Fondation NLnet : financer le logiciel libre en Europe – Lwenn Bussière

Interview avec Lwenn Bussière de la fondation NLnet

Note : cette transcription contient des précisions supplémentaires apportées par Michiel Leenaars. Elles sont disponibles indiquées par une écriture en italique.

Walid : nouvel épisode de Projets Libres! aujourd’hui, on va parler d’un sujet qui est les financements européens. Je dois avouer qu’avant de commencer Projets Libres!, c’était un sujet où j’avais une image de process très long, extrêmement compliqué, qui requierait des gens spécialisés, etc. Et une des découvertes du podcast, on va le voir aujourd’hui, c’est qu’il existe maintenant des nouvelles manières de faire pour avoir des financements simplifiés. Je dois avouer que ça a été une découverte, une très bonne découverte et que je me suis dit qu’il fallait que je fasse un épisode là-dessus.

Cette année, en février 2024, au FOSDEM, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer l’équipe de NLnet et aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir avec moi Lwenn Bussière que je laisserai se présenter après. On va parler ensemble de ce qu’est NLnet et de sa place dans tout cet écosystème européen de financement. Lwenn, j’espère que tu vas bien. Bienvenue sur le podcast Projets Libres!.

Présentation de Lwenn

Lwenn : bonsoir Walid. Je suis ravie de pouvoir discuter avec toi des financements NLnet. C’était très drôle quand on s’est vu à FOSDEM, on avait le stand avec tous les stickers des projets qu’on présente et je crois que ça t’a rendu très curieux et très heureux de trouver les stickers de différents projets que tu as déjà accueillis avec Projets Libres! sur ton podcast : les amis de Peertube, Inventaire, Castopod, Open Food Facts. Et nous, ça nous a fait aussi très plaisir de voir qu’il y a de la communication qui se fait aussi dans le libre français. Donc, je travaille à NLnet depuis le début de l’année. On est basé à Amsterdam, aux Pays-Bas, et je suis arrivée un peu par hasard à NLnet après avoir fini un doctorat en philosophie.

J’ai été dans le logiciel libre plutôt en tant qu’usager depuis que j’ai environ 14 ou 15 ans. En commençant Linux, je pense au lycée. Mais ça n’a jamais été… enfin, programmer, c’était toujours quelque chose qui était pour les autres. Sauf qu’en faisant plus de recherche, je me suis retrouvée à utiliser beaucoup plus d’outils et à chercher des alternatives libres et ouvertes dans le cadre de la recherche académique en philosophie. C’était quelque chose qui me tenait à cœur, qui m’a passionnée. Et en fait, quand je cherchais un travail après mon doctorat, quittant la recherche, une amie qui était proche des gens d’NLnet m’a signalé qu’ils embauchaient des gens pour évaluer des propositions de projet, des propositions de financement, et ensuite communiquer avec les projets qu’on décide de financer et donc faire tout ce travail en interne de chargé de financement, on va dire.

Du coup, le travail est en anglais, donc il va y avoir des soucis dans l’épisode de traduction, je vais faire de mon mieux, mais…

Walid : t’inquiète pas, de toute façon, je fais une transcription ensuite dans laquelle après je note en français tous les mots anglais qu’on utilise.

Lwenn : voilà. Donc oui, j’ai rejoint NLnet en janvier et ça a été un plaisir depuis de travailler.

Walid : tes études tu les as fait où? En France ou à l’étranger?

Lwenn : j’étais en France jusqu’au master environ et puis ensuite je suis partie à Amsterdam en Erasmus et je suis jamais rentrée. Les programmes d’échange européen fonctionnent. Ouais voilà c’est ce qu’on va dire.

Présentation de NLnet

Walid : donc là, on est en train de parler d’NLnet. Est-ce que tu peux, dans un premier temps, nous faire l’histoire de NLnet ?

Lwenn : donc la partie qui va être intéressante pour les gens qui t’écoutent, NLnet, c’est une fondation, une organisation non-gouvernementale reconnue d’intérêt public.

Ce qu’on fait, en fait, c’est qu’on obtient des fonds qui sont des fonds européens, aussi certains fonds privés de donateurs, comme une organisation caritative, et qu’on va ensuite les redistribuer à des projets de développement logiciel ouvert et libre. On donne en général des financements qui sont sur des courtes périodes, environ un an de développement, qui sont des petits financements à l’échelle du financement européen puisque nos bourses sont entre 5000 et 50000 euros pour les premiers projets, avec possibilité d’étendre sur plusieurs projets. Et nos missions, ce sont de promouvoir un Internet libre et décentralisé où les utilisateurs sont en contrôle de leurs outils.

Et en fait, énormément des projets qu’on finance ne sont pas des projets qui sont très sexy. Ce sont des projets qui sont des briques fondamentales, qui construisent Internet tel qu’on le connaît. Ça va être des protocoles réseau, ça va être des outils réseau qui sont déployés, ça va être aussi des solutions de stockage de données. Donc en fait, toute cette infrastructure Internet dont on sait très bien qu’elle vient du logiciel libre et qu’elle se repose sur un travail souvent invisible, souvent non rémunéré de volontaires et d’enthousiastes. Nous on essaie de dévier certains fonds européens, avec bien entendu le consentement éclairé de la commission du programme NGI Zero, vers des gens qui vont en fait construire des solutions durables pour Internet.

Et historiquement, NLnet commence dans les années 80 ou 90. Pour la petite histoire, en fait ça commence quand des enthousiastes d’UNIX reviennent des États-Unis en 82 et créent EUNIX, puis en fait décident d’utiliser EUNIX pour faire du réseau, créant EUNET (European Unix Network), qui bootstrap (NDLR : amorce) l’Internet européen.

Et NLnet est fondée officiellement en 89 et a des activités qui sont à la fois des activités caritatives et des activités commerciales. Et ce qu’il se passe, c’est qu’en 97, NLnet fait un échange de parts avec les gens de UUnet aux États-Unis, qui vont devenir Verizon. Et cet échange de parts pour beaucoup d’argent, à l’époque, quelques millions, crée le premier fonds caritatif d’NLnet, qui va ensuite se concentrer sur ses missions de financement.

Michiel : NLnet a démarré à partir d’un groupe d’utilisateur Unix (Unix User Group), NLUUG.nl (qui existe toujours). Il s’agit d’une association, NLnet a été créée pour professionnaliser le travail effectué au sein du CWI/NIKHEF et du NLUUG.

Je sais que tu as beaucoup de questions à propos des financements européens, mais ce qu’il faut savoir c’est qu’on bénéficie beaucoup de financements de la Commission européenne par le programme NGI Zero, mais on bénéficie également de financements privés, des héritages ou bien des gens qui nous font confiance avec plus ou moins beaucoup d’argent et de donateurs. Donc c’est pareil, s’il y a des gens à l’écoute qui ont envie de financer le logiciel libre européen, on peut parler du travail qu’on fait et si ça les intéresse.

Walid : mais là NLnet, donc au départ NLnet c’est un fournisseur d’accès à internet, donc à un moment NLnet se fait racheter par U-Net qui va devenir Verizon ?

Lwenn: en fait NLnet c’est la soeur de EUnet ou Verizon, c’est d’abord une association d’enthousiastes uniques qui commence à créer l’Internet européen, en fait dans un modèle associatif coopératif et qui devient un fournisseur commercial quand en fait on commence à se prendre compte des applications commerciales d’Internet dans les années 90.

Et en fait, comme ce sont ces enthousiastes de logiciels libres, des gens comme Teus Hagen ou Jaap Akkerhuis qui sont dans le Internet Hall of Fame. En fait, ils sont passionnés aussi de logiciels libres. Donc en fait, il y a NLnet, ça commence comme un fournisseur d’accès où tous les fonds qui ne sont pas des fonds opératoires sont reversés aux logiciels libres par un processus de donation.

Walid : ah d’accord.

Lwenn : en fait, dès le départ, il y a quand même cet aspect coopératif.

Michiel : pour en savoir plus sur l’histoire de NLnet et les autres organes, voir https://en.wikipedia.org/wiki/NLnet. pour l’histoire de NLnet et d’autres organismes : Ce n’est pas très complet mais c’est un bon contexte concernant les noms. Ce serait génial d’avoir une page en français à un moment donné, peut-être que nous pourrons avoir des wikipédiens pour se porter volontaires 🙂

La forme juridique d’NLnet

Walid : NLnet, quelle est maintenant sa forme juridique ? c’est une fondation de droit néerlandais ? C’était le cas dès le départ ou c’est quelque chose, tu sais ça, si c’est…

Lwenn : c’était le cas dès le départ parce qu’au Pays-Bas, tu peux avoir une fondation qui est pour profit. Donc tu peux incorporer ta compagnie comme fondation. Et en fait, en général, pour les petites compagnies qui viennent de débuter, de type Startup ou bien SME (NDLR : small and medium entreprises, en français PME), c’est relativement intéressant comme profil financier en termes de taxes, etc.

Je ne suis pas spécialiste de droits des compagnies, mais il me semble qu’en fait le terme de fondation ne réfère pas nécessairement à des ONG, ça peut également être des fondations qui ont un but de profit. Mais en fait en 97, définitivement ça devient une fondation reconnue d’intérêt public, non profit, dont la mission est de supporter le développement d’un internet ouvert et libre.

Walid : est-ce que tu sais si les fondateurs de départ sont toujours là ?

Lwenn : non, ils nous ont laissé la main sur l’opération, mais c’est vrai qu’on discute encore avec eux et on garde, en fait on garde de très bonnes, ça c’est un truc dont on a parlé un peu plus tard, on a tendance à garder de très bonnes relations avec nos anciens membres mais aussi nos anciens projets. Donc quand tu poses des questions sur notre communauté, pardon les spoilers, en fait on va souvent mettre en contact des projets dont on pense qu’ils ont des choses à se dire parce que on a fondé l’un des projets et on peut se dire « Hey, ce nouveau projet qui arrive, qui est très proche de ce que tu fais, peut-être que ça t’intéresse de discuter avec eux ». Et ça c’est quelque chose qu’on fait beaucoup.

L’équipe NLnet

Walid : actuellement, vous êtes combien de personnes ?

Lwenn : alors, on est 9, mais apparemment on vient d’embaucher 2 autres personnes qui commencent la semaine prochaine. C’est une très petite organisation. D’un point de vue extérieur, quand j’ai découvert NLnet, c’était assez dingue l’impact, le nombre de projets et le nombre de financements qui arrivaient à circuler quand j’ai découvert que c’était…

Donc avant que mon collègue et moi qui avons été recrutés en janvier arrivions, c’était 6 personnes et j’étais sidérée d’apprendre ça.

Walid : quand tu m’as dit ça au FOSDEM, je me demandais comment c’était possible.

Lwenn : tu vois le stand au FOSDEM, il y avait moins de 10 personnes, t’as rencontré tout NLnet.

La place de NLNet dans le libre européen

Walid : ouais, c’est ça. Là on a commencé à parler un peu de la Commission européenne. Une des choses aussi pour introduire NLnet, comment vous vous situez dans l’écosystème du libre en Europe ?

Lwenn : alors, c’est une question un peu large. Je pense qu’en fait, il y a deux aspects de cette question. On travaille avec différents partenaires.

On fait partie d’un réseau de partenaires. Et ça, c’est quelque chose sur lequel on se repose beaucoup parce que nos partenaires, donc la formation NixOS, et nos partenaires Radically Open Security, qui est une compagnie qui fait des audits de sécurité, et dont tous les bénéfices nets sont reversés à d’autres associations, en l’occurrence à nous, envers le logiciel libre, donc comme donation. Et en fait, ces partenaires avec qui on travaille, également APELL, ils vont nous aider quand on travaille avec des projets pour pouvoir orienter nos projets vers des experts sur différents aspects. Nixos, ils sont très bons en packaging. Et en fait, packaging pour Nix, ça permet de pouvoir avoir ce que tu développes qui peut tourner dans n’importe quelle distribution. Donc c’est quand même super intéressant et rapide.

Travailler avec un audit de sécurité, surtout avec ce qui arrive dans le climat politique européen, le Cyber Resilience Act, c’est quelque chose qu’on demande à tous nos projets parce que tu mets ton code partout sur Internet, libre d’accès, open source. C’est quand même trop bien quand tu as ton financement de pouvoir aussi travailler avec quelqu’un qui va juste lire ton code et vérifier toutes tes vulnérabilités pour être sûr que tout ce que tu fais soit bien d’un point de vue sécurité. On travaille avec une université qui nous aide beaucoup, parce qu’ils sont passionnés d’accessibilité. Donc en fait, chacun de nos projets, ils les évaluent en termes d’accessibilité, ils leur font un audit pour pouvoir les aider à améliorer leur accessibilité parce que l’Internet devrait être pour tout le monde.

Walid : que ça soit les audits de sécurité ou l’accessibilité, je pense par exemple aux audits de sécurité, c’est quelque chose qui est compliqué, qui coûte cher pour un projets libre, qu’en général on ne fait pas forcément, parce qu’on n’a pas les compétences ou on ne connaît pas les gens ou ça va nous coûter de l’argent ou on n’a pas le temps.

Lwenn : c’est bien pour ça que nous quand on sélectionne un projet, l’audit de sécurité et l’audit d’accessibilité s’il y a une user-facing interface (NDLR : interface utilisateur) c’est nécessaire. Ça fait partie des clauses qui vont avec nos donations qui sont qu’il va y avoir un audit de sécurité à un moment donné. Et je pense que c’est quand même fantastique pour les projets qui travaillent avec nous d’avoir cette possibilité là. Parce que oui c’est cher, c’est chiant à organiser et aussi c’est dur de trouver en fait des experts dans ce que tu fais très spécifiquement pour jeter un œil à ton code. Parce qu’un expert en database (NDLR : base de données) c’est pas la même chose qu’un expert en système réseau en termes de sécurité.

Walid : la question aussi que je me posais c’était s’il y avait ailleurs, en Europe et puis ailleurs dans le monde, des entités qui ressemblent à NLnet ? Est-ce que vous en connaissez chez NLnet ?

Lwenn : dans le libre européen, pas vraiment d’équivalent, mais des gens qui ont des missions similaires, oui. Le Sovereign Tech Fund, qui est plus connu que nous, a aussi des financements qui sont beaucoup plus importants. Donc ça va être pour les projets plus gros, je pense que ça va jusqu’à un demi-million ou un million. C’est beaucoup plus important et ils ont quand même une barrière d’entrée un peu plus haute en termes de quel type de projet peut être sélectionné et d’administration qui doit être faite par les projets en amont du processus de sélection.

Michiel : notre budget est aussi grand que le leur, et je pense potentiellement plus grand. Ils ne sont certainement pas plus important : ils ont financé moins de 20 projets depuis le début de leur existence, c’est à dire moins de 3 ans.

Walid : excuse-moi, Sovereign Tech Fund, qui est derrière ce fonds ?

Lwenn : c’est des gens très sympathiques, mais qui sont un peu plus, qui travaillent un peu plus avec des investissements, je crois, ils ont quelques investissements privés, et ils ont aussi quelques investissements, ah, ils sont supportés par le gouvernement allemand.

Walid : ah d’accord. Ouais, c’est allemand. Ok, et vous vous parlez ?

Lwenn : parfois. On a certains projets, en fait, qui après avoir travaillé avec nous, vont travailler avec le Sovereign Tech Fund parce qu’une bourse de 50 000 euros pour un an, ça fait un bon tremplin pour ensuite demander d’autres financements. Et les autres personnes dont je voulais te parler, c’était le Prototype Fund en Allemagne aussi, qui va en fait présélectionner les candidats avant de les présenter au gouvernement allemand. Mais il y a une différence, c’est que le Prototype Fund, il faut s’incorporer en compagnie en Allemagne avant de recevoir les financements du gouvernement allemand.

Je pense que ce qui rend NLnet unique, en fait, c’est la vitesse du processus. Parce que, donc, là, les gens avec qui j’ai eu un appel ce matin, qui ont été acceptés, c’est des gens qui ont soumis leur candidature en décembre, avant le 1er décembre. Donc, ça fait quand même 4 mois. C’est la rapidité du processus de bout en bout, parce que là on va commencer à signer.

On travaille beaucoup avec des personnes individuelles, ce qui nous rend relativement uniques, parce qu’en fait il n’y a pas de structure administrative nécessaire pour candidater. Tu peux candidater comme personne, toi, Walid, tu peux écrire une proposition demain, de projet. Tu peux candidater avec ta compagnie, ou tu peux candidater en étant membre d’un collectif ou d’une organisation ou d’une université.

Walid : c’est quelque chose d’assez unique le fait que moi, en tant qu’individu, je peux demander des fonds que j’ai pas besoin d’avoir une…

Lwenn : une incorporation.

Voilà, ouais, ça c’est vraiment… T’as même pas besoin d’être majeur. Et t’as pas forcément besoin non plus de révéler un nom réel. Nous il nous faut juste un nom réel et une adresse pour envoyer les fonds, mais en termes de garder ta confidentialité, ton anonymat, on peut. Travailler avec une personne mineure avec l’aval de ses parents, on peut. C’est cette ouverture je pense qui fait notre différence.

Walid : dernière question là-dessus, les candidats, ils doivent être européens ? Ils doivent vivre en Europe ? Ils peuvent être ailleurs ?

Lwenn : les projets doivent avoir une dimension européenne. Dimension européenne, ça peut vouloir dire que un des collaborateurs du projet réside en Europe. Ça peut vouloir dire qu’une des personnes qui développent est en Europe. Ça peut vouloir dire que le projet est fait pour le bénéfice d’une organisation en Europe. On veut des projets qui soient à dimension européenne, qui aient un impact en Europe. Donc on fait attention à ça. Mais d’un autre côté, c’est quelque chose avec lequel on a une certaine flexibilité sur ce que signifie être européen, parce que beaucoup de projets sur l’infrastructure Internet vont bénéficier à des utilisateurs européens.

L’histoire de Next Generation Internet

Walid : partie suivante. Donc là, tu l’as un petit peu mentionné au départ, mais tu as parlé de NGI0. Maintenant, ce que j’aimerais bien, c’est que tu puisses nous parler plus en détail de ce que c’est Next Generation Internet. Ça m’intéresse parce que je crois que je ne connais pas moi-même toute l’histoire. J’aimerais bien un peu l’histoire de ce que c’est et comment vous en êtes arrivés à collaborer ensemble.

Lwenn : en 2016, la Commission européenne est très triste des résultats de son programme précédent pour développer l’Internet européen. C’était Future Internet ou quelque chose comme ça. Elle se dis qu’avant de créer ce nouveau programme, Next Generation Internet, et de continuer à injecter de l’argent dans les développements internet, qui sont quand même un endroit stratégique et un endroit d’impact pour la Commission européenne, ils vont organiser un workshop avec des experts. Le contact entre NLnet et NGI se fait un peu par hasard parce que Tim Berners-Lee était invité à ce workshop, il a annulé en dernière minute. Michiel Leenaars, qui est à NLnet, est invité à la place et il va travailler ensuite avec Gartner sur la communauté open source. Il leur rend un rapport, une étude sur la façon dont l’open source révolutionne Internet et est un endroit stratégique et crucial pour lequel il faut faire des financements.

Et donc, après ce rapport, la Commission européenne décide que l’une des thématiques qui va devoir être portée par NGI, ça va être NGI Zero, qui est de valoriser l’open source c’est quand même dynamique, c’est créatif, c’est un lieu d’échange et c’est crucial de dynamiser l’open source européen pour toute l’infrastructure internet. NGI c’est pas seulement NGI Zero, il y a plusieurs thématiques qui sont portées par NGI. Nous on travaille avec NGI Zero qui sont les fonds open source, il y a aussi d’autres fonds pour renforcer les technologies européennes.

NGI Zero c’est le fonds avec lequel on travaille, qui nous a été attribué. La Commission européenne décide aussi de travailler différemment de la façon dont ils ont travaillé avec Future Internet, qui est de contacter des fondations comme la nôtre, qui ont l’habitude de travailler avec des projets, pour qu’on leur soumette des projets, pour nous permettre d’attribuer les fonds.

Walid : c’est un grand changement de stratégie de leur part finalement.

Lwenn : ouais.

Walid : en fait, en vous délégant toute la partie appel à projet, suivi, financement, etc., ils deviennent juste les financeurs. Ils apportent les fonds, quoi. Est-ce qu’ils font plus qu’apporter les fonds ?

Lwenn : oui. Tous les projets qui sont financés par NLnet sont évalués par un comité externe. Donc après qu’on a fait tout notre travail en amont de recherche et d’évaluation, qu’on a discuté avec les projets pour raffiner leur candidature, on va en discuter un peu plus sur la façon dont on travaille avec nos projets, il va y avoir un comité externe qui est validé par la Commission européenne, qui va, en fait, vérifier qu’on n’est pas en train de faire absolument n’importe quoi avec leurs fonds. On a une relation de grande confiance avec les gens de NGI, on interagit régulièrement avec eux et nous on leur rend des rapports. Ce qu’on fait c’est qu’on prend aussi tout l’administratif des projets pour qu’ils n’aient pas besoin de faire ces rapports et ces audits. C’est nous qui prenons la responsabilité.

Walid : et ces fonds sur NGI Zéro, ils passent forcément par NLnet ou il y a aussi d’autres organismes qui sont aussi capables de distribuer des fonds, de financer des projets à travers ces fonds ?

Lwenn : alors sur NGI, il y a d’autres organes. En fait NGI a plusieurs fonds et chaque fond je crois est attribué à un organisme spécifique ou bien entre différents organismes mais NGI Zero passe par nous effectivement.

Walid : ok alors on a commencé à en parler tout à l’heure, vraiment sur les financements qui sont effectués par NLnet. Donc là ce que tu disais c’est qu’on a à la fois des fonds qui proviennent donc de NGI0 et à la fois des fonds qui proviennent en propres, c’est-à-dire des donations. C’est les deux moyens que vous avez, vous, pour investir dans des projets ?

Lwenn : on va régulièrement faire du lobbying auprès de personnes dont on sait qu’elles ont de l’argent à donner à l’open source européen pour essayer de les convaincre de nous augmenter.

Donc récemment on a obtenu aussi les fonds NGI Zero Commons qui est un nouveau fonds européen pour les communs numériques. On en avait discuté à FOSDEM, tu étais très enthousiaste à cette idée. C’est un moment très intense pour nous parce qu’en fait avec ce fonds on a quasiment autant, on a deux fois plus d’argent que ce qu’on a eu depuis le début d’NLnet, au total. Parce que là on a 21 millions, quelque chose comme ça, pour les communs numériques. C’est merveilleux. C’est aussi beaucoup de responsabilité et c’est assez terrifiant.

Donc oui, on a des financements européens, on a aussi des donations, des donations de personnes individuelles, des petites donations, quelques euros par mois, des grosses donations.

Un de nos fonds, c’est un fonds de recherche qui est en fait un fonds nommé par une personne qui, à sa mort, lui et sa sœur avaient décidé de léguer, je crois que c’est un demi-million, à la recherche libre d’accès sur les thèmes d’Internet. Et donc ça c’est un fond de recherche qui est un fonds séparé avec lequel on travaille. On a aussi les fonds propres qui viennent de la vente historique d’NLnet. On a différentes sources de financement qui ne sont pas que des financements européens mais c’est vrai que NGI Zero c’est quand même un programme dont on bénéficie beaucoup et on peut faire beaucoup de choses très très cool avec donc c’est quand même merveilleux.

Dans quoi NLnet investit

Walid : maintenant ce que j’aimerais bien savoir, c’est, tu as commencé tout à l’heure à en parler un tout petit peu, c’est dans quoi vous investissez ? Tu as parlé des core technologies, donc vraiment les technologies du cœur d’Internet, et en fait, ce que je voulais savoir, c’était, est-ce qu’on parle plutôt de matériel, est-ce qu’on parle plutôt de logiciel ? Enfin voilà, c’est quoi les types de technologies dans lesquelles vous investissez ?

Lwenn : alors, les fonds européens, NGI Zeo, ont des règles plus strictes que les fonds NLnet. Les fonds européens sont nécessairement en recherche et développement. Malheureusement, on ne peut pas financer de maintenance. Donc, c’est toujours des efforts de recherche, de développement. Les coûts des serveurs, ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire avec nos projets.

C’est triste, mais voilà, c’est toujours de l’innovation. Et à travers ces fonds de recherche et développement, donc c’est toujours de l’open source, et c’est du développement logiciel, aussi du développement matériel. On essaie d’identifier les technologies qui sont nécessaires au fonctionnement d’Internet tel qu’on le connaît, les technologies qui rendent Internet un endroit plus décentralisé, plus diversifié, plus accessible, qui permettent aussi aux utilisateurs d’avoir plus de contrôle sur leurs machines, sur leur usage d’Internet. De la même façon, on finance des projets matériels, des projets open source hardware. On aimerait en financer plus. C’est souvent difficile de faire des projets matériels avec les budgets qu’on a parce que, ben, il faut de l’argent. Développer des cartes mères, ça coûte cher.

Ça coûte très cher. Mais quand on a l’opportunité de travailler avec quelqu’un qui fait un projet open hardware. On aime beaucoup ça. Les types de technologies, ça dépend. Je ne peux pas te citer un type de choses qui va être notre objectif.

C’est tellement varié. On essaie de se concentrer sur ce qui va pouvoir impacter Internet pour le mieux. Ce qu’on aime, c’est quand les développements vont pouvoir être réutilisables parmi plusieurs projets. On adore les gens qui font des librairies, qui peuvent être utilisés à travers plusieurs bases de codes.

Ça dépend tellement de l’usage que les gens font aussi d’Internet. Oui, les protocoles réseau, c’est fondamental, mais on est au 21ème siècle, les réseaux sociaux sont aussi devenus un aspect fondamental d’Internet pour beaucoup de gens. On a commencé à travailler très récemment avec un fonds ouvert par Mobifree pour pouvoir libérer les smartphones parce que maintenant c’est fondamental.

Walid : on a parlé à Gaël Duval quand je l’ai interviewé sur Murena et /e/OS et tout ça.

Lwenn : ouais. En fait, c’est la beauté de ça et c’est aussi pour ça qu’on est si peu et qu’on a tellement de travail, c’est qu’en fait, chaque projet, on doit voir par rapport à cette vision, cette vision d’Internet et essayer de calculer, attendez, ça, c’est très joli en termes de recherche, est-ce que des gens vont l’utiliser ? Ça, c’est réutilisable, c’est solide, mais est-ce que ce sera encore là dans trois ans ? Est-ce que ce sera encore important d’avoir cette solution dans trois ans ? Donc autant que possible on essaie de pousser pour des stacks (NDLR piles logicielles).

Donc on essaie de pousser pour des stacks qui soient open source autant que possible. Parfois ça peut faire sens parce qu’il y a des stacks propriétaires, d’avoir des solutions pour interagir avec les stacks propriétaires, genre pour l’instant, parce qu’il faut être pragmatique.

Comment faire de la veille ?

Walid : la question suivante que ça m’amène c’est, vu le nombre de projets que vous avez, vous devez être super occupé, comment vous avez le temps de faire de la veille en fait ?

Lwenn : donc c’est un truc que je vais dire plusieurs fois à travers ce podcast, c’est que nous on peut rien faire pour les candidats s’ils ne candidatent pas. Pourquoi je dis ça à ce moment-là ? Parce qu’en fait on apprend tellement de choses par les projets avec lesquels on travaille déjà, qui nous disent « Hey! » Donc je travaille sur ce truc, mais en fait il y a cette nouvelle chose qui a l’air de devenir super importante là maintenant tout de suite, et viennent de nous donner un sacré coup de pouce, parce que, ah tiens, c’est un sujet qui est ici. Donc ouais, c’est vrai qu’on a besoin de toujours être un peu à l’écoute ou en veille, c’est aussi pour ça qu’on a en fait des appels à candidature avec des temporalités très courtes et très réguliers, qui sont deux mois entre chaque appel à candidature, genre les gens qui vont écouter ce podcast.

Notre prochaine deadline (NDLR : date limite) pour un appel à candidature, ça va être le 1er juin. On serait ravis de recevoir des candidatures, mais si vous la ratez, il y aura une autre deadline, soit en août, soit en octobre, dépendant d’à quel point on est débordé.

Donc le fait d’avoir des temporalités très courtes, ça nous permet aussi de voir où en sont les gens avec qui on travaille.

Walid : quand j’en ai entendu parler la première fois, avec les gens que j’ai interviewés, et les discussions un peu en off qu’on a eues, la première chose que je me suis dit, c’est « Ah, si on avait eu ça dans les années 2000 », sur nos projets, qui finalement ont fini par changer de modèle économique, parce qu’on ne pouvait pas se faire financer, je me suis dit « Ah, il y a certainement des projets qui auraient pu continuer à garder un modèle communautaire », par exemple, mais à l’époque, il n’y avait pas ces financements-là.

Lwenn : ça, on essaye aussi, justement, on essaye aussi de conseiller les gens qui travaillent, les gens qu’on fund (NDLR : finance) et qui travaillent avec nous. On essaye aussi de voir quelles sont leurs options en termes de soutenabilité et en termes de modèles économiques. Un de nos partenaires, donc APELL, c’est l’association… Je me souviens plus de leur nom. Essentiellement, c’est des pros de tous les modèles économiques possibles de logiciels libres et d’open source pour essayer de voir ce qui fait sens pour différents projets.

Donc, c’est quelque chose auquel on tient beaucoup, qui est aussi la soutenabilité et comment les gens peuvent gagner leur vie en faisant de l’open source.

Quels types de modèles économiques financer ?

Walid : il y a des modèles économiques que vous ne financez pas, je pense par exemple typiquement à des modèles open core ou certains modèles pour lesquels il y a un risque quelconque qu’un jour le projet se referme ? (NDLR voir l’épisode d’introduction aux modèles économiques et gouvernances du logiciel libre)

Lwenn : tous les projets qu’on finance doivent être sous une licence reconnue par l’OSI comme une licence open source. Ça va être du GPL, ça va être de l’AGPL, ça va être du MIT, essentiellement. Donc déjà on a quand même cette grosse contrainte que ce sont des licences qui sont clairement open source. Quand nous on finance de la recherche, on n’accepte pas forcément les modèles du dual licensing (NDLR : double licence). Après, si ça peut arriver qu’on travaille avec quelqu’un qui va avoir une solution propriétaire, mais aussi une solution open source qui est entièrement open source, self-standing et qui s’intègre bien avec d’autres choses. Ça, c’est pas du tout un souci pour nous. Mais c’est important que nos fonds de recherche et développement ce soit clairement de l’open source et que ce soit quelque chose qui s’intègre dans les stacks open source.

Walid : je voulais dire typiquement des projets où on va dire bon ben voilà tu as la version elle est free, elle est open source et puis pour avoir les fonctionnalités supplémentaires il te faut la version qui elle n’est pas open source tu vois. Et là il faut que tu payes 50 euros par mois tu vois. Est-ce que vous êtes capable de financer ce type de modèle économique ou pas ?

Lwenn : je vais revenir un tout petit peu en arrière, si tu me permets. De manière très terre à terre, la façon dont fonctionnent nos financements, c’est pas des salaires, c’est des donations. C’est des donations sur des choses que les gens ont développées. Donc en fait, on donne pas d’argent en avance. On donne quand on reçoit, enfin, quand cette personne a développé le code, on a fait un accord qu’il va y avoir une donation parce qu’on apprécie ce que cette personne est en train de faire sur Internet. Et ces donations sont conditionnées au fait que tout ce qui est fait soit open source. Si quelqu’un a un modèle économique qui est de l’open core, mais que le projet avec lequel il candidate pour nous, c’est d’ajouter des fonctionnalités au core (NDLR : coeur du logiciel), effectivement, et à la version complètement open source, complètement gratuite. Pourquoi pas ? Si ça fait sens, pourquoi pas ? On n’a pas d’a priori sur les choix et les modèles économiques, mais on a ces restrictions qui sont que toutes ces donations sont conditionnées au fait que les technologies développées soient open source.

Candidater et être sélectionné : qu’est-ce que cela implique ?

Walid : la partie suivante, c’est comment on postule, comment vous sélectionnez tout ça ? Est-ce que tu peux m’expliquer un peu, je vais dire un flux standard mais un flux, de comment ça se passe pour se faire financer du moment où vous faites un appel à candidature jusqu’au moment où vous donnez les fonds ?

Lwenn : je vais te donner la version pour les candidats qui est relativement simple et je vais te donner la version pour nous qui est relativement plus difficile.

Walid : oui voilà, la vôtre elle m’intéresse beaucoup, la vôtre.

Lwenn : donc, je pense que tu as vu sur notre site, il y a les différents fonds avec « Est-ce que vous avez un projet ? », « Soumettez votre projet. » Et je ne sais pas si tu as ouvert le formulaire par curiosité. Notre formulaire est très simple. Pour un candidat, c’est environ peut-être une demi-heure de travail. La raison pour laquelle on essaie d’avoir ce formulaire aussi simple, c’est parce que ça permet aux gens de nous dire ce qu’ils pensent être important à propos de leur projet. Et ce qui est important pour eux, enfin pour iel est de présenter leur projet, pas forcément avec des grandes explications sur comment ça va révolutionner le stade technologique, mais juste de se concentrer sur « j’ai besoin d’argent pour faire ça, ça, ça et ça, est-ce que ça vous branche ? »

Donc on essaie vraiment de simplifier la procédure de candidature. Ça, ça va être l’étape de candidature. Les candidatures, il y a des cycles tous les deux mois. Ensuite, il y a une période d’attente pendant qu’on évalue les candidatures. Et il y a deux cycles de sélection. Le premier cycle, c’est une pré-sélection, ou bien, enfin, c’est une première sélection où on décide quels sont les projets avec qui on a envie de poser plus de questions ou bien d’essayer de voir s’il y a peut-être quelque chose, versus quels sont les projets dont on pense que, aussi cool qu’ils soient, c’est peut-être pas le bon fit (NDLR : ça ne correspond pas). Donc après quelques semaines pour le premier cycle, on essaie de garder ça en dessous de quatre semaines, mais c’est difficile. Ouais, en fait je devrais pas dire ça parce que je suis déjà, on est déjà en retard pour l’avril. On essaie de garder ça en dessous de huit semaines, mais c’est un peu difficile pour pouvoir contacter déjà les projets qu’on a décidé de discuter un peu davantage avec eux versus les projets dont on pense que c’est pas forcément un certain marché pour nous. Après ce premier cycle de sélection, on va ensuite avoir des discussions individuelles avec les projets, donc ils vont recevoir une ou deux semaines après l’annonce de la première sélection des questions supplémentaires pour donner des détails, nous expliquer un peu plus leur vision, nous donner les détails techniques, nous donner un budget, etc.

Et on va ensuite revoir toutes ces réponses, évaluer et essayer de décider quels sont les projets qui nous semblent viables et qu’on va sélectionner. Et ensuite, lorsqu’on a sélectionné après ce deuxième cycle les projets, on va ensuite les envoyer à un comité externe qui va donc, comme on disait, vérifier cette liste de différents projets qu’on a notés et qu’on a pré-reviewés. Et après ça, quand on a la décision finale du comité externe, on peut commencer. On peut accueillir les projets et commencer à travailler avec eux.

En interne, c’est moins léger comme procédure. Pour le fond d’avril, sur notre dashboard de travail, on reçoit 400 candidatures qui arrivent et on va évaluer, donc on va lire chacune de ces candidatures et les évaluer selon trois critères, l’excellence technique, l’impact et le potentiel stratégique et la valeur pour l’argent ou bien l’impact pour l’argent. Du coup, il y a ces outils de notation, mais effectivement c’est toujours très clinique et ça ne suffit pas à représenter la complexité des projets. Donc, on va à chaque fois devoir faire de la recherche supplémentaire, aller visiter les différents sites des projets, essayer de comprendre, ok, c’est ça ta place dans l’écosystème, c’est ça avec qui tu travailles, c’est ça ton stack, quelles sont tes relations avec les autres projets dans lesquels tu t’intègres, si t’as envie de faire de l’ActivityPub, quelles sont tes relations avec les autres projets ActivityPub, etc. Donc on va en fait jeter un œil à tout ça, formuler quelques questions préalables pendant qu’on décide ce premier cycle de sélection. Donc ça, comme tu t’imagines, on est quatre, en parallèle on est toujours en train de discuter avec nos projets qui sont en train de travailler et d’être fondés. C’est beaucoup, mais du coup voilà, ce sont un peu les critères de présélection et ensuite après, quand on a décidé quel projet passe cette première étape de sélection, par consensus, on va leur poser des questions supplémentaires. Peut-être que ça va être quelque chose comme, bon, on est ravi de ton impact, mais on a quelques questions sur pourquoi est-ce que tu es en train d’utiliser cette librairie plutôt que cette librairie. Donc ça peut être des questions très techniques, comme ça peut être des questions un peu plus large scope (NDLR : un périmètre plus large), genre c’est juste ce qui nous manque pour faire une décision finale. Comment tu envisages l’impact de ton projet, ou bien comment tu as organisé ton budget, ou bien quelles sont tes étapes de recherche sur ce projet, etc. Voilà, ça va être le type de questions qu’on va poser, mais c’est vraiment des questions de discussion, pour essayer d’obtenir des informations supplémentaires pour faire notre décision.

Après ces questions, ou ce dialogue parfois, puisque parfois il peut y avoir des moments où les projets commencent à être déjà modifiés un petit peu avec ces questions, du genre typiquement ce que je te disais qu’on peut pas financer de la maintenance mais par contre qu’on peut financer de la recherche on va discuter avec certains projets « tiens je vois que tu as des coûts de serveurs de maintenance ça va pas marcher mais cet aspect de ta recherche m’intéresse beaucoup cet aspect peut-être un peu moins » donc ça peut être aussi une étape de négociation où on peut raffiner le projet pour qu’il ait le meilleur impact possible et le meilleur aspect financier possible. Après cette étape de dialogue, on fait cette sélection finale, on envoie ça au comité de revue externe et on peut envoyer la bonne nouvelle après. Donc c’est un processus qui est relativement rapide et très peu d’administratifs et très peu de casse-tête pour les candidats. Et en fait, notre rôle, notre mission, c’est de prendre un maximum de casse-tête administratif pour les projets qu’on finance.

Walid : on en a parlé un tout petit peu tout à l’heure, mais dans la discussion, vous regardez la soutenabilité économique du projet? Non, c’est plutôt ça, c’est plutôt des choses qu’on discute après, en général, lorsqu’on travaille avec des projets spécifiquement. Ce que je te disais, c’est qu’en fait, n’importe qui peut candidater. Ça peut être des individus, ça peut être des coopératives, ça peut être des chercheurs, enfin des chercheurs académiques, ça peut être des compagnies. Et ça c’est pas quelque chose sur lequel on discrimine du tout.

Obtenir des subventions européennes parce que c’est un projet qui est nécessaire et louable et n’aura jamais de modèle économique pertinent, parce que le capitalisme, c’est un modèle économique. Et c’est un modèle économique social qu’on valorise beaucoup de fait. C’est notre mission, si tu veux.

Donc c’est pas… En fait, c’est quelque chose sur lequel on peut conseiller certains projets qui souhaitent avoir des pistes pour avoir un modèle économique, mais c’est pas nécessairement quelque chose qui est un deal-breaker pour nous.

Ça nous fait plaisir si quelque chose a besoin d’avoir un modèle économique derrière pour pouvoir continuer. ça nous fait plaisir si cette personne peut continuer à se soutenir. Voilà.

Walid : pendant que les gens sont en train de réaliser ce qu’ils ont dit qu’ils allaient réaliser, vous avez des échanges réguliers avec eux ?

Lwenn : oui.

Walid : enfin, je sais pas, c’est des points ? Comment ça se passe en fait ?

Lwenn : c’est aussi un peu la magie de cet organisme, c’est que les projets avec qui on travaille sont très autonomes. On fait pas de points, on fait pas de rapports. Ce qu’on a, c’est que lorsqu’on a sélectionné un projet, on va ensuite mettre en place un memorandum, donc une garantie informelle que cette personne va recevoir des donations caritatives pour son travail envers un internet libre. Mais cette personne nous envoie avec ce mémorandum, on a un plan de projet avec une description des différentes tâches que cette personne a prévue de faire et nous on dit oui ça nous paraît être une tâche qui est louable et importante et quand tu l’auras faite on va te donner 4000 euros. Et ensuite, les projets nous envoient des demandes de paiement. Lorsqu’ils ont accompli leur tâche, ils nous envoient un lien vers leur dépôt ou bien vers la doc ou quoi que ce soit, juste pour nous dire « Hey, j’ai fait ce que j’avais dit que j’allais faire, on vérifie et on envoie l’argent ».

Walid : ça veut dire quoi « vous vérifiez »? C’est-à-dire que vous vérifiez que ça a été fait ou vous vérifiez…?

Lwenn : ben si, on vérifie que ça a été fait, on vérifie que ça compile.

Walid : oui, c’est ça, ok, d’accord. Vous prenez le code, vous le…

Lwenn : on le fait tourner, si c’est du packaging, on le fait tourner, si c’est un blueprint de hardware (NDLR : dessin technique d’un matériel), c’est un peu plus compliqué, mais on essaie de voir si on peut construire.

Walid : ça prend du temps tout ça ?

Lwenn : oui, oui, effectivement. Par contre, les gens ne nous font pas de rapport. On ne demande pas des rapports techniques de 12 pages, de « ah, j’avais prévu de faire ça pour cette raison, j’ai décidé de faire ça ». C’est vraiment aussi simple, pour le projet avec qui on travaille, c’est aussi simple que de dire : « j’avais dit que j’allais développer une librairie, voilà les librairies ».

Walid : c’est génial, ça réduit la contribution et le financement à quelque chose d’extrêmement simple pour les gens. Ça c’est vraiment…

Lwenn : en fait, si tu veux, notre postulat de départ, c’est qu’il y a plein de gens qui sont absolument brillants en développement technique et tous ces process de management de projet ou bien d’organisation de financement, c’est l’enfer.

Et tous les process sociaux où il faut parler à des gens, faire du reporting, etc. c’est une galère sans nom. Et du coup, nous ce qu’on essaie de faire, c’est de simplifier le processus au maximum pour que beaucoup plus de gens puissent obtenir des financements pour le logiciel libre qu’ils développent en réduisant la charge pour ces personnes. C’est aussi pour ça que la question que tu me poses à propos des business models (NDLR : modèles économiques), justement ce qu’on a envie de faire c’est de permettre aux gens de pouvoir développer le logiciel libre qu’ils veulent développer sans avoir besoin de se casser la tête à trouver la façon de vendre ça à les venture capital (NDLR : capitaux risqueurs, VC) ou bien de monter une compagnie là-dessus.

La communauté autour de NLnet

Walid : le sujet suivant sur lequel je voulais t’interroger, moi j’ai appelé ça la communauté autour de NLnet, c’est à dire il y a plein de projets qui ont été financés par NLnet, il y en a toujours plus. Est-ce que vous NLnet vous animez une communauté ? Est-ce que vous faites que de la mise en relation de projets ? Est-ce que voilà, je sais pas, est-ce que vous avez des webinaires ? Est-ce que vous avez des événements ? Enfin qu’est-ce que vous avez vous pour faire en sorte que les gens interagissent entre eux dans cette communauté ?

Lwenn : est-ce que nous, on anime une communauté ? Non. C’est un choix, et c’est un choix délibéré. Parce qu’on pense que l’Internet devrait être décentralisé, parce qu’on pense que les projets devraient interagir dans leur propre communauté pour eux et non pas dans une communauté artificielle d’avoir reçu de l’argent de la même source. Pour nous, ça ne fait pas sens de faire des cohortes ou bien des promotions pour des gens qui ont des travaux très différents. En revanche, on adore créer des connexions directes dès qu’on peut. Si un nouveau projet, on pense que ça peut être intéressant de les mettre en contact avec des projets précédents avec qui on a travaillé, on va les mettre en contact directement. On a effectivement un Speaker Bureau qui permet de nous contacter ou demander si on aurait quelqu’un à proposer pour intervenir à un événement, prendre la parole. On organise des webinaires qui permettent à certains de nos projets, quand ils ont abouti à notre Success Story, de présenter leur travail et on a un réseau de partenaires, sur lequel j’ai un peu touché, qui propose de l’aide et du support à nos projets.

Et donc on est ravi quand on voit des projets qui s’entraident, ou qui commencent à travailler ensemble, mais on a un choix délibéré de ne pas créer notre propre communauté, forum, IRC, et puis aussi voilà, tu t’en doutes…

Walid : vous n’avez pas le temps quoi.

Lwenn : ouais.

Comment est-ce qu’NLnet fait sa publicité ?

Walid : voilà, bref. Bah oui. Ma question suivante, qui est assez connexe à celle que je viens de te poser, c’est comment est-ce que vous faites de la pub en fait ? Comment est-ce que vous faites connaître des gens ?

Lwenn : bah, toi ! Nos projets sont notre meilleure publicité. On demande aux projets qu’on finance de nous reconnaître en termes de financement parce que c’est sympa, sur leur site ou sur leur repo, un peu comme ils veulent. Et c’est toujours très sympa quand on a de nouveaux projets ou de nouvelles personnes qui nous contactent en disant « Hé, j’ai entendu parler de vous par tel ou tel autre projet d’open source avec lequel je participe et j’avais envie de candidater. » Donc nos projets, c’est notre meilleure publicité. On est un peu sur Mastodon, ActivityPub, mais c’est vrai qu’on aime beaucoup garder les choses très techniques et on aime ce bouche à oreille et on aime le fait qu’on n’a pas besoin de faire des publicités sur Facebook, Google, Mastodon et on préfère au contraire que ce soit recommandé par tes amis : « tiens, ton projet de logiciel, je sais que tu es en recherche de financement depuis trois ans, tu devrais peut-être pouvoir te candidater à NLnet ». Ça, ça nous fait très chaud au cœur quand ça arrive.

Walid : est-ce que tu peux donner un peu des exemples, ce que j’ai appelé les success stories, des projets qui se sont vraiment développés à travers les financements NLnet ?

Lwenn : d’une part, on aime les projets qui deviennent grands et qui ont beaucoup de développement, mais pour nous, chaque personne qui pendant un an ou deux a développé du logiciel libre et open source avec les financements qu’il lui fallait pour pouvoir continuer à travailler sur sa passion, c’est une success story. Mais en termes d’impact, on a beaucoup travaillé avec ActivityPub. Je pense que tu as ce podcast sur Castopod.

Walid : tout à fait, ActivityPub étant mes sujets fétiches sur le podcast.

Lwenn : mais on a aussi travaillé avec Peertube et Mobilizon, WireGuard qui sont excellents en termes de sécurité, CryptPad qui nous permettent de faire… sur lesquels on a échangé pour la trame de cet épisode, qui font des documents collaboratifs chiffrés de bout en bout, soit sur leur serveur, soit self-hosted. Jitsi également, puisqu’on est en France, c’est quand même intéressant de mentionner. Ça fait des exemples intéressants, mais c’est vrai que si tu vas voir sur notre site, on a plus que 400 projets. Il y a des trucs de très haut niveau, des réseaux sociaux. Il y a des trucs de très bas niveau, du bootloader (NDLR : amorçeur de démarrage). Et pour du très très bas niveau d’architecture internet, on vient de « on-boarder » (NDLR : intégrer) un projet pour créer des batteries autonomes. Enfin, pour créer des kits de développement de batteries autonomes open source. Voilà. On est vraiment à tous les niveaux du stack internet, de l’énergie aux réseaux sociaux.

Qu’est-ce que cela fait de faire ce travail ?

Walid : je voudrais te poser une question que je n’avais pas notée dedans mais qui est intéressant. Qu’est-ce que ça te fait à toi, personnellement, de financer ces projets, ces gens qui, avec cet argent-là, vont développer des trucs qu’ils n’auraient peut-être pas pu développer autrement ? Qu’est-ce que ça te fait à toi, en fait ?

Lwenn : c’est incroyable. Franchement, c’est incroyable. Je t’ai dit au début que je venais de la recherche en philosophie, donc ça a fait quand même un changement radical, mais quelque chose qui est merveilleux et qui est quelque chose qui me plaît beaucoup dans mon travail, c’est que je peux échanger et apprendre d’experts en permanence. C’est vraiment comme d’être née à sniper tous les jours, sur plein de sujets différents. Et c’est incroyable de pouvoir travailler avec autant de gens qui sont absolument brillants et de les aider à réaliser des choses qui sont utiles pour la société. Voilà.

Walid : vraiment, encore une fois, je me dis, si on avait eu ça dans les années 2000, il y a plein de trucs, ça aurait été génial. Donc, c’est vraiment génial que ça existe.

Lwenn : il y avait NLnet dans les années 2000, mais c’était encore tout petit, en fait.

Les défis à venir pour NLnet

Walid : Bah ouais, on vous ne connaissait pas.

Dernière partie, c’est ce que j’appelle le futur. Ce que j’aimerais bien savoir un petit peu, c’est quels sont vos défis, qu’est-ce que vous avez dans le futur, sur lesquels vous savez que vous allez devoir travailler ?

Lwenn : notre gros défi en ce moment c’est de s’agrandir, pas vraiment de s’agrandir mais au moins d’accélérer nos processus pour pouvoir maintenir le niveau d’attention qu’on porte à chacun des projets qui candidate individuellement parce que comme tu vois le processus que je t’ai décrit d’évaluation c’est quand même très très personnalisé et donc réussir à avoir plus de capacités et ou plus de vitesse tout en gardant ce niveau d’attention, ça va être un grand défi pour nous en tant que fondation et un défi un peu permanent. On a parlé également du fonds NGI Zero Commons, qui est très très excitant et qui est un des plus grands fonds avec lesquels on n’a jamais travaillé. Le plus grand fonds avec lequel on n’a jamais travaillé. Il va falloir beaucoup d’efforts pour trouver de nouveaux talents et de nouvelles personnes avec qui travailler et financer des projets. Et en fait, plus généralement, les choses qu’on garde sur le radar, c’est plus des défis pour le logiciel libre européen en général. C’est le Cyber Resilience Act qui va quand même beaucoup affecter les développeurs de livres européens.

Le Digital Market Act qui est une nouvelle très très positive qui va quand même vraiment changer l’écosystème du libre européen. Donc c’est des choses qui sont enthousiasmantes mais qui sont aussi assez effrayantes de trouver le temps, l’énergie de réussir à les relever.

Conclusion

Walid : de ce que je comprends de ce que tu dis, on arrive à la fin de cet entretien. J’aimerais bien en guise de conclusion te poser quelques petites questions.

La première question c’est « qu’est-ce que tu dirais à un porteur d’un projet libre et qui ne connaît pas NLnet ? »

Lwenn : en quelques mots. On donne des sous au logiciel libre européen, venez candidater.

Walid : très bien. Qu’est-ce que tu dirais à un porteur de projet qui a déjà bénéficié d’un financement NLnet ?

Lwenn : c’était un plaisir de travailler avec vous. Le fait de candidater à votre premier projet NLnet ne signifie pas que vous ne pouvez pas recandidater. On serait ravis de voir où vous en êtes et on est toujours ravis de vous croiser à FOSDEM ou ailleurs.

Walid : d’ailleurs, avant de te laisser une tribune libre, je n’ai pas posé la question, mais FOSDEM, c’est un événement très important pour tout l’écosystème du logiciel libre. Est-ce qu’il y a d’autres événements dans lesquels vous allez ?

Lwenn : oui, en fonction de nos envies individuelles en tant que différentes personnes de NLnet, on a nos propres affections et réseau et en général on est aussi présent au Chaos Computer Conference en hiver.

Walid : ok, et bien écoute on arrive sur la fin de l’entretien, c’est la tribune libre. Donc la tribune libre c’est, je te laisse la parole pour faire passer un message, le message que tu as envie de faire passer aux auditrices, aux auditeurs de Projets Libres!, et à tous les gens qui pourraient tomber sur cet épisode.

Lwenn : à tous les auditeurs et les auditrices qui sont passionnés de Projets Libres! et de logiciels libres, s’il y a des projets que vous connaissez, qui recherchent des financements, essayez de les pointer dans notre direction, parce qu’on adore recevoir de nouvelles candidatures, voir de nouvelles têtes, et aussi on essaie d’aider à chaque fois qu’on peut.

Walid : c’est une conclusion très intéressante. Moi-même, j’en parle très régulièrement autour de moi, en disant aux gens, vous devriez vraiment candidater. Et d’ailleurs, Benjamin Bellamy de Castopod disait que c’était les gens de chez Xwiki qui l’avaient aidé à remplir le formulaire NLnet et que c’est comme ça que Castopod est né finalement.

Lwenn : ah oui, quelque chose pour les projets qui ont déjà travaillé avec nous, aidez vos copains, aidez les autres projets que vous connaissez qui ont des difficultés financières – tout le monde est en difficulté financière dans le libre – mais aidez-les à candidater. Montrez-leur que c’est simple, parlez-leur de votre expérience, le bien, le moins bien et essayez de les encourager parce que c’est vous qui nous permettez de voir de nouveaux projets, de nouvelles têtes et de découvrir des talents. Typiquement ce que les gens de XWiki ont fait en aidant Benjamin de Castopod, on a besoin de ça parce qu’on ne peut pas faire tout ça. Malheureusement on n’a pas le temps.

Walid : Ben écoute Lwenn, déjà t’es ravi de te croiser au FOSDEM parce que moi je suis arrivé sur le stand de NLnet, j’ai demandé est-ce que par hasard quelqu’un serait francophone, je pensais que la réponse allait être non. On m’a dit « ah mais si si il faut que tu repasses demain, il faut que tu rencontres Lwenn », donc là j’étais super content. Après je t’ai recontacté et tu m’as dit oui super c’est génial on va pouvoir faire un épisode, donc j’étais super content. C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur, vraiment ravi qu’on ait pu faire cet enregistrement, donc voilà je te remercie beaucoup de ça. J’espère qu’on aura l’occasion de pouvoir reparler de NLnet dans les mois ou années à venir sur le podcast Projets Libres!. Et puis pour les auditrices et auditeurs, vous avez compris il faut faire tourner cet épisode auprès des gens qui font du logiciel libre donc je compte sur vous, voilà c’est votre mission. A bientôt, merci beaucoup et bonne soirée, à une prochaine Lwenn.

Lwenn : merci beaucoup, ça a été vraiment un plaisir de discuter avec toi.

Cet épisode a été enregistré le 24 avril 2024.

Licence 

Ce podcast est publié sous la double licence Art Libre 1.3 ou ultérieure – CC BY-SA 2.0 ou ultérieure. 

1 réflexion au sujet de « Fondation NLnet : financer le logiciel libre en Europe – Lwenn Bussière »

  1. Merci, très intéressant entretien.
    J »aurais aimé en savoir plus sur la nécessité de ce « comité externe » mais je comprends que c’est une exigence liée à la gestion de fonds de l’UE (« il va y avoir un comité externe qui est validé par la Commission européenne »)

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