Sommaire
- 1 Entrevue avec Manon Corneille d’Open Food Facts
- 2 Présentation de Manon Corneille
- 3 La genèse d’Open Food Facts
- 4 Les différents sous-projets de portés par l’association Open Food Facts
- 5 La structure du projet / sa forme juridique
- 6 Les sources de financement du projet
- 7 Le rapport avec le fond Next Génération Internet (NGI) et la fondation NLnet
- 8 Qu’est-ce qu’un commun numérique ?
- 9 Open Food Facts et les citoyens
- 10 L’indice Nova
- 11 Les projets ou applications qui se basent sur les données d’Open Food Facts
- 12 Comment les apps consomment et contribuent à Open Food Facts
- 13 Open Food Facts et les chercheurs
- 14 Open Food Facts et les structures étatiques françaises
- 15 Open Food Facts et les associations de consommateurs
- 16 La modération des données de la base
- 17 Le travail autour du Nutri-score
- 18 Open Food Facts et les industriels
- 19 Open Food Facts dans le monde
- 20 Open Food Facts et l’état
- 21 Est-ce un atout d’être une association française ?
- 22 Solicitations pour d’autres bases de données ?
- 23 Les relations avec l’Europe
- 24 Les défis à venir pour l’association
- 25 Le mot de la fin
- 26 Pour aller plus loin autour d’OpenFoodFacts
- 27 Licence
Entrevue avec Manon Corneille d’Open Food Facts
Walid : bienvenue sur ce nouvel épisode de Projet Libre. Aujourd’hui, on va parler d’un projet assez fascinant, je dois avouer, qui s’appelle Open Food Facts. Ce projet, j’en ai entendu parler la première fois parce que j’ai vu une conférence dans une journée de conférence Perl à Paris à la Villette en 2015. Il y avait une conférence sur Open Food Facts et je dois avouer qu’après, je n’ai pas forcément beaucoup suivi. Et j’étais très content quand Manon, qui est avec moi ce soir, m’a contacté, parce que ça m’a permis de pouvoir re-rentrer un peu dans et de pouvoir préparer, en fait, une série de deux épisodes. Dans ce premier épisode on va parler avec Manon Corneille aujourd’hui, cela va être un épisode grand public. On ne va pas parler technique.
Et un deuxième épisode derrière, lui, sera un épisode plus technique dans lequel je pourrais aborder toutes mes questions de geek. Mais l’idée de ce soir, c’est qu’on ait un épisode qu’on puisse faire écouter à des personnes qui n’ont pas de compétences techniques particulières. Donc comme je le disais aujourd’hui, je suis très content d’être avec Manon Corneille, qui travaille sur le projet Open Food Facts et qui m’a contacté.
Présentation de Manon Corneille
Walid: Manon, écoute, bienvenue sur le podcast, merci beaucoup d’être là et de prendre du temps pour parler avec nous d’Open Food Facts. Déjà, j’espère que tu vas bien.
Manon : très bien, merci beaucoup. Merci Walid pour ton accueil. On est ravis de pouvoir parler un petit peu du projet. Donc pour me présenter, je m’appelle Manon Corneille, comme tu l’as dit, je suis responsable des partenariats chez Open Food Facts depuis deux ans. Je travaille à développer les partenariats avec les fabricants alimentaires et je travaille aussi sur la partie internationalisation du projet, donc on aura l’occasion d’en reparler peut-être un peu plus tard. Voilà donc ravi d’être là ce soir et puis merci encore pour l’accueil.
Walid : alors la première chose c’est que j’aimerais que tu nous expliques c’est comment tu as découvert le logiciel libre et les communs numériques ? comment tu es tombé là dedans en fait?
Manon : alors un petit peu par hasard puisque moi du coup je n’ai pas du tout un profil technique, ce sont des sujets qui sont souvent un petit peu difficiles à appréhender quand on n’a pas de compétences techniques. Mais du coup, je me suis retrouvée, enfin je suis plutôt rentrée par la porte de l’impact environnemental et j’étais très intéressée aussi par tout ce qui est impact systémique sur l’alimentaire. Donc c’est plutôt cette porte qui m’a fait découvrir Open Food Facts et par la porte Open Food Facts, j’ai ensuite découvert le monde de l’open data, le monde du libre. Et d’ailleurs, je trouve ça fascinant.
Là, récemment, à l’automne, on est allé à un forum organisé par NGI en Belgique. Et j’ai pu rencontrer pas mal d’acteurs du libre. Et ça m’a vraiment ouvert les yeux sur cet écosystème hyper puissant. Ça permet énormément de choses. Moi, je n’étais pas forcément familière avec ce monde-là. Et ça m’a ouvert les yeux sur tout ce que permet l’open data et les valeurs que ça porte en matière de transparence, en matière d’indépendance, d’accessibilité, le fait que tout le monde puisse contribuer, partager les connaissances et construire ensemble.
Et voilà, je trouve ça super. Donc bravo d’héberger un podcast sur les projets libres parce qu’on a besoin de plus de visibilité.
Walid : tout à fait. Il y a quelque chose que tu n’as pas précisé, je crois, c’est à quelle date, quand est-ce que tu as rejoint Open Food Facts ?
Manon : j’ai rejoint Open Food Facts il y a deux ans, bientôt deux ans exactement.
Walid : d’accord.
Manon : voilà. Avant ça, j’ai travaillé pour un bureau d’études en impact environnemental pour les villes. Donc ce sont des diagnostics d’îlots de chaleur urbain. Voilà, c’est pour ça que j’ai plutôt un background impact environnemental à la base.
La genèse d’Open Food Facts
Walid : très très intéressant. Si on commence sur la première partie qui est la genèse du projet, j’aimerais bien comprendre un petit peu comment est née l’idée d’Open Food Facts ?
Manon : Bonne question. Open Food Facts est née en 2012, il y a un peu plus de dix ans maintenant. Donc cette association a été fondé par Stéphane Gigandet qui est une personne fascinante, qui mène plein de projets. Il menait à l’époque un blog qui s’appelle recettes.de, qui est toujours actif d’ailleurs, avec une communauté assez active. Sur ce blog, il liste des recettes et dans ces recettes, il était intéressé de pouvoir les enrichir avec des informations nutritionnelles aussi. Donc il a cherché une base de données sur des informations nutritionnelles, il ne l’a pas trouvé, il a décidé de la créer.
Et donc petit à petit, c’est comme ça que Open Food Facts est né. Puis au fur et à mesure, il a réussi à s’entourer de personnes qui s’intéressent au sujet de la nutrition et qui ont contribué à enrichir la base de données aussi.
Donc voilà, le projet a été un projet citoyen qui vivait avec à peu près 1000 euros de budget annuel jusqu’en 2017, si je ne dis pas de bêtises. Au fur et à mesure, sur les 4 ou 5 dernières années, le projet s’est vraiment professionnalisé et il y a pu y avoir le recrutement de salariés. Aujourd’hui, on est 8 dans l’équipe et on est entouré de plein de bénévoles. Donc c’est super enthousiasmant.
Walid : est-ce qu’il l’a créé tout seul ou est-ce qu’assez rapidement, il y a d’autres gens qui sont venus ? Est-ce que quand il a créé le projet, il a tout de suite créé la forme qui est une association ?
Manon : alors non, en fait au début il a créé le projet tout seul, il a créé la base de données tout seul. Mais l’association… 11 avril 2014. Donc oui, l’association n’a pas été créée de suite. Stéphane a commencé à mettre le pied à l’étrier dès 2012. En fait, suite à ça, il a rencontré Pierre Slamich, qui est le co-fondateur de l’association Open Food Facts. Et donc ils ont décidé de formaliser un petit peu tout ça en créant une association.
Et pour la petite histoire, l’association a été lancée le 19 mai 2014, qui est le jour de la Food Revolution Day, donc le jour de la révolution alimentaire, avec pour mission donc d’essayer de faire la transparence sur le système alimentaire.
Les différents sous-projets de portés par l’association Open Food Facts
Walid : avant qu’on rentre sur la structure du projet, pour donner un premier aperçu, qu’est-ce que le projet Open Food Facts contient comme sous-projet ? Il n’y a pas que la base de données alimentaires ?
Manon : oui tout à fait, c’est une question qui intéresse de plus en plus de monde parce qu’on commence à s’intéresser, on s’intéresse déjà depuis quelques années à l’impact environnemental à la fois des produits alimentaires mais aussi des produits de beauté, des produits du quotidien. Les consommateurs se posent de plus en plus de questions et du coup pour faire face à cette demande, Open Food Facts a plein d’idées, plein de verticales. Donc on a Open Product Facts qui est donc la base de données des produits du quotidien. On va pouvoir retrouver un canard en plastique, une assiette, un micro-ondes, tout ce qu’on peut acheter comme objet physique. On va pouvoir proposer des conseils de consommation : par exemple, on pourra stocker des notices d’utilisation de certains objets. On pourra conseiller si la personne cherche à jeter son objet ou à le donner ou à le recycler. On va essayer de guider l’utilisateur pour qu’il puisse étendre la durée de vie de ses projets. On est super enthousiastes parce qu’on va travailler en 2024 dessus. C’est un projet qui a été financé par la fondation AFNIC. On a des moyens dessus, donc on a hâte d’être à la fin de l’année pour voir ce que ça donne.
Ensuite, on a aussi l’application Open Beauty Facts, qui traite de tout ce qui est cosmétiques, produits de beauté, crèmes solaires, gel douche, etc.
Ensuite, on a très récemment, suite à l’inflation et à tout ce qui s’est passé sur la question des prix, on a un petit groupe de membres de la communauté d’Open Food Facts qui s’est réuni, qui a décidé de créer Open Prices, la première base de données ouverte sur les prix. Donc là, c’est très chronophage et c’est un chantier qui est extrêmement grand parce qu’il y a aussi énormément de magasins donc ça fait un nombre de data points qui est gigantesque. Mais en à peine en 15 jours on a déjà des données sur plus de 5000 produits donc des données de prix et là c’est uniquement pour l’alimentaire pour le moment, mais qui sait en fonction des succès d’Open Product Facts et d’Open Beauty Facts peut-être qu’on étendra ça à d’autres verticales.
La structure du projet / sa forme juridique
Walid : génial. Alors maintenant parlons un peu de la structure du projet. On l’a évoqué en introduction. Donc la structure qui porte le projet c’est une association de loi 1901.
Manon : Oui.
Walid : j’aimerais bien comprendre à l’époque pourquoi ce choix a été fait de faire une association et pas par exemple, je sais pas moi, une fondation ou une société. Qu’est-ce qui a fait que les fondateurs Stéphane et Pierre ont choisi cette forme juridique ?
Manon :
étant donné que c’était un projet citoyen participatif, un petit peu sur le modèle Wikipédia ou OpenStreetMap, ça faisait sens de choisir un statut associatif. Puis à l’époque, Stéphane et Pierre étaient très proches de Christian Quest, qui est le fondateur d’OpenStreetMap (NDLR : France). Donc ils se sont un petit peu inspirés de leur fonctionnement.
Manon Corneille
OpenStreetMap étant une association, et c’est comme ça que les choses se sont faites de manière assez naturelle, finalement.
Walid : d’accord, c’est une association française. Les salariés sont tous des salariés français ?
Manon : oui, aujourd’hui, en tout cas. On est tous basés en France, en télétravail, et on se retrouve une fois par mois à Paris. Et on commence à avoir un nouveau type de rôle, qui est le rôle d’ambassadeur. Donc on a un ambassadeur en Allemagne, une ambassadrice en Belgique et un ambassadeur en Croatie. Ils n’ont pas le statut de salarié. Tout ça, c’est des personnes qui travaillent à titre bénévole. Et après, on a à peu près 300 ou 400 bénévoles qui nous aident tous les jours pour travailler sur la qualité des données, pour développer l’application mobile, développer le site web, nous aider à traduire tous les contenus qu’on peut avoir, plein plein d’autres choses.
Les sources de financement du projet
Walid : ça marche, on va y revenir dans tous les cas, ça m’intéresse beaucoup de voir un peu comment tout ça s’organise. On a vu la structure juridique qui porte le projet, donc au départ on comprend que les premières années il n’y avait pas de salariés, qu’après il y a eu des financements, donc après il y a des salariés qui sont arrivés, maintenant qu’il y a des personnes comme toi qui sont payées par le projet. Si on parle de payer par le projet, ça amène tout de suite au chapitre suivant qui est un peu un des gros morceaux qui est le modèle économique. Ma première question c’est quelles sont vos sources de revenus en fait ? C’était une des premières questions que je me suis posé c’est waouh, vous faites plein de choses mais comment c’est financé tout ça ?
Manon : très bonne question, surtout dans les projets qui sont libres. J’ai l’impression que c’est un sujet qui revient souvent, qui est difficile à financer. Les gens sont très motivés, mais il n’y a pas forcément énormément d’argent. Donc pour nous, on est financé aujourd’hui à peu près à hauteur de 30% par des subventions qui viennent du public. On va travailler par exemple avec Santé Publique France, avec l’ADEME, et donc on va faire pour eux des projets. Ce sont des financements qui sont quand même fléchés. Par exemple, on travaille en ce moment avec Santé Publique France sur l’accompagnement du Nutri-Score, de la nouvelle version du Nutri-Score. On a un petit peu de pédagogie, on discute avec les fabricants pour faire en sorte que l’adoption soit facilitée.
Ensuite on a une autre partie qui vient d’organismes philanthropiques, donc les fondations, comme par exemple la fondation Google.org. Il y a deux trois ans on a gagné le Google Impact Challenge, avec la somme d’un million d’euros. Donc ça a permis de mettre beaucoup de beurre dans les épinards pour quelques années.
On a été aussi soutenu par la fondation Mozilla, ou des acteurs comme OVH, qui nous finance les serveurs depuis le début. On a aussi la fondation Free, qui est sur la partie infrastructure.
Donc 30% du public, 30% à peu près de fondations philanthropiques. Ensuite, il y a un autre gros tiers qui vient des projets européens.
On essaie de nouer des partenariats avec différents acteurs en Europe pour être impliqués et participer à ces projets. Et ensuite, on a aussi pas mal de donations du public. Donc on fait des campagnes de dons tous les ans pour essayer de récolter un petit peu de sous. Voilà à peu près comment ça s’organise.
Walid : ce que je comprends, c’est qu’en fait, vous avez à la fois des financements qui sont pour des thèmes précis, des financements qui sont des prix, etc. dont vous disposez comme vous voulez, un matelas de financement d’environ 10% qui est du public. Donc finalement, vous n’avez pas vraiment de problèmes à être indépendant et à vous financer.
Manon : pour l’instant, on a suffisamment de fonds pour voir venir sur les deux prochaines années, mais la difficulté, je pense, qui est présente chez beaucoup de projets libres, c’est qu’on n’a pas forcément de mal à se faire financer, mais que les projets sont toujours fléchés. Donc ça veut dire qu’il faut livrer, on a des deadlines à respecter, on a des cahiers de charges à respecter, et ça, ça met pas mal de pression sur toute l’équipe. Là pour l’année 2024, on va essayer de prioriser un petit peu la recherche de financement non fléchés, pour arriver à financer tout l’entretien du commun finalement, parce qu’on passe quand même énormément de temps à interagir avec la communauté, répondre à des contributeurs sur GitHub qui ont fait des travaux et c’est super, mais ça demande énormément d’accompagnement.
Pareil sur la partie fabricants, on en reparlera peut-être mais moi je passe presque un tiers de mon temps à répondre à des sollicitations de fabricants, à faire du support finalement. Toute la maintenance et l’entretien de ce commun qu’on crée ensemble n’est pas toujours financé à la hauteur de ce qu’on voudrait.
Walid : est-ce que vous avez aussi des financements de fabricants ou de partenaires, enfin est-ce que vous avez d’autres acteurs encore qui vous aident à financer cette base de données ?
Manon :
pour le coup on a vraiment une ligne rouge, c’est même écrit dans les statuts, on ne peut pas du tout accepter de financement de la part d’acteurs de l’agroalimentaire puisqu’on est totalement indépendant donc personne de l’industrie agroalimentaire au conseil d’administration ni dans les finances.
Manon Corneille
Le rapport avec le fond Next Génération Internet (NGI) et la fondation NLnet
Walid : on l’a évoqué tout à l’heure et ça c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et sur lequel normalement dans les mois à venir je vais pouvoir faire des épisodes. On a parlé un peu de NGI, Next Generation Internet et avec un peu son bras armé qui est la fondation néerlandaise NLNet. Je voulais savoir quel était votre rapport, est-ce que eux aussi vous ont financé ou vous financent ? Parce qu’ils financent énormément de projets libres. Et j’ai déjà eu l’occasion d’interviewer les gens de Perturbe, les gens de Castopod et encore d’autres interviews à venir aussi, de gens qui se font financer par NLnet. Alors je voulais savoir si c’était aussi votre cas.
Manon : oui, absolument. On est super content d’ailleurs que cette organisation existe et de voir aussi que les ressources chez eux vont augmenter d’année en année. C’est super de voir que l’Europe met les moyens derrière tout ça. On a commencé nos relations plutôt avec NLNet, qu’on connaissait bien, donc voilà, comme c’est des gens qui financent l’open source depuis longtemps. Donc sur ces dernières années, on a bénéficié de trois financements. Un récemment, là, via le programme NGI, donc qui va nous permettre de booster notre recherche sur Open Food Facts.
Walid : je t’interrompt une seconde. Donc NGI, Next Generation Internet, c’est un des fonds, un des programmes européens de financement du logiciel libre. Il a une nouvelle déclinaison qui s’appelle NGI Common, mais dont on parlera certainement après. Voilà, excuse-moi, c’était juste pour préciser.
Manon : oui tu fais bien, tu as raison.
Donc du coup, un projet est financé l’an dernier et qu’on va réaliser là cette année, qui est le développement de notre outil de recherche. Donc on va pouvoir chercher plus facilement dans Open Food Facts, on va pouvoir mettre plein de filtres sur le panneau à gauche. On va pouvoir avoir une recherche beaucoup plus ergonomique. Et ensuite, c’est vrai que grâce à NLNet et NGI, on a pu aussi financer deux autres projets par le passé, donc on est vraiment ravis que ce fonds existe. Et là on est aussi en train de préparer un dossier pour le mois de mars : encore un call (NDLR : appel à projets) NGI, cette fois plutôt orienté sur les collaborations Europe-US, donc on croise les doigts, mais on est vraiment ravis que ce programme existe.
Qu’est-ce qu’un commun numérique ?
Walid : je venais de l’évoquer avant, il y a un nouveau programme qui a été annoncé, qui s’appelle NGI Common et qui est un nouveau fonds d’une vingtaine de millions d’euros je crois pour financer les communs numériques. Donc ma question c’était de savoir déjà quelle était votre définition à vous d’un commun numérique, est-ce que vous estimez être un commun numérique et aussi est-ce que vous vous allez être bénéficiaire de ce fonds ?
Manon : alors est-ce qu’on est un commun numérique ? Pour moi oui, après j’avoue je suis pas forcément spécialiste absolue. Je considère que, comme le projet Open Food Facts est libre, la base de données est libre, tout le code, tous les algorithmes sont en open source. Cela bénéficie à énormément d’acteurs. Aujourd’hui, il y a un peu plus de 300 applications mobiles qui réutilisent notre base de données. Il y a plus de 3 millions de visiteurs uniques tous les mois qui regardent Open Food Facts, qui nous consultent pour leur connaissance. On a recensé depuis les dix dernières années plus de 600 articles scientifiques qui utilisent Open Food Facts. Donc dans ce sens, je considère que Open Food Facts est un commun numérique. On est sollicité très régulièrement par des étudiants qui font des doctorats, par des scientifiques, par tout plein de monde. Ils voient beaucoup de valeur dans cette base de données. Donc ma réponse est oui, mais à toi de me dire si c’est l’inverse.
Walid : écoute, j’ai l’impression que quand tu poses la question aux différents acteurs de casque commun numérique, c’est pas très simple. J’ai eu l’occasion au FOSDEM de demander aux gens de NLnet et la réponse n’était pas très évidente non plus.
Manon : oui, c’est ça.
Walid : voilà, la définition n’est pas forcément extrêmement claire. Donc on peut imaginer que dans les années à venir ou les mois à venir, vous allez bénéficier de ces fonds sur les communs numériques ?
Manon : on espère, en tout cas, on va les suivre de près. On va candidater si les astres sont alignés et qu’un projet peut faire sens.
Open Food Facts et les citoyens
Walid : sur ce sujet financement, je pense qu’on a fait pas mal le tour.
Je voulais qu’on parle d’un autre de mes sujets favoris sur le podcast, c’est les communautés. Et donc, je voudrais qu’on parle des communautés autour de Open Food Facts. J’ai vu un certain nombre, j’allais dire, de personas indifférents et le premier c’est le citoyen. Je voulais savoir comment les citoyens s’approprient la plateforme, qu’est-ce qu’ils ont à leur disposition ? Est-ce que tu peux nous expliquer comment le citoyen interagit avec Open Food Facts et de quelle manière ?
Manon : Avec plaisir. Alors du coup, nous on a le cas un petit peu classique, le plus courant de l’utilisation d’Open Food Facts par un citoyen. C’est le consommateur qui va se promener dans son supermarché et il se pose des questions sur les produits. Donc à ce stade, il va pouvoir utiliser notre application mobile que vous pouvez télécharger sur Android, Apple Store, plein d’autres d’ailleurs. Et donc il va scanner le code barre du produit alimentaire et à partir de là, sur l’application, il va voir toutes les informations liées au produit. Donc les informations certaines sont déjà affichées sur le produit comme la liste des ingrédients, les tableaux nutritionnels, mais il va pouvoir les voir de manière digitalisée, ce qui va aussi lui permettre de comparer plusieurs produits ensemble de manière rapide et facile, ce qui est un peu plus difficile de faire en vrai. Donc on a cette app qui est l’interaction majoritaire.
Ensuite on a aussi le site web. Là, c’est plutôt une utilisation à la maison. Si je vais me poser des questions sur quels sont les céréales qui seraient les plus adaptées à mon alimentation, je peux entrer mes préférences alimentaires dans Open Food Facts. Donc j’explique que pour moi, le sel c’est très important, le sucre c’est très important, il ne me faut absolument pas de sucre dans mon régime alimentaire. Et suite à ça, je vais pouvoir faire des recherches par catégories et voir les produits qui sont les plus adaptés à mon régime, puisque du coup, on calcule aussi un score Open Food Facts, qui est le score de correspondance avec mon régime alimentaire. Donc on va avoir des pourcentages de match. Cela permet de faire des recherches aussi hors supermarché.
Les infos qui intéressent le plus les consommateurs aujourd’hui, vont être tout ce qui tourne autour des informations nutritionnelles : s’ils ont des régimes spécifiques. De plus en plus, on voit le cas que les gens s’intéressent à l’impact environnemental, donc au calcul des écoscores.
Et aussi, on entend pas mal parler de l’ultra-transformation, des additifs, des émulsifiants. Et donc là c’est plutôt l’indice Nova qui va intéressé le consommateur.
L’indice Nova
Walid : c’est quoi l’indice Nova ? Parce qu’on va parler un peu du Nutri-score après, mais l’indice Nova, je ne connais pas trop.
Manon. : alors c’est le groupe Nova, plus exactement. C’est un indice qui va de 1 à 4. Donc Nova 1, ce sont des produits bruts, pas transformés du tout. Si on prend l’exemple d’une pomme, ça va être une pomme.
Nova 2, ça va être par exemple une compote de pommes, donc un peu plus transformé, soit par le process de fabrication, soit par l’ajout d’ingrédients supplémentaires.
Nova 3, c’est encore un petit peu plus transformé. Et Nova 4, encore plus : par exemple, dans notre cas de la pomme, ça pourrait être des bonbons à la pomme, où il y a plein d’additifs, de conservateurs, etc.
Walid : tout à l’heure, on a parlé du fait qu’Open Food Facts a été un peu inspiré par OpenStreetMap. Je me demandais s’il y avait des groupes d’utilisateurs qui font un peu comme sur Open Street Map et qui vont à un endroit et qui cartographient. Je me demandais s’il y avait des groupes de citoyens qui vont bénévolement cartographier un certain nombre de produits etc sans forcément aller faire leur course ?
Manon : ouais carrément ça arrive alors on n’est pas au courant de tout ce qui se passe, mais c’est ce qu’on appelle des « scans parties« . Donc nous on en organise régulièrement avec la communauté parisienne, mais ouais ouais ça se fait. On se retrouve à plusieurs et on scanne et on entre de la donnée tous ensemble. Mais c’est vrai que c’est beaucoup plus sympa de le faire à plusieurs.
Il y a pas mal de chercheurs qui organisent ça d’eux-mêmes aussi, parce qu’eux sont particulièrement motivés d’avoir la donnée et d’enrichir la base. Donc ils s’entourent de leurs copains chercheurs ou pas d’ailleurs, et ils font des scan parties.
Walid : la question suivante c’est il y a combien d’articles dans la base par exemple Open FoodFact, et la part des informations rentrées par les citoyens elle représente combien ? Est-ce que ça c’est chiffré ?
Manon : aujourd’hui donc on a un peu plus de 3 millions de produits sur la base. La contribution citoyenne ça représente à peu près 80%. C’est quand même énorme. Et donc les 20% restants, ça va être soit des données qu’on va récupérer par le biais de partenariats gagnants-gagnants qu’on fait avec les applications mobiles réutilisatrices. Donc elles se nourrissent de la base Open Food Facts, mais en retour, elles nous renvoient des données fraîches, mises à jour par leurs utilisateurs.
Et on travaille aussi avec les fabricants qui nous envoient par divers moyens leurs données.
Walid : c’est énorme 80%!
Manon : sans les citoyens, le projet n’existerait pas, c’est clair et net. Ils nous aident aussi beaucoup pour tout ce qui est correction de la donnée, non seulement ils entrent, mais en plus toutes les mises à jour, c’est un travail de fourmi qui est précieux.
Walid : je pense aussi que parce qu’on touche à la nourriture, qui est quand même quelque chose d’assez fondamental. Je ne sais pas est-ce que sur la cosmétique ou est-ce que sur d’autres bases, le taux est identique ? Ou est-ce que la nourriture c’est quand même quelque chose qui intéresse vraiment tout le monde.
Manon : je suis assez d’accord sur ce point. C’est vrai qu’on mange tous les jours. Sur un an, on a 1000 repas. C’est un chiffre qu’on aime bien mettre en avant.
Donc 1000 opportunités de prendre des meilleures décisions. Mais c’est vrai que le sujet food (NDLR : nourriture), ça touche énormément. Et voilà, le fait que chacun, individuellement, on a tous des spécificités, des besoins particuliers, des régimes spécifiques, des intolérances au gluten. Il y a beaucoup de profils. Les femmes enceintes, par exemple, les gens qui mangent halal, les gens qui ont des allergies. C’est vrai que la nourriture, c’est un sujet qui parle énormément et qui rassemble, c’est sûr.
Les projets ou applications qui se basent sur les données d’Open Food Facts
Walid : le deuxième type d’acteurs, c’est les projets et les applications qui réutilisent vos données. Donc la première chose que je me demandais, c’était quels sont les types d’acteurs hors citoyens qui interagissent en fait avec la base de données d’Open FoodFact ?
Manon : on en parlait un petit peu tout à l’heure du coup. Donc il y a ces fameuses applications applications réutilisatrices, comme on les appelle. Donc en fait, ce sont des applications mobiles qui sont développées par des gens comme vous et moi, qui commencent leur projet, une start-up. Et donc, pour faire tourner leur projet, ils ont besoin d’une base de données sur les produits alimentaires. Donc là, il y a toutes sortes d’applis, des applications pour traquer les calories, par exemple, donc plutôt orientées minceur, des applications pour les femmes enceintes, dont on parlait tout à l’heure, ou pour les personnes qui mangent halal, des applications plutôt tournées fitness, pour des publics sportifs, des applications de toutes sortes.
Parmi les plus connues, il y a par exemple ScanUp, Foodvisor, Y’a quoi dedans? qui est l’application de SystemeU, My Health.
Peu de gens le savent aussi, c’est vrai que j’ai oublié de le rappeler, mais par exemple Yuka, qui fait partie des applications les plus connues, s’est lancée grâce à Open Food Facts il y a quelques années maintenant.
Nous on est ravis de voir tous ces projets voir le jour. On ne les voit pas du tout comme de la concurrence, parce que c’est souvent la réflexion qu’on nous fait, c’est est-ce que ça ne vous embête pas de voir tous ces nouveaux projets qui sont peut-être parfois plus connus que vous ?
Pas du tout.
Nous, notre mission, c’est que toutes ces informations alimentaires soient accessibles à un plus grand nombre de personnes. En fait, on considère que ces applications mobiles, ce sont des multiplicateurs d’impact plutôt que des compétiteurs.
Walid : donc ces applications, elles, elles ont accès à toute la base finalement ?
Manon : oui, tout à fait. Elles ont accès à toute la base et elles peuvent accéder aussi via notre API
Walid : qui permet d’interagir à distance avec la base de données
Manon : tout à fait.
Walid : si je fais ma propre application, qu’est-ce que je dois respecter pour pouvoir utiliser les données d’OpenFootFact ?
Manon :
Alors, c’est difficile pour nous malheureusement d’arriver à suivre tous les projets qui réutilisent OpenFootFact, mais dans le meilleur des mondes, la règle en tout cas, c’est de respecter la licence ODBL, qui veut dire Open Database License, qui stipule plusieurs règles, notamment le fait d’attribuer la source de la donnée.
Manon Corneille
Donc ça veut dire que dans toutes les pages où des données d’Open Food Facts sont mentionnées, ils doivent faire apparaître la mention Open Food Facts, éventuellement notre logo, un lien vers notre site. Ensuite, la deuxième obligation, c’est qu’ils doivent partager la donnée telle qu’elle est, donc brute, sans l’avoir retouché ou altéré. Donc ça, ça arrive souvent, des personnes téléchargent toute la base de données Open Food Facts et font du nettoyage de données et ensuite republient. Donc là, ça, ça n’a pas ce problème. Ce n’est pas compliant (NDLR : conforme) avec la licence ODBL. Et ensuite, il y a aussi une dernière règle, qui est qu’elles ne peuvent pas mélanger une base de données ouverte avec une base de données qui ne serait pas sous la même licence. On dit souvent que la licence au ODBL est contagieuse. Si on mélange ces deux bases, cela voudra dire que tout doit être publié sous licence ouverte. Voilà, ce qui est à respecter. Après, on essaie de faire la chasse un petit peu et de faire des rappels à l’ordre quand on voit des applications qui ne respectent pas. Mais ça reste un gros travail.
Walid : je suppose que c’est assez chronophage parce que déjà il faut détecter ensuite après il faut prendre contact suivre…
Manon : ça va sans dire mais je pense que tu te doutes bien que ces projets là ne sont pas financés, donc c’est de l’entretien du commun pur et dur pour le coup et du respect des contraintes.
Comment les apps consomment et contribuent à Open Food Facts
Walid : si moi je suis une application qui utilise vos données est ce que je peux enrichir la donnée ? Qu’est-ce que je peux enrichir comme données ? On ne le fait pas comme ça, il faut quand même je suppose discuter avec vous. Comment ça se passe en fait si moi j’ai une application où je veux enrichir vos données ?
Manon : oui, il y a une prise de contact en effet. Donc on a cet échange avec une vingtaine d’applications aujourd’hui. Donc on met en place des échanges, des transferts de données. Cela reste un peu technique et comme tu peux le voir, ce n’est pas moi qui m’en occupe. Donc je n’ai pas énormément de détails techniques, mais peut-être qu’Alex (NDRL : Garel) pourra vous en donner dans le prochain épisode.
Mais voilà, donc du coup, c’est un accord où l’application s’engage à envoyer des données en retour. Et c’est sur tout type de champ. Donc toutes les informations qu’on peut avoir sur la fiche produit OpenFoodFacts, les réutilisateurs peuvent ou pas nous envoyer des données, ou pas d’ailleurs.
C’est eux qui décident le volume et le type de données qu’ils veulent nous renvoyer. Nous, on prend tout, dans tous les cas.
Walid : cela ne pose pas des problèmes de modération ?
Manon : alors, on considère la donnée qui vient d’une application réutilisatrice au même titre qu’une donnée qui viendrait d’un consommateur. Donc, on considère que la donnée la plus récente prime. Mais c’est intéressant que tu soulignes ça parce que, par exemple, les fabricants, eux, ont une espèce de bouclier qui fait que leur donnée est considérée plus légitime que de la donnée qui vient d’une application mobile ou d’un consommateur. Et elle va être protégée pendant un certain temps. Mais du coup, ce n’est pas le cas forcément pour les applications mobiles.
Open Food Facts et les chercheurs
Walid : je voulais en reparler après, parce que j’ai regardé une de vos conférences destinée aux professionnels et c’est un des trucs que j’avais repéré, que j’avais trouvé très intéressant : ce sont les outils qui étaient mis à leur disposition. Mais on va en parler après.
Pour finir sur cette partie-là, on a parlé des applications qui utilisent vos données, mais à part les applications, quels autres organismes utilisent vos données ?
Manon : on en a parlé un petit peu, il y a toute la communauté de scientifiques, que ce soit sur des sujets nutrition, santé. Là par exemple, il y a pas mal de débats autour des additifs, des émulsifiants, etc. Il y a un papier qui a été publié par Mathilde Touvier de l’EREN, qui fait le lien entre ces additifs et leur impact sur la santé, notamment sur les formes de cancer. Donc voilà, un cas qui est particulièrement intéressant que l’EREN est en train de mener.
Walid : tu peux expliquer ce que c’est que l’EREN ?
Manon : donc l’EREN est l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle. C’est vrai, excuse-moi pour le raccourci. Mais du coup, qui est dirigée par Mathilde Touvier, qui est la directrice. Elle passe à la télé de temps en temps, elle a un petit peu pignon sur rue sur tous ces sujets-là.
Ils ont lancé, il y a quelques années, une cohorte. En fait ils sont en train de suivre, je sais pas le nombre mais je crois que c’est autour de 1000 personnes, ils suivent leur état de santé et ils suivent tout ce qu’ils mangent depuis un peu plus de 10 ans. Et donc l’idée, c’est quelque chose qui a jamais été fait jusqu’à présent, c’est la cohorte qui s’appelle NutriNet santé, si vous voulez aller voir, et donc ils suivent tout ce que les gens mangent et leur impact sur leur santé. Et ils utilisent régulièrement la base de données Open Food Facts pour aller chercher des informations sur les tableaux nutritionnels, les ingrédients de ce que les personnes mangent dans le cadre de l’étude en tout cas.
Walid : donc ça c’est scientifique, chercheur en gros?
Manon : voilà c’est ça. On a aussi parmi les cas un petit peu dans le spotlight, il y a ce qui a été fait pendant la création du Nutri-Score. Donc l’équipe de recherche qui a travaillé sur le Nutri-Score en 2016 s’est servi d’Open Food Facts pour challenger la formule du Nutri-Score qu’ils avaient réalisée et donc vérifier qu’il n’y ait pas 95% des produits qui sortent en Nutri-Score D. Donc vérifier que leurs leur formule permettait d’avoir des résultats un petit peu homogènes et qui permettent vraiment de faire la différence au sein d’une catégorie de produits, de voir un petit peu les différents scores.
Open Food Facts et les structures étatiques françaises
Manon : voilà, ça c’est pour la partie scientifique. Après, il y a pas mal des agences de l’État qui réutilisent nos données. L’an dernier, on a fait un gros projet avec l’ADEME qui a consisté à collecter des données sur les matériaux d’emballage, donc les données d’emballage des produits alimentaires. Grâce à eux, on a réussi à collecter des données sur plus de 12 000 produits. Cette nouvelle base de données, qui est unique en son genre, l’ADEME a pu s’appuyer sur les données qu’on a récoltées sur les emballages pour affiner leur indice d’impact environnemental.
Donc là, c’est encore un autre sujet, mais du coup, l’ADEME en ce moment est en train de travailler sur le futur éco-score officiel français qui va permettre de calculer l’impact environnemental des produits alimentaires. Et parmi les composantes de cet indice d’impact environnemental, il y aura un zoom sur l’impact de l’emballage. Et donc ils ont travaillé avec les données qu’on a pu récolter pour affiner un petit peu leurs critères.
Manon Corneille
Open Food Facts et les associations de consommateurs
Walid : est-ce qu’il y a encore d’autres acteurs ?
Manon : alors oui, après c’est vrai qu’Open Food Facts, au final, on est au milieu de tout cet écosystème. On discute pas mal avec les associations de consommateurs aussi, que ce soit l’UFC QueChoisir, récemment on travaille pas mal avec, on discute pas mal avec FoodWatch aussi, donc là ça va être un peu plus sur la défense du consommateur et là en particulier c’est aussi sur l’inflation, tous les sujets liés à la shrinkflation (NDLR: réduflation) aussi. La shrinkflation c’est le fait que les fabricants mettent moins de quantité de produits dans les emballages ou alors ils ont dégradé la qualité des produits pour économiser de l’argent et maximiser les marges. Donc Foodwatch suit ça de près et donc s’épaule de la base Open Prices pour mener l’enquête et essayer de défendre les consommateurs du mieux possible.
La modération des données de la base
Walid : je pense qu’on a fait pas mal le tour sur les différents acteurs. J’avais des questions qui concernaient la modération de la base en fait. Parce que là on a énormément de données, ces données elles sont rentrées par des acteurs qui sont différents. Je me posais la question et c’est le cas pour Wikipédia ou pour plein d’autres, de la modération de ces données. Qui fait la modération ? Qui regarde les erreurs ? Qui vérifie ? Qu’est-ce que vous avez mis en place au fil des années pour ça ?
Manon : Question qui revient souvent aussi. On a plusieurs leviers : le premier, ça va être la communauté. C’est vraiment le cœur du projet. Tout repose sur la communauté, on ne le dit pas assez souvent. Mais du coup, on a une équipe d’une cinquantaine de personnes dans notre équipe Data Quality, donc c’est une équipe qui est dédiée à la qualité des données, qui tous les jours vont aller corriger des fiches, faire la comparaison entre les photos et les données entrées textuellement, donc voilà, mettre à jour des produits, les rentrer, les corriger.
Un deuxième levier qu’on a et sur lequel on travaille assez intensément depuis quelques années, enfin depuis les deux dernières années, c’est tout ce qui va être lié au machine learning et à l’intelligence artificielle. Donc on a développé des outils qui nous permettent de détecter des erreurs automatiquement, avec aussi des outils qui permettent de lire les informations qui sont présentes sur les photos, OCR exactement, et de les comparer aux valeurs textes. Donc ça c’est des outils qui viennent en complément et qui sont super utiles à la communauté pour aller ensuite faire les corrections.
Après un troisième levier qu’on a, ça va être notre plateforme pro. Donc en 2019, ça fait cinq ans maintenant, on a développé une plateforme dédiée aux professionnels pour leur permettre d’importer des données en masse dans OpenFoodFacts, chose qui n’est pas du tout possible sur la plateforme publique et qui leur permet d’autres choses d’ailleurs, peut-être qu’on en parlera tout à l’heure. Mais du coup, cette plateforme pro permet de fiabiliser la donnée puisqu’on a une contribution qui vient des professionnels qui sont à la source de la donnée. Donc en général, les données sont plutôt propres. Et ensuite, en plus de ça, on a mis en place pas mal de ce qu’on appelle des data quality check, donc des points de vérification de données.
Donc voilà, vérifier par exemple sur un tableau nutritionnel les informations sont indiquées pour 100 grammes. Et donc si je fais la somme de la quantité de tous les nutriments pour 100 grammes et que ce chiffre est supérieur à 100, alors c’est qu’il y a un souci. Et donc ce genre de test logique, on en a un peu plus de 180 aujourd’hui. Et ça permet vraiment de pouvoir faire ressortir les erreurs et de les corriger ensuite. Donc on a tous ces outils-là qui existent aujourd’hui. Mais il ne faut pas oublier que sur 3 millions de produits, on ne peut pas être parfait.
La modération, ça reste un gros challenge. Ça ne sera jamais exhaustif, mais on continue de faire notre maximum.
Le travail autour du Nutri-score
Walid : c’est finalement les mêmes problématiques de modération qu’un peu partout de modération de données mais c’est intéressant de voir ce que vous avez mis en place.
Un des petits apartés que je voulais faire, c’était ce que je trouve que c’est on en a un peu parlé mais je voulais voir si tu avais des choses en plus à rajouter, c’était sur le Nutri-Score, parce que je pense que c’est une des choses les plus visibles, en tout cas moi qui ne connais pas très bien d’Open Food Facts, c’était revenir un tout petit peu sur le travail du Nutri-Score. Ce travail-là, etc. Est-ce que ce travail vous a mis en valeur ?
Manon : oui, carrément. Surtout que le Nutri-Score aujourd’hui est calculé dans 8 pays européens en dehors de la France, donc c’est vrai que ça nous a permis de rayonner encore plus. Du coup, ce que j’aurais à rajouter éventuellement, c’est l’effort qu’on a fait et l’impact qu’on a eu sur la démocratisation du Nutri-Score parce que c’est vrai qu’il y a eu une première collaboration sur la partie challenge de la formule sur la base de données.
Walid : c’était en quelle année les premiers travaux ?
Manon : donc ça c’était en 2016. Ça va faire bientôt dix ans, ça passe. Et donc suite à ça, en fait, nous on a intégré la formule du Nutri-Score dans Open Food Facts, ce qui fait que les fabricants le veuillent ou non, nous on calcule le Nutri-Score et qu’il soit visible ou non sur le paquet, on le rendait accessible aux consommateurs au travers de notre application et de notre site web. On est convaincu que ça a eu un impact sur la démocratisation puisque notre application était déjà pas mal utilisée et ça a permis aux utilisateurs de se familiariser avec l’indice et de l’approprier petit à petit.
Walid : est-ce que vous avez vu des apports directs depuis ce travail de Nutri-Score ?
Manon : alors on est conscient qu’il y en a, je n’ai pas les chiffres, mais il y a une certaine partie de la communauté, enfin des utilisateurs en tout cas, qui utilisent OpenFoodFacts uniquement pour le calcul du Nutri-Score. Donc c’est certain que c’est sûr que ça joue dans le développement d’OpenFoodFacts. D’ailleurs il y a souvent la confusion que OpenFoodFacts a créé le Nutri-Score, ce qui n’est pas le cas, et je tiens à le préciser. On a été plus vecteur de démocratisation, mais on n’est pas à l’origine du Nutri-Score.
Mais on en est très fiers et ça nous est utile pour le développement d’Open Food Facts, c’est certain.
Open Food Facts et les industriels
Walid : le prochain gros morceau, c’est ce que j’ai appelé Open Food Facts et son environnement, et le premier c’est l’industrie. Ce qui m’intéresse vraiment beaucoup, c’est de comprendre quel est l’intérêt des industries à la travailler avec vous. En 2012, la base se crée, en 2014, il y a l’association. Au départ, vous étiez globalement inconnus. Qu’est-ce qui fait que l’industrie a travaillé avec vous, en fait ? Quel est son intérêt ?
Manon : en fait, au début, c’est né dans notre intérêt, puisque nous, on était intéressés par leurs données. Et donc, pour arriver à les convaincre, on a dû développer un outil qui leur soit suffisamment utile pour qu’ils n’aient pas à se poser la question de rejoindre ou pas Open Food Facts. En fait, étant donné qu’il y avait déjà pas mal de données présentes sur les produits alimentaires, donc des données qui ont été entrées par les consommateurs, l’intérêt pour le fabricant, c’est déjà de corriger cette donnée qui est déjà existante, parce qu’en général ça ne leur plaît pas trop aux fabricants quand ils voient que leur produit a été pris en photo par un consommateur avec une luminosité certainement pas idéale, avec la photo de la main qui tient le produit.
Donc tout ça, ce n’est pas vraiment marketing. Donc la motivation première, ça va être de corriger la donnée et d’ajouter des photos qui soient propres.
Un autre levier, et encore ça reste un petit peu minime, mais c’est le fait de mettre en valeur cette démarche de transparence. La RSE (NDLR : responsabilité sociale des entreprises) compte de plus en plus, les marques aiment bien mettre en valeur quand elles font des choses pour la planète, pour le bien, pour la société. Donc il y a certaines entreprises qui surfent un petit peu sur ça. En général, c’est assez facile de convaincre les fabricants, étant donné que c’est gratuit de rejoindre la plateforme. Ça leur permet, eux, de se mettre à jour et de s’assurer qu’ils ont des données propres. Et puis c’est une démarche qui est pour le bien commun. Donc en général, ils mettent les ressources et ils contribuent.
Walid : si je suis professionnel, en plus de corriger mes données, qu’est-ce que ça m’apporte de plus ?
Manon : oui, donc bonne question. On a cet outil qui permet d’importer des données en masse, donc les fabricants peuvent importer un fichier Excel par exemple, avec toutes les données en colonne dans un fichier brut. Mais au-delà de ça, on a des outils qui permettent aux fabricants d’avoir des opportunités de reformulation de leurs produits. Par exemple, nous on va leur pousser des conseils pour améliorer leur Nutri-Score. Donc on va arriver à identifier en analysant la liste des ingrédients et les tableaux nutritionnels, on va leur pousser tous les produits pour lesquels, en faisant un ajustement minime sur la quantité de sel, de gras, de sucre, tous ces produits pour lesquels un ajustement minime va permettre de changer de Nutri-Score. Donc passer de la Nutri-Score B à la Nutri-Score A. Et donc ça c’est une analyse pour laquelle ils sont souvent friands.
Walid : la question que je me pose là-dessus c’est, est-ce que ça sert à des gros industriels ? Parce que moi j’imaginais, comme ça à brûle pour point, que ça sert à des petits fabricants potentiellement. Mais est-ce que ça sert aussi à des gros fabricants ?
Manon : ah oui, oui, oui! Ça sert à des gros aussi, ouais ouais. Après en général ils ont des outils de leur côté aussi qui sont certainement poussés, mais j’ai des exemples où vraiment des fabricants de toutes tailles peuvent utiliser ces outils. Et on a aussi un outil qui leur permet de comparer les qualités nutritionnelles de leurs produits par rapport à tous les autres produits qu’on a en base, donc les produits de même catégorie.
Par exemple, si j’ai des cookies au chocolat dans mon portefeuille produits. Nous, on va comparer mon cookie au chocolat avec tous les cookies au chocolat d’Open Food Facts. Et je vais être capable de dire, Manon, ton cookie, là, il est 15% plus sucré que la moyenne des cookies sur Open Food Facts.
Manon Corneille
Walid : d’accord. C’est assez intéressant. En faisant des recherches, j’ai été tombé sur une plateforme, mais qui a priori a l’air de ne plus forcément exister, qui s’appelait Numalim. Et en fait, la question que je me posais, c’était est-ce que vous avez des concurrents ? J’ai l’impression que Open Food Facts c’est imparable. C’est-à-dire que c’est une association qui n’a aucun parti pris. Être concurrent avec Open Food Facts, ça semble compliqué quand même.
Manon : À vrai dire non. Moi je n’ai jamais rencontré en tout cas de projet similaire, soit une association et qui soit collaboratif, où les consommateurs peuvent participer et enrichir. On n’en a pas vu d’autres, non.
Après, on a rencontré un type d’acteur, mais là, du coup, c’est des acteurs privés. Il y a par exemple NIQ Brandbank. Je ne sais pas si tu as entendu parler, peut-être pas, parce que c’est un peu niche. Mais en gros, c’est un acteur dont le métier, en fait, c’est de digitaliser l’information des produits alimentaires. Donc, les fabricants vont leur envoyer les produits et après eux ils ont un process très professionnalisé qui consiste à faire de très jolies photos du produit, entrer toutes les informations produits, des descriptions marketing aussi.
Donc eux leur métier c’est de mettre en valeur les produits de leurs clients et donc ils ont un peu pignon sur eux parce que ça fait longtemps qu’ils existent. Donc ils ont aussi une grosse base de données qui vendent très cher et en fait on ne peut même pas les considérer comme concurrents, étant donné qu’on n’apporte pas du tout la même valeur au monde. Entre guillemets, eux, ils sont très tournés clients. Ce qu’ils font, c’est de la haute qualité de données, mais ce n’est pas le même prix.
Open Food Facts dans le monde
Walid : la question que je me pose, parce qu’on ne l’a pas trop abordé, c’est dans combien de pays vous avez des données ? Dans combien de pays ? Parce que là, on a beaucoup parlé de la France, un peu de l’Europe, mais dans combien de pays ?
Manon : aujourd’hui, on est présent dans près de 200 pays, donc presque tous les pays. On va dire qu’on a un début de base de données dans près de 200 pays. Après, si on prend le nombre de pays dans lesquels on a plus de 50 000 produits, je pense qu’on doit être autour de 30 pays. Donc on est principalement en Europe, aux US, Amérique du Sud un petit peu aussi.
Walid : c’est quand même fou.
Manon : mais on est toujours surpris, c’est assez incroyable. Des fois on reçoit des mails de personnes au Venezuela qui nous expliquent qu’ils ont voulu rentrer des données mais qu’ils sont bloqués, ils ont un bug. Ils ont envie de contribuer et on est toujours épaté par la portée du projet, c’est assez impressionnant.
Open Food Facts et l’état
Walid : génial, je reprends mon le fil. Le deuxième acteur dans l’environnement d’Open Food Facts, c’est l’État. Au départ, comment l’État vous a regardé et maintenant comment vous collaborez avec lui ?
Manon : je n’ai pas tout l’historique, ça ne fait deux ans que je suis là, mais je sais en tout cas et je constate qu’on est vu de plus en plus comme un acteur crédible et presque incontournable en fait, parce qu’on nous sollicite de plus en plus sur des projets européens. On a noué des relations assez solides avec Santé Public France qui nous soutient depuis cinq ans maintenant, avec qui on travaille notamment sur l’évolution du Nutri-Score, l’ADEME avec qui on a travaillé l’an dernier. On échange aussi pas mal avec la Direction Générale de la Santé, le Ministère de l’Agriculture. On sent que tous ces organismes d’État font de plus en plus confiance, j’espère à juste titre. On l’a prouvé avec le nombre de produits qu’on a pu mettre en base et toute la communauté qu’on comporte aujourd’hui. Mais on sent qu’ils reconnaissent de plus en plus l’utilité de la base de données d’Open Food Facts et en particulier les outils du commun numérique.
On en parlait un petit peu tout à l’heure. Mais je pense qu’il y a une vraie prise de conscience à leur niveau. C’est chouette qu’ils communiquent aussi sur le fait qu’ils utilisent ce genre d’outils. Ouais, c’est top. Mais c’est vrai que c’est quelque chose qui s’est fait vraiment au fil des années et qui s’est pas fait en un claquement de doigts.
Est-ce un atout d’être une association française ?
Walid : est-ce que le fait que ça soit une association française joue d’une manière ou d’une autre ? Peut-être que si ça avait été fait ailleurs, ça n’aurait pas été la même forme juridique et ça n’aurait pas été forcément la même indépendance, je sais pas. Est-ce que le fait que ça soit en France joue, alors déjà certainement avec les relations avec l’État, je suppose, mais est-ce que ça apporte des choses supplémentaires ?
C’est une question que je me pose en en parlant avec toi.
Manon : oui, alors c’est vrai qu’à l’échelle européenne, je pense que Open Food Facts était finalement très bien placé en étant en France parce que déjà sur la question de l’alimentaire, les Français sont plus impliqués que la moyenne, il me semble en tout cas.
Sur les sujets alimentaires, les Français cuisinent beaucoup, s’intéressent à leur santé, plus que par exemple un public britannique où ils mangent beaucoup de produits ultra transformés et il y a un peu moins de débats autour des scores, etc. C’est aussi le pays qui a vu naître le Nutri-Score, donc forcément je pense que ça joue. Et là un peu plus récemment, sur la question d’impact environnemental, la France est vraiment un pays qui est leader en Europe sur tous ces sujets. Donc c’est sûr que je pense que c’est un terrain fertile pour pouvoir développer cette initiative. On est ravis d’avoir eu la main tendue de tous ces acteurs de l’État et on espère répliquer du coup ce succès dans les autres pays. On est en discussion avec certains ministères de la Santé en Espagne, en Allemagne, en Irlande. On espère justement répliquer un petit peu ça et pouvoir leur apporter la valeur qu’on apporte à Santé Public France et s’implanter là-bas aussi.
Solicitations pour d’autres bases de données ?
Walid : vous avez des sollicitations pour faire des bases de données hors de la nourriture ?
Manon : c’est un petit peu ce qui s’est passé avec le projet sur les emballages de produits alimentaires avec l’ADEME, c’est venu d’eux. Sinon pas plus que ça, mis à part le cas d’Open Product Facts, qui est un sujet dans l’air du temps et qui a été financé par la fondation AFNIC.
Et sinon, les choses se sont faites assez naturellement pour Open Beauty Facts. Et j’ai oublié, on a aussi Open Pet Food Facts pour l’alimentation animale.
Les relations avec l’Europe
Walid : ma dernière question sur ce sujet là, c’est les relations avec l’Europe. Vos relations en Europe, on vient d’en parler un peu. Avec qui vous étiez en relation ? Quelles étaient les réactions des autres pays par rapport à Open Food Facts ?
Manon : en fait, tous les pays ne réagissent pas du tout de la même manière sur des sujets sur l’alimentation. Par exemple, en Angleterre, on parle beaucoup de tout ce qui est ultra-transformation en ce moment et les consommateurs s’intéressent beaucoup à ça. En Italie, par exemple, ils freinent des quatre fers par rapport au Nutri-Score. Donc dès qu’ils comprennent qu’on travaille avec le Nutri-Score, en général la discussion est compliquée. Parce que le Nutri-Score, pour la petite histoire, ça ne met pas en valeur tous leurs produits locaux, comme l’huile d’olive, le jambon, le fromage, etc. Donc l’Italie a une relation un petit peu difficile avec cet indice. Mais du coup, nos relations, on discute avec plein d’acteurs, on essaie de répliquer un petit peu ce qui a fait le succès d’Open Food Fact en France. On s’adresse aux ministères, aux chercheurs, aux fabricants aussi. On essaie de faire le plus de salons possible pour rencontrer les fabricants.
On était en Italie l’an dernier, en Allemagne aussi. La difficulté, c’est d’arriver à avoir une taille de base de données suffisamment grande pour être crédible, à la fois auprès des consommateurs qui vont trouver les informations qu’ils veulent, parce que si on n’a pas beaucoup de produits, les gens ne vont pas utiliser l’application. Si on n’a pas beaucoup d’utilisateurs, les fabricants ne vont pas vouloir envoyer leurs données. Donc il y a en fait cette question du seuil de produits suffisants à atteindre pour faire en sorte que Open Food Facts décolle dans les autres pays. Pour le développement en tout cas international, on parle à tous les acteurs possibles, donc les fabricants, les chercheurs, les ministères, les consommateurs, les applications réutilisatrices aussi. Pour l’instant, la priorité en tout cas sur cette année, c’est plutôt sur les pays Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni, donc les produits voisins, où là on a le plus de facilité à échanger. Mais Paris ne s’est pas fait un autre jour. Et Open Food Facts de tous les pays ne se fera pas un autre jour non plus. On compte aussi sur le développement du rôle d’ambassadeur pour avoir des acteurs locaux qui puissent engager la communauté et développer le projet comme ça.
Les défis à venir pour l’association
Walid : on va passer à la dernière partie qui fait un peu la conclusion. On va parler un peu des défis à venir. Alors, j’avais noté des défis techniques, mais on en parlera dans l’épisode 2. Je voulais savoir quels étaient les défis de relation en termes organisationnels, etc. ?
Manon : un défi qui est non technique, ça va être l’engagement de la communauté, arriver à structurer l’effort de tous ces bénévoles qui ont envie de s’impliquer dans le projet. On a essayé de faire des travaux sur l’organisation par équipe. Il y a l’équipe communication, l’équipe partenariat, donc avec des profils plutôt qui ont envie de rencontrer des gens par des relances e-mail, etc.
D’équipes financement, une équipe data quality (NDLR : qualité des données) et des équipes plutôt techniques aussi. Donc on a essayé de diviser l’effort en différents pôles et pour chaque équipe. On a une personne employée d’Open Food Facts qui pilote tout ça et qui essaie d’animer la communauté de bénévoles. On a quelques volontaires dans chacune de ces équipes. Ça reste difficile et ça prend quand même beaucoup de temps. C’est un effort qui n’est pas financé aujourd’hui. Donc ça aussi, on en parlait en début d’épisode, mais ça reste un challenge. Garder les contributeurs motivés.
Walid : c’est toujours un challenge dans les projets libres de garder les contributeurs parce qu’on les a formés, ils ont l’expérience et on n’a pas envie qu’ils partent.
Manon : ouais c’est difficile aussi d’estimer l’avancée d’un projet parce que tu sais pas combien de temps les personnes vont impliquer, tu sais pas. C’est difficile de planifier quand on part sur du temps bénévole parce qu’on peut pas non plus exiger de faire des choses. Et d’arriver à maintenir aussi la documentation à jour parce qu’il y a énormément de choses, énormément de projets, même au sein d’Open Food Facts. Et donc pour tous les nouveaux arrivants qui découvrent le projet, en général, ils se tirent un peu les cheveux parce que c’est assez touffu. Il y a aussi ça qu’on peut compter dans les défis.
Le mot de la fin
Walid : oui, très intéressant. Je pense que si on se reparle une prochaine fois, on reparlera de cette relation entre les bénévoles et les salariés. Je pense qu’il y a vraiment des trucs à dire, mais là, malheureusement, on aura, il faudra du temps supplémentaire. Écoute, on arrive sur la fin. Je voudrais te laisser un mot de conclusion. Est-ce que tu veux faire passer un message aux auditrices et aux auditeurs de Projet Libre ?
Manon : moi, mon message, c’est faites attention à ce que vous mangez. Prenez soin de vous. N’oublions pas qu’on est sur cette terre tous ensemble. Donc tous les projets qui impliquent la communauté, qui participent au bien commun, il ne faut pas les perdre de vue, même si on est tous happés par notre quotidien et par nos smartphones et toutes ces notifications etc. Prenez soin de vous, engagez-vous dans des projets open source, c’est ça qui nous sauvera.
Walid : merci beaucoup. C’est une belle conclusion. Peut-être un peu ambitieux, mais… Quand on regarde tout le chemin parcouru depuis la création d’Open Food Facts, je ne suis pas sûr que Stéphane et Pierre pensaient qu’un jour ça ferait tout ça. Donc il faut aussi rêver, je crois, c’est important.
C’est moi qui vais te remercier aussi de m’avoir contacté. Je pense que je vais remercier aussi Pouhiou de Framasoft qui a parlé de moi.
Manon : Carrément.
Walid : c’est un de mes sponsors bénévoles ! Voilà. Écoute, merci beaucoup. C’était passionnant.
On va donc se retrouver prochainement pour un deuxième épisode qui lui sera plus technique dans lequel je pense que je vais pouvoir poser toutes les questions aussi que j’ai pas eu le temps de poser ici. Merci beaucoup Manon. Et puis, écoute, à bientôt. J’espère qu’on aura l’occasion de se reparler pour parler justement de tous vos projets, vous en êtes, etc. dans le futur.
Manon : avec grand plaisir! Un grand merci à toi Walid, c’était super chouette.
Bon courage pour la suite et à bientôt!
Cet épisode a été enregistré le 14 février 2024.
Pour aller plus loin autour d’OpenFoodFacts
- OpenFoodFacts, the wikipedia of food products, Anca Luca, FOSDEM 2023
- Présentation du projet Open Food Facts et de ses perspectives Journées Pro 2023
- Rejoindre l’association en tant que bénévole
- Soutenir l’association
- Le blog d’Open Food Facts
- Le Slack d’Open Food Facts
- La page LinkedIn d’Open Food Facts
Licence
Ce podcast est publié sous la double licence Art Libre 1.3 ou ultérieure – CC BY-SA 2.0 ou ultérieure.
On a quand même un peu l’impression que open food facts s’est fait « caroter » par Yuka qui après s’être lancé en s’appuyant dessus, à créer sa base propriétaire. Selon sa page wikipedia, Yuka serait soit disant le premier contributeur de Open Food Facts ce qui semble complétement faux : https://fr.openfoodfacts.org/contributeurs
Bref, on aimerait savoir comment ces beaux projets font pour se protéger de nos écoles de commerce.