Designers UI/UX et logiciel libre – Maiwann

Interview de Maiwann

Walid : bienvenue, nouvel épisode de Projets Libres. Merci à vous toutes et à vous tous d’écouter.

Aujourd’hui, on a un épisode qui va être très sympa, parce que si vous avez écouté l’épisode sur No-code et logiciels libres, à la fin, on a fait quelques divagations autour du design et des logiciels libres. On a certainement raconté des trucs qui étaient perfectibles. Et suite à cet épisode, j’ai cherché à approfondir le sujet et je suis tombé sur une conférence de MiXiT de 2018 avec mon invité du jour qui s’appelle Maïtané Lenoir, autrement connu dans le logiciel libre sous le pseudo de Maiwann, donc je l’appellerai Maiwann pour le reste de l’interview, et on va parler justement de design et de logiciel libre.

Voilà, donc la conférence que j’avais vue d’elle, qui m’a dit tout à l’heure que c’était sa première, ça s’appelait « Design dans le logiciel libre et si on collaborait ». Alors Maiwann, merci beaucoup d’être présente avec nous ce soir pour parler de ton travail. Bienvenue sur le podcast Projets Libres.

Maiwann : merci de m’inviter.

Présentation de Maiwann

Walid : première chose que je vais te demander, ça va être de te présenter. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu d’où tu viens et quel est ton parcours, s’il te plaît ?

Maiwann : alors moi je suis designer, on dit UI ou UX designer pour UI, User Interface et UX, User Experience. Donc je fais de la conception logicielle, c’est mon boulot. Je suis à mon compte parce que je n’ai pas supporté d’être salariée.

Donc j’ai monté une coopérative avec des copains, mais avant ça j’étais freelance. Je travaille sur tout un tas de logiciels, plutôt du logiciel métier, mais parfois c’est aussi des sites web. Je travaille pas mal pour le service public. Et mon parcours, c’est que j’ai fait des études de ce qu’on appelle « arts appliqués » ou c’est la même chose que du design.

Arts appliqués, on utilise ça en opposition à arts plastiques. Arts plastiques, c’est un peu une version artistique où l’artiste, il a envie de parler de sa vision du monde. Et les arts appliqués, c’est… appliqué à quelque chose, il faut que ce soit utile.

Et dans la partie art appliqué, il y a tout ce qui est design numérique. Donc j’ai fait une année de mise à niveau en arts appliqués, un BTS design graphique, une licence pro web design sensoriel, qui était un peu un melting pot de tous les métiers du numérique. On a même fait du design sonore, bon bref. Et ensuite j’ai commencé à bosser dans une boîte où il y avait et des développeurs, et des ergonomes, et des designers graphiques. Et donc très vite j’ai bossé en collaboration avec plein de corps de métiers différents sur des logiciels un peu complexes.

Et ensuite, comme j’ai des salariés et que ça ne m’a pas convenu, je suis partie à mon compte et depuis c’est la belle vie de freelance.

Walid : ok, à quel moment tu as croisé la route du logiciel libre ?

Maiwann : ah bah ça c’est quand même une partie qui est importante aussi dans ma présentation. Alors je suis partie de l’association Framasoft et c’est quand même elle qui m’a ouvert le plus au logiciel libre grâce à la conférence dégooglisons internet que j’ai vue de façon totalement hasardeuse à Toulouse, à un Bazar du Libre. Parce que le Capitole du Libre qui est une conférence qui était organisée normalement, n’avait pas pu se tenir à cause des attentats. Mais en vrai, en vrai, ma première connexion avec le monde du libre, c’était, alors c’est malheureux, c’est au post-attentat de 2015, où je suivais une personne sur Twitter qui avait dit des choses qui étaient très bien par rapport à l’islamophobie ambiante, qui était un terme que je connaissais pas du tout. Et cette personne disait aussi des trucs très politiques sur le numérique et sur la façon dont les GAFAM c’était quand même pas cool et que le logiciel libre c’était quand même l’avenir et je me suis dit mais je ne sais pas du tout ce que c’est cette chose du logiciel libre et comme elle dit des choses intéressantes sur l’islamophobie cette personne. Le logiciel libre doit être aussi un concept intéressant et donc j’ai mis le doigt dedans et après c’était foutu.

Walid : ah d’accord ok. Je pensais que tu avais découvert à travers ton tu vois ton boulot les gens que tu avais rencontré, les développeurs etc…

Maiwann : pas du tout. Et non pas du tout je pense que j’étais… ça m’a permis de trouver du boulot plus tard, d’être dans le milieu du logiciel libre. J’ai participé à beaucoup de conférences et j’ai croisé pas mal de monde. Mais dans le milieu dans lequel j’étais au début, on bossait avec des grands groupes du genre Thalès et compagnie. Donc ce n’est pas du tout un endroit où on peut être ouvert au monde du libre.

Et en tant que designer, je trouve qu’on est encore plus éloigné que les développeurs alors c’est quand même ça me semble encore plus compliqué.

Walid : ok, pour continuer sur ta présentation est-ce que tu peux avant qu’on rentre un peu plus dans le détail après nous donner une idée des projets sur lesquels tu as travaillé en tant que designeuse dans le logiciel libre que les gens pourraient connaître ?

Maiwann : alors j’œuvre beaucoup du coup je suis devenue membre bénévole de Framasoft donc j’œuvre pas mal au sein de l’association. J’ai notamment, c’est pas du tout la partie design mais j’ai notamment fait pas mal de modérations sur sur Framapiaf. Et du coup ça me donne aussi un angle d’analyse de comment les choix de conception sont faits sur les différents réseaux sociaux pour faciliter la modération. Mais vraiment en tant que design, par exemple il y a eu une refonte de Framalibre récemment pour laquelle j’ai pris pas mal parti.

J’ai aidé aussi avec pas mal de copains à faire un petit site qui s’appelle Contribulle.org qui est là pour mettre en relation des projets qui auraient besoin de compétences et des gens qui ont envie de donner des compétences et qui ont envie de trouver des projets à aider. Et enfin, avant tout ça, et de façon rémunérée, donc en tant que freelance, j’avais bossé pour Exodus Privacy. Et on avait fait la refonte du site internet et de l’application.

Walid : tu peux rappeler juste pour les gens qui ne connaîtraient pas ce que c’est qu’Exodus Privacy ?

Maiwann : oui, Exodus Privacy, c’est une super association qui informe les gens sur les pisteurs qui se trouvent dans leurs applications mobiles. C’est super difficile parce que les applications mobiles c’est interdit légalement de les ouvrir pour regarder le code source. Exodius Privacy avec une petite astuce regarde ce qui rentre et ce qui sort de l’application. Et du coup voit qu’est-ce qui est renvoyé comme données quand ça sort de l’application et permet de faire une liste des pisteurs qui se trouvent à l’intérieur.

Et donc on peut se rendre compte, comme ça, que toutes les applications de météo ou de presse par exemple envoient un nombre incalculable de données et c’est vraiment génial quand on fait des ateliers d’initiation au monde du libre ou de la vie privée numérique d’utiliser cette application parce que les gens se rendent compte de façon très concrète que « comment ça mon application du monde alors que je suis abonnée elle envoie toutes ses données personnelles ? » Et bien oui, donc là on peut commencer à expliquer aux gens que oui, c’est pas parce qu’on perd un abonnement qu’on ne renvoie pas un maximum de données personnelles pour se faire deux fois plus de fric.

Les études de Maiwann et les écoles de design

Walid : il y a quelque chose aussi que je voulais te demander : donc pendant tes études, qu’est-ce que tu en savais en fait du logiciel avant de commencer à travailler avec des développeurs sur des produits ? Du logiciel libre ? Du logiciel tout court ?

Maiwann : de manière générale en fait. Moi j’ai fait un BTS qui était plutôt axé sur la communication graphique numérique et donc du coup on a appris à faire et de la vidéo et des sites. Mais plutôt des sites qui seraient promotionnels ou pour des événements ou des choses comme ça, qui avaient une identité un peu forte. Ou même de la publicité, ce qui n’avait vraiment aucun sens quand on y repense parce que nous on nous encourageait à faire de la publicité un peu participative, qui rentrait dans ton écran et faisait des trucs super alors que les formats sont tellement coincés que c’est inatteignable.

Mais bon, enfin voilà… Et donc, on touchait pas du tout au logiciel parce que c’était un angle beaucoup plus, je pense, complexe dans le sens où un logiciel… Moi là je travaille avec des gens qui font un métier grâce à un logiciel et donc il faut rentrer quand même très profondément dans le fonctionnement du métier pour réussir à améliorer le logiciel. On n’avait pas la possibilité de faire ça quand on était à l’école, c’était pas le lieu.

Walid : est-ce que tu sais s’il y a des libristes par exemple qui vont faire de la sensibilisation dans certaines écoles de design ? Tu sais si ça existe ça ?

Maiwann : moi que je sache, ça n’existe pas, donc j’imagine que ça dépend exclusivement de est-ce qu’il y a une personne très sensibilisée au libre dans la conception du parcours de formation, voire même un prof qui est très sensibilisé, là qui ferait venir d’autres personnes, parce que moi dans mon BTS, ça n’existait pas le libre.

Quoi, que quelque chose n’existe pas, il n’y a pas de raison de faire appel à des gens pour acculturer l’ensemble de la promo. Donc je pense que ça reste très anecdotique et vraiment au bon vouloir d’une personne sur place, et ça veut dire aussi que quand la personne elle part et bien toutes les promos suivantes elles n’ont pas de sensibilisation sur le sujet.

Le rôle de la conception centrée utilisateur dans l’adoption d’un logiciel ou d’un autre

Walid : est-ce que tu peux expliquer en quelques mots quel est le rôle du design dans l’adoption d’un logiciel par rapport à un autre en fait ?

Maiwann : moi quand je parle de design en fait je parle de conception centrée utilisateur et donc là ta question qui est pourquoi un design… Enfin quel est le rôle du design…

Walid : Conception centrée utilisateur.

Maiwann : c’est ça, non mais c’est la même chose, c’est ça. C’est que mais comme le mot design veut dire des choses différentes selon les personnes, je voulais clarifier.

En fait, si on ne conçoit pas en mettant au centre l’utilisateur, ça veut dire qu’on le fait depuis la perspective du développeur, ça veut dire que ça va être centré très technique. Ou alors on peut le faire aussi selon ce qu’on pense savoir de l’utilisateur. Et là, du coup, on a un espèce de double filtre qui est le filtre technique, parce que c’est la personne qui code, qui imagine des choses et puis ce qu’on croit savoir de l’utilisateur donc ça donne un deuxième filtre. Et ça potentiellement, ça crée des logiciels qui sont très complexes mais pas dans un sens intéressant du terme, dans un sens d’utilisabilité qui est difficile.

Et donc tout de suite, le logiciel peut devenir une machine à gaz, n’est pas intéressant pour les personnes qui veulent l’utiliser pour ce qu’elles ont à y faire et puis ensuite faire partir faire autre chose. Et donc ça n’a aucun intérêt et ça limite le niveau d’adoption en tout cas du logiciel. Pour moi ça n’a aucun sens de ne pas faire de la conception centrée utilisateur systématiquement. On va rentrer dans le détail plus tard dans la mesure de ce qui est possible à chacun, c’est à dire que c’est pas pareil quand c’est un GAFAM que quand on est tout seul dans son bureau à bidouiller un petit logiciel.

Walid : on n’a pas forcément les mêmes moyens, mais on va y revenir, je pense que même plus qu’une question de moyens c’est une question aussi de quand tu fais ton logiciel tu penses pas forcément que tu pourrais faire appel à quelqu’un pour t’aider sur ces problématiques d’utilisabilité quoi et, à mon avis, il y a beaucoup de gens dans le logiciel libre qui ne savent pas ou n’y pensent pas quoi. Donc…

Logiciels libres avec une bonne utilisabilité selon Maiwann

Walid : on entend souvent et moi je l’ai beaucoup dit aussi eux même que parfois tu tombes sur des logiciels libres qui effectivement c’est vraiment compliqué de rentrer dans l’interface, elle est complexe, elle n’est pas très simple, etc. Et en fait, j’aimerais retourner la question pour se dire, de ton point de vue, quels sont des logiciels libres qui ont une interface et qui ont une bonne utilisabilité en fait ?

Maiwann : je trouve que ça c’est une question difficile parce que comme c’est de la conception centrée utilisateur, selon les utilisateurs, selon les profils, la liste des logiciels sera différente selon chaque personne. N’empêche que pour répondre, moi je trouve qu’une réponse facile c’est VLC. C’est-à-dire que moi, quand j’étais adolescente, on m’avait filé un ordi du collège sur lequel j’étais contente de pouvoir regarder des vidéos. C’était en 2005, je pense, si je dis pas de bêtises, hein. Et j’ai l’impression que, peut-être c’était pas 2005, peut-être c’était après, mais que très vite, j’ai utilisé VLC comme lecteur de vidéos.

Je n’avais pas besoin d’utiliser l’interface en fait. J’ouvrais ma vidéo avec VLC, ils lisaient la vidéo et le sujet était réglé.

Et donc un bon design, c’est vraiment le moment où on n’a pas à se poser de questions, ni par rapport aux fonctionnalités, ni par rapport à l’interface, c’est-à-dire le truc juste marche, on a zéro question à se poser parce qu’on vient faire quelque chose, on le fait, on repart du logiciel, c’est fini. C’est ça qui est vraiment super.

Et donc après je pourrais, je trouve que par exemple avec Exodus, on a fait du bon boulot et les retours sont intéressants. Pour un truc qui serait moins… qui aurait une interface qui serait pas si élégante mais qui fait quand même bien le taf, un exemple qu’on peut donner c’est Framadate, c’est-à-dire que Framadate c’est l’outil le plus utilisé de tout ce que propose Framasoft, alors que beaucoup diront que l’interface elle est quand même vraiment datée, vieillotte, ça fonctionne pas super bien sur téléphone, pourtant le logiciel est hyper utilisé.

Pourquoi ? Parce qu’on vient, on répond à un sondage, on repart, c’est fini. Évidemment, il y a plein de choses qui sont perfectibles, mais en fait, ça fait une grande partie du taf et c’est ça qu’on demande.

Walid : mettre le moins de freins possibles à l’utilisation du logiciel.

Maiwann : absolument.

Les designers dans le libre

Walid : si on rentre un peu plus dans ton métier, est-ce que vous avez une communauté dans le logiciel libre ? Est-ce que vous êtes beaucoup à faire ce travail comme toi tu fais. Est-ce que vous parlez, est-ce que vous rencontrez ?

Maiwann : c’est pas le cas et il y a des moments où on se retrouvait notamment lors des Contribsateliers qu’il y avait en ligne. On avait plusieurs retrouvailles de designers qui avaient envie de faire quelque chose. Mais rien s’est jamais structuré, parce que structurer, animer un collectif ça demande vachement d’énergie et donc pour l’instant ça n’existe pas. Certains, on se connaît de vue. On sait que les uns, les autres… Comme on connaît les designers de loin, on sait lesquels ont contribué à quelque chose ou pas, lesquels ont des sensibilités proches, lesquels s’en fichent. Mais rien de plus structuré que ça.

Walid : vous êtes beaucoup ou ça reste quand même une très petite minorité ?

Maiwann : moi, j’ai pas l’impression qu’il y ait une grosse vague de designers.

Je pense que si jamais il y avait une communauté de designers du libre, je serais au courant. Vu la visibilité que me donne Framasoft, la façon dont je le vis actuellement sur les dernières années, c’est que moi je parle pas mal de design et que je suis assez visible dans le monde du logiciel libre, et donc il y a pas mal de gens qui m’écrivent à moi personnellement pour me demander de l’aide. Et j’ai pas d’endroit vers qui les redispatcher parce que je suis pas disponible pour filer un coup de main sur l’ensemble des projets libres francophones.

C’est pas super satisfaisant je dirais, mais voilà, c’est l’état actuel.

Walid : on va y revenir parce que j’ai quelqu’un sur un de mes articles qui m’a justement mis un commentaire en disant « Moi je suis designer, mais comment je fais pour trouver un logiciel sur lequel contribuer ? » Et je pense que l’inverse qui est « Je suis un projet libre, j’ai besoin d’un designer pour nous aider », il y a certainement quelque chose à faire là-dedans puisque finalement ça a l’air d’être une problématique dans les deux sens.

Maiwann : absolument. Pour l’instant, il y a une réponse à ça, c’est d’aller jeter un coup d’œil sur Contribulle ou d’aller poster une petite annonce sur Contribulle. Ce n’est pas super spécifique et je ne suis pas sûre que ce soit complètement adapté pour le design. Je pense qu’on va détailler plus tard parce qu’à mon avis, c’est une rencontre le design. C’est difficile de juste faire une petite annonce et de dire « allez, vas-y, c’est parti ».

C’est quand même un outil qui est disponible et qui peut permettre une première mise en contact et c’est mieux qu’avant, c’est mieux qu’avant que lorsqu’on ne l’avait pas.

Le manque de designers dans le logiciel libre

Walid : ouais, justement, je voulais te demander si tu avais souvent rencontré, à partir du moment où tu es rentré dans le monde du libre, ce manque de designers. Est-ce que c’est quelque chose dont on t’a fait part ou est-ce que finalement les gens ne se rendent même pas compte qu’il manque des designers ?

Maiwann : eh bien les deux.

C’est-à-dire que tu as raison, il y a ce que je caractériserais de manque de culture design au sein du logiciel libre. ça s’explique assez facilement par le fait que le design, c’est interprété comme étant de la manipulation et c’est très lié dans l’imaginaire à tout ce que font les GAFAM . C’est-à-dire comment est-ce que j’attire les gens, je les garde, je les fais faire des trucs qui m’arrangent parce que ça me permet de capter leurs données, des choses comme ça. Et donc déjà c’est super repoussoir pour plein de développeurs du logiciel libre qui sont complètement à l’opposé de ces valeurs là. Et donc qui disent, c’est pas notre façon de procéder, et donc on veut pas de designeurs.

Il y a le cran encore plus extrême de ça qui est, à mon avis, carrément problématique, qui est de dire, un logiciel, il faut que les gens se galèrent à rentrer dedans et qu’ils aient une marge d’apprentissage pour apprendre. En fait c’est important que les utilisateurs apprennent à utiliser un logiciel et donc qu’ils y passent un peu de temps et un peu d’énergie. Et s’ils n’ont pas ce temps et cette énergie à passer, eh bien tant pis pour eux. En fait, ils ne méritent pas mon logiciel, ils n’ont pas mis assez d’énergie, quelque chose comme ça.

Moi ça j’estime que c’est une façon de faire qui est un peu hautaine, parce qu’il y a des gens qui n’ont pas le temps et ce n’est pas parce que ces gens n’ont pas le temps qu’il faut les exclure. Ça ne veut pas non plus dire que parce qu’on va faire quelque chose qui est facile à utiliser, on va leur cacher des choses, ou on va les empêcher d’apprendre si jamais ils ont envie de le faire. Il faut réussir à doser entre ces différents critères de ne pas réussir à rendre la chose simple, pas trop cacher des choses derrière un espèce de flou artistique qui font que les gens, ils cliquent sur trois boutons, ça fait ce qu’ils veulent, mais en vrai on a pris plein de décisions à leur place, et en même temps pas rendre le truc trop complexe.

Donc ça c’est les oppositions qu’il peut y avoir, ou d’office les gens nous disent non mais du design dans le monde du logiciel libre on n’en veut pas. Une fois qu’on a passé cette première marche et que les gens disent bon quand même la conception centrée utilisateur c’est pas mal moi j’aimerais bien faire ça. Là c’est un autre pan du manque de culture design, c’est on ne sait pas bosser avec des designers.

Et donc il faut revenir à comment naissent les projets de logiciels libres, souvent c’est un développeur dans son coin qui a un problème, qui monte un petit logiciel qui va répondre à son problème, et ensuite le logiciel prend de l’ampleur parce qu’il résout le problème d’autres personnes, souvent qui ressemblent au développeur parce qu’ils ont les mêmes problèmes que lui. Et là tout de suite le truc prend en envergure, et à un moment, ça serait quand même sympa d’avoir quelqu’un qui s’y connaît un peu pour rendre la chose plus ergonomique, qui mette son nez dedans. Le problème c’est que le logiciel a été fait par une personne. Il y a un peu une notion de paternité, c’est le bébé de la personne. Et il faut réussir, ce qui est vraiment vraiment difficile, à se décentrer de soi et à ne plus en faire son projet, mais un projet pour les utilisateurs. C’est vraiment très compliqué.

Souvent il y a des gens qui pensent être prêts à faire ce mouvement, qui ont des retours d’un designer et qui disent « Mais attendez, il va falloir tout changer, c’est vraiment trop de boulot, c’est pas envisageable, je vais rester dans ce que je fais. Donc là, le designer à bosser pour rien, c’est quand même un peu chiant. Des fois, ça arrive beaucoup plus vite, en fait, on commence à vouloir toucher deux, trois trucs et puis la personne contre-argumente systématiquement. Et là, on dit bon, en fait, si jamais le logiciel, vous ne le faites pas pour les utilisateurs, mais vous le faites d’après ce que vous pensez être bien, l’expertise du designer n’est pas reconnue et dans ces cas-là, c’est compliqué.

Donc tout ça, c’est vachement de boulot, de remise en question, de réussir à prendre du recul, de réussir à travailler en équipe avec quelqu’un alors qu’on était avant potentiellement seul sur son projet ou en tout cas avec d’autres développeurs sur le projet. C’est quand même un ensemble de changements de culture qui est potentiellement monumental et bénévole parce que la personne sûrement est bénévole sur son projet depuis toujours et donc si jamais il y a quelqu’un qui arrive et qui lui dit « bah faudrait changer ça ça ça ça » pour que ce soit plus utilisable, ça rembourse une quantité de travail monumentale, pas rémunérée, ça se comprend que les gens, ils aient la flemme, tout simplement, ils ne sont pas prêts.

Les difficultés du début dans le logiciel libre

Walid : oui, et puis comme ces problématiques de design ne sont pas enseignées dans les écoles d’informatique, tu n’es pas sensibilisé dès le départ, et donc en fait, ce n’est pas que ça tombe dessus, mais quand ça t’arrive, toi en tant que développeur, je pense que tu n’as aucune idée de comment réagir à ça. Ce n’est pas forcément très simple à la fois pour le développeur qui voit quelqu’un arriver et pour toi surtout qui arrive là dedans. Ça c’est quelque chose auquel tu t’es confronté dès que tu es arrivé dans le logiciel libre ?

Maiwann : oui et aussi c’était lié au fait que je sois plus jeune et plus inexpérimenté en fait. Je suis arrivée puis je me suis dit je vais proposer des trucs et du coup ça va matcher et donc les changements vont pouvoir être intégrés.

Et j’avais la vision que technique du problème et évidemment en fait la dimension humaine elle est complètement structurante là dessus et c’est ce qui fait que maintenant quand je quand il y a des personnes qui sont designers et que je croise dans des conférences des choses comme ça et qui disent comment je pourrais filer un coup de main je dis systématiquement « d’abord il faut que vous trouviez un groupe un collectif ou juste une personne avec qui ça matche avec qui vous dites à bah là on pourrait travailler ensemble » et tout et que la personne en face elle soit super réceptive et elle soit vraiment demandeuse.

Parce que si vous arrivez et vous proposez des choses et que ça sorte de nulle part, votre intention est à la meilleure du monde, mais en fait les personnes ont déjà 150 issues à régler, elles n’ont pas spécialement envie d’un designer, ça ne sert à rien. Donc oui, je suis bien d’accord avec toi.

Notamment parce qu’en fait j’imagine que dans les écoles, souvent d’ingé informatique, on forme un peu les ingénieurs à avoir réponse à tout et notamment à la conception. Et donc du coup, à aucun moment on se dit qu’il va falloir faire des équipes multi-compétences pour réussir à aller rencontrer les utilisateurs et réussir à ensuite concevoir les choses de façon appropriée, ça n’existe pas.

Or moi ce que j’ai vu notamment en travaillant avec des personnes de Framasoft, ce que je trouve vraiment brillant en termes d’empathie, en termes de vouloir rechercher ce qui serait le plus utile pour les utilisateurs ou des choses comme ça. Je pense notamment à Marien qui fait un outil de veille en ce moment qui s’appelle Flus, avec qui je travaille, et qui a vraiment à cœur de concevoir, centrer les utilisateurs, mais qui est aussi le développeur. Et bien en fait, il n’arrive pas parfois à se décrocher d’un aspect technique pour trouver une solution. Et c’est en discutant, moi, une demi-heure, une heure avec lui parfois, où comme je n’ai pas du tout la vision technique, moi j’ai pas toutes les contraintes en tête, donc je parle vraiment que d’un point de vue centrée utilisateur en lui proposant des solutions, ça lui fait changer son angle de caméra et tout de suite il dit « ah oui mais si je faisais comme ça, c’est vrai qu’en fait ça fonctionne ».

Et donc c’est pour ça que je dis sans aucune prétention d’être meilleure que les autres, mais juste déjà vous avez, en tant que développeur, vous avez suffisamment de choses en tête pour réussir en plus à concevoir centrée utilisateur, ça fait trop et vous êtes biaisé par toutes les contraintes techniques qu’il faut que vous gériez qui sont déjà un taf monumental.

Walid : j’ai l’impression aussi, je fais une petite aparté, moi je sais que par exemple sur une partie des logiciels de productivité que j’utilise, donc des logiciels plutôt jeunes, qui ont 2-3 ans à peine, ils ont beaucoup copié ce qui a marché sur des logiciels propriétaires. Je prends toujours cet exemple parce que pour moi ça a été un peu la révélation. C’est Notion, avec la barre de slash, slash command (/), etc. Il y a pas mal de ces nouveaux logiciels libres qui ont en fait, qui ont pris exactement le même design, etc. Parce que finalement, ça marche bien, quoi. Donc, ils ne sont pas partis comme un développeur qui se dit « Bon, ben voilà, je fais mon truc tout seul dans mon coin, etc. »

Maiwann : oui, absolument. Et puis, c’est vrai que par rapport à il y a 10 ans ou 15 ans, l’offre de logiciels se multiplie. Quand tu es designer, souvent, tu peux inventer des choses, mais souvent, ce que tu cherches à faire, c’est faire matcher un problème avec de multiples critères et tu cherches la meilleure solution pour ce problème. Souvent, il y a des gens qui ont déjà inventé une solution qui fait à peu près le taf, donc tu n’as pas besoin de réinventer la roue.

Mais par contre, c’est de réussir justement à faire cette recherche, de bien lister les problématiques auxquelles il faut répondre, donc d’avoir un peu une vision à 360° sur le sujet, et ensuite de rechercher quelles sont l’ensemble des solutions et à quel point elles sont en adéquation pour résoudre le problème ou pas, qu’est-ce qu’elles créent comme nouveaux problèmes, comme nouvel effet de bord, est-ce que c’est possible de limiter ces effets de bord, des choses comme ça.

Et puis en fait au bout d’un moment on trouve soit quelque chose qui matche parfaitement, soit quelque chose qui matche à peu près, soit quelque chose qui matche peut-être mais on n’est pas sûr. Et moi ma meilleure réponse à ce moment là, je dis systématiquement, on fait ça, on fait la solution par exemple techniquement qui est la plus simple sur un ensemble de choix qui semble à peu près équivalent et on teste. Et je dis toujours et on teste. C’est-à-dire on met en place le plus vite possible et ensuite on va voir la réaction des utilisateurs. Si ça fait le taff c’est bien, si ça fait plein d’effets de bord pourris, on essaye une des autres solutions qui ne créera pas ces effets de bord. Et on aura déjà avancé dans la connaissance du problème et de quand on utilise telle solution qu’est-ce que ça engendre comme chose positive et comme chose négative. Donc t’as raison, en fait, on réinvente pas la roue, ça existe déjà, on n’a pas le temps de réinventer la roue.

Ça c’est un truc, pour moi, qui vraiment tire plus du côté, je parlais d’art plastique tout à l’heure, plus de quelqu’un qui a envie de faire un peu de la création, qui se fait un peu plaisir. Moi je suis pas là pour ça, moi je suis là pour faire des siestes.

Donc si jamais y’a un truc plus efficace qui me fait gagner du temps, je gagne du temps et je vais faire une sieste, ça me va mieux.

Walid : à part Framasoft, et donc je comprends bien Exodus, les projets où ça marche bien, c’est des projets sur lesquels tu rencontres physiquement les gens, ou est-ce que finalement ça ne change rien et avec les outils qu’on a maintenant, ça ne pose pas de soucis particuliers ?

Maiwann : moi je bosse quasiment qu’à distance, ça ne me pose pas de problème. Et par exemple Contribulle, on était un petit groupe de quatre, il y a une personne que j’ai toujours pas croisée et il y en a deux autres que j’avais croisées juste une fois ou deux dans des conférences et on n’avait jamais bossé ensemble et ça a bien marché. Donc je pense que c’est pas forcément nécessaire. Par contre, effectivement, il y a une espèce de culture de la communication, de l’écoute, de vraiment essayer de comprendre ce que veut te dire l’autre.

Et puis on est vraiment dans tout ce qui est communication, récapituler ce qu’a dit l’autre personne pour vérifier si t’as bien compris. De posture, j’appellerais ça assez basse pour réussir à rentrer en contact avec l’autre et pas de lui expliquer la vie qui est super important. Et ça, c’est vrai qu’il y a des personnes pour qui le virtuel ça crée de la distance et donc du coup se voir en physique c’est plus simple. C’est pas le cas de tout le monde et vraiment c’est le moment où ça dépend des rencontres et ça dépend des types de personnes quoi et c’est difficile.

Moi je suis une meuf qui est assez jeune, rien que ça déjà, bah en fait ça me… Eh ben j’ai pas le mot. Et alors ?

Walid : ça te met en position de faiblesse par rapport à d’autres ou…?

Maiwann : oui c’est ça, en fait je suis pas considérée au même niveau que si jamais j’étais un mec blanc de 50 ans. Et donc du coup quand j’amène mes retours en disant bah faudrait changer ça et si parce que… Il y a des postures qui sont de dire ah oui, d’accord, ok » ou « Ah d’accord, ça va être compliqué, est-ce que tu penses qu’on peut faire plutôt comme ça ou plutôt comme ça? » ou des postures plus hautes qui vont être « Non mais en fait, ça va pas être possible, tu comprends rien. » On peut pas tuer le patriarcat en faisant du logiciel libre dans la seconde, c’est pas comme ça que ça marche.

On a tous des biais, ça dépend chacun de comment on fonctionne.

Walid : il y a quand même des frustrations quand t’arrives dans ce milieu-là et que t’essayes de changer les choses et que tu t’aperçois qu’en fait ça va être vachement compliqué quoi. C’est beaucoup de diplomatie et de pédagogie quoi, non ?

Maiwann : plus maintenant, moi en tout cas je ne fonctionne pas comme ça, c’est-à-dire si les gens ils n’ont pas envie de bosser avec moi, et bien ils ont mieux à faire et j’ai mieux à faire plutôt qu’on perde notre temps à essayer de faire des trucs ensemble et puis à pas réussir. Donc non non, maintenant c’est… si les gens sont très très enthousiastes à avoir un coup de main, ça peut être avec plaisir si j’ai le temps et l’énergie, sinon chacun continue comme il faisait et puis c’est ok.

Et encore une fois c’est le conseil que je donne aux nouveaux designers qui arrivent parce que sinon l’effort fourni pour se rendre compte que rien ne va être fait, il est trop grand et c’est complètement déprimant et puis en plus ça peut vraiment casser des énergies de designers qui viennent pour contribuer au libre, qui se prennent un mur et ensuite qui repartent en disant « bon en fait les libristes c’est vraiment trop des cons, ça ça ne marche pas ».

Et j’ai quand même vraiment pas mal d’espoir dans une espèce de… je ne sais pas, c’est une nouvelle génération, c’est un peu exagéré, mais il y a un peu un truc comme ça. Moi, je vois des libristes assez jeunes, des gens qui montent des logiciels libres et pour qui instantanément l’inclusion, c’est super important. Ça passe par plein de façons de faire différentes, et notamment en disant, faites la conception de centrée utilisateur, c’est une priorité, comment est-ce qu’on peut faire? Et quand c’est ça la démarche, tout de suite, c’est beaucoup plus facile de s’insérer pour dire, moi, je peux filer un coup de main sur quoi est-ce que vous avez besoin d’aide.

Faire de la veille ?

Walid : comment tu fais ta veille pour suivre un peu les tendances, ce qui se passe etc? Qu’est-ce que tu…

Maiwann : en design ?

Walid : en design, ouais.

Maiwann : et ben plus maintenant, je faisais ça pas mal quand j’étais plus jeune à suivre beaucoup des tendances mais plutôt graphiques de qu’est-ce qui se faisait en termes de graphisme. J’avoue que maintenant peut-être parce que je fais plus du logiciel métier, l’identité graphique c’est à moins d’importance. Donc ça c’est un pan de la réponse, un autre pan de la réponse c’est je la fais tout le temps la veille, effectivement.

C’est-à-dire chaque logiciel que je ouvre, chaque site que je visite, chaque interface avec laquelle je suis confrontée dans la rue, et puis même pas des interfaces en fait parce que la conception centrée utilisateur c’est de voir comment est-ce que tu réussis à diriger les personnes ou capter leur attention d’une façon ou d’une autre, ou qu’est-ce qui fait que cette poignée de porte elle est facile à utiliser ou pas. Et comment est-ce que je comprends qu’il faut que je la pousse la porte et pas que je la tire ? ou voilà.

C’est le fonctionnement du cerveau humain, et donc je passe mon temps à observer les gens. Et vraiment, c’est une partie de mon boulot que j’adore, c’est parce que… Une partie de mon boulot, c’est de comprendre comment les gens travaillent, vu que je fais des logiciels métiers, pour adapter ensuite le logiciel à eux. Et donc, il faut comprendre toutes les choses qui sont en dehors du numérique, et c’est des supers sujets de conversation avec les personnes, parce qu’elles adorent parler de leur travail, et donc ça, c’est vraiment génial pour nous la conversation et aussi parce que ça, je déborde du sujet mais ça permet aux gens de parler de toute l’expertise qu’ils ont et qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils ont.

Donc ça valorise chaque personne, ça vraiment pour faire du lien c’est vraiment génial. Et donc ensuite de réussir à leur dire je vais faire un outil adapté à vos besoins, au début les gens ils y croient pas du tout parce qu’ils ont tellement l’habitude d’avoir des outils informatiques de merde qu’ils partent du principe que ça ne va pas être possible.

Et quand vraiment on fait des choses qui se positionnent exactement là où il faut dans leur métier plutôt qu’un truc qui les entrave ou qui leur demande de donner des gages, de pointer de je ne sais pas quoi, c’est vraiment le bonheur et ça crée un lien super parce qu’on outille les gens.

Voilà, bon, c’était la petite partie, mon métier est super, devenir designer c’est vraiment trop bien.

Walid : ça me rappelle, je ne sais plus, j’ai entendu une fois quelqu’un dans une conférence, je ne sais plus ce qu’il disait, je ne comprends pas pourquoi à la maison je peux avoir des outils hyper bien, hyper beau, etc. et pourquoi au travail, je suis oublié, enfin pourquoi je n’aurais pas le droit au travail d’avoir des outils super beau, super bien, etc. quoi ?

Maiwann : eh bien la réponse c’est que quand vous êtes au travail, vous êtes subordonné à des personnes qui décident pour vous et qui sont éloignés de votre boulot. Voire même souvent qui ne le connaissent pas à la limite et qui par réflexe, puisque vous avez acquis de l’expertise qui est très intégrée, vous avez très difficilement la valorisé et donc vos responsables ne s’en rendent pas compte.

Et donc, ils ne voient pas non plus, ça c’est mon boulot, ils ne voient pas non plus en quoi est-ce que le logiciel que vous avez vous fait perdre du temps ou vous contraint et du coup en quoi vous serez plus efficace avec un autre outil. J’ai fait un master en ergonomie en cours du soir, donc en santé au travail, et on est habitué, on est entraîné à chiffrer tout ça. Très concrètement de dire, bah oui, la personne en fait, tous les jours, elle perd tant de minutes à faire telle et telle action à cause du logiciel qu’elle pourrait, c’est du temps qu’elle pourrait gagner, c’est du temps qui rajoute de la pénibilité, donc les gens qui partent en arrêt maladie, notamment c’est parce que le logiciel il est super pénible, voilà.

Et ensuite nous, avec ces chiffres, on va voir les chefs en leur disant « Regardez, vous perdez tant de temps, vous avez tant d’arrêts maladie, les gens galèrent à faire tel truc qui est plus intéressant, à discuter avec les personnes parce qu’ils sont en train de faire de l’administratif pourri. »

Et donc, pour toutes ces raisons, on vous encourage à, notamment à changer de logiciel ou à faire un logiciel sur mesure, des choses comme ça. Mais ce qui se passe la plupart du temps, c’est qu’il n’y a pas d’ergonome et que les chefs, les managers, etc., ils doivent décider pour leurs subordonnés de quel logiciel va être pris. Ils prennent une décision et ensuite il n’y a jamais d’audit qui est fait pour vérifier qu’est-ce qui… est-ce que c’est bien, est-ce qu’il faut faire mieux, est-ce qu’il faut faire différemment.

Et tout le monde intègre le fait qu’on est tous très dépossédés du fait qu’on peut améliorer son outil de travail, son outil numérique. C’est un truc qui est très lié politiquement au fait que les concepteurs d’outils numériques, notamment les ingénieurs, ils sont très contents de garder le pouvoir en disant « Ah bah non, mais c’est comme ça, on a pensé à ta place comment il fallait faire, laisse-nous faire, c’est nous qui savons techniquement comment on fait les choses. »

Donc personne ne pense que c’est possible de se réapproprier son outil de travail, c’est un des trucs qui est super avec le logiciel libre. Et donc du coup, dans le milieu professionnel encore plus, de penser qu’on peut adapter un logiciel métier à son travail, c’est super compliqué. Cela dit, c’est vrai que ça coûte potentiellement cher. Donc il faut réussir à doser entre l’un et l’autre. Dans ma façon de travailler, moi, qu’on appellerait agile ou itérative, on essaye de faire des choses très petites qui rendent une grande valeur ajoutée aux utilisateurs. Et donc ça ne coûte pas tant de sous de ça de faire 80% du travail qui améliore la vie des travailleurs.

Walid : oui, je voulais agir. Il y a en fait, tout un nouveau domaine dans lequel il y a quelques logiciels libres. Il y en a beaucoup de propriétaires à quelques logiciels libres, qui est le domaine de ce qu’on appelle le No-code et le Low-code, où en fait, en gros, en fait, des nouvelles plateformes, des nouveaux logiciels qui permettent à des utilisateurs métiers de faire eux-mêmes leurs logiciels. Donc, en fait, reprendre le pouvoir. Et en fait, les gens ont l’impression d’être des super héros parce qu’ils peuvent designer.

Alors bon, ça pose aussi d’autres problèmes, mais ils peuvent aussi justement designer ou alors ils peuvent prendre ces logiciels et dire « Regarde, c’est ça que je veux moi, je veux un truc comme ça. Regarde, je t’ai pas fait une maquette papier ou des wireframes (NDLR : maquette fonctionnelle), je t’ai fait un truc qui tourne, regarde, c’est ça que je veux. » Et ça, c’est vachement intéressant parce que justement, tu peux redonner aux utilisateurs le pouvoir de création ou au moins de co-construction avec les utilisateurs.

Et je trouve ça super intéressant parce que justement les gens ils sont hyper moteurs de pouvoir eux-mêmes faire en fait et pas subir le fait que ah ouais mais attend je t’ai demandé mais toi tu m’as dit c’est trop compliqué on va pas le faire. Et il y a quelques logiciels libres là dessus et pour les gens que ça intéresse je vous invite à écouter l’épisode sur No-code et logiciels libres. Fin de la parenthèse.

Alors il y a un truc aussi que tu as abordé dans la conférence que j’ai écouté en 2018 et que j’ai trouvé deux choses que j’ai trouvé assez symptomatiques.

PR Welcome

Walid : la première, c’est quand t’arrives et que tu te pointes et que tu veux faire un truc et qu’on te répond « PR welcome ». PR, c’est-à-dire pull request, donc pour les gens qui ne connaissent pas, c’est que t’as le droit de prendre le code et d’envoyer des modifications pour revue et pour intégration. Donc ça, je voudrais que t’en dises deux mots parce que pour moi, c’est complètement symptomatique.

Maiwann : alors déjà, dans le monde des designers, il n’y a pas de forge logicielle. Donc c’est une façon d’accueillir la personne en lui disant « bonjour utilise mon outil et démerde toi avec » parce que potentiellement les designers ne savent même pas ce que ça veut dire… Une PR quoi… donc ça c’est compliqué.

Ça montre aussi un manque de connaissances totales de comment fonctionne un processus de design. En fait les issues ça marche notamment pour commenter du code, pour signifier un bug, pour signifier un problème et tout. Mais quand on parle de conception et donc du coup de vraiment quelque chose de plus méta où il faut prendre du recul et de dire en fait qu’est ce qu’on veut faire à qui on veut s’adresser quels sont nos utilisateurs et quels sont les besoins quelles fonctionnalités on veut mettre en avant quels sont le parcours de l’utilisateur pour qu’il puisse réussir vers ce qu’il veut qui est pas du coup les issues c’est pas du tout adapté bon les pr du coup encore pire les PR il faut il faut proposer du code donc là vraiment…

On croit que les designers ils savent coder ce qui est le cas de certains d’entre eux mais qui n’est absolument pas la majorité parce que c’est un autre boulot. Mais comme il y en a même ce serait issue welcome, en fait c’est pas adapté. Ce qu’il faut et ce qui est compliqué c’est qu’il faut discuter pour faire du design. Il faut discuter pour expliquer c’est quoi le projet, c’est quoi le but du logiciel, c’est quoi son objectif, c’est quoi qu’il veut mettre en avant, c’est qui ses utilisateurs. Et à partir de là, normalement le designer il va voir les utilisateurs et ensuite il revient et il propose des changements.

A la limite il va pas voir les designers parce que déjà… il va pas voir les utilisateurs à la limite parce qu’il se rend déjà compte des problèmes d’ergonomie de base qu’il y a sur le logiciel et donc il peut proposer des choses.

En plus, rendez-vous compte si jamais on dit ah bah il faut changer la couleur de ce bouton puis il faut le décaler de trois pixels sur la droite et puis ensuite il faudrait mettre ça plus gros et ça plus… mais ça prend un temps mais sur issue mais infini personne n’a envie de faire ça c’est vraiment trop relou.

Et puis sinon ça voudrait dire foutre des maquettes, foutre des captures d’écran, des maquettes sur une issue, mais ça aussi en termes de communication, c’est naze. Est-ce que vous, en tant que développeur, on vous dit « Ok, j’ai fait ces maquettes-là, merci de les intégrer, salut, bisous ». Ça ne fonctionne pas.

Et encore pire, moi, je ne fais plus ça, je ne file plus des maquettes sans être avec les personnes pour les présenter parce que tout le monde interprète des choses différentes des maquettes. C’est-à-dire que de façon extraordinaire, on crée un bouton, on se dit ah bah ce bouton là évidemment il mène vers cette page là et les gens imaginent que le bouton il clignote, il emmène vers des trucs, il déclenche une pop-up, des choses qu’on n’aurait pas imaginé qui peuvent être des bonnes idées parfois.

Mais donc du coup il faut absolument communiquer de vive voix ou alors il faut être vraiment très très bon à l’écrit, mais ça me semble quand même vraiment limite.

Les outils des designers vs les outils des développeurs

Walid : ça m’amène à la deuxième chose dont tu parles dans cette conférence, et qui est exactement ça, c’est aussi la différence d’outils que vous utilisez, sur lesquels vous êtes formé, versus les outils qui sont utilisés par les développeurs. Et tu cites le cas de « je veux faire du design, j’utilise des logiciels propriétaires » et donc forcément les développeurs t’envoient bouler parce que tu utilises un logiciel propriétaire.

Maiwann : Oui, alors…

Walid : c’était peut-être pas comme ça exactement que tu l’avais dit, mais c’est comme ça que je l’ai retenu à l’époque.

Maiwann : c’est exactement ça. Alors, il faut voir que quand même là, depuis la conférence de 2018, en six ans, il y a des choses qui se sont améliorées en termes de collaboration, parce que moi, je ne suis quand même pas très vieille. J’ai commencé à faire mes maquettes sur Photoshop. Autant vous dire que Photoshop, ce n’était pas adapté.

Ce n’est même pas du vectoriel. Donc, c’était la plaie. On ne pouvait pas faire du multi-écran. Donc, on avait un fichier par écran. Enfin bon, bref, j’ai l’air d’un dinosaure quand je vous dis ça mais pourtant j’ai 30 ans donc vraiment c’est pas si loin.

Maintenant on a quand même des outils qui permettent de la collaboration et qui permettent de faire des maquettes et d’envoyer les maquettes avec un lien de vision à des gens qui n’ont pas à avoir de compte sur l’outil.

Donc déjà quand même c’est beaucoup mieux qu’avant. Et même actuellement il y a un outil libre qui fait quand même un super taf qui s’appelle Penpot et qui est à mon avis en termes d’outils design open source une révolution. Parce que parce que sinon il n’y a rien qui existait qui faisait le taf un temps soit peu. Et la Penpot c’est un outil fait par une équipe super qui fait de la super conception centrée utilisateur et je suis assez étonnée du niveau auquel ils arrivent en si peu d’années.

Sinon franchement ça change tous les deux trois ans les logiciels de design qui sont en haut de la pile. En ce moment c’est plutôt Figma. Figma qui change de modèle économique tous les deux ans et donc du coup c’est plus ou moins difficile mais qui du coup permet de faire ses maquettes et ensuite d’envoyer un lien à personne et de réussir à discuter sur la même base. C’est quand même plus sympa et beaucoup plus facile qu’avant.

Walid : est-ce que en travaillant dans le logiciel libre tu as changé les outils que tu utilisais pour travailler ?

Maiwann : oui, absolument, parce que… Mais ça, c’est plus d’un côté politique ou éthique, c’est-à-dire que moi, ça m’emmerde profondément d’être enfermée avec des logiciels. Il faut voir que la suite Adobe, avant, on pouvait acheter les licences pour une version du logiciel, maintenant, c’est que du mensualisé. Et donc, du coup, ça veut dire que, moi, mettons mes .PSD, si jamais j’arrête de payer la licence, je ne peux plus les utiliser.

Donc, en termes de garder son outil de travail, c’est quand même complètement scandaleux. Donc ça déjà je trouve que c’est du hold up et c’est dégueulasse donc j’ai essayé d’éviter ça.

Il y a aussi que dans ma façon de travailler, moi maintenant je fais beaucoup moins de maquettes et je fais quasiment que du pair avec les développeurs. Donc ça veut dire que ce qu’on fait souvent c’est que les développeurs je leur dis « tu fais une première version de l’interface dégueulasse, le truc le plus rapide que tu arrives à faire et tout », et dans un deuxième temps, ensemble, tu vas partager ton écran et moi je vais te dire exactement ce qu’on disait tout à l’heure. « Ah le bouton, du coup là tu mets une bordure de 3 pixels, tu le mets en bleu, tu mets le fond comme ça, ah bah tu mets plus grand, tu mets plus petit, tu mets plus de marge », des choses du genre.

Les avantages que ça a c’est que ça évite de moi faire une maquette complètement hors sol des contraintes techniques et ensuite de la donner au développeur que le développeur il a l’impression de l’intégrer proprement mais en vrai il y aura plein de choses qui iront pas et donc du coup faudra faire des allers-retours, ça va être super relou.

Et en plus le pair design ça prend un peu de temps parce que le temps que la personne elle code les changements que tu viens de lui demander c’est un peu… je passe un peu de temps à regarder mon ordinateur à rien faire. Mais par contre une fois que c’est fait c’est fait, c’est à dire qu’une fois que c’est fait, pour le coup là le développeur il envoie la PR et en balais c’est pesé, il n’y a pas à revenir dessus.

Et donc ça me permet de faire beaucoup moins de maquettes et pas des maquettes qui sont très léchées, au pixel près, des choses comme ça. Ça permet aussi de tester les responsives en direct, donc c’est super.

Voilà, et donc peut-être que Penpot ça ne conviendrait pas à tout le monde et qu’il y a des designers qui voudraient faire des choses assez précises pour qui ça ne fait pas le taf actuellement. Moi je suis vraiment à vouloir avoir un outil à la limite de faire des schémas, même des schémas à la main pour montrer aux développeurs à peu près ce que je veux. Et je lui dis tu fais un truc moche, ensuite on fera mieux.

Franchement ça fait super bien le taf et j’ai oublié ta question initiale…

Walid : est-ce que tu as changé les outils que tu utilisais par ton entrée dans le logiciel libre ? Est-ce qu’avant tu utilisais des outils propriétaires et maintenant tu utilises des outils libres ? Est-ce que tu utilises toujours certains outils propriétaires ? Comment est-ce que tu travailles en fait ?

Maiwann : j’utilise le plus possible du libre, mais ça c’est aussi parce que franchement en ayant une casquette Framasoft et en baignant dans une pluralité de logiciels libres, je trouve souvent mon bonheur. Donc je n’ai pas de raison d’aller vers du propriétaire.

En termes politiques aussi ça fait plus sens. Après, moi tant que je ne me sens pas coincée par du propriétaire, je ne suis pas complètement sectaire. C’est-à-dire que par exemple, j’ai un Macbook que j’ai acheté pendant mes études de design et qui tient depuis 2012. Je pense que je suis plus écologiste que libriste et donc du coup il tourne toujours sous macOS et j’ai pas de raison de m’en éloigner parce que le fait qu’il soit sous macOS ça me coince pas.

Mais effectivement j’ai basculé quasiment tout et je bascule dès que possible parce que là vraiment c’est plus en termes politiques. C’est-à-dire que les GAFAM et la situation politique un peu globale d’augmenter la surveillance et des choses comme ça est tellement en train de se durcir, que c’est difficile de se dire j’utilise un outil propriétaire et puis c’est pas grave. Il y a toujours une petite arrière-pensée qui dit que quand même les données elles sont captées et que à un moment ça pourrait nous retomber sur le coin de la gueule.

La reconnaissance du travail de Maiwann

Walid : on en a parlé un peu tout à l’heure comment les contributions des designers elles sont perçues et valorisées, on en a un peu parlé. Je voulais savoir plutôt quelle reconnaissance toi tu tires de ça en fait ? Quelle est la manière dont les projets te mettent en valeur et te donnent envie de continuer à travailler avec eux ?

Maiwann : après une collaboration qui marche bien c’est bon c’est pas que dans le design, c’est toujours super gratifiant et je trouve que ce qui est de plus gratifiant encore dans le logiciel libre c’est que c’est la partie bien commun, c’est-à-dire que t’as l’impression de contribuer à un truc qui te dépasse en plus, donc ça c’est vraiment chouette. Et si je reprends ma contribution à Exodus, qui est une contribution qui a été rémunérée en plus, donc vraiment c’était super chouette de la part de l’association.

Ensuite, quand en atelier j’utilise Exodus et qu’ils disent « ah ben l’application elle est super, c’est vachement facile à utiliser », alors que je sais qu’on disait pas ça avant qu’on travaille ensemble, c’est vraiment en termes de valorisation personnelle, c’est génial.

Un autre effet qui est potentiellement très gratifiant pour l’ego, même si complètement problématique en termes plus global, c’est que quand on parle de design dans le logiciel libre, c’est souvent moi qu’on mentionne. C’est valorisant un temps, c’est sympa, et puis en fait c’est complètement problématique parce que ce qu’il faudrait, c’est pouvoir s’adresser à un collectif.

Mais c’est vrai que ça a ce super avantage… et puis ça m’apporte du boulot. Ça pour le coup, c’est-à-dire que moi je croise pas mal de personnes dans le milieu du logiciel libre qui pour le coup du coup n’ont pas du tout de culture design et qui à un moment quand dans leur vie pro ont un projet et se disent que ça serait bien de réussir à parler avec les utilisateurs, qu’ils se retournent vers moi parce qu’ils m’ont trouvé sympa dans un autre contexte et pour du coup un contexte pro ils se disent que ça serait sympa de bosser avec moi aussi.

Walid : avoir un collectif pouvoir échanger etc c’est quand même quelque chose de bien mais toi ça t’arrive de… ça t’est arrivé de pas d’aller faire des conférences dans des écoles dans des écoles de design par exemple ? Pour expliquer un peu ton travail ou pas ?

Maiwann : bah ça m’est jamais arrivé non. Après mon travail en tant que tel… en fait ça n’arrive pas beaucoup.

Moi j’ai l’impression que j’ai fait des interventions dans des écoles plutôt d’ingé informatique pour Framasoft pour parler de logiciels libres, mais qu’on me demande d’intervenir pour parler de design, de ma façon de faire du design, soit du côté logiciels métier, coopération avec les utilisateurs, soit du côté logiciels libres, je crois pas que ça me soit arrivé tout court.

Et je trouve que c’est super dommage, mais à mon avis ça montre aussi un manque de porosité… entre, je pense que des écoles du design, il n’y en a pas tant que ça en fait. Elles sont souvent privées, elles sont souvent éloignées du milieu de l’informatique. Elles touchent plus dans des milieux qui seraient côté communication ou artistique. Ce qui fait que c’est pas mon milieu et ces gens-là me connaissent pas. Beaucoup moins que des… Je pense que je suis… Enfin, je, via framasoft, parce qu’en vrai le fait que je sois connue c’est beaucoup Viaframasoft, est beaucoup plus connue, reconnue dans les écoles d’ingé informatique que dans tout ce qui est milieu du design et tout, c’est pas du tout le même monde.

Idée reçue : pas de designers dans le libre car il n’y a pas d’argent ?

Walid : tu as effleuré un sujet dont je voulais qu’on parle un peu aussi. Tu as dit en fait j’ai du boulot, le fait d’être un peu toute seule fait que j’ai du boulot. De loin j’avais une idée qui est peut-être très fausse qui est de dire il n’y a pas de designer dans le logiciel libre aussi parce qu’il n’y a pas forcément d’argent. Ce qui fait qu’on n’a pas forcément d’argent pour payer des gens pour travailler sur ces sujets là en fait. Est-ce que c’est plutôt quelque chose qui est faux ? Est-ce que c’est incomplet ? Enfin qu’est-ce que tu penses de cette…

Maiwann : si, si, je pense que c’est vrai et faux. C’est-à-dire que sociologiquement, les développeurs sont mieux et mieux énervés que les designers parce que du coup, voilà, le prestige des développeurs n’est pas du tout le même que celui des designers qui sont plutôt considérés comme « oui, bon, vous faites votre com et vos dessins là, vous êtes gentil mais vous êtes plutôt associé aux artistes qu’aux techniciens ».

Tandis que côté ingé informatique, vous êtes plutôt associé aux ingénieurs qu’aux techniciens, donc c’est quand même pas la même chose. Et donc du coup, effectivement, il y a plus besoin d’argent pour des designers que pour des développeurs. Si je fais vraiment grosse vaille, voilà. Le monde des designers a plus besoin d’argent que le monde des développeurs.

Aussi, c’est un métier plus féminin, le design que le développement. Donc c’est pareil, en termes d’argent, on est moins bien rémunéré donc du coup c’est plus cool d’avoir de l’argent. Cela dit, des fois c’est un point qui est opposé mais de façon assez austère voire même odieux en disant oui mais de toute façon les designers ils veulent pas contribuer parce qu’il n’y a pas de thunes.

Sous-entendu, de toute façon ce milieu de marketeux qui sont là que pour manipuler les gens et pour faire de la grosse thunasse, si jamais on leur file pas 10 000 balles pour nous aider sur un projet, ils vont jamais l’aider. Bon, des gens qui font de l’associatif, chez les designers, il y en a comme chez tout le monde. Et donc du coup, je crois vraiment qu’il y a…

Walid : une inconnaissance en fait.

Maiwann : oui, un énorme manque de culture. Vraiment, je pense que c’est ça le truc fondamental.

C’est-à-dire qu’en BTS, à la fin du BTS, on a un projet de fin d’année à faire. Et donc, il faut qu’on trouve une vraie structure ou un vrai projet pour pouvoir passer du temps à, souvent, c’est construire une identité graphique, faire une espèce de campagne de com, des choses comme ça. On a tous galéré à trouver des gens. Moi j’ai fait ça pour une personne qui était intermittente du spectacle, qui était conteuse. Il y en a d’autres qui ont démarché des cafés, enfin voilà, des choses comme ça.

Mais des gens qui n’avaient pas potentiellement vraiment besoin de quelque chose, mais qui se sont dit bon bah ça va être sympa, on va avoir une campagne de com gratuite, lui va faire son projet de fin d’année, voilà.

Mais des projets libres qui auraient besoin d’identité graphique, mais il y en a plein. À aucun moment, personne ne nous a dit, ni les profs, ni nous, on s’est dit qu’il y avait tout un monde du numérique qui était prêt à avoir des contributions étudiantes, mais bon, on est quand même meilleur que des développeurs qui n’ont jamais touché un outil de maquettage de leur vie pour filer des coups de main. Ça n’existait pas.

Donc je pense que c’est ça le truc le plus grand… je ne veux pas enlever l’aspect rémunération parce que c’est quand même pourtant… on est dans un monde capitaliste, avoir de la thune à la fin du mois c’est quand même sympa. Mais on n’est pas juste motivé par la thune, juste si jamais le monde du logiciel libre n’existe pas, et en plus n’est pas accueillant, forcément les designers ils vont pas se dire spontanément « bon ce soir j’ai rien à faire entre regarder une série et aller me friter avec des libristes qui ont pas envie de moi et avec des logiciels que je ne sais même pas la différence entre le logiciel libre et le logiciel propriétaire, forcément les gens ne vont pas venir vers le monde du libre. C’est normal.

Walid : mais avec tout ça, donc là on a un peu parlé d’Exodus, mais est-ce que tu as des exemples de projets open source qui ont réussi à intégrer des designers où ça s’est vraiment bien passé ?

Maiwann : non, je trouve que c’est difficile à dire parce que je ne suis pas dans l’arrière-boutique de tout le monde pour me rendre compte de comment ils travaillent avec des designers et comme la communauté n’est pas bien construite, ben on n’a pas trop de retour d’expérience entre nous de « Ah, untel a contribué avec untel logiciel et puis ça a marché super bien donc » et après aussi j’ai des personnes proches de moi qui ont des maraudes de logiciels qu’ils trouvent super bien conçus et donc du coup qu’il faudrait que je cite un exemple. On me cite souvent Blender en exemple quand même comme étant un super logiciel hyper bien conçu alors que c’est très technique mais moi je l’utilise pas du tout donc en fait je peux pas me rendre compte.

Donc vraiment c’est difficile à dire et puis ce que je peux dire quand même c’est que à chaque fois que je dis que j’ai dit « ça serait bien de faire rentrer plus de design dans le logiciel libre » quand il y a des gens qui m’ont posé des réponses, ils m’ont posé des réponses du genre « mais il y a Framasoft qui travaille déjà avec des designers ». Et j’étais là en mode, oui, alors je suis dans l’association, je sais qu’on a bossé avec Marie-Cécile Paccard et là avec une coopérative de designers qui est à Lyon et qui s’appelle la coopérative des internets, je crois, quelque chose comme ça. Qui nous aide sur Peertube aussi à Framasoft.

Il y en a marre que ce soit Framasoft qui ouvre la voie, il faut suivre en fait. Donc Framasoft qui fait les choses bien en premier, c’est bien. Maintenant, ce n’est pas parce que Framasoft le fait qu’on peut dire que le monde du logiciel libre le fait. Ça ne va pas, ça.

Recommandations aux designers qui arrivent dans le monde du libre

Walid : tu en as un peu parlé tout à l’heure, mais quelles recommandations tu ferais à des designers qui veulent contribuer, qui arriveraient dans le monde du libre ? Quelles seraient tes recommandations ?

Maiwann : je pense qu’il faut réussir à les mettre en garde sur le fait que la culture du design n’est pas du tout développée et qu’en plus on est dans un contexte potentiellement bénévole, ce qui change beaucoup la donne en termes d’envie de faire les choses et de les intégrer. Et donc il faut vraiment réussir à trouver des gens avec qui ça matche, qui ont envie de faire des choses. Et idéalement un périmètre assez restreint pour commencer la collaboration pour ne pas se jeter dans une refonte à corps perdu qui ne sera peut-être jamais intégrée parce que c’est vraiment le risque.

Et que si jamais vous avez assez d’énergie et assez de background, l’idéal c’est de réussir à embarquer les développeurs pour leur montrer qu’en fait c’est super chouette de rencontrer les utilisateurs.

J’ai déjà fait moi au JDLL une année un atelier qui était tests utilisateurs. Il y a une personne à la fin qui m’a dit « ah là c’est incroyable ça fait dix ans que je développe mon logiciel je ne m’étais jamais assis à côté d’un utilisateur pour le voir l’utiliser ». Ça c’est pas possible ça ! Et du coup c’est incroyable ça veut dire qu’on a une marge de manœuvre énorme. C’est aussi moi le retour que j’ai eu sur Exodus Privacy parce qu’une des premières questions que j’ai posées c’est « Ok vous voulez améliorer l’utilisabilité mais c’est qui vos utilisateurs » ?

Et il m’a été répondu nos utilisateurs c’est le grand public. Et ma réponse a été « le grand public ça n’existe pas, il faut être plus précis ». Et donc là on commence à tisser un lien entre le concepteur du logiciel, les développeurs et leurs utilisateurs. Et ensuite si jamais on arrive à soit les faire se rencontrer, soit c’est pas grave parce que le designer est là pour rapporter la parole des utilisateurs. Et donc de dire, on voulait se concentrer sur telle fonctionnalité, et bien voici comment elle est utilisée par telle et telle personne ou telle et telle catégorie de population et donc voici comment on pourrait faire mieux pour que ce soit plus facile, ça commence à créer du lien et ça serait super chouette.

Parce qu’en vrai, on retourne toujours à ça, c’est pourquoi est-ce qu’on fait des outils, c’est pour être utile à des gens ou être reconnu, donc on parle toujours de faire du lien et pourquoi est-ce qu’on veut faire des outils plus faciles à utiliser, là aussi c’est pour faire du lien donc si on arrive à finir le tissage ou l’étoile comme ça en embarquant les gens c’est super.

Sinon le risque c’est d’être déçu d’un côté et de l’autre et de pas avoir envie de se remouiller et ça serait quand même super dommage de perdre des belles énergies parce qu’on en manque trop.

Conclusion

Walid : ça fait déjà une heure qu’on parle, ça passe vite. On arrive un peu sur la fin et en conclusion, avant de te donner la parole pour une tribune libre, j’aurais deux petites questions à te poser qui sont en gros à peu près ce que tu as dit, mais j’aimerais bien que tu puisses donner une ou deux phrases là-dessus.

C’est qu’est-ce que tu dirais à un designer qui ne connaît pas le libre pour lui donner envie de rejoindre des communautés de libristes ?

Maiwann : je dirais que ce qui est super, c’est comme faire de l’associatif mais avec tes compétences professionnelles et donc du coup ça c’est vraiment trop chouette et en plus dans un milieu qui manque cruellement de designers et donc où tu peux avoir une valeur ajoutée folle parce que je répèterai que c’est des gens qui n’ont jamais croisé leurs utilisateurs qui ne savent pas ce que c’est un test utilisateur, qui qui ont potentiellement aucune notion d’ergonomie avec un logiciel qui a été monté au fur et à mesure comme ça leur paraît bien. Et donc que la plus-value à apporter elle est énorme d’un côté.. et en plus comme c’est pour le bien commun c’est quelque chose qui potentiellement te dépasse… qui te permet de mettre tes compétences au service de quelque chose qui n’est pas commercial et rien que ça en termes politiques ou d’horizon positif c’est vraiment trop chouette.

Walid : et qu’est ce que tu dirais à un développeur de logiciels libres pour lui présenter le métier de designer. C’est pas facile.

Maiwann : non, c’est pas facile. Et puis moi, les gens qui viennent me parler pour que je travaille avec eux, visiblement ils comprennent toujours pas ce que je fais. Pourtant, ils ont envie de travailler avec moi. Donc il y a une espèce de mystère un peu toujours autour de ça. Parce que quand on commence à travailler ensemble, ils disent c’est vraiment super de travailler avec toi, mais j’avais aucune idée que c’était ça que tu faisais. Donc je me dis que vraiment, je suis pas super bonne à ce jeu là.

Bon, quand même, en fait, je pourrais dire que l’idée, c’est que quand on développe un logiciel, on a déjà le cerveau tellement enfoui dans la technique que c’est très difficile de faire quelque chose de facile à utiliser et qu’il y a des gens dont c’est le métier et pour qui c’est facile d’aller rencontrer les utilisateurs, d’aller réussir à dire « ça c’est facile à faire, ça c’est pas facile à utiliser, on peut améliorer comme ci et comme ça » et donc ça décharge d’une grosse difficulté quand on essaye d’avoir les deux pieds dans deux bateaux différents. Voilà, ça permet de guider sa propre barque et d’avoir quelqu’un à côté qui fait aussi du canoë kayak pour nous accompagner et pour faire le lien avec les utilisateurs.

Ça enlève une grosse épine du pied et ça a un intérêt si jamais on commence à se galérer avec des retours utilisateurs où on nous remonte des problèmes d’utilisabilité mais qu’on sait jamais comment résoudre parce que c’est pas notre domaine de compétences.

Walid : j’ai vraiment l’impression que de tout ce que j’entends, qu’il y a une énorme méconnaissance dans le monde libre de toute la partie design.

Maiwann : in pourrait dire aux développeurs que c’est vrai que le meilleur moment pour faire intervenir un designer, c’était le premier meilleur moment, c’était au début du projet et le deuxième meilleur moment c’est maintenant quand vous y pensez. Et c’est ok. Et le designer il est aussi là pour vous accompagner si vous êtes un peu perdu.

L’important c’est vraiment la posture. Vous n’êtes pas censé savoir comment le guider exactement, il est là pour ça, mais par contre de réussir à rentrer en échange avec lui pour réussir à faire un meilleur logiciel, c’est vraiment ça qui est chouette.

Tribune libre

Walid : cool. Eh bien écoute, avant qu’on se quitte, c’est la tribune libre. Je te laisse la parole, si tu veux faire passer un message aux auditrices et aux auditeurs de Projets Libres!

Maiwann : eh bien je ne vais pas du tout parler de design, mais je vais quand même parler de faire du lien et de soin. Je pense qu’en ce moment et ces derniers temps, c’est vraiment difficile de faire des projets qui sortent un peu du cadre et je pense que le logiciel libre, ça sort un peu du cadre. Et que c’est important que chacun, chacune d’entre vous, prenne le temps pour faire des choses qui lui font plaisir, ou lui font du bien, ou font du bien autour d’eux, prennent soin de soi, prennent soin des autres, c’est vraiment chouette.

Ça marche pour le logiciel libre, ça marche pour ses proches, ça marche pour prendre du temps de recul et pour arrêter d’avoir la tête dans le guidon. Et donc j’aimerais bien, si jamais on peut prendre un petit temps de respiration tous pour réussir à reprendre son souffle, parce que je trouve qu’on est dans une course un peu exténuante, où on a peu de victoires et peu de raisons de se résoudre avec un espèce de gros rouleau compresseur dans plein de milieux et notamment dans le logiciel libre où les GAFAM ne prennent pas de pause pour nous laisser un peu tranquilles.

Le milieu politique non plus par rapport à la surveillance généralisée. Donc faites un truc qui vous fait du bien, faites des gâteaux ou apportez des gâteaux aux autres, aux gens qui font des logiciels libres que vous aimez bien, envoyez-leur un peu de love, faites des petits dons, ça fait plaisir, envoyez-leur un message d’amour sur les réseaux sociaux en leur disant que ce qu’ils font c’est vraiment cool et ça leur a fait plaisir.

Si vous écoutez le podcast, d’envoyer un petit message pour dire « Oh là là, j’ai vraiment bien aimé ce podcast, c’était cool! » Voilà, du partage de reconnaissance et de love, ou juste faire des gâteaux, ou juste faire des siestes. C’est vraiment cool. Voilà !

Walid : c’est super, envoyez-moi des gâteaux et envoyez-moi des messages pour me dire que c’est cool et que vous appréciez le podcast. Ça me va très bien aussi, ça donne de la motivation, c’est super! Merci beaucoup Maiwann pour ton temps. Je suis ravi d’avoir pu échanger avec toi, parce que c’est un sujet que je connais pas très bien, mais que je sais qu’il est extrêmement important.

Donc, j’espère que les auditrices et les auditeurs de Projets Libres!, ils en ont appris un peu plus et que ça leur donnera envie de creuser ce sujet-là. Et j’espère qu’on pourra se reparler à un autre moment pour reparler de design, pour reparler de logiciels libres, de Framasoft, je sais pas, voilà, dans le futur quoi.

Maiwann : de monter sa coopérative pour ne plus être subordonnée au milieu du travail.

Walid : voilà. Avec grand plaisir. Super. Eh bien écoute, merci beaucoup, à bientôt et puis pour les auditrices et les auditeurs, comme d’habitude, envoyez-moi des messages, essayez de partager sur les réseaux sociaux et vous pouvez me joindre sur Mastodon, toutes les infos sont sur le site internet, rubrique Suivre le podcast. Voilà, à bientôt, merci Maiwann !

Maiwann : merci !

Cet épisode a été enregistré le 9 juillet 2024.

Licence 

Ce podcast est publié sous la licence CC BY-SA 4.0 ou ultérieure. 

2 réflexions au sujet de “Designers UI/UX et logiciel libre – Maiwann”

  1. Pourquoi ne peut-on plus télécharger les fichiers son directement depuis le passage à Castopod ?

    IL existe encore des gens qui écoutent le podcast avec un lecteur mp3. Si si !

    Répondre

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