vidéos et de trouver des partages des gens, j’avais l’image d’un marché aux puces. Le côté magique et pittoresque parfois.

Booteille : le côté bazar, moi j’adore ça!

Pouhiou : et je me permets quand même de rajouter, puisque Frandasoft est en campagne de dons, et que si on fait des Peertube, si on fait des choses comme ça, c’est principalement grâce aux dons des gens, que pour les personnes qui le peuvent et à qui ça plaît ce qu’on fait, que ce soit Peertube ou le reste, n’hésitez pas à nous soutenir éventuellement par un don, c’est sur soutenir.framasoft.org que ça se passe. Si je ne l’avais pas dit, je m’en voudrais.

Conclusion

Walid : pour finir, je dirais que moi ça me rappelle un peu les communautés du Web1, tout ça. Après toutes ces années d’avoir été enfermés par des géants du Web, donc voilà, ce sera ma conclusion personnelle.

Bah écoutez, Booteille et Pouhiou, merci beaucoup d’avoir pris du temps pour venir présenter sur Projets Libres! Peertube.

Il y aura énormément de choses encore à dire sur… Il y aura plein de trucs à dire sur Framasoft, bien entendu, quoi. Mais ça, ça sera peut-être pour une prochaine émission, qui sait. J’espère que mes auditrices et mes auditeurs ont écouté jusqu’à la fin la conversation, et qu’ils ont appris des choses, et que ça leur a donné envie, pour ceux qui ne connaissent pas Peertube, d’essayer Peertube. Pourquoi pas de monter une instance Peertube ?

Moi, personnellement, ce que je trouve génial, c’est le fait que je stocke plein de vieilles vidéos, des trucs des années 80 et 90, des trucs qu’on pourrait plus du tout uploader ailleurs car il y aurait des problèmes de droits. J’ai pas forcément envie que des milliers de personnes les voient mais c’est la mémoire de notre sport, et c’est accessible pour ceux qui veulent. Et je trouve ça hyper important.

Peertube c’est vraiment un logiciel très important, c’est pour ça que je voulais faire un émission là dessus.

Donc écoutez, merci beaucoup. Et puis, pour surtout vous qui écoutez ce podcast, n’hésitez pas à voir Peertube et à en parler autour de vous et à partager cet épisode. Il y a encore plein de trucs super qui vont arriver dans les mois à venir, donc restez, revenez, mettez-moi des commentaires, c’est toujours très sympathique.

Pouhiou : merci à toi de nous accueillir et puis pour ce super podcast, le projet libre, en effet, partagez-le un maximum autour de vous, allez écouter les autres épisodes. Trop bien, merci.

Booteille : merci beaucoup.

Walid : à bientôt.

Cet épisode est enregistré le 4 octobre 2023.

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2 réflexions au sujet de “L’histoire de Peertube – Pouhiou & Booteille – FRAMASOFT”

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