Une introduction au projet OpenStreetMap – C.Quest

Présentation d’OpenStreetMap avec Christian Quest

Walid: aujourd’hui, chères auditrices et chers auditeurs, on va parler d’un sujet qu’on a très rapidement abordé dans l’épisode 14 de la saison 2, avec Manon Corneille, on parlait d’Open Food Fact et on a parlé d’OpenStreetMap. Et ça tombe bien parce qu’aujourd’hui, on va faire un épisode d’introduction sur OpenStreetMap pour comprendre qui est derrière, comment ça marche et pourquoi. Et avec moi, j’ai le grand plaisir d’avoir comme invité Christian Quest, que je vais laisser se présenter après, avec qui on va parler d’OpenStreetMap pour essayer d’en savoir plus. Christian, bienvenue sur le podcast Projets Libres! J’espère que tu vas bien et bonjour à toi.

Christian: bonjour.

Présentation de Christian Quest

Walid: eh bien, écoute, c’est parti. Donc, comme je disais dans l’épisode sur Open Food Facts, on a parlé d’OSM et on a dit que… qu’il y avait des liens assez forts entre Open Food Facts et OpenStreetMap, en tout cas la partie française. Donc je vais commencer par laisser te présenter, nous expliquer un petit peu qui tu es et quel est ton parcours dans Libre et comment tu as découvert le logiciel Libre.

Christian: alors qui je suis ? Je suis un vieux geek en fait. Je suis plus près de 60 que de 50. Premier ordinateur en 1981, donc tu vois, ça remonte un peu. Et puis le libre, c’est arrivé à la fin des années 90, j’ai découvert Linux avec Suse, et puis faire tourner les premiers serveurs web avec ça, ensuite du PHP, du MySQL, enfin ce genre de choses. Voilà, l’entrée dans le libre est à ce moment-là. Et OpenStreetMap, j’ai commencé en 2009, donc il y a 15 ans. Le projet a démarré en 2004, mais moi j’ai découvert ça en 2009.

Walid: à quelle occasion tu as découvert ça ? Comment ça s’est passé ?

Christian: je faisais des recherches généalogiques et je cherchais des noms de lieux que j’avais dans des actes d’état civil que je ne trouvais pas comme nom de commune ou ce genre d’autre. Et en fait, il y en a certains que j’ai trouvés sur OpenStreetMap. Et je me suis dit « ça a l’air d’être bien ce truc-là ». Et puis, j’ai une anecdote marrante, c’est que du coup, je me suis dit, tiens, je vais m’ouvrir un compte. Et en fait, je me suis aperçu que mon pseudo était déjà pris. Je me suis dit « tiens, bizarre ». J’ai fait renvoyer le mot de passe et je l’ai reçu. Donc en fait, je m’étais déjà inscrit avant, puis je n’avais pas franchement accroché. C’est très drôle.

Walid: c’est clair. On disait avant de commencer qu’effectivement, tu connais bien les gens d’Open Food Facts et que tu disais que tu avais le pied dans plusieurs projets. Dans quels autres projets tu collabores à part OpenStreetMap ?

Christian: alors, il y a Open Food Facts où depuis déjà pas mal d’années, je donne un coup de main sur l’administration de serveurs, sur la partie infra. Il se trouve que Stéphane Gigandet a démarré Open Food Facts, qui habite à quelques centaines de mètres de chez moi. Il a souvent présenté au début Open Food Facts comme le Open Street Map de l’alimentation, parce que je trouvais ça très drôle. Il s’est inspiré beaucoup d’Open Street Map. Et puis, il y a un autre projet tout neuf, tout récent, dans lequel je suis à fond en ce moment, qui s’appelle Panoramax. Panoramax, c’est pour faire court, on fait un Street View, mais libre et collaboratif, communautaire. C’est une collaboration entre OpenStreetMap France et l’IGN qui a permis de démarrer le projet, mais c’est un projet qui ne s’arrête pas à ces deux acteurs.

Walid: j’ai eu la chance de voir plusieurs fois tes conférences là-dessus. On en reparlera, je pense, dans d’autres épisodes du podcast parce que je trouve ça assez fou comme projet. Je pense qu’on fera une émission complète là-dessus. Pour commencer, j’aimerais que tu commences par nous expliquer, est-ce que tu peux définir ce qu’est OpenStreetMap ?

Qu’est-ce qu’OpenStreetMap ?

Christian: je parlais d’Open Food Facts qui disait que c’était le OpenStreetMap de l’alimentation. On dit souvent qu’OpenStreetMap, c’est le Wikipédia des cartes. Pourquoi ? C’est collaboratif, c’est vraiment un mode Wiki, c’est-à-dire qu’on ajoute des objets dans la base de données. Déjà, c’est une base de données géographique, c’est vraiment ça. Ce que les gens voient la plupart du temps, c’est ce qu’on produit à partir de cette base de données, mais c’est une base de données géographique. Toutes les cartes aujourd’hui sont produites à partir de bases de données géographiques et on en fait des dessins à l’écran ou sur du papier.

Mais voilà, donc le projet, c’est de constituer la base la plus complète, la plus exhaustive, la plus à jour mondiale de données géographiques libres.

Walid: donc c’est ce qu’on appelle un commun numérique ?

Christian: c’est ce qu’on a découvert, parce que voilà, on a un peu découvert que ce qu’on faisait, c’était un commun numérique. Ça aussi, c’est assez marrant, c’est à l’occasion d’une conférence d’OpenStreetMap France, on a un chercheur qui nous a expliqué ce qu’étaient des communs. Et les communs numériques nous ont fait comprendre que ce qu’on faisait, c’était ça.

Qu’est-ce qu’un commun numérique ?

Walid: est-ce que tu as une définition, justement, de ce qu’est un commun numérique ?

Christian:

alors, la définition la plus courante, c’est qu’un commun, alors s’il est numérique, c’est une particularité, mais un commun, il y a trois points essentiels : une ressource partagée, une communauté et des règles. Voilà, c’est les trois ingrédients qui font qu’il y a un commun.

Quand on fait ça grâce à Internet et que ce que l’on crée, c’est de la donnée, ben ça devient un commun numérique. Mais historiquement, les communs, c’était des terrains communs sur lesquels on pouvait aller faire paitre les animaux. Et voilà, il ne faut pas épuiser la ressource, c’est pour ça qu’il y a des règles. Ce qu’on aime dans nos communs numériques, que ce soit Open Food Facts ou Open Street Map, ou Wikipédia, c’est qu’ils sont libres en plus, parce qu’on peut avoir aussi, dans certains cas, une ressource, oui, une communauté et des règles, mais tout ça peut ne pas être libre. Ça peut exister aussi. Notre particularité, c’est que c’est des communs numériques, mais en plus, ils sont libres.

Les débuts d’OpenStreetMap

Walid: et si on commence à faire un peu l’histoire d’OpenStreetMap, comment est-ce que ça commence, OpenStreetMap ?

Christian: alors, je n’étais pas là au début de l’histoire, mais l’histoire telle que je la connais et telle qu’on la raconte, c’est qu’il y a un étudiant anglais (NDLR : Steve Coast) qui avait besoin, pour son projet d’études, sa thèse ou quelque chose comme ça, qui avait besoin de données géographiques. Et il a demandé assez naturellement à l’Ordnance Survey, l’Ordnance Survey c’est l’équivalent de l’IGN mais en Angleterre, d’avoir accès aux données dont il avait besoin pour ses études. Et puis il fallait remplir plein de papiers, c’était compliqué, etc. Puis franchement ça l’a énervé, il s’est dit c’est quand même pas normal, tout ça c’est payé avec mes impôts, ou avec nos impôts, peut-être pas les siens, et on ne peut pas l’utiliser. Donc voilà, en théorie pour de la recherche, etc., on peut y avoir accès. Et ce n’était pas le cas. Et donc, il s’est dit, ce n’est pas normal, on va créer une base libre.

Et ce qui est fou, c’est que ce sont des projets qui sont utopiques. C’est ça qui est marrant aussi, c’est de démarrer des projets en se disant, oui, c’est une utopie, on va cartographier le monde avec nos petits bras, nos petits pieds. Et au début, on ne nous prend pas au sérieux. Et puis bon, 20 ans après, c’est une autre histoire.

Walid: mais son projet de départ ? C’était déjà de cartographier le monde ou c’était juste de cartographier le Royaume-Uni ?

Christian: alors, je ne sais pas si c’était de cartographier le monde, mais très vite, tu te dis, il n’y a pas de limite, pourquoi je m’arrêterais ? Et à partir du moment où on commence à mettre en place un outil qui permet de cartographier n’importe quel point du globe, en fait, l’intérêt d’étendre ça au monde entier, c’est qu’on fait grossir la communauté en même temps. Si on fait un projet très local, etc., on peut démarrer comme ça. Mais si je prends OpenStreetMap ou Open Food Facts ou Panoramax, l’idée, c’est oui, il faut bien démarrer quelque part, mais on ne va surtout pas s’auto-limiter à un territoire. Donc, il y a vraiment un côté universel dans ce qu’on essaye de faire.

Walid: donc là, ça commence en 2004, c’est ça ?

Christian: oui, 2004.

Walid: donc là, en 2004, il y a… aucun outil de cartographie accessible en ligne ?

Christian: il y a eu d’autres projets qui ont existé, qui ont démarré à peu près à la même époque. En France, il y a un projet qui s’appelait, je crois, Un point c’est tout, quelque chose comme ça, que je n’ai pas connu, que je ne connais pas, et qui, pareil, avait comme idée de partager des données géographiques, des données relevées sur le terrain. Et puis, bon… Pourquoi OpenStreetMap a démarré et s’est étendu et pas un point c’est tout ? Peut-être pour une raison toute bête. Ça démarre en Angleterre, donc tout est en anglais, donc l’internationalisation est assez naturelle. On voit sur Open Food Facts que l’internationalisation n’a pas été aussi naturelle. C’est resté quand même très franco-français pendant longtemps, parce que voilà la barrière de la langue. Moi, j’ai appris aussi là sur Panoramax, on a démarré en France, mais on a vraiment tout. tout écrit, tout documenté en anglais pour pouvoir s’étendre plus rapidement.

Walid: sur les débuts de SM, le fondateur, il est tout seul, il arrive assez rapidement à trouver une communauté de gens qui trouvent son projet intéressant. Comment ça se passe au début ?

Christian: il a embarqué pas mal une communauté qui tournait autour du cyclisme, des vélos.

Il y a eu vraiment une surreprésentation de cyclistes parmi ceux qui ont été au démarrage sur OpenStreetMap. Ça fait qu’aujourd’hui, les cartes destinées aux cyclistes les plus détaillées, un peu partout dans le monde d’ailleurs, c’est OpenStreetMap. Il y a aussi une raison toute bête, c’est que quand on va sur le terrain, qu’on veut cartographier assez vite, mais suffisamment lentement, en fait le vélo c’est la vitesse idéale.

On se déplace quand même plus vite qu’à pied, mais pas trop vite. Et donc, on peut voir tous les détails. On peut s’arrêter à n’importe quel endroit, etc. Donc, c’est vraiment un outil génial pour cartographier.

La création de la fondation OpenStreetMap

Walid: au début, c’est un projet purement personnel où il crée une structure dès le départ pour soutenir son projet ?

Christian: franchement, je n’en sais rien. Je ne peux pas te dire. Il y a une fondation. La fondation OpenStreetMap a été créée assez vite. Je pense aller peut-être deux ans après ou quelque chose comme ça. Je n’ai pas le détail en tête.

Walid: c’est une fondation anglaise ?

Christian: oui, elle a été créée en Angleterre. C’est un statut bizarre parce qu’en fait, les associations à but non lucratif n’existent pas en Angleterre. Les associations n’existent pas en Angleterre. C’est une société, mais sans but lucratif.

Walid : d’accord.

Christian : c’est sûr que vouloir cartographier même une ville, on peut peut-être le faire tout seul. Mais dès qu’on va vouloir aller un peu plus loin, on ne peut pas le faire tout seul. Donc, il faut très vite se dire que ce n’est pas un projet personnel. Ce n’est pas possible. Donc je pense que très tôt, il y a eu cette notion de communauté, il faut qu’il y ait du monde pour collecter de l’info géographique, pour la partager, et puis il n’avait pas forcément non plus toutes les compétences techniques pour mettre en place les outils, les bases de données, tous ces trucs-là. Donc il y a eu, je pense, un peu de tâtonnement au début. 2004, c’est la naissance officielle, c’est là où le nom de domaine a été enregistré : on fête notre anniversaire au mois d’août, parce que c’est au mois d’août que le nom de domaine a été enregistré. Le véritable décollage, c’est plutôt 2006-2007, où là, il a commencé à y avoir vraiment une base de données avec une API qui permettait d’interagir avec la base de données. Et que ça a vraiment pris, qu’on a commencé à avoir des outils qui sont développés autour de tout ça. Et que la communauté a commencé vraiment à s’étendre.

La licence originelle des données

Walid: et à cette époque-là, les données, quelle licence il y a autour de ces données-là ?

Christian: alors au début, OpenStreetMap, toutes les données étaient sous licence CC-BY-SA, parce qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre. Et en 2012, on a changé de licence, on est passé à la licence ODBL, Open Database License, parce que la CC-BY-SA…

Walid: donc les Creative Commons…

Christian: oui, donc la Creative Commons-BY-SA, c’est-à-dire, il faut citer d’où vient la donnée, et… Et ça, c’est le share-alike, donc partage à l’identique.

Et le partage à l’identique, là, il est très très fort dans la CC by SA. C’est-à-dire que tout ce qui est dérivé de la base de données doit aussi être en CC by SA. Donc si je fais une carte à partir de ces données, ma carte doit être en CC by SA. Donc ce qui était quand même une contrainte très forte pour la réutilisation des données, ça a limité quand même beaucoup de réutilisation à ce moment-là.

Et puis il y avait la notion aussi que c’était chaque contribution qui avait un auteur, etc. Et le passage à la licence ODBL a changé cette logique. Déjà, c’est une base de données. Les détenteurs des droits, c’est la fondation. Et la licence ODBL ne s’applique qu’aux bases de données. Par contre, ce qu’on produit à partir de la base de données et qui ne serait pas une base de données, on peut le mettre dans la licence qu’on veut. Donc, si je produis une carte, je peux mettre un copyright à moi dessus ou bien elle peut être… dans le domaine public, elle peut être en CC-BY-SA, il y a ça, si je veux. On n’a pas la même contrainte. Par contre, on a la contrainte de partager à l’identique sur toutes les améliorations des données de la base de données. Et ça, c’est important, parce que finalement, c’est la logique du commun. Il faut qu’on puisse utiliser des données pour faire quelque chose. Par contre, en les utilisant, si je les améliore, il faut que je repartage ces améliorations. C’est vraiment un point important pour que ça converge, qu’on revienne sans arrêt vers le commun, plutôt que ça diverge. C’est-à-dire, oui, je me sers des données, mais ça ne repart pas à l’intérieur.

Les pays où OSM s’est implanté le plus vite

Walid: est-ce que naturellement, le projet, au départ, s’est développé plutôt au Royaume-Uni, pour des raisons de commodité ? Ou alors, est-ce qu’assez rapidement, il y a d’autres pays qui sont venus aussi enrichir leurs données, et où c’est devenu populaire ?

Christian: alors, ça a démarré, évidemment, plutôt au Royaume-Uni, au départ. Et très vite, il y a un autre pays qui a monté très très fort, c’est l’Allemagne. La France, on n’est pas mal non plus, mais la France, on a commencé… quand on voit… Moi, j’ai fait un petit site qui s’appelle archeOSM, qui permet de revoir l’état d’OpenStreetMap au 1er janvier 2007, 2008, 2009, etc. Et on voit qu’en France, en 2007, il n’y a quasiment rien. C’est tout vide. Dans Paris, il y a trois axes. Je crois qu’il n’y a même pas la Seine, des choses comme ça. Et puis, on voit que ça décolle. Mais l’Allemagne, ils ont démarré plus tôt.

Walid: il y a une raison particulière ou c’est juste…

Christian: je ne sais pas du tout. Je ne sais pas non plus pourquoi aujourd’hui l’Allemagne reste le pays le plus actif en termes de contributions. Voilà, c’est vraiment, ils sont sur la première place du podium systématiquement. La France, on est en deuxième, troisième, quatrième place, ça dépend des jours. Rapporter à la population, par contre, c’est très très marrant de voir les différences entre les pays. On est quand même bien placé en France, même rapporté à la population. Et tu as des grands pays comme les États-Unis où… Oui, ils sont pas mal sur le podium, mais rapporté à la population, ils ne sont pas si actifs que ça.

Les débuts de l’associaton OpenStreetMap France

Walid: sur la partie française, à partir de quand vous montez une association française ?

Christian: on a créé l’association en France fin 2011 parce que le besoin de l’association, c’était avant tout, vu qu’on a fêté les 10 ans il n’y a pas très longtemps, j’ai relu un peu toutes les discussions. toutes les échanges qu’on a pu avoir au moment où on a créé l’asso. C’était vraiment qu’on avait besoin d’une structure pour pouvoir avoir du matériel, pour pouvoir l’héberger, pour pouvoir toucher des aides ou ce genre de choses. Parce qu’assez vite, on a eu quand même une petite communauté technique qui a développé des outils, qui a mis en place des services, etc. Et voilà, il nous fallait un support pour que ça tienne sur le long terme. Et donc c’est pour ça qu’on a créé l’association donc ouais 2011

Walid : donc toi t’étais là au début de l’association ?

Christian : ouais j’ai fait pas mal de choses dans l’associatif avant plutôt dans le sport j’avais créé aussi un club informatique en (19)81 tu vois donc voilà l’associatif ce qui est un bureau ce qui est une assemblée générale etc je connaissais bien. Et du coup j’ai pas mal participé à la à la définition de ça. Je n’avais pas envisagé de m’impliquer dans le conseil d’administration de l’ASSO. Puis finalement, pendant l’Assemblée Générale Constitutive, je me suis dit « allez, go » . Et je me suis retrouvé secrétaire de l’asso pour faire les démarches administratives.

La gouvernance du projets OpenStreetMap

Walid: un autre point que je voulais aborder avec toi, c’était la gouvernance du projet OpenStreetMap. Comment ça marche ? Quels sont les différents organes qu’il y a ? Quelles sont les relations entre eux ? Ça, c’est quelque chose qui m’intéresse pas mal sur le podcast, de comprendre un peu qui gère quoi, qui détient la propriété intellectuelle de quoi, qui contribue à quoi. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu déjà grossièrement quels sont les différents organes qu’on va trouver autour d’OpenStreetMap, le projet ?

Christian: il n’y en a pas 50.

Je vais résumer déjà en une phrase essentielle, c’est une gouvernance extrêmement horizontale. Il n’y a qu’une seule entité qui a été créée, qui est la fondation OpenStreetMap. Cette fondation a un board avec 7 personnes.

C’est très très peu, c’est pas assez de mon point de vue, mais bon, c’est un autre sujet, c’est très peu. Et il y a des working group, il y a des working group qui s’occupent de l’infrastructure, voilà, il y a des working group pour la communication, pour l’aspect légal, etc.

Mais en fait, un des slogans de la fondation, c’est qu’elle est là pour soutenir le projet, mais pas pour le contrôler, c’est assez intéressant. Les règles viennent du bas, elles ne viennent pas du haut.

Dans le soutien, Qu’apporte la fondation ? Il y a, un, l’infrastructure, et deux, le soutien légal. C’est-à-dire défendre le respect de la licence, défendre la marque OpenStreetMap, que n’importe qui ne puisse pas s’auto-proclamer OpenStreetMap. Voilà.

Walid: est-ce qu’ils détiennent aussi OSM ? Parce qu’on voit avec les problématiques autour de WordPress et WP, que ce n’est pas si simple que ça.

Christian: ah, est-ce que OSM a été déposé aussi comme marque ? J’en sais rien.

Walid: parce qu’il y a toute une bataille dans la communauté, la WordPress, autour de l’utilisation de WP qui fait référence à WordPress. Et donc, il y a toute une bataille juridique autour de ça qui est finalement assez intéressante. Et je me demandais si OSM, c’était pareil ou pas.

Christian: franchement, je pense que là, la communauté WordPress, elle se regarde le nombril parce que pour moi, WP, ça veut dire Wikipédia.

Walid: oui, OK.

Christian: avec deux lettres, ça devient un peu chaud. Avec trois lettres, déjà, ça commence à… Il n’y a pas une défense de la marque délirante. Ce n’est pas un champ de bataille particulier. La fondation rappelle qu’elle détient la marque et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Mais c’est tout. Le Legal Working Group s’occupe moins de cet aspect-là, je pense, que de l’aspect responsabilité par rapport aux données qu’il y a dans la base de données, ce genre de choses.

Walid: tu disais tout à l’heure que tu trouves que 7 personnes dans le board de la fondation, ce n’est pas assez. Pourquoi ?

Christian: pour un projet mondial, ce n’est pas assez. Quand tu démarres une asso sur l’Angleterre, je ne dis pas, mais quand tu as un projet mondial, si tu veux avoir de la diversité dans ton board, avec 7 places, ce n’est pas possible. Déjà, même si on prend une personne par continent, c’est déjà chaud. Ça ne me paraît pas tenable sur le long terme. Malheureusement, il n’y a pas de chantier pour faire évoluer ça. Moi, ça fait plus de dix ans que je dis que ce n’est pas assez.

Walid: ces personnes, elles sont nommées, élues ? Comment ça se passe ?

Christian: ah non, elles sont élues.

C’est les membres de la Fondation qui élisent. La dernière élection a eu lieu il y a quelques semaines. Et les membres de la Fondation, c’est soit des gens qui adhèrent à la Fondation, soit on a un principe d’adhésion automatique quand on est un contributeur régulier.

Donc un contributeur régulier, il n’a pas besoin d’adhérer, de payer une cotisation. Ça, ça a permis d’étendre un petit peu plus la communauté, parce que c’était très petit, par rapport au nombre de contributeurs réguliers. On a plusieurs milliers de contributeurs actifs tous les jours, mais on avait quelques centaines, je ne sais pas, genre 500 votants, c’est tout pour la fondation. Donc là, ça s’est un peu plus étendu, ça permet d’avoir quelque chose d’un petit peu plus représentatif de la communauté aussi.

Walid: donc tu as une règle qui définit ce que c’est qu’un contributeur régulier ? Oui,

Christian: je ne la connais plus, mais c’est quelqu’un qui a fait des modifications dans la base de données plus de tant de jours sur les six derniers mois ou un truc comme ça. Enfin, c’est un truc de ce type-là.

Walid: OK, donc une gouvernance très horizontale, un seul organisme qui est chargé de gérer le côté légal et la marque. Et après, tout le reste, c’est de l’auto-organisation ?

Christian: et ça fonctionne avec un wiki qui est un peu la bible du projet, un forum qui a basculé il y a un petit peu plus de deux ans sur Discourse, qui est l’endroit de discussion, d’échanges sur énormément de sujets, y compris de vote, vu qu’on a des systèmes de vote dans Discourse. Donc voilà, ça fonctionne comme ça, et il y a une très très grande autonomie.

Le projet est très permissif. Par exemple, on n’est pas rentré dans le détail d’OpenStreetMap, mais quand on met un objet dans la base de données, pour le décrire, on utilise des tags qui sont des clés, des valeurs. Et il n’y a pas de liste prédéfinie de ces tags. L’API permet d’utiliser des tags nouveaux sans avoir à demander une autorisation, etc.

C’est ça qui fait aussi la richesse de ce projet. Je dis souvent que le nom est très mal choisi parce que Open, Street, Map… Open, oui, ça, OK, on est d’accord. Street, on ne fait vraiment pas que les rues. Et Map, on ne fait vraiment pas que des cartes avec ça. La base de données permet de faire plein d’autres choses. Donc, ça devrait plutôt s’appeler OpenGeodata ou un truc du genre. Mais bon, OpenStreetMap, c’est bien, c’est pas mal. On ne va pas changer maintenant, c’est trop tard.

Walid : il y a des gens qui sont salariés ?

Christian : de la fondation, tu veux dire ?

Walid : oui,

Christian : mais très, très peu. La première personne qui a été salariée s’occupait uniquement des aspects administratifs. Elle était à mi-temps. Et depuis quelques années, on a… quelqu’un qui est payé pour la gestion de l’infra et un suivi plus régulier sur l’infra. Donc, ça ne fait que deux salariés, c’est tout.

Walid : donc, tout le développement technique, par exemple, c’est une organisation bénévole… c’est une personne technique à temps plein plus des bénévoles.

Christian : oui, c’est ça, oui. L’essentiel de l’écosystème OpenStreetMap, c’est-à-dire aussi bien la gestion de la base de données, mais tout ce qui gravite autour, ça a été fait de façon soit bénévole, soit il y a aussi des entreprises qui participent à OpenStreetMap. On n’a pas que des particuliers. Donc, il y a des entreprises qui ont développé du logiciel. La plupart, c’est du logiciel libre. La plupart, c’est open source ou libre. Et donc, on a tout un écosystème qui existe autour.

Les groupes de travail (working groups)

Walid : tu parlais de ces working groups. Là, ces working groups, c’est des groupes assez haut niveau qui travaille sur une problématique ?

Christian : oui, sur une thématique, sur un sujet. Par exemple, tu as le Communication Working Group. Donc, voilà, c’est pour répondre à des sollicitations de la presse, c’est pour avoir un petit peu de visibilité, ce genre de choses. Tu as une équipe qui s’occupe d’organiser les conférences OSM internationales, qu’on appelle des State of the Map, des SOTM. On a donc donc un working group qui s’occupe de ce qui touche au légal.

Walid : qui fait partie de ces working groups ? N’importe qui peut demander à être… toi, par exemple, tu pourrais demander à faire partie d’un working group ?

Christian : n’importe qui peut se proposer. Ça fonctionne quand même un petit peu d’une certaine façon par cooptation.

Walid : ok.

Christian : t’as un working group qui est important, c’est le Data Working Group, le DWG. C’est un peu l’arbitre. Par exemple, s’il y a des gens qui ont copié des données et qui les ont mises dans OpenStreetMap alors qu’ils n’avaient pas l’autorisation d’utiliser ces données et que ce n’était pas libre. Donc, le Data Working Group, lui, va pouvoir les faire disparaître, y compris des historiques. On va pouvoir bloquer des comptes quand il y a des gens qui font n’importe quoi ou quand il y a des conflits d’édition, parce que ça arrive d’avoir des conflits d’édition soit très locaux, genre un gars qui considère que c’est une piste cyclable et l’autre qui considère que c’est une voie cyclable et puis ça ne peut pas s’entendre. Mais on a aussi des conflits d’édition internationaux. La frontière entre l’Ukraine et la Russie, ça se discute.

Les communautés OSM

Walid : je voulais en parler après justement de toutes ces problématiques entre les pays et tout, qui doivent être assez compliquées à gérer. Mais ce qui m’intéressait aussi de comprendre, c’est les communautés, en fait. On a des communautés dans différents pays. Les communautés travaillent sur le développement un peu local dans leur pays d’origine. On a une communauté OSM France, et pour la France, ce n’est pas francophone.

Christian : oui, oui et non. Oui, OSM France s’occupe évidemment avant tout de la communauté française, mais on a aussi aidé des communautés francophones à se constituer. On avait donné un coup de main, par exemple, pour la constitution d’OSM Maroc. Et la francophonie, ça nous permet de les aider, de les accompagner. Donc, on avait mis à disposition une machine virtuelle pour pouvoir faire un site OSM Maroc, avoir un fond de carte en marocain avec les frontières qui vont bien dessus. Et puis, oui, on a des contacts avec la Belgique et d’autres pays francophones. Mais c’est quand même plus la dimension territoire français.

Walid : de manière générale, les communautés des différents pays, vous parlez, on parlait tout à l’heure de cette conférence State of the Map. De quelle manière vous collaborez ou vous rentrez en contact ?

Christian : il y a le forum international, donc community.openstreetmap.org, qui est l’espace où, en fait, on peut échanger dans toutes les langues, un système de traduction intégré qui permet d’abaisser la barrière de la langue. Ce n’est pas parfait, mais ce n’est pas mal. C’est très, très variable parce que, finalement, dans chaque pays, les gens sont un peu auto-organisés d’une façon qui leur est propre. Nous, en France, on a démarré assez tôt, on a mis en place nos propres outils de forum, etc., etc. On va être autonome et pas aller se mettre en dépendance de GAFAM. Par contre, tu vas avoir des communautés en Asie qui sont à fond sur Facebook ou sur Slack.

Walid : c’est intéressant de voir que tout le monde n’a pas le même point de vue.

Christian : c’est vraiment d’auto-organisation. Par exemple, la communauté française est très peu active sur le forum international parce que le forum d’OSM France est très actif. Ça peut être un petit peu problématique quand on commence à avoir des idées de tags ou de choses comme ça, et qu’on ne consulte pas, qu’on ne regarde pas ce qui est fait à l’étranger, c’est un peu dommage. Mais bon, on a un bon équilibre quand même, ça marche bien.

Walid : et là, je me demandais par exemple, quand toi tu arrives avec un… « j’ai une idée, ça va s’appeler Panoramax, on va faire un espèce de StreetView libre », ça tourne autour de l’univers d’OpenStreetMap. À qui t’en parles ? Et t’es complètement libre de faire ce que tu veux dans tous les cas, mais à qui t’en parles dans la communauté quand t’as cette idée ?

Christian : alors, premièrement, la communauté française. J’ai profité ensuite d’une conférence en Europe, d’un State of the Map Europe, et on avait déjà quelque chose qui fonctionnait. J’ai dit, « bon, là, c’est le moment, c’est mûr, pour aller montrer ce qu’on a fait et aller faire des petits en dehors de France ». Voilà, et c’est en train de prendre petit à petit. Mais oui, tu fais ça par cercle concentrique et puis tu essayes d’attendre le truc petit à petit. Parce que si on veut tout de suite viser la planète entière, c’est déjà bien de faire tourner le machin sur un premier territoire avant de passer à l’échelle.

La relation avec les institutions françaises

Walid: tout à l’heure, tu parlais du fait que c’était une collaboration avec l’IGN. Ça m’amène à la partie suivante que je voulais discuter avec toi. C’est la relation avec les institutions. Si je prends par exemple au niveau français, à partir de quand les institutions commencent à s’intéresser à OSM, sachant que chez nous, l’IGN a ses propres cartes. A partir de quand ils voient que ça existe et ils commencent à s’intéresser à ce qui se passe autour d’OSM ? Pas besoin d’une date précise, mais en gros, ce qui m’intéresse, c’est plus le cheminement.

Christian: le cheminement, ça a démarré avec la création de l’association. Quand on a créé l’association, c’était aussi pour que quelqu’un qui allait voir une institution, quelle qu’elle soit, ou une collectivité, ou un truc comme ça, quand tu y vas à titre personnel pour aller parler d’un projet qui n’a aucune structure, à part un truc en Angleterre, ça avait un peu du mal à accrocher. Donc le fait qu’on crée une association, ça a permis d’être pris beaucoup plus au sérieux. C’est une association, loi 1901, donc on expose bien notre côté non lucratif, aspect bénévole, etc. C’est à partir de la création de l’asso qu’on a pu faire ça, qu’on a pu être identifié aussi bien par les institutions que par la presse, par exemple. Et du coup il y avait enfin un interlocuteur. Parce que sinon, il n’y avait pas d’interlocuteur. Il y avait Christian Quest, il y avait Gaël Musquet, il y avait XYZ, enfin voilà, il y avait plein de personnes. C’était des individus, quoi.

Walid: je suppose que dans l’association elle-même, il y a des gens qui travaillent dans des institutions, non ? Oui. Et qui eux-mêmes ont fait de l’autopromotion à l’intérieur des institutions.

Christian: oui, je viens de citer Gaël Musquet. Donc Gaël, lui, il était fonctionnaire, il a milité sur l’intérêt d’OpenStreetMap, etc., là où il était. Et puis, mon cas, ça a été l’inverse. En fait, c’est quand OpenStreetMap a commencé à montrer la capacité qu’on avait à créer de la donnée, et puis à créer de la donnée qui était quand même de qualité, qui était exploitable, on pouvait faire des choses bien avec. Là, c’est l’inverse qui s’est passé. C’est la mission Etalab qui s’occupait de l’ouverture des données publiques en France. En 2014, début 2014, on a organisé notre deuxième State of the Map France à Paris. Et on l’a complètement centré sur un sujet qui était l’adresse, les adresses. Etalab a été très, très intéressé par ce qu’on faisait et m’a embauché (rires). Donc, c’est l’inverse. Ils se sont dit, il faut qu’on embarque en interne la connaissance et la compétence par rapport à ça. Et on a pu démarrer une convention sur les adresses avec l’IGN, avec La Poste, avec Etalab et OpenStreetMap France. Bon, ça n’a pas donné tous les résultats qu’on espérait parce que c’était quand même assez compliqué. Mais voilà, ça montre à quel point il y a eu une prise de conscience que ce qu’on faisait n’était pas que des geeks avec des GPS dans la rue.

Walid: je suppose que pour une première aussi, c’est peut-être une autre manière de… Une autre manière pour tous ces organismes de collaborer autour d’un commun, et que ce n’est pas forcément hyper simple dès le premier coup.

Christian: c’est surtout qu’ils n’ont pas du tout cette culture-là. Ça, c’est très compliqué à intégrer, la culture des communs. Surtout des communs qui fonctionnent de façon très horizontale. Toute l’administration française est extrêmement verticalisée. Donc c’est hiérarchique, etc. Et là, le côté « mais qui décide ? » « À qui je m’adresse ? » « C’est qui le responsable ? » Voilà, on n’a pas toute cette structure-là, ce qui fait qu’on peut bouger vite aussi. On n’a pas 50 000 autorisations à demander. Et ça perturbe quand on n’a pas l’habitude.

Walid: il n’y avait pas de frein autour du fait que « non, mais c’est mes données, quoi » .

Christian: si, bien sûr. Si je reviens en 2012, entre… L’IGN et OSM, et OSM France, il y a eu des échanges assez chauds par presse interposée entre Gaël Musquet et le directeur de l’IGN de l’époque. Et donc, on s’est rencontrés. On s’est dit, bon, allez, on arrête, il faut qu’on se parle pour que vous nous connaissiez vraiment. Mais l’IGN aussi avait envie d’expliquer pourquoi, malheureusement, leurs données n’étaient pas ouvertes et ne pouvaient pas l’être dans l’immédiat. Parce que les revenus des ventes que ça générait, ils en avaient besoin pour fonctionner. Mais le directeur de l’époque, qui s’appelle Pascal Berteaud, nous a dit « Moi, je suis convaincu que dans quelques années, tout ça, ça sera ouvert, mais ça va prendre un petit peu de temps. » Donc, soyez patient, mais oui, tout ça, à terme, sera ouvert. Et c’est ce qui est arrivé. Ça a juste pris dix ans.

Walid: moi, là où je suis fasciné, c’est que j’ai regardé pas mal de conférences de State of the Map, en particulier l’année dernière, et dont certaines, parce que je suis un geek ferroviaire de la SNCF (ici et ). Et en fait, ce que je trouve absolument incroyable, c’est comment tu t’aperçois qu’en fait, finalement, à travers un projet qui est tiers, ça permet à plusieurs entités du même groupe de pouvoir mieux collaborer sur leurs données. Je trouve ça absolument incroyable. Tu t’aperçois qu’en fait, leur base commune, ça devient OSM.

Christian: pour plusieurs raisons.

Déjà, on a des outils qui permettent de collaborer, alors que d’habitude, tu as des silos qui ne sont pas du tout conçus pour collaborer. Même à plusieurs personnes dans la même équipe, ce n’est pas forcément évident de travailler sur les mêmes documents, les mêmes trucs. Si tes outils n’ont pas été conçus pour ça, tu es un peu mort. Mais quand on l’a remarqué aussi, je sors d’OSM, quand il y a eu le portail Open Data français, data.gouv.fr, qui a été mis en place, l’idée au départ, c’était que les données publiques pourraient être réutilisées par la sphère privée, c’est-à-dire les entreprises, les citoyens, etc. En fait, à leur grande surprise, la moitié des utilisateurs de DataGouv, c’était des administrations.

Parce qu’en fait… pouvaient enfin accéder à des données d’autres administrations auxquelles, avant, elles avaient un mal fou à accéder. Voilà, à partir du moment où on ouvre les choses, sans présager de qui va les utiliser, ça permet une fluidité, une circulation qu’on n’a absolument pas. Moi, je me bats beaucoup contre un glissement qui s’est passé il y a quelques années de l’ouverture de données, on est passé au partage ou à la circulation. Et en fait, ce n’est pas la même chose. Quand on partage, c’est une relation de 1 à 1 et pas 1 à N. Enfin, quand on fait circuler. Les partages entre administrations, ce n’est pas ouvert. Quand on ouvre, tout le monde va pouvoir l’utiliser.

Les collectivités ou administrations qui utilisent OSM

Walid: avant de regarder au niveau européen, si on regarde au niveau français maintenant, donc OSM est fortement utilisé. Si on fait un panorama, où est-ce qu’on va trouver des administrations et des collectivités qui utilisent OSM ?

Christian: alors, il y en a beaucoup qui utilisent, on va dire, le produit le plus visible d’OSM, qui est le fond de carte. Donc, il y a plein, plein de services d’administration et d’entreprise, parce qu’on ne fait pas trop le distinguo, qui utilisent du fond de carte OpenStreetMap, parce que c’est simple à mettre en œuvre, c’est gratuit, ce qui n’est pas la meilleure des raisons, mais voilà, ça fonctionne, c’est mis à jour. Pour eux, c’est le truc extrêmement utilisé. On a mis en place un service… Il y a quelqu’un qui a développé un outil qui s’appelle uMap. C’est Yohan qui nous a développé ça il y a plus d’une dizaine d’années maintenant. Et cet outil permet de prendre un fond de carte puis de rajouter, de faire sa carte personnalisée par-dessus. Et on héberge plus d’un million de cartes comme ça sur uMap. Il y en a beaucoup. Ce sont des cartes qui sont faites soit par des entreprises, soit par des administrations et qui sont visibles sur leur site web avec une iframe. L’utilisation d’OpenStreetMap, la première, elle est là. L’utilisation des données, c’est beaucoup plus compliqué. Ça peut être le cas quand il va y avoir des analyses, des statistiques ou des trucs comme ça. Par contre, dès que c’est vraiment la donnée qui va être utilisée, là, c’est quand même peu le cas dans les administrations à cause de la licence. Parce que la licence ODBL, il y a des contraintes qui ne sont pas conformes avec l’esprit de : « si c’est de la donnée publique, il faut que tout le monde puisse la réutiliser ». Donc voilà, on a un sujet par rapport à ça. Il y a un frein et qui le restera, parce qu’on ne va pas changer notre licence et eux, ils ne vont pas changer leur logique non plus. Enfin, ça va être très compliqué, je pense.

Walid: est-ce qu’il y a des gens qui sont financés par les collectivités pour travailler sur OSM ?

Christian: enfin, travailler, c’est-à-dire mettre à jour des données ou…

Walid: ça ou alors des gens ou des entreprises qui sont en fait financées pour faire des outils qui contribuent à l’écosystème, en fait ?

OSM et les GAFAMs

Christian: alors, un, il y a de la contribution financée par des entreprises. Je parlais des GAFAM. Si on retire le G, tous les autres contribuent à OSM. Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, mais aussi Uber, etc.

Walid: ils contribuent parce que finalement, ça leur coûte moins cher de contribuer à OSM que de redévelopper leur propre solution ?

Christian: ils contribuent déjà d’une première manière qui est la mise à jour de données. Parce que la plus grande valeur d’OpenStreetMap, c’est la base de données. Sans les données, tout le reste perd son intérêt. Donc si Amazon met à jour des données géographiques, c’est parce qu’ils utilisent les données OSM pour calculer des tournées, des itinéraires, etc. Et que quand il n’y a pas l’adresse ou la route ou le chemin, ils l’ajoutent parce que pour eux, ça améliore ensuite leur truc. Alors, il y a des… Je parle de ça, mais la situation est très, très différente d’un pays à l’autre. En France, on ne va pas avoir tellement ces acteurs qui vont contribuer, parce que les données sont suffisamment exhaustives, à jour, on a une communauté suffisante. Par contre, il y a certains pays, je pense à des pays d’Afrique ou certains pays d’Asie, où là, on va avoir une bien plus grande implication de ces acteurs-là. Il y a du code aussi qui est développé par certains et qui est publié en open source, qui est libre. C’est assez variable. On a un acteur important américain qui s’appelle Mapbox qui a développé beaucoup de briques extrêmement utilisées dans l’écosystème OSM aujourd’hui, en particulier sur tout ce qui est rendu vectoriel, cartes vectorielles. Mais ils ont refermé petit à petit leur truc, leur stack. Résultat, il y a eu un fork. Donc Mapbox, le fork, c’est devenu MapLibre. Là, la communauté de contributeurs est beaucoup plus active. Aussi parce que c’est un projet qui n’est pas open source, mais qui est libre. Où on accède beaucoup plus facilement les contributions qui viennent de l’extérieur. Donc, gouvernance différente.

Les contributions des collectivités et l’ouverture des données

Walid: est-ce que si je suis une ville ou une intercommunalité ou une région, etc., je contribue moi-même ou j’ai d’autres acteurs qui contribuent pour moi ? Ou est-ce qu’il y a un peu de tout ?

Christian: il y a un peu de tout. Tous les cas de figure existent. Les collectivités locales qui contribuent directement à OSM, ça existe. Il y en a certaines qui sont très impliquées, mais ce n’est quand même pas la règle. Ça serait bien qu’il y en ait plus, mais c’est quand même plutôt rare. On a Digne-les-Bains, par exemple, qui est un bel exemple de contribution dans OpenStreetMap, d’organisation de cartes aux parties, etc. C’est-à-dire qu’eux, là, ils sont allés plus loin que simplement je contribue dans OSM. Je fais connaître OpenStreetMap aussi à la population. On a Montpellier aussi, qui avait fait une cartographie collaborative de l’accessibilité. Voilà, on a des cas comme ça. Et puis, on a des villes qui, elles, par contre, ont été plus à l’origine de l’ouverture de leurs données, très, très tôt. Je pense à Rennes, Brest, qui sont un peu pionnières en la matière, où là, ils produisaient déjà beaucoup de données et surtout, ils ont ouvert des données à une époque où il n’y avait pas tout ça dans OSM. Pour eux, c’était plus simple d’ouvrir leurs données et puis de permettre aux contributeurs d’OpenStreetMap de l’ajouter dans la base de données. Évidemment, nous, communauté OSM, on préfère faire venir ces nouveaux acteurs au sein de la communauté et les faire directement contribuer dans la base. Mais bon, ce n’est pas forcément le plus évident pour eux non plus.

Walid: ça veut dire quoi, ouvrir ces données ? C’est-à-dire qu’ils vous donnent des jeux de données dans certains formats différents ? Ou ça veut dire que…

Christian: ouvrir, c’est je publie mes données, je publie mes données sur un portail Open Data et nous, ensuite, on vient les utiliser. Sinon, c’est « je te file mes données ». On veut bien ! Mais quand même, la loi française, si je peux le donner à une personne, je dois l’ouvrir pour que tout le monde puisse y accéder.

Walid: quand une collectivité ouvre ses données comme ça, elle ouvre ses données à partir d’un format standard ? c’est hyper variable ?

Christian: Pour les données géographiques, il y a différents formats de fichiers qui existent. Les formats de fichiers, ce n’est pas un problème. On a tout plein d’outils qui permettent de passer d’un format à un autre. Non, non, c’est la structure des données qui pose problème. C’est-à-dire que… si tu prends un truc tout bête, tu prends des données tabulaires dans un tableur, c’est quoi les noms de tes colonnes ? C’est quoi l’ordre de tes colonnes ? Est-ce que tu as bien donné le même sens à telle information, à tel endroit ? En fait, ça, c’est le bazar (rires). Il y a un peu d’harmonisation qui se fait au niveau national avec la définition de schéma commun. Donc ça, c’est un des boulots qui est fait par DataGouv, justement. Là, l’intérêt, c’est que quand des collectivités publient localement des données sur une thématique, on va prendre, je ne sais pas, les espaces de covoiturage. Eh bien, il y a un schéma national espaces de covoiturage, qui a été défini, qui fait qu’on demande à toutes les collectivités de publier selon ce schéma-là, ce qui permet ensuite d’agréger les données et de faire un fichier, une base nationale des espaces de covoiturage. Alors que sinon, c’est l’horreur. On a ça pour les bornes de recharge électrique, on a ça pour pas mal de choses sur le transport. Il y a eu des choses comme ça qui ont été faites. Et puis, il y a un autre truc qui a été défini qui s’appelle le socle commun de données locales. Ça, c’était un peu à l’initiative d’une association qui s’appelle Open Data France, une association de collectivités. Ils se sont dit : « pour avoir plus de chances que nos données soient réutilisées, ça serait bien qu’on harmonise la structure et les formats dans lesquels on les diffuse ».

Walid: à partir du moment où tu as une collectivité qui publie ses données sur un portail, qui regarde ça et se dit « Ah, c’est cool, je vais l’importer dans OSM ». C’est des bénévoles ? Ça se fait au niveau de l’asso ?

Christian: non, l’asso n’a strictement aucun rôle par rapport à ça. L’asso a la même logique que la fondation. On soutient, mais on ne contrôle pas. On ne fait pas à la place. Donc, ça va être lié à la thématique, parce que tu vas avoir des contributeurs qui sont à fond sur une thématique de données. Et ils vont chercher, par exemple, toutes les données sur les emplacements des défibrillateurs pour les intégrer partout, où que ce soit. Après, tu vas voir une autre façon, c’est un contributeur qui veut que le territoire sur lequel il est soit le mieux renseigné possible. Donc là, dès qu’il y a des données qui vont sortir sur ton territoire, il va voir comment les intégrer, etc. Et j’utilise le mot intégrer et pas le mot importer parce que… L’import dans OpenStreetMap est un sujet un peu touchy, parce qu’on a beaucoup de données déjà dans la base. Et quand tu vas avoir un jeu de données officiel qui va sortir, déjà, quelle est sa qualité ? Ce n’est pas parce que c’est un jeu officiel qu’il est de bonne qualité.

Walid: officiel, tu veux dire qui a été publié par une entité ?

Christian: voilà, qui a été publié par une collectivité ou une administration, etc. Je vais prendre un exemple un peu historique. Quand la RATP a publié pour la première fois les emplacements des arrêts de bus. Moi, j’ai regardé les arrêts de bus près de chez moi et c’était une catastrophe. Il y en avait certains qui avaient bougé depuis plus de 10 ans et ils n’étaient pas à la bonne position dans leur base. Et quand je dis pas à la bonne position, ce n’était pas 10 mètres d’erreur, c’était 200 mètres d’erreur. Voir, ce n’était plus du tout sur le même pâté de maison. Donc oui, il y a de la donnée en open data disponible. Un, on commence par vérifier sa qualité. En principe, il n’y a pas de problème de licence, parce que les données Open Data en France sont sous des licences qui sont totalement compatibles avec l’ODBL d’OSM. Et puis après, on a déjà des données de même nature dans OpenStreetMap, donc il faut faire une réconciliation entre les deux, ce qu’on appelle des conflations. Tiens, ça me signale qu’il y a un défibrillateur à tel endroit, mais j’en ai un qui est à 20 mètres de là, c’est peut-être le même. Comment je sais ? Donc c’est un processus assez compliqué d’intégrer des données de source officielle.

OSM au niveau européen

Walid: on a parlé de la France. Ce que j’aimerais savoir, c’est un peu, au niveau européen, est-ce qu’il y a des projets soutenus par l’UE ? Est-ce qu’au niveau européen, l’UE aussi utilise OSM ? Est-ce que tu sais un peu s’il y a des choses à ce niveau-là ?

Christian: est-ce qu’il y a du soutien ? Du soutien, ça pourrait déjà être du financement. Je n’ai pas entendu beaucoup parler de financement directement au niveau d’OpenStreetMap ou de la fondation. Le budget de la fondation est ridicule. C’est quelques centaines de milliers d’euros, ça n’a rien à voir avec les appels aux dons de la Fondation Wikimédia, parce qu’on n’a que deux salariés dans la fondation, c’est aussi ça. Et il y a beaucoup de ressources qui sont mises à disposition gratuitement. Pour OSM France, c’est pareil. Donc l’UE, de façon assez indirecte, si je prends le cas de Panoramax, on a candidaté pour avoir un soutien financier pour le développement de l’appli mobile. Donc on a… décroché 50 000 euros pour aider au financement de la prime mobile.

Walid: vous êtes passé par les fonds NGI, Next Generation Internet Zero, là ?

Christian : oui voilà

Walid : les fonds NLNet ?

Christian : oui

Walid: j’invite les auditrices et les auditeurs à aller écouter l’épisode avec Lwenn Bussière sur les financements NLNet.

Christian: voilà, c’est des dossiers qui ne sont pas très compliqués à monter. Sur l’aspect financement, c’est un point important.

Sur OSM France, par exemple, on n’a quasiment pas cherché à obtenir de subventions et de choses comme ça, parce que les dossiers sont de plus en plus compliqués à monter. On demande des livrables, alors que moi je suis peut-être un vieux schnock de l’associatif, mais le principe des subventions, pour moi, devrait plutôt être « ce que vous faites, c’est bien, on veut que vous continuiez, donc on vous finance ». Et à partir du moment où ce que vous faites ne nous convient plus, on arrête le financement.

Mais il n’y a pas de livrable à avoir. Ce n’est pas une prestation. Or, il y a eu un glissement ces dernières années. On a transformé un peu en business des associations. On fait des appels à projets, des appels d’offres. Elles répondent limite à des marchés de collectivité. Et ce n’est pas très sain pour l’associatif.

Walid: tout à fait. On en parle aussi dans le deuxième épisode sur Framasoft que vous pouvez écouter aussi. On parle un peu de ce sujet-là à un moment aussi. Très intéressant tout ça.

Les projets qui s’appuient sur OSM

Avant de finir, il y avait deux choses qui m’intéressaient. La première, c’était, en gros, est-ce qu’il y a d’autres projets qui sont, s’appuyant fortement sur OSM ? On a parlé aussi des projets d’Apple, Amazon, etc. Mais est-ce qu’il y a d’autres projets très, on va dire… très connus ?

Christian: je vais peut-être te répondre un petit peu à côté, mais en fait, OpenStreetMap étant assez universel dans son contenu, le contenu de la base de données touche de multiples thématiques. Et du coup, il y a des projets dérivés. Tu vas trouver WheelMap, par exemple, qui est l’utilisation de la donnée d’accessibilité dans OSM. Donc, si tu veux, ça met en évidence et en valeur une certaine thématique.

Il y a OpenSeaMap, qui fait la carte plus maritime. Mais en fait, derrière, c’est OpenStreetMap. Derrière ou en dessous, la base de données, c’est OpenStreetMap. Donc, on essaye de refaire converger tout plein de projets.

Je ne sais plus combien on a vu de projets se monter sur « prouver un point d’eau potable pour remplir ma gourde ». Je ne sais pas, on doit en avoir une demi-douzaine maintenant. Et ils se créent tous leur base de données de points d’eau potable. Ils prenaient les données OSM et puis ils en ajoutaient. Déjà, un, respect de la licence, mais deux, si vous faites une application qui permet de trouver un point d’eau potable et d’en ajouter un quand il manque, il faut aller le chercher dans OpenStreetMap et quand vous l’ajoutez, vous l’ajoutez dans OpenStreetMap.

Même si vous, vous n’allez utiliser que cette information-là et pas tout le reste de la base, au moins, votre base, elle est cohérente. Là, une des dernières applis où j’ai essayé de les faire venir vers OpenStreetMap, c’est, tu as peut-être entendu parler de cette appli, c’est Very Important Parking. C’est pour les parkings pour les personnes handicapées. Donc, ils ont eu un peu de visibilité presse, etc. Parce qu’un des initiateurs du projet, c’est Philippe Croizon. Et en fait, je lui ai dit, mais vos parkings que vous avez dans votre appli, ils viennent d’où ? Il a fallu un petit peu tirer les vers du nez pour savoir qu’effectivement, c’était bien les places de parking qu’on avait dans OpenStreetMap. J’ai dit « mais quand les gens en ajoutent, il faut que ça s’ajoute directement dans OpenStreetMap. Que vous n’ayez pas à gérer votre propre base de données à côté, etc ». Mais c’est difficile de les faire converger. C’est difficile. Alors que c’est tellement plus simple de se dire « Ok, je vais mettre en évidence la thématique qui m’intéresse, mais je vais contribuer directement dans OSM. »

OSM et les crises humanitaires

Walid: oui, il y a quelque chose qui est hyper important, je pense, dont tu n’as pas parlé, c’est l’utilisation des données d’OSM, typiquement pour les crises humanitaires, les tremblements de terre, ce genre de trucs.

Christian: là, c’est la réactivité de la communauté d’OSM qui fait que…

Alors, il y a deux choses. On a vu, il y a une dizaine d’années, la première grosse crise sur laquelle on s’est mobilisés fortement, c’est quand il y avait eu le tremblement de terre à Haïti. Il n’y avait pas de cartes numériques, et les cartes papier qu’il y avait à l’époque, c’étaient des vieilles cartes routières qui dataient des années 60-70, donc ils n’avaient pas de cartes. Et en plus, le tremblement de terre avait détruit tellement d’infrastructures qu’il fallait tout mettre à jour. Donc en… En quelques jours, la ville d’Haïti a été cartographiée à partir d’images satellites. Et en une dizaine de jours, je crois, tout Haïti a été fait.

Il faut savoir que quand il y a des grosses catastrophes comme ça, il y a une charte de l’espace qui fait que les premiers satellites capables de prendre des images qui passent au-dessus partagent les images avec tout le monde. Donc on a assez régulièrement accès, en cas de catastrophe, à des images satellites toutes fraîches.

La deuxième grosse catastrophe sur laquelle on s’est mobilisés, ça a été après le tsunami au Japon, et donc les conséquences avec Fukushima. Moi, je me rappelle très bien, à Haïti, je n’étais pas encore très actif à ce moment-là, mais sur le Japon, là, j’ai vraiment été actif et j’ai cartographié des nuits entières. Puis à un moment, j’arrive, bord de mer, une grosse usine, c’est quoi cette usine ? Je charge les données OSM, je dis, « ah zut, c’est une centrale nucléaire ». Je peux te dire que deux jours après, les photos satellites qu’on avait, nous montraient quand même qu’il y avait des sacrés, sacrés dégâts et que l’eau était allée très, très loin. Je me rappelle avoir mis un message sur Facebook à l’époque pour mes amis et ma famille. J’ai dit « je pense que dans la semaine, on va entendre parler d’une ville qui s’appelle Fukushima ».

Donc, ça a créé une structure spécifique pour gérer l’humanitaire qui s’appelle HOT, Humanitarian OpenStreetMap Team, qui est une ONG américaine et qui a aussi aidé à développer certains outils pour répartir la zone à cartographier. On a ce qui s’appelle le tasking manager. On va prendre une zone, puis on va la découper en petits carrés. Et puis, hop, chaque contributeur prend un carré, contribue sur ce carré-là. Et puis, quand il a terminé, il indique que j’ai terminé. Et puis ensuite, il y a quelqu’un d’autre derrière qui va pouvoir passer pour vérifier que c’est bon. Et puis, hop, le carré, il passe en vert, il est fait. On n’a plus besoin de revenir dessus.

Walid: donc ça veut dire que toi, dans ta chambre ou ton salon, tu peux participer à l’effort collectif en cas de crise humanitaire qui se trouve à l’autre bout du monde.

Christian: oui.

Walid: ce qui est quand même un grand changement par rapport à avant où tu étais, à part donner à une assos, un peu impuissant.

Christian: là, on peut agir directement.

En plus, on peut agir en anticipation. Il y a des zones où on a compris qu’il valait mieux cartographier avant que les crises n’arrivent. Il y a eu pas mal de zones comme ça qui ont été faites en anticipation. Ça peut être de l’anticipation, même si on ne sait pas qu’une crise va arriver proche. Mais on peut avoir aussi de l’anticipation à 48 heures, parce qu’on sait qu’il y a un typhon qui va arriver sur les Philippines.

On va vite compléter la cartographie de l’infrastructure préexistante. Comme ça, on sait au moins que ça, c’est fait. On a pas à faire ça. Quand il y a eu le tremblement de terre au Népal, on a amélioré la carte du Népal d’une dimension qui était incroyable. Il y avait très peu de choses cartographiées. Et après, toutes les routes, tous les chemins étaient cartographiés en une semaine.

Walid: il y a des relations avec les Nations Unies de cette ONG qui a été créée ?

Christian: oui, eux, ils ont des relations avec les Nations Unies, la Croix-Rouge, toutes ces institutions, parce que tu as tout le domaine de l’humanitaire, qui est un monde complet. Qui est aussi parfois un peu un panier de crabe, faut en avoir conscience. Donc voilà, il y a quand même un charity business (NDLR : les pratiques de financement des œuvres caritatives) qui existe. Mais c’est eux qui sont en relation.

Mais on a aussi été sollicités, un truc assez notable, c’est Médecins Sans Frontières, il y a quelques années, qui nous contactent pour dire, voilà, on doit envoyer une équipe en Guinée, parce qu’il y a une suspicion d’Ebola là-bas, mais on n’a pas de carte, donc ils ont acheté la photo satellite haute résolution. Et ils nous ont demandé de cartographier. En quelques jours, on a cartographié une ville au plein milieu de la Guinée, où il y a quand même un million d’habitants. Ce n’est pas un petit village. Et quand ils sont arrivés sur place, il y avait des cartes et tout, alors que les autorités locales n’avaient pas de cartes. Il n’y avait pas de cartes qui existaient.

En France, on a eu une asso aussi qui s’appelle CartoNG, qui fait de la cartographie, justement, humanitaire. Là, c’est vraiment une équipe compétente, avec des compétences en géomatique, etc., qui va utiliser la donnée OpenStreetMap pour produire vraiment les cartes dont ils auront besoin sur le terrain, ou faire des analyses spatiales, etc. Par exemple, un truc, on va cartographier les bâtiments dans des zones reculées d’Afrique, parce que ça va permettre de savoir à peu près où se trouve la population, et donc quand MSF doit faire une campagne de vaccination, ils ont les routes et ils savent à peu près où sont les gens. Et donc, ils savent où il faut qu’ils se positionnent pour faire un centre de vaccination, pour toucher un maximum de population. C’est le genre de trucs qui sont faits avec des données OSM.

Les problèmes liés aux tensions politiques

Walid: dernier sujet, tu l’as abordé très rapidement et je voudrais juste qu’on dise quelques mots. C’est tous ces problèmes politiques avec ces conflits de frontières, les problèmes qu’on a pu voir aussi, dégradation des données, je pense, conflit entre la Russie et l’Ukraine, etc. C’est un sujet réel, ça. Comment c’est géré, en fait ?

Christian: pendant des années, c’était un sujet à bas bruit parce que c’était des questions du genre le nom par défaut de Jérusalem, on le met dans quelle langue ? On l’a mis en anglais. Comme ça, il n’est ni en arabe ni en hébreu, mais on a un peu botté en touche. Mais oui, la frontière, je parlais du Maroc. Pourquoi OSM Maroc avait besoin de faire leur propre fond de carte ? C’est qu’il y a le Sahara occidental qui pose problème, une dispute sur ce territoire. Et donc, le Maroc considère que ça fait partie du Maroc et tu ne peux pas montrer à un officiel au Maroc une carte où la frontière ne serait pas la bonne selon eux. Donc, il fallait absolument qu’ils aient ça.

On a des règles de gestion de ces conflits. Ils existent depuis longtemps. Quand il y a des zones en dispute officielle, on prend la position officielle de l’ONU, je crois. Par contre, on peut cartographier les différentes frontières dans OSM. Et on peut indiquer quels sont les pays qui reconnaissent chacune des frontières. Mais on a des problèmes de ce type-là, même nous en France, avec l’Italie sur le Mont-Blanc, tu sais.

Walid: ah oui ?

Christian: oui (rires).

Walid: je ne savais pas que si proche de nous, on avait ça.

Christian: eh oui, mais bon, on ne se tape pas dessus pour ça.

Walid: il y a des pays où OSM est interdit ? Justement pour ces questions de frontières ou de langues, etc. ?

Christian: je pense qu’il y a des pays où contribuer à OSM poserait problème sur place. Je ne sais pas très bien quel est le statut en Chine, mais je pense que c’est un peu chaud, parce que toutes les données géographiques chinoises sont brouillées. Les GPS ne donnent pas des coordonnées exactes, etc. Ils ont des lois assez strictes par rapport à ça. Par contre, évidemment, toutes les données dans OpenStreetMap, elles sont bien positionnées. Tu peux jeter un œil sur la Corée du Nord aussi, c’est très bien cartographié, mais pas par des Nord-Coréens. Voilà, parce que les images satellites nous permettent de faire quand même beaucoup de choses.

Et puis, il y a des particularités locales, nationales. Cartographier une zone militaire en Russie, tu vas en prison. En France aussi

Walid: je pensais que tu ne le faisais pas ou que c’était juste flouté, que ça n’apparaissait pas sur la carte.

Christian: oui, on a un traitement particulier pour toutes les cartes qu’on produit, nous, à OSM France, en France. Il y a une liste de zones interdites à la captation. Je fais simple, je simplifie. Dans la copie des bases de données qu’on utilise pour faire les cartes, tous les objets qui figurent dans ces zones-là sont éliminés, donc les cartes sont vides. Tu peux aller jeter un œil sur Brest, par exemple, c’est très visible. La rade de Brest, qui est une zone militaire, il n’y a aucun objet dedans. Par contre, si tu charges les données OpenStreetMap sur la même zone, tu verras qu’il y a plein de données. Elles ne sont pas visibles sur la carte. On ne les a pas supprimées pour ne pas créer un effet Streisand.

Le mot de la fin

Walid: oui, bien sûr. On arrive sur la fin de l’interview. Est-ce que tu as un mot de la fin ou est-ce que tu as un message à faire passer avant qu’on se quitte ?

Christian: oui, j’ai un message. Il ne faut pas que l’utiliser quand on est développeur, etc., quand on fait des sites, etc., il faut aussi l’entretenir. Tout ce qu’il y a sur les cartes qu’on voit, ce sont des contributeurs qui l’ont ajouté ou qui l’ont mis à jour. Moi, je pousse beaucoup à ce que j’appelle le jardinage, c’est-à-dire qu’il faut jardiner la base de données sans arrêt pour retirer les mauvaises herbes, retirer le bois mort, etc. C’est exactement la même chose. La donnée géographique, c’est une donnée périssable. Le terrain change sans arrêt, donc si on ne l’entretient pas, la base de données perd tout son intérêt, toute sa valeur. Donc il ne faut vraiment pas simplement consommer ce que l’on trouve, mais aussi participer d’une façon ou une autre à son entretien. Ça peut être simplement en faisant connaître OpenStreetMap et le fait qu’on a cette capacité de mettre à jour la base.

L’extension de la communauté des contributeurs, c’est le point essentiel pour nous. Ce que je dis souvent, c’est si un jour on devait faire un choix cornélien entre je supprime la base de données ou je supprime la communauté, moi c’est la base de données que je supprime. La valeur n’est pas dans la base de données, elle est dans la communauté. Parce que s’il n’y a plus de communauté, la base de données ne sera pas mise à jour et perdra tout son intérêt. Alors que si je supprime la base de données, moi je la connais la communauté, elle va la recréer.

Walid: c’est une belle transition vers la fin de l’épisode. Voilà. Écoute, c’est super parce que j’avais vraiment envie d’en savoir plus sur OSM. J’avais plein de questions auxquelles tu as répondu. Donc, merci beaucoup, Christian.

Christian: j’ajoute un truc : il y a plein de façons de contribuer. Il y a plein d’applis différentes. StreetComplete, MapComplete, l’éditeur intégré au navigateur OpenStreetMap, des outils plus lourds, etc. Il y a vraiment énormément de façons de contribuer. Et une des façons de contribuer, c’est… je replace mon produit : une des façons de contribuer, c’est en prenant des photos sur le terrain et en les partageant sur Panoramax, parce que les contributeurs OpenStreetMap vont pouvoir les utiliser comme source d’informations pour aller mettre à jour la donnée OSM. On a vraiment plein de façons de contribuer.

Conclusion

Walid: je mettrai dans la transcription de l’épisode un lien vers une de tes conférences qui parle de Panoramax. Et si ça te tente, je serai avec grand plaisir te réinviter pour parler de Panoramax. Il y a des choses à dire. C’est hyper intéressant. Il y a vraiment beaucoup de choses à dire là-dessus. Il y a des challenges quand tu commences à dire oui.

Christian: y’a des challenges quand tu commences à dire « oui il va falloir que j’héberge combien de millions ou combien de centaines de millions ou combien de milliards de photos », justement.

Walid: dans ce cas-là, on en reparlera. Et pour les auditrices et les auditeurs, sachez que il y a d’autres épisodes qui vont parler d’OSM, parce que je vais faire des épisodes sur le transport, qui est une de mes grandes passions. Et avant de faire ces épisodes, j’avais besoin qu’on présente OSM. Donc voilà, maintenant c’est chose faite. On va pouvoir faire des épisodes sur les transports et certainement d’autres choses en plus. Restez à l’écoute des prochains épisodes. Et comme d’habitude, partagez ces épisodes, faites-les connaître aux autres personnes autour de vous. Voilà ça permet de connaître le podcast et aussi les projets, même si OSM n’a pas besoin d’être connu, il est connu mondialement, voilà. Christian, merci beaucoup, à bientôt, merci du temps que tu as pris avec nous, et puis à bientôt sur le podcast.

Christian: à une prochaine ! Merci.

Cet épisode a été enregistré le 1r novembre 2024.

Licence 

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