Valentin Chaput – Decidim : démocratie et outils de participation citoyenne par OPEN SOURCE POLITICS

Interview de Valentin Chaput – Decidim

Walid : bienvenue pour ce nouvel épisode de Projets Libres! Aujourd’hui, nous allons parler de logiciels libres et de démocratie participative. Tout a commencé lorsque j’ai été contacté par Sarah Krichen qui travaille chez Open Source Politics et qui m’a proposé de parler d’un logiciel qui s’appelle Decidim. En tant que libriste, Open Source Politics m’intéressait. J’ai donc commencé à regarder le site de la société et le site du logiciel Decidim.

Et ça m’a semblé passionnant et donc je lui ai proposé qu’on fasse une entrevue à ce sujet. Nous voici donc aujourd’hui avec Valentin Chaput qui est un des fondateurs d’Open Source Politics. J’espère que tu vas bien pour commencer.

Valentin : je vais très bien merci et c’est un plaisir partagé d’être là. Merci pour l’invitation.

Présentation de Valentin Chaput

Walid : je te laisse la parole pour commencer par te présenter et nous dire un petit peu quel est ton parcours et comment tu en es arrivé à travailler dans ce secteur maintenant.

Valentin : très bien. Ben oui, je vais essayer de ne pas être trop long. Donc moi je m’appelle Valentin Chaput, j’ai 36 ans. J’ai un parcours plutôt côté politique, si on regarde le nom de notre entreprise Open Source Politics, puisque j’ai fait des études de sciences politiques, j’ai travaillé dans des institutions locales, nationales, et j’ai décidé il y a maintenant 8 ans de sortir de ce monde-là, du monde politique classique, institutionnel classique. Et à l’époque, je me suis intéressé davantage au numérique, et j’ai essayé assez rapidement de faire le pont entre les deux. Donc j’ai fait une petite formation pour apprendre les bases, les rudiments du code et surtout la compréhension de ce qui se passe derrière un logiciel.

Et il se trouve qu’à travers cette formation, j’ai commencé à développer un projet qui était de pouvoir suivre l’écriture des lois en temps réel et y contribuer. Donc c’est un projet qui finalement ne s’est pas fait sous cette forme. D’autres ont essayé, ont fait des belles choses, notamment Regards Citoyens. À partir de là, en fait, ça m’a donné l’occasion de rencontrer un certain nombre de personnes qui étaient dans ce champ émergeant qu’on appelait la Civic Tech, c’est-à-dire l’usage des technologies pour l’engagement civique, citoyen, la démocratie, la participation démocratique et la transparence des institutions.

Et donc de fil en aiguille, avec ceux avec qui j’avais le meilleur contact, on a en fait décidé de s’allier. On a créé à l’époque un meetup en 2015 qui s’appelait déjà Open Source Politics. Et l’idée c’était tout simplement d’accueillir tous les gens qui avaient des projets dans ce domaine-là et d’essayer de discuter, de tous collaborer autour de ça et de les médiatiser.

Et nous on avait un axe important qui était qu’on voulait travailler avec des logiciels libres parce que ça nous paraissait évident dans cet enjeu de collaboration entre nous, mais aussi plus largement dans un enjeu de transparence puisque notre sujet était la vie politique, la vie publique.

Ça nous paraissait complètement naturel que déjà s’il y a un lien avec la prise de décision, il faut qu’on sache comment ça se passe. Donc on avait vraiment une approche pour auditer du code. On voyait qu’il y avait d’autres logiciels qui commençaient à exister en France et ailleurs dans le monde et on se disait puisque ça existe ailleurs on va déjà essayer de s’en sortir plutôt que de réinventer là. Et donc on s’est orienté vers des logiciels libres et on a eu plusieurs vers le temps et en fait le premier qu’on a utilisé c’était DemocracyOS, un logiciel qui a été créé en Argentine entre 2012 et 2014.

Donc en 2015-2016 on a commencé à s’en servir. Une première collectivité qui était la mairie de Nanterre nous a fait appel à nous en fait sous forme associative pour essayer de les aider à déployer une plateforme. C’était l’agora permanente de Nanterre, participez.nanterre.fr. A partir de cette expérience on s’est aperçu que forcément ça allait intéresser d’autres entités publiques notamment et donc pour ne pas perdre notre énergie associative et militante, on a décidé avec trois associés de monter une entreprise, Open Source Politics, et de rester impliqué mais de laisser évidemment la gestion de l’association DemocracyOS qui a encore vécu pendant quelques années à d’autres membres de l’association pour qu’il y ait bien une distinction entre une activité commerciale et une activité plus associative.

Et nous on a commencé à se consacrer donc aux logiciels libres, aux communs et à la démocratie.

Qu’est ce que la Civic tech ?

Walid : ce qu’on appelle la Civic Tech, je suppose qu’au moment où tu commences à rentrer dans ce milieu là, ça s’appelle pas encore la Civic Tech. C’est quoi un peu le panorama à l’époque ? Est-ce que c’est majoritairement des logiciels propriétaires ?

Valentin : alors la Civic Tech c’est un terme qui a été créé en 2013 aux Etats-Unis. Mais à l’époque ça désignait pas forcément que ça, puisque c’était pour eux un peu synonyme de tout ce qu’étaient les plateformes coopératives. Et donc dans les premières cartographies de Civic Tech qui sortent dans des études, ils mettent Airbnb et Uber dedans, parce que du coup c’est la désintermédiation. Et donc ça permet aux gens de s’organiser pour prendre un taxi, pour réserver une chambre. Et donc évidemment c’est pas du tout ça qu’on a voulu faire.

Et donc après il y a eu une définition autour de 2015-2016, au moment où nous on a commencé à parler de ce sujet là et un peu l’emporter en France avec d’autres, on s’est orienté davantage sur d’une part tout ce qui relève du Gouvernement Ouvert, l’Open Government, donc là il y a aussi tout un champ bien précis. Et finalement c’est un volet sur lequel se sont construits la plupart des entreprises qui ont perduré jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire des outils qui sont utilisés par les gouvernements, qui les achètent et qui ensuite les déploient pour l’interaction avec les citoyens. Puis il y a un autre volet qui est plutôt de l’organisation, aussi plus civique, citoyenne, par définition, et peut-être un peu plus militante aussi.

Et nous on a essayé toujours de trouver un équilibre entre les deux, donc de garder un pied dans la société civile et en même temps d’être un fournisseur, un prestataire de services pour notamment des institutions publiques. En fait avant l’élection présidentielle de 2017, il y a eu une montée assez simultanée de beaucoup de solutions. Je pense que ça répondait aussi à des enjeux déjà de maturité technique.

Il faut se rappeler qu’on était juste avant et pendant le Brexit, l’élection de Trump, Cambridge Analytica, donc on n’avait pas encore une vision trop négative des réseaux sociaux, de ce qu’ils apportaient et ont commencé à au contraire prendre du recul. On avait un peu cette idée que l’avenir c’était les entrepreneurs tech, il y avait une vision assez solutionniste chez beaucoup de gens et nous en fait, et notamment moi à travers mon expérience passée dans des collectivités territoriales. Moi j’ai notamment beaucoup travaillé à Aubervilliers qui est la ville où il y a le moins de gens qui votent pour plein de raisons, du coup je savais que ça servait à rien d’avoir un nouveau gadget technologique, il valait mieux s’attaquer au cœur du problème de la participation et se dire que des outils numériques allaient être un relais, un outil supplémentaire dans une palette plus large pour essayer d’associer les citoyens.

Et donc en France il commençait à y avoir effectivement un certain nombre de solutions qui ont pu faire plein de choses différentes, il y avait des projets, par exemple en ce moment on entend beaucoup parler de Jean Massiet avec son émission Backseat qui est sur Twitch et qui a politisé finalement… enfin qui a fait des émissions d’explications politiques sur YouTube et Twitch. C’est le moment où il a commencé à le faire. Il y a une association démocratie ouverte qui s’est structurée aussi à ce moment-là et qui a associé beaucoup d’acteurs de la participation citoyenne et notamment numérique. Et puis donc il y a une série de plateformes qui ont commencé à émerger.

La plupart étaient propriétaires. Et nous on est arrivé dans cet écosystème-là en disant que ça ne pouvait pas être comme ça que ça se passait. Et on s’est associé avec d’autres acteurs, avec Inno3, qui est un cabinet qui travaille sur, je crois qu’il est déjà interviewé dans le podcast, Benjamin Jean.

Walid : ouais, Benjamin.

Valentin : avec Regards Citoyens, avec quelques personnes qui étaient chez Etalab. Et en fait on s’est dit qu’on avait envie de montrer qu’il y avait une autre scène autour du logiciel libre. Et puis on a construit petit à petit nos outils en réadaptant ce qui avait été fait en Argentine avec DemocracyOS, à Taïwan avec g0v et toute l’organisation d’Audrey Tang, qui est un personnage assez intéressant aussi à étudier, qui est ministre du numérique, et qui a commencé par faire des hackathons citoyens, ce qu’on a essayé de reproduire en France en 2016-2017.

Et de fil en aiguille, à mesure que nous on cherchait des outils qui commençaient à les vendre à des institutions et d’autres organisations, on s’est rapprochés de ce qui était fait en Espagne, avec d’abord Madrid puis Barcelone, et puis c’est ce qui nous a mis sur la voie de Decidim. Et donc toujours avec ce peu de libre et de participation citoyenne.

Walid : est-ce que tu peux juste me dire un petit peu sur cette communauté sur laquelle vous travaillez, un peu Civic Tech ou OpenGov, comment elle est structurée ? Est-ce qu’il y a des rassemblements comme par exemple, je sais pas, pour le logiciel libre de manière générale, on a des rassemblements comme le FOSDEM ou des salons. Comment ça se passe en fait ? Comment vous insérez dans tout ça ?

Valentin : d’une certaine manière, c’est peut-être un peu l’âge avançant, une remarque déjà de vieux, mais il y avait une ébullition évidente il y a 7-8 ans, à nouveau autour de la préparation des élections de 2017. C’est le moment de la primaire.org, de MaVoix, donc des mouvements qui essayent de changer les règles du jeu avec des outils numériques. À ce moment-là commencent à émerger quelques acteurs économiques, dont Open Source Politics, mais il y a encore beaucoup de militants, de pionniers autour de Solus.

Forcément, il y a un point d’un constat qu’on a fait quelques années après, ceux qui ont survécu trois, quatre ans après, c’est parce qu’ils se sont constitués en entreprise et ils ont créé un modèle économique et les autres ont fini par s’essouffler à quelques exceptions près. Mais il y a une professionnalisation de cette scène-là. Et finalement, il n’y a jamais vraiment eu de second souffle aussi fort que ce qu’on a connu à ce moment-là. Et donc aujourd’hui, il y a toujours quelques initiatives qui émergent de temps en temps. Donc là par exemple dans le dernier cycle électoral, ce qui avait pu émerger, qui relève de la Civic Tech, c’est l’application Elize, par exemple, vous avez peut-être entendu parler, qui permettait de comparer des programmes de manière assez ludique sur une application. Quelques défauts mais voilà, avec un certain retentissement médiatique.

Mais il n’y a pas eu un mouvement aussi fort avec des dizaines de projets, des centaines de personnes qui participaient à des hackathons tous les deux mois. C’est ce qu’on a organisé en 2016. Cette émulation-là a peut-être un peu disparu. On retrouve un peu la logique de la Civic Tech dans les démarches Open Data. On peut d’une certaine manière dire que, moi je rattacherais bien tout ce qui a été fait pendant le Covid, avec les Covid Trackers et compagnie, qui étaient du coup des citoyens qui s’organisent pour utiliser de la donnée publique et apporter un service nouveau, pour moi c’est un peu de la civic tech aussi, c’est-à-dire qu’il y a une finalité qui est destinée aux citoyens et il y a cette idée que la technologie libre peut permettre cette encapacitation, cette montée en compétences et ce partage d’informations plus larges.

Et donc il n’y a pas forcément énormément de rassemblement. Alors ce qui existe, je les ai déjà cités, c’est la Démocratie Ouverte qui est un peu une association qui fédère une partie de cet écosystème. Nous on a été parfois un peu critique par le passé parce que justement ils n’avaient pas cette dimension open source qui était dans leur fondement, mais progressivement ils se sont aussi transformés sur le sujet. Ils continuent d’organiser un certain nombre d’événements, mais c’est vrai qu’il n’y a pas une ébullition énorme autour du sujet, comme on a pu avoir Nuit Debout et beaucoup d’autres mouvements qui ont construit et constitué aussi un peu cet écosystème à nouveau il y a 7-8 ans.

Walid : si maintenant on commence à parler de Decidim et on parlera après d’Open Source Politics justement pour voir comment vous insérez là-dedans, comment vous contribuez etc. Est-ce que tu peux nous faire un petit peu l’historique de Decidim ? Quel environnement politique permet l’émergence de solutions comme Decidim ?

L’histoire de Decidim et l’environnement politique de l’époque

Valentin : d’une certaine manière, tout cet environnement, même s’il y a déjà eu des solutions avant, mais tout cet environnement naît aussi un peu de l’année 2011 avec les printemps arabes, les mouvements Occupy et dans le cadre de l’Espagne, les Indignés, ce qu’ils appellent le 15 mai.

Et donc ce qui s’est passé, c’est que cette génération qui s’est mobilisée en 2011 en Espagne, en fait, est arrivée à maturité quelques années après. En 2015, aux élections locales, des coalitions citoyennes, qui étaient le plus souvent soutenues par Podemos, mais dans le cas de Barcelone par exemple, c’était indépendant de Podemos, ont remporté la quasi-totalité des grandes villes espagnoles aux élections municipales, donc Madrid, La Coroña, Valence, Barcelone.

Dans ces mouvements-là, il y avait beaucoup de militants du logiciel libre qui cherchaient un peu comment renouveler la démocratie à travers le numérique. Donc il y a une première consolidation qui se fait autour de la mairie de Madrid, qui ouvre un lieu qui s’appelle le Medialab Prado, qui constitue une équipe et qui crée une plateforme qui s’appelle Consul. Cette plateforme, sa déclinaison première, c’est Decide.Madrid.es.

Et à partir de cette plateforme, une petite communauté se crée, avant tout dans le monde hispanophone. Et l’idée c’est que, puisque tout le monde a le même besoin au même moment, l’investissement de Madrid va bénéficier à tous les autres. C’est vraiment une logique de mutualisation qui est très forte. Nous on a commencé à utiliser Consul en 2016-2017 en France pour des budgets participatifs avec quelques collectivités, des bailleurs sociaux etc.

Et puis assez vite, Barcelone essaie de contribuer aussi à Consul et ce qui se passe c’est qu’ils ne sont pas d’accord parce qu’évidemment ils ont des feuilles de route qui divergent. Et comme Madrid assure l’essentiel de la gestion du projet, ils n’acceptent pas trop qu’il y ait une voie divergente. En plus il y avait des relations déjà à l’époque, c’est toujours un peu compliqué, mais déjà à l’époque c’était quand même assez chaud entre la Catalogne et le gouvernement central de Madrid. Et donc Barcelone décide de lancer son propre projet, Decidim, qui veut dire « Nous décidons» en catalan sur une logique un petit peu différente.

Là où Consul est un logiciel finalement assez centralisé, c’est-à-dire qu’on peut faire une démarche de budget participatif et en appel à idées, etc. Et donc c’est assez simple, mais ça inclut aussi beaucoup de paramètres qui sont propres au cahier des charges de Madrid. Decidim va faire complètement un système modulaire. Dès le départ, c’est un jeu de construction. On peut créer autant d’espace qu’on veut. On peut faire 15 budgets participatifs en parallèle si on veut. On est libre d’avoir plusieurs zones géographiques sur une même plateforme qui cohabitent. Donc il y a une certaine abstraction dans le logiciel Decidim qui est une de ses forces. Parfois aussi ça entraîne un peu de complexité mais c’est un des enjeux importants. Et très vite, c’est aussi la logique catalane, leur enjeu c’est que la plateforme puisse servir non seulement à Barcelone mais aussi à l’organisation des quartiers de Barcelone, mais aussi aux villes de la communauté autour de Barcelone, mais aussi aux départements, etc. Donc il y a cette logique très très modulaire et ce qu’ils se disent à Barcelone c’est que c’est important pour eux de ne pas avoir justement quelque chose de trop monolithique et ça se retranscrit dans le fait que dès le départ il y a une communauté d’acteurs autour de Decidim.

D’abord il y a évidemment des agents qui sont intégrés à la mairie de Barcelone qui vont lancer le projet avec un soutien fort des des élus. Il y a une communauté académique, universitaire très forte dès le début de Barcelone et donc les universités locales, en sciences politiques et tout ça, tout de suite contribuent et sont associées à la conception de Decidim parce qu’il y a un fond politique très très fort aussi derrière Decidim. On va y revenir avec le contrat social, etc. Tout ce qui a pu être rédigé autour. Mais pour rester sur vraiment cette communauté qui fonde Decidim. Ils ont aussi la décision de ne pas le développer en interne, sans doute ils ne pouvaient pas le faire, de ne pas dépendre d’un prestataire technique et donc de ne pas aller chercher un gros cabinet, une grosse agence qui va tout développer, mais ils s’appuient sur plusieurs prestataires dans le cadre d’un marché public multi-attributaire, plusieurs lots, et il y en a qui sont chargés de la maintenance du coeur de Decidim, d’autres qui vont développer certaines fonctionnalités, d’autres qui vont travailler sur le design, etc.

Et donc il y a dès le départ plusieurs acteurs économiques, plusieurs acteurs publics et universitaires, et puis comme c’était évidemment un mouvement politique derrière, des associations et des citoyens impliqués qui participent à la gouvernement. Donc dès le départ c’était fait pour être un outil collaboratif et c’était imposé finalement par l’architecture initiale du projet. Et donc très vite, c’est une communauté qui arrive à sortir quelque chose de terre rapidement et à progressivement s’ouvrir à d’autres, d’abord d’autres instances en Catalogne. Et puis en fait, nous, assez rapidement, on les repère, notamment à travers Francesca Bria, qui est intervenue, qui a été pendant quelques années à Barcelone et qui a conçu toute leur stratégie d’ouverture des données, de politique autour du numérique. ça a été bien au-delà des outils, avec un positionnement intellectuel fort.

Et comme elle était amenée à faire beaucoup de conférences, on l’avait rencontrée dans une conférence en France, et on a entendu parler de Decidim comme ça. Et au moment où on commençait à être confrontés aux limites de Consul, qui était un peu trop centralisé, pas assez facile à adapter, on tombe sur Decidim et on s’aperçoit qu’en fait Decidim rassemble un peu toutes l’équation qu’on essaie de résoudre depuis la version de DemocracyOS à Nanterre. C’est à dire un logiciel et une communauté qui avance et qui s’ouvre et qui sont dynamiques, sont soutenus par de l’argent public, donc il y a une certaine pérennité du logiciel qui est assurée et à nouveau ça va très très vite. Notamment au début les premières versions de Decidim, tous les mois, tous les deux mois il y a des choses vraiment fondamentales qui sont rajoutées. Et nous on s’intègre là-dedans dès 2017. On est probablement le premier acteur hors de Catalogne à rentrer dans la communauté Decidim.

Et puis voilà, après on peut raconter la suite de l’histoire, mais si on revient vraiment à la création Decidim, il y a cette volonté politique très forte et qui a été documentée. C’est-à-dire qu’il y a un livre blanc qui détaille pourquoi Decidim a été construit, qu’est-ce que ça doit faire, quelle vision de la démocratie participative ça sert, et de la même manière il y a un contrat social, c’est quelque chose qui a aussi beaucoup été discuté, qui définit quels sont les bons usages de Decidim.

Et donc évidemment c’est un logiciel libre, n’importe qui peut l’utiliser, l’adapter. Du coup, dans le cœur du logiciel, il y a un certain nombre de principes, notamment autour de la protection des données personnelles, du caractère un peu inaltérable de la participation citoyenne. On ne peut pas censurer des contenus sur Decidim, on ne peut pas réécrire certaines choses, on ne peut pas écrire les propositions ou les réécrire ou les corriger à la place des citoyens, etc.

Donc là où d’autres logiciels vont être plus permissifs pour les administrateurs, peut-être plus pratiques aussi pour les administrateurs qui seront nos clients finaux, Decidim incluent, et notamment au départ c’était assez rigide, un certain nombre de principes auxquels on ne peut pas déroger et qui définissent vraiment une vision politique et philosophique qu’ils ont appelé la technopolitique : un usage critique et très stratégique des outils numériques.

Les fonctionnalités de Decidim

Walid : aujourd’hui quelles sont les grandes fonctionnalités de Decidim ?

Valentin : alors Decidim c’est un outil qui se construit avec des espaces et des fonctionnalités. Donc en fait, les espaces, c’est vos grandes démarches participatives. Et donc, il y a des démarches qui vont être ce qu’on appelle des concertations, c’est-à-dire que ça va suivre un calendrier. On va créer un espace et dire, dans ma ville, j’ai un budget participatif, de telle date à telle date, les gens mettent des idées, de telle date à telle date, l’administration les évalue, de telle date à telle date, on vote, de telle date à telle date, on les met en place. Mais une autre démarche, ça peut être simplement un questionnaire et donc dans mon organisation, de telle date à telle date, j’ouvre un questionnaire, de telle date à telle date, je publie les résumés. Donc il y a vraiment cette idée de temporalité et donc de démarche descendante.

On a un autre type d’espace qui s’appelle les assemblées qui là sont plutôt des espaces horizontaux d’organisation. Typiquement c’est des conseils de quartier, c’est des groupes de travail où là d’un seul coup on va pouvoir faire appel aux mêmes fonctionnalités, je vais y revenir. Mais il n’y a pas de calendrier précis défini par une autorité qui dit c’est de telle date à telle date on fait quelque chose. Là c’est un peu en continu, quand on a besoin d’avoir un agenda, l’agenda il peut courir sur des années. Et enfin il y a un autre espace important qui est celui des initiatives qui en fait sont des pétitions, donc là c’est un espace ascendant, c’est à dire que les règles du jeu sont fixées mais ensuite c’est les contributions des citoyens et le recueil de signatures qui vont faire que ces propositions sont discutées plus loin. Et donc dans, alors il y a deux trois autres petits types d’espace mais les principaux c’est vraiment ceux là, et à l’intérieur de ces espaces on va pouvoir faire appel à des fonctionnalités.

C’est là la force, la richesse de Decidim, c’est que on peut là aussi les combiner comme on veut. Et donc ces fonctionnalités, il y a des propositions, donc on peut faire un appel à idées, mais évidemment on peut le moduler, on peut décider qu’il y a des votes, on peut décider que les propositions sont géolocalisées ou pas. On peut décider d’associer des catégories ou des documents joints à nos propositions. On peut décider que les propositions sont uniquement proposées par les administrateurs et que les participants sont juste là pour les commenter, les prioriser. On peut mélanger tout ça. Et puis on peut avoir des propositions à un stade 1, puis on n’en sélectionne que 10% à un stade 2, par un vote ou par une évaluation technique.

Donc des propositions, on peut tordre ça dans tous les sens. On a ensuite des questionnaires, donc ça permet de faire toute une palette de questionnaires, choix simples, multiples, des matrices, etc. On a des votes, notamment orientés vers les budgets participatifs. Donc là on a une enveloppe et on dit j’ai 500 000 euros sur ma commune qui vont être attribués par un budget participatif et les gens peuvent voter pour 5 projets parmi la liste.

Il y a toutes les méthodes de vote autour de ça. On va avoir des modalités d’agenda de rencontres, et avec cette logique que la participation se fait en ligne mais aussi hors ligne. Donc on va annoncer des rencontres, et notamment au départ on n’avait pas encore toutes les visios, etc. C’était vraiment des ateliers physiques.

Puis on va venir restituer ces ateliers et en faire des contributions sur la plateforme qui elles-mêmes vont pouvoir être commentées, enrichir l’agenda du prochain atelier. Et donc il y a toute cette logique là. Et puis ensuite il y a d’autres fonctionnalités qui sont plutôt de l’ordre des pages de documentation. Un module qui est important qui est un module de suivi des réalisations. Le premier usage de Barcelone ça a été de construire un plan d’action municipal. Ils ont eu 10 000 propositions qui sont arrivées sur leur plateforme et ils ont eu ensuite une évaluation de ce qui était faisable ou pas, etc. Et puis ils les ont petit à petit mis en place et au bout de 3 ans, en 2019, à la fin de leur mandat, ils ont pu justifier que 90% de ce qui avait été discuté sur la plateforme avait été mis en place. Donc c’est un cas d’usage très très très fort. Et donc ils ont ce module qui permet de visualiser par grand thème, par grand quartier, qu’est-ce qui a été fait, à quel degré ça a été terminé, quelles ont été les étapes successives de réalisation.

Voilà vraiment tout ça c’est aussi parmi les forces de Decidim. Et donc tous ces modules, on peut les utiliser un peu comme on veut, on peut les utiliser dans des espaces privés où il y a seulement certains utilisateurs qui ont accès, ou dans des espaces publics ouverts à tous. Et donc il y a une certaine souplesse dans l’organisation, ce qui fait qu’on peut avoir aussi bien des plateformes mono démarches avec juste un questionnaire et une enquête pendant trois mois, ou alors des démarches avec cinq thèmes en parallèle, simultanés, puis trois mois plus tard un budget participatif, puis des pétitions, puis etc. et qui dispose ensuite d’une API, d’une certaine donnée ouverte. Donc à nouveau c’est assez puissant et ça permet de concevoir beaucoup de démarches. Souvent ce qu’on dit quand on accompagne des nouveaux utilisateurs, c’est on essaie de comprendre ce qu’ils veulent faire et ensuite il y a parfois plusieurs manières de le faire dans Decidim : on essaie de trouver la meilleure. C’est un logiciel dont la vocation c’est quelque part l’action publique.

Les utilisateurs public et privés de Decidim

Walid : et pourtant en fait quand tu en parles, la question que je me pose c’est est-ce que c’est utilisé dans le privé ? Je pense typiquement par exemple ça pourrait être utilisé dans des sociétés, dans des syndicats, des trucs comme ça.

Valentin : alors ça a été majoritairement utilisé dans le public et il y a quelques choix d’architecture et de fonctionnalités qui traduisent aussi cette origine-là dans le rapport d’une institution à ses citoyens. Alors que dans le privé et l’associatif, on l’a évidemment déjà expérimenté : on avait notamment fait des projets très intéressants avec Emmaüs, avec des entreprises, EDF, Decathtlon, enfin quelques-unes.

Ce qu’on a observé, c’est que très souvent les organisations ont des besoins un peu plus poussés de contrôle, d’une certaine manière, des droits d’accès, etc. et vont plutôt chercher soit de l’ordre de l’intranet, ce que Decidim ne peut pas complètement faire parce qu’on n’a pas non plus un annuaire de tous les utilisateurs en fonction de quels services ils sont dans l’entreprise, etc. De l’autre côté, ça ne permet pas non plus de faire une organisation horizontale. Et donc ça, on en a parlé parce que notamment il y a des projets de logiciels libres qui étaient venus nous voir en disant bon bah on a trouvé Decidim, on aimerait bien l’utiliser. Et en fait après une petite discussion avec eux, on s’est aperçu que c’était pas l’outil qui leur fallait. Il fallait plutôt aller regarder du côté de Loomio ou d’autres outils qui sont adaptés à des plus petites communautés, mais où chacun a tous les droits. On a des droits beaucoup plus partagés, là où Decidim ça reste quand même très hiérarchique. Il y a des administrateurs, des administrateurs d’espace, ça doit respecter un certain calendrier ou un certain enchaînement de fonctionnalités etc. C’est quand même un outil qui est conçu pour des institutions.

Il est totalement utilisable dans des structures privées ou associatives, mais il est parfois un peu trop rigide pour ses besoins. Mais c’est pas grave, il y en a d’autres qui existent et qui font des choses différentes. Et donc voilà, je pense que c’est mieux que d’être décidé que ça marche très bien pour quelque chose, plutôt que parfois il se disperse. On a eu cette tentation à un certain moment de développer des fonctionnalités en plus, mais on s’apercevait qu’en fait ça allait dénaturer.

La gouvernance de Decidim

Walid : là j’ai une question, quelque chose que je dirais qui est assez d’actualité dans le logiciel libre. Je voudrais qu’on parle de la gouvernance de Decidim et en particulier comment est gérée la feuille de route du logiciel et qu’est ce qui est fait pour être sûr que ce logiciel restera toujours un logiciel libre ?

Valentin : alors là on va reprendre l’histoire là où je l’avais laissé, c’est à dire du coup 2016-2017, le logiciel commence à se déployer, commence à être repéré et utilisé d’abord dans le monde francophone par nous, et puis ensuite ailleurs, en Europe et dans le monde.

Arrive 2019, qui était une échéance électorale à Barcelone, c’était la remise en cause du mandat d’Adda Colao et de toute sa coalition. Et en fait, la décision qui est faite à ce moment-là, pour assurer la pérennité du logiciel, ou en tout cas une première phase, ça a été de sortir le projet de la mairie. Une association Decidim s’est créée avec des permanents qui travaillaient évidemment toujours en lien avec la mairie, mais la mairie de Barcelone a assuré un financement pluriannuel de cette association et la sortie de son organigramme administratif pour éviter qu’en cas de défaite électorale, les successeurs décident de tout couper.

C’est un peu ce qui s’est passé à Madrid avec Consul. Comme je le disais, le projet était vraiment internalisé. Eux en 2019 ont perdu, une grande partie des moyens ont été coupés et Consul n’a revécu que via sa communauté et via une association qui s’est constituée ensuite aux Pays-Bas et qui n’a pas la même force que Decidim. Ça a mis un peu un coup d’arrêt quand même au logiciel.

Alors que Decidim, grâce à ça, a pu continuer à se déployer. Il a fallu définir évidemment une nouvelle gouvernance autour du projet. Et donc tout se passe sur une instance Decidim, puisque le monde est bien fait, on utilise notre propre outil. Donc il y a une instance qui s’appelle meta.decidim.org, sur laquelle on va retrouver à la fois ce qui est de l’ordre de la gouvernance un peu statutaire du projet, et un embryon de feuille de route, en tout cas la porte d’entrée de la feuille de route technique du logiciel. Donc pour le volet gouvernance, l’association a un CA qui est élu parmi les membres, etc. Il y a un certain nombre d’évolutions de textes un peu importants de l’association qui sont mis sur la plateforme, discutés. Il y a aussi une petite fonction d’édition collaborative de texte sur Decidim. Il se trouve qu’il y a un certain nombre d’événements autour de la communauté Decidim, donc justement il y a des textes en discussion sur la plateforme et donc chacun peut venir y apporter sa pierre et son fils.

Walid : c’est international ? Comment sont définis par exemple les membres du CA ?

Valentin : voilà donc en fait ça s’est progressivement internationalisé. Au départ c’était très catalano-catalan. Assez vite ils ont compris qu’il fallait quand même mettre de l’anglais dans toutes leurs discussions. Désormais, il y a aussi dans la dernière version du CA, des membres de la communauté internationale qui sont là. Par contre, les membres de la communauté Decidim, à date, sont des personnes physiques. Et donc, on a une personne d’Open Source Politics qui est dans le CA de l’association Decidim, mais ce n’est pas Open Source Politics qui est dans l’association.

Nous, on est plutôt partenaire de l’association, et on va y revenir après, mais du coup, on participe à son financement aussi. Et donc cette gouvernance passe par un certain nombre de temps fort de gouvernance comme dans toute association, et tout est transparent et documenté sur la plateforme. Donc ça c’est pour le volet vraiment gouvernance du projet, assurer sa pérennité, ses moyens de développement, etc.

Et puis à côté de ça il y a la feuille de route technique. Là, la plateforme Decidim permet à n’importe qui de venir déclarer des propositions de fonctionnalité. On va dire là je trouve que ça ne marche pas, il faudrait faire ça comme ça, ou alors là j’ai tel besoin mais j’ai pas de financement, ou alors au contraire telle institution nous a demandé de développer telle fonctionnalité. Et là du coup l’association Decidim a un rôle de définition de ce qui va rentrer dans le cœur du logiciel et de ce qui doit être développé comme un module externe.

Et donc ça c’est assez fondamental parce qu’évidemment ce qui rentre dans le coeur ensuite est maintenu par l’association et ses prestataires là où les modules doivent être maintenus par la communauté. Et donc si on va sur decidim.org on a la liste de toutes les fonctionnalités officielles et de tous les modules un petit peu acceptés par la communauté mais gérés comme des modules externes.

Cette feuille de route, voilà, elle est révisée régulièrement. Je crois que récemment… parce qu’évidemment ensuite tout se déplace sur Git et des logiciels plus techniques. Je crois que récemment ils se sont aperçus qu’il y avait à nouveau un peu trop de lourdeur dans le fonctionnement de Decidim pour vraiment permettre une feuille de route très collaborative. Donc je crois que c’est des choses qui sont encore en train d’évoluer. Mais jusque là, ce qu’il faut comprendre c’est que ça reste la mairie de Barcelone qui a assuré l’essentiel du financement, au moins sur le volet communautaire, gouvernance etc. Et depuis cette année il y a une réflexion qui dépasse Barcelone, ça ne dépend plus de Barcelone parce que là pour le coup, aux prochaines élections, de fortes chances qu’il y ait une autre majorité politique qui émerge. Et du coup, il y a la volonté aussi d’avoir une pérennité dans le temps plus forte et l’association qui a été pendant très longtemps composée de deux membres et quelques bénévoles, elle s’aperçoit que le projet est devenu trop gros pour que ça suffise. Donc il faut aller chercher des financements.

Il y a justement des débats en ce moment sur quelle est la bonne ratio de financement entre du public, du privé, du philanthropique. Et donc c’est intéressant. Mais tout ça se passe, discussion comme feuille de route sur une instance dédiée de Decidim. Et il y a un événement annuel qui a lieu en général vers la mi-octobre chaque année et qui réunit tout le monde à Barcelone. Il s’appelle le Decidim Fest.

Walid : deux choses. La première que j’aimerais que tu développes un peu, tu as dit que vous, vous avez une personne morale qui est au CA, et que vous, ensuite, vous êtes partenaire derrière et que vous financez. Ça, j’aimerais bien que tu en parles. Et la deuxième question aussi que j’ai, avant que j’oublie, c’est est-ce que des initiatives européennes comme Next Generation Internet, NLNet, etc., sont ou pourraient être des pistes de financement aussi ?

Valentin : alors donc l’association Decidim, maintenant dans la gouvernance, c’est des personnes physiques. Donc en l’occurrence nous c’est une membre de l’équipe qui est dans le CA. Mais en dehors de ça, les personnes morales, comme Open Source Politics et d’autres entreprises, parce que maintenant il y a des équivalents d’Open Source Politics, on a quelques autres ailleurs dans le monde. L’association ne voulait pas forcément entendre parler des prestataires privés autour du logiciel.

En tout cas, ne faisait rien pour que l’on puisse participer activement à la gouvernance et au financement du projet. Donc il y avait évidemment un rôle de prestataire technique, mais ça n’allait pas beaucoup plus loin. Et ça a un petit peu changé depuis un an, un an et demi. Et donc ce qui a été mis en place, c’est l’idée que pour être un partenaire officiel du projet Decidim, il faut s’engager à reverser une partie de son chiffre d’affaires généré avec Decidim. Et donc ça, je trouve que c’est compliqué parce que Decidim est seulement en train d’être labellisé pour être reconnu d’utilité publique et permettre, notamment dans le cadre légal français, à une entreprise comme Open Source Politics de lui reverser du don, etc. Et donc en attendant, bon, on facture des missions à l’association Decidim pour assurer ce financement d’un montant qui correspond à, en l’occurrence, à 3% du chiffre d’affaires généré avec Decidim.

Open Source Politics est la plus grande entreprise dans la communauté Decidim, donc c’est nous qui avons la plus forte cote-part, mais c’est quelque chose auquel se sont engagés aussi les autres entreprises qui existent en Suisse, en Autriche, en Finlande, aux Etats-Unis, au Japon. Ce financement se fait bien par les personnes morales, alors que la gouvernance est plutôt côté personnes physiques.

Sur le deuxième volet, effectivement pour l’instant, le financement s’est fait en grande partie pour les jalons importants de la faute de route par la mairie de Barcelone, à travers plusieurs appels successifs, et plus indirectement par les autres institutions utilisatrices. Donc il y a aujourd’hui quasiment 500 organisations dans le monde qui utilisent des CDM et certaines d’entre elles ont commencé à financer des développements. Donc certains des développements sont très spécifiques à leur cas d’usage. En France, nous évidemment on peut penser à des gens qui ont voulu raccorder France Connect à Decidim, des choses comme ça, donc ça encore c’est un peu intermédiaire puisque ça peut intéresser plusieurs entités.

On a évidemment des développements qui ont été payés par des institutions, et notamment Decidim a été utilisé entre 2020 et 2022, va être à nouveau utilisé bientôt par la Commission Européenne. Et donc il y a eu beaucoup de développements qui ont été financés par la Commission européenne, notamment l’accessibilité du logiciel a été sensiblement améliorée par ce biais-là, la gestion des événements, et notamment des événements en ligne, parce que ça tombait pendant le Covid, a été en grande partie financée par la Commission Européenne. La manière de gérer les traductions automatiques, c’est aussi un besoin qui venait de la Commission européenne. Ça c’était vraiment pour répondre à un cahier des charges très précis d’un client.

Et pour ce qui est des financements et des appels à projets ou appels à fonds type Next Generation Europe et d’autres, ou Internet, de la Commission, pour l’instant ça n’a pas fait l’objet de financement conséquent à ma connaissance, mais c’est quelque chose qui est en cours d’étude. Moi je sais que j’ai rencontré des gens de NGI il y a pas très longtemps qui posaient des questions sur comment soutenir Decidim et c’est vrai que depuis un an, un an et demi, il y a cette question qui est un peu plus prégnante dans la communauté de comment on assure la pérennité du logiciel, non plus sur les douze prochains mois mais vraiment sur les dix prochaines années et comment c’est sûr que ça se développe et qu’il y a des règles claires pour les membres, qu’il n’y ait pas de cavaliers passagers clandestins dans l’organisation etc etc. Enfin voilà il y a vraiment cet enjeu là qui devient de plus en plus fort. Pour l’instant on permet de dessiner quand même des moyens supplémentaires donc c’est ça qui est positif.

Qui sont les utilisateurs de Decidim ?

Walid : qui sont les utilisateurs de Decidim en fait? En gros est-ce que, tu parlais de la Commission Européenne etc. Qui actuellement, un peu connu, utilise Decidim pour que les gens qui comme moi ne connaissent pas se rendent une idée de l’adoption du logiciel ?

Valentin : donc les utilisateurs payants de Decidim, c’est beaucoup des institutions et donc si on donne des exemples parlant, il y a effectivement la Commission Européenne qui a lancé des démarches autour de Decidim. Nous on travaille par exemple avec l’Assemblée Nationale, le Sénat ou le Conseil économique et social environnemental. Si vous voulez déposer une pétition officiellement auprès de ces institutions, c’est des plateformes Decidim qu’on a adaptées pour l’occasion. Comme c’est des pétitions, c’est un usage un peu plus répandu. On parle quand même des instances de Decidim avec le plus d’utilisateurs dans le monde. On est à plus de 500 000 personnes qui ont signé des pétitions au Sénat. Je pense que toutes ces institutions réunies ont pas loin d’un million de personnes en France. Il faut être en France parce qu’il faut avoir un compte France Connect en l’occurrence pour ces plateformes, pas loin d’un million de signatures sur des pétitions qui étaient sur des plateformes Decidim, ce qui n’est pas forcément très visible.

Et puis du coup il y a des institutions de toutes les tailles, nous on travaille avec des villes de 20 000 habitants, des grandes métropoles, Lyon, Marseille, Montpellier, Toulouse, Lille, Angers, Nancy. Il y a un certain nombre de collectivités, départements, Loire-Atlantique, Loiret, Touraine. Il y en a un certain nombre qui utilisent des plateformes Decidim. A chaque fois c’est de la marque blanche, donc ce n’est pas forcément toujours visible, mais c’est vraiment un usage pour des collectivités territoriales.

Ça a été utilisé au niveau national par le ministère d’éducation nationale pour des consultations, qui étaient plutôt des consultations destinées à la communauté enseignante. Et là, par exemple, en ce moment, avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), on a une démarche destinée autour des contrats de ville qui définissent la politique de la ville. À travers les relais des préfectures, les habitants de ces quartiers politiques de la ville peuvent s’exprimer sur le devenir de ces quartiers.

Et donc c’est utilisé un peu à toutes les échelles et ailleurs dans le monde, la mairie d’Helsinki, de Genève, Rio-Japon, la ville de New York, avec qui on travaille aussi sur un budget participatif, utilise Decidim pour ces démarches. Et ensuite il y a quelques usages qui sont plutôt dans des coopératives, je sais qu’en Espagne il y a une coopérative, un peu le Enercoop espagnol, qui utilise Decidim pour aussi bien tous ses membres, ses sociétaires qui sont aussi ses clients. Mais c’est très majoritairement des acteurs publics et donc c’est vraiment de toutes les tailles.

Peut-être que les auditeurs et auditrices ont déjà vu et utilisé des plateformes Decidim, sans trop le savoir.

Walid : tu as cité beaucoup d’institutions françaises, je me demandais si ces financements faisaient… enfin comment dire… s’il y avait un club d’utilisateurs ou un club qui permettait le cofinancement comme c’est peut-être le cas pour d’autres logiciels libres entre toutes ces institutions en fait, qu’elles se mettent ensemble pour décider de financer telle ou telle fonctionnalité à travers vous par exemple.

Valentin : exactement, donc ça c’est notre ambition depuis le premier jour, ça a souvent été assez compliqué à mettre en place, mais on a réussi sur des petites choses pour l’instant à le faire, on parle du cofinancement d’abord. Là on est en train de le faire parce qu’on a des… On s’aperçoit qu’on a une dizaine de clients qui ont vraiment des besoins très très similaires. Et donc on est en train de les réunir, ça prend un peu plus de temps, mais on travaille au cahier des charges, en atelier avec tout le monde, pour ensuite être sûr que tout le monde est d’accord sur ce qu’il faut développer. On sait pas encore à quel point tout le monde va jouer le jeu, mais il y a quelques grosses institutions dedans, donc on peut s’attendre à ce qu’elles mettent un peu d’argent sur la table, et ce sera toujours moins que si elles avaient dû développer toutes seules la fonctionnalité.

Donc cette logique là, elles sont de plus en plus réceptives, ça demande un peu de temps et de travail d’organisation. Et par contre en parallèle de ça, on a un club utilisateur depuis quasiment le début de l’utilisation de Decidim, donc là on revenait de faire les dixièmes rencontres de ce club utilisateur. Selon les années, on en a fait une fois ou deux fois, deux événements par an. C’est plutôt un rendez-vous où on parle des actualités, des problématiques qui ressortent dans cette communauté d’utilisateurs. Parfois un peu de financement, de développement, mais on est plutôt sur une strate un peu au-dessus de partage de bonnes pratiques, de problématiques. Ensuite, on précise avec des ateliers dédiés.

Quand l’état fait les choses à l’envers

Walid : et au niveau de l’État, qui sont les interlocuteurs ? C’est la DINUM ? C’est qui au niveau de l’Etat ?

Valentin : alors au niveau de l’Etat, c’est un peu plus compliqué.

Moi, j’estime que l’Etat a un peu fait les choses à l’envers à chaque étape. L’Etat a commencé à s’intéresser à ces sujets-là, pareil 2015-2016. On se souvient de la loi Lemaire, qui était finalement une expérience pionnière et qui n’a jamais été égalée. Et à l’époque de la loi Lemaire, il n’y avait qu’une seule plateforme d’assez bon niveau sur le marché, qui était une plateforme propriétaire.

Donc un peu par défaut, ils ont choisi cette plateforme, qui est devenue ensuite un peu une référence, puisqu’ils voulaient faire la même chose que la loi Lemaire. Il y a eu à ce moment-là une réflexion sur comment on fait pour faire émerger des solutions que l’État peut utiliser. Et il y a eu des discussions avec l’ancêtre de la DINUM et notamment l’équipe d’EtaLab qui avait essayé d’organiser un peu ce tour d’horizon de ce qui existait.

À ce moment là on était des acteurs beaucoup plus petits, nous comme nos concurrents, et donc on avait refusé de travailler gratuitement, c’est à dire de dire bon bah on va développer des trucs pour vous et puis peut-être qu’à la fin vous allez vous en servir. On a dit bah non on peut pas survivre si c’est dans ces conditions là, donc ce qui avait été fait c’est que la décision avait été un peu de laisser le libre marché se déployer et donc chaque administration faisait un peu ce qu’elle voulait. Il n’y avait pas forcément de centralisation de sujet et donc il y avait eu un certain nombre de discussions sur les critères qu’il fallait mettre autour de ces plateformes pour pouvoir les homologuer ou les faire valider par l’état et il y avait eu évidemment un grand débat sur est-ce qu’il fallait que ça soit forcément des logiciels libres ou pas. A l’époque, étant donné qu’il n’y avait que nous qui faisions du logiciel libre, on n’avait pas gagné cette bataille-là.

Ce qui s’est passé ensuite, c’est que progressivement, l’État s’est retrouvé à faire appel régulièrement à des plateformes et donc à devoir se poser à chaque fois la question de mutualiser, de rationaliser, d’apprendre des expériences précédentes. Et donc il y a une structure qui s’est développée, qui s’appelle le Centre Interministériel de la Participation Citoyenne, le CIPC, et qui a eu vocation à la fois à accompagner les administrations de l’État sur la conception de démarches participatives et aussi du coup sur le choix d’outils numériques adaptés. Donc il y a eu une sorte de catalogue des outils qui existaient. Et puis progressivement ça a convergé vers l’idée que nous évidemment on défendait depuis assez longtemps, d’avoir un accord cadre, un marché public officiel pour ne pas dépendre de solutions de dernière minute et pas forcément très transparentes de recours à ces outils-là.

Et donc, il se trouve qu’en 2021, il y a finalement eu un accord cadre avec quatre attributaires, donc on fait partie avec trois autres éditeurs. La logique, c’était une logique un peu de ce qu’ils appellent le tourniquet, c’est à dire qu’une plateforme sur quatre est gérée par chacun des d’eux. Et ça c’était donc le contexte jusqu’à aujourd’hui. Ça n’a pas énormément marché aussi parce que peut-être la période n’était pas très propice, il y a eu moins de démarches participatives au niveau de l’État. Et surtout on s’est aperçu là récemment, vous avez peut-être vu passer, il y a une application qui s’appelle Agora qui a été lancée par l’État, qui est gérée par ces mêmes équipes du centre international de la participation et de la DINUM, etc.

Et qui du coup est une forme de recentralisation de la participation citoyenne avec un outil développé par des prestataires informatiques de l’État, pour l’État, et donc finalement il y a de moins en moins de chances qu’il y ait un recours à des plateformes qui pourtant sont lauréates d’un appel d’ordre. C’est un peu bizarre parce que cette décision-là, qui conduit à ce qu’il y ait un outil nouveau géré par l’État, ils auraient dû à mon avis la prendre il y a 6 ou 7 ans. Ils l’ont pas fait, ils ont laissé plusieurs structures se développer, ils ont fait rentrer dans un jeu de marché public et au final c’est pour casser le marché public aujourd’hui presque. En tout cas sur l’utilisation des plateformes, c’est un peu paradoxal.

Nous on a toujours dit depuis des années, notamment en comparant avec ce qui a été fait à Barcelone et d’une certaine manière ce qui a été fait par la Commission Européenne, on a toujours dit que l’État français avait fait les choses à l’envers et que ça ne nous satisfaisait pas vraiment sur le plan intellectuel et sur la logique de cette communauté qui est si riche et si intéressante autour de Decidim. Ça a coûté beaucoup d’argent public sans doute au fur et à mesure et ça n’a pas vraiment permis d’améliorer des logiciels existants qui soient des solutions libres et qui bénéficient à tout le monde.

Le modèle économique d’Open Source Politics

Walid : si maintenant on passe sur Open Source Politics, votre modèle économique c’est de faire de la prestation de service autour de Decidim, mais aussi de faire du développement générique ou spécifique autour d’Open Source Politics. C’est bien ça ? En partie, je ne sais pas si vous avez d’autres activités autres que des CD d’ailleurs ?

Valentin : oui, donc nous en fait, effectivement notre modèle économique est fondé sur des prestations, donc de l’apport de compétences qui sont soit d’ordre technique soit d’ordre conseil stratégique. Et donc sur le volet technique, il y a toute une palette.

On peut aider des gens à installer Decidim, on peut le gérer pour eux, on peut le maintenir, l’adapter graphiquement, fonctionnellement avec des développements spécifiques. C’est assez rare, même si ça nous arrive, c’est assez rare qu’on fasse nous-mêmes des développements sur Decidim parce qu’ils nous intéressent. Parce qu’en gros notre modèle économique c’est pas ça, c’est de trouver des clients qui ont besoin de quelque chose et de le développer pour eux ou de le faire développer par d’autres à travers nous.

Donc ça c’est pour le volet technique. Et puis pour le volet conseil, du coup ça va de la conception des démarches, la formation des administrateurs de plate-forme, l’animation d’ateliers, la restitution à travers des synthèses, suivi méthodologique. Il y a toute une palette et puis c’est un peu à la carte en fonction des besoins des collectivités, de leurs ressources internes ou pas, etc.

Et puis petit à petit, effectivement pendant un temps au début, on a utilisé plusieurs logiciels que j’ai mentionnés, puis très vite Decidim s’est imposé, donc ensuite on a fait que du Decidim. Et puis petit à petit on s’est aperçu que Decidim n’avait pas vocation à répondre à tous les besoins, et donc on en a utilisé d’autres.

Donc on a déployé une expertise sur d’autres logiciels de participation citoyenne qui existent, par exemple Pol.is qui a été utilisé initialement à Taïwan et qui aujourd’hui est à nouveau utilisé assez largement ces dernières semaines, notamment en ce moment en Finlande ou Terra Nova, le Think Tank qui est en train d’utiliser en France pour une consultation sur la Police. Donc ça c’est un logiciel sur lequel on a aussi des compétences.

On a rajouté une compétence autour de Metabase qui est un autre logiciel libre qui permet de faire de l’analyse de données. Donc nous on analyse les données de Decidim à travers ce logiciel de manière assez puissante et potentiellement on peut analyser d’autres données. Là pour une des démarches qu’on a dû faire, il y avait un besoin très très poussé en termes de questionnaires et des paramétrages qui ont fait qu’on a privilégié en utilisation de LimeSurvey.

Donc en fait nous notre métier c’est d’être, de maîtriser des logiciels libres orientés vers des besoins d’acteurs publics ou d’acteurs centrés sur les communs et de proposer toute une palette de services techniques et méthodologiques pour le meilleur usage possible de ces outils et si possible aussi l’interaction communautaire autour.

On commence à travailler sur d’autres logiciels qui n’ont rien à voir avec Decidim, qui veulent s’inspirer de la communauté de Decidim.

Développement et maintenance de Decidim

Walid : donc vous avez à un moment tu as dit que vous développez ou faisiez développer, est-ce que ça vous arrive de faire financer par exemple par les gens Decidim directement des fonctionnalités ?

Valentin : en fait ce qui se passe c’est que donc aujourd’hui dans la communauté Decidim il y a entre 5 et 10 entreprises qui généralement sont plutôt des entreprises techniques de dev et qui ont parfois un petit peu de compétences méthodologiques en plus mais finalement le caractère hybride de Open Source Politics c’est assez rare. A l’inverse il y a beaucoup de cabinets de concertation qui existent mais qui n’ont pas de compétences techniques sur les outils.

Donc vraiment cette dualité est assez rare, y compris au sein de la communauté Decidim. Et donc nous, ça veut dire qu’on n’est pas forcément l’équipe de dev la plus puissante de cette communauté parce que par moments il y a soit des choses très poussées, très techniques qui vont toucher vraiment au cœur du logiciel et donc là il y a une logique à ce que ce soit les mainteneurs principaux du logiciel qui le développent à travers nous, donc sous forme de sous-traitance. Et puis ponctuellement, nous simplement parce qu’on n’a pas assez de temps ou trop de contraintes ou alors qu’on doit travailler à partir d’un module qui a été développé par la communauté et qu’on doit un peu le modifier, l’améliorer, l’adapter. Bon, il n’y a pas de logique à ce qu’on prenne en main le module et qu’on le change et qu’ensuite on gère la maintenance du module. Il vaut mieux que ce soit l’entité qui a développé le module, finalement, qui continue de l’améliorer à partir de notre cahier des charges. Il y a une bonne entente, une bonne communauté de tous ces prestataires Decidim. Ça arrive assez régulièrement qu’on fasse développer des choses par d’autres. Mais on les a définies ensemble.

Walid : c’était une de mes questions suivantes qui était, si vous vous développez des fonctionnalités pour le cœur de l’outil, comment se passe la maintenance ? Est-ce que c’est vous qui devez vous engager à faire la maintenance ou est-ce qu’à partir du moment où c’est rentré dans le cœur de l’outil, la maintenance est faite par les mainteneurs communautaires de l’outil ?

Valentin : si c’est dans le cœur, c’est maintenu par les mainteneurs. Si c’est un module externe autorisé mais pas dans le cœur, c’est à nous d’en assurer la main.

Walid : et donc là, il y a une nouvelle version de Decidim qui sort. Alors les modules que vous avez développés, vous les mettez à jour au fur et à mesure des demandes des clients par exemple? Vous n’engagez pas à ce que à chaque nouvelle version de Decidim tous les modules soient mis à jour automatiquement ?

Valentin : c’est un tout petit peu plus compliqué que ça. Effectivement la master de Decidim pendant très longtemps a eu tendance à évoluer très très vite, beaucoup trop vite pour que nous on suive le rythme. Ce qu’on faisait c’est que une à deux fois par an on attendait qu’il y ait une version un peu plus majeure et on rattrapait trois ou quatre versions d’un coup. Et ponctuellement si on avait besoin d’une fonctionnalité, on pouvait la backporter et la réutiliser dans une version inférieure. Mais en général, on attendait plutôt ça. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu un profond redesign qui n’avait jamais eu lieu depuis la création du logiciel, qui a pris presque un an et demi, et qui est en train de sortir à l’automne 2023. Tous les composants de Decidim ont été redesignés sur le style. Ce qui fait que pendant plus d’un an, toutes les évolutions fonctionnelles qu’on proposait ont été figées, ne sont pas rentrées dans le coeur. Donc il y en a beaucoup qui ont été développées comme des modules et là ce qui va se passer c’est qu’après la 0.28, donc cette version de redesign, il y aura une 0.29 qui va réintégrer des modules, enfin réintégrer dans le coeur beaucoup de choses qui ont été développées en module mais qui intéressent le coeur. Et donc là il y a cet enjeu un peu stratégique.

Donc nous effectivement, une fois qu’on a défini qu’il y avait une version un peu de référence à laquelle on voulait passer. Ce qu’on fait c’est qu’effectivement on a ce rôle là, ce travail de mettre à jour les modules spécifiques de nos clients. Et donc nous on a une version de référence aussi chez nous de Decidim et donc ça a été un travail qui s’est fait avec le temps puisqu’on a appris à faire en fin de mesure. Au départ Decidim était évidemment beaucoup moins complet donc il y avait quasiment une version par client ce qui était très vite ingérable pour nous. Donc on a eu cette logique de se créer cette version de référence et aujourd’hui 80% de nos clients utilisent cette même version donc on peut plus facilement les monter de version puisque finalement il y a assez peu de modules externes.

Et à l’inverse, du coup on a quand même une quinzaine de clients qui ont des versions très spécifiques de Decidim et ça on est obligé de mettre à jour chacun de leurs modules spécifiques au moment de les monter de version et on est quand même un peu obligé de le faire donc il y a quelques clients qui peuvent être un peu en retard mais globalement la logique c’est que tout le monde monte. Et donc ça c’est quelque chose qu’on ne fait que depuis quelques… enfin vraiment un ou deux ans maximum c’est qu’on commence à distinguer le coût de maintenance pour ceux qui sont sur une version standard et ceux qui ont de la customisation parce qu’effectivement on s’aperçoit qu’on arrive assez facilement à faire financer le développement d’un logiciel, d’une fonctionnalité en plus, surtout si elle est vraiment demandée par le client, mais par contre le coût de maintenance derrière, il a du mal à l’accepter. Et donc il y a deux manières de faire, soit on fait monter le prix du développement initial pour anticiper une maintenance un peu plus longue, soit on arrive quand même à faire augmenter le prix de la maintenance. Donc c’est un travail qui est en cours. C’est pas toujours simple parce que comme on dépend souvent de marché public, on est engagé parfois sur assez longtemps par nos prix mais il y a bien cet enjeu là effectivement d’assurer la continuité de la master à travers les mainteneurs officiels et des modules complémentaires.

Les défis à venir de Decidim, vus par Valentin Chaput

Walid : on va arriver sur la fin de l’entrevue, je voudrais te demander d’après toi quels sont les grands défis de Decidim dans les années à venir ?

Valentin : bon vous voyez il y en a un dont on a déjà discuté, c’est qu’il faut quand même que la pérennité du logiciel soit assurée, notamment son financement, sa pluralité de sources de financement, qu’il y ait toujours de plus en plus d’acteurs autour de la table. Ça c’est important.

Il y a un deuxième volet qui est le fait qu’aujourd’hui, Decidim, du fait de sa modularité, du fait que des gros cerveaux aient réfléchi à ce qu’il fallait mettre dedans, il y a un outil qui est un peu complexe. En termes d’accès grand public, c’est compliqué s’il faut cliquer sur plusieurs pages, lire des choses, puis accéder, il y a toujours beaucoup d’informations sur les écrans, il faut se créer des comptes avant de participer, etc.

Ce n’est pas forcément à jour des attentes d’un certain nombre d’utilisateurs, qui ont l’habitude d’avoir des interfaces beaucoup plus ergonomiques, beaucoup plus simples, qui vont peut-être moins loin dans ce qu’on peut faire, mais qui sont beaucoup plus faciles à utiliser. Et donc ça il y a un enjeu de simplification de Decidim sans renoncer à sa capacité à générer des discussions complètes. Et donc ça c’est très difficile mais nos clients s’y attaquent parce qu’ils ont des besoins très précis maintenant et donc vraiment on travaille dessus. L’ergonomie globale du logiciel.

Et puis je pense qu’après il y a toujours évidemment un certain nombre de fonctionnalités qu’on peut rajouter pour faire plus de choses différemment, avoir encore plus d’options de vote, encore plus de manières de s’associer à des projets, etc. Mais ce qui va être plus intéressant, c’est à la fois de voir comment Decidim peut dialoguer avec d’autres outils. Donc aujourd’hui il y a une API ouverte qui permet de récupérer de la donnée de Decidim, mais il n’y a pas encore d’API entrante qui permet de récupérer quelque chose, par exemple sur un système d’information cartographique, et de le réintégrer dans du Decidim. Et ça c’est un développement qui commence dans la communauté pour essayer d’avoir un peu une sorte de middleware qui va se mettre entre Decidim et d’autres services. Ça c’est un chantier important.

Et puis bon bah évidemment il y a tout ce qui tourne autour de l’intelligence artificielle qui, mine de rien, a un impact assez fort sur ce secteur d’activité là parce qu’à partir du moment où on va collecter beaucoup de matière il faut l’analyser derrière. Et donc il y a d’une part un usage assez évident de synthèse qui va venir de l’intelligence artificielle et puis il y a d’autre part sans doute des assistances à la génération de propositions ou de contenus sur Decidim qui peuvent aussi venir de là. Pour l’instant il y a par exemple une fonctionnalité qui permet de comparer des propositions avec les propositions qui ont déjà été déposées sur le même thème. Et donc pour l’instant c’est quelque chose d’assez basique qui est fait sur des mots-clés. Mais à l’avenir on peut imaginer qu’on soit un peu guidé dans notre rédaction de contributions par ce qui se trouve déjà dans le corpus ou par des aides sémantiques, etc.

Il y a aussi le fait que de plus en plus il y a des attentes autour du fait de pouvoir déposer une contribution orale ou vidéo et qu’elles soient automatiquement traduites dans le logiciel par écrit dans une ressource exploitable ensuite pour l’analyse, etc. Donc il y a beaucoup de choses à faire dans ce domaine là. Et d’une certaine manière, c’est un problème qui va toucher toutes ces technologies.

Il y a aujourd’hui un constat qui est que, en dehors peut-être des pétitions qui sur un coup d’actualité peuvent générer une forte traction. Par exemple, une des dernières grosses pétitions qu’on a connue, c’est la pétition qui demandait la dissolution de la BRAVEM, c’est une brigade d’intervention qui fait parler d’elle pendant les manifestations contre la réforme des retraites. On a eu 250 000 signatures en une semaine ou dix jours, donc on voit qu’on peut faire un peu de volume avec des outils comme ça.

Mais c’est vrai que l’exercice des budgets participatifs, l’exercice des consultations publiques en général, on est limité à quelques pourcents de la population qui participe malgré les efforts de communication importants. Et donc aujourd’hui c’est malheureusement pas encore des outils qui sont massivement adoptés et c’est sans doute parce qu’il faut franchir cette barrière ergonomique pour toucher un peu davantage le monde. Et donc ça c’est vraiment un enjeu important pour l’avenir.

Tribune libre / le mot de la fin

Walid : je voudrais te laisser le mot de la fin, est-ce que tu as un mot à faire passer avant qu’on se quitte ?

Valentin : oui, je pense que c’est vraiment le message de notre communauté du logiciel libre et notamment celui qui est utilisé par des acteurs publics, c’est que c’est important que l’argent public finance du code public et donc ça c’est c’est quelque chose qu’on essaye d’expliquer très largement autour de nous. Et ce qui est intéressant, c’est qu’il y a de plus en plus d’institutions qui se rendent compte que c’est quelque chose de stratégique, d’important. Et donc, n’hésitez pas à nous rejoindre et à relayer aussi ce message qui est porté par de nombreuses autres organisations à l’échelle européenne.

Et ce qui est important, il faut prendre soin de ces logiciels pour qu’ils puissent continuer d’exister.

Walid : ça fait un très bon message de fin. Je suis ravi d’avoir pu faire cette entrevue avec toi parce que c’est un sujet très important que tu vois moi-même je connaissais pas du tout ou je mettais pas du tout un intérêt à ces sujets alors que c’est éminemment important surtout dans l’état actuel de nos démocraties quoi donc c’est vraiment très très intéressant. J’espère que ça a plu aux auditeurs et aux auditrices et si c’est le cas alors surtout voilà partagez-les encore une fois, comme d’habitude, autour de vous.

Et n’hésitez pas à laisser des commentaires. Abonnez-vous sur les plateformes pour être au courant des prochains épisodes. Encore une fois, j’ai des épisodes très différents qui vont arriver dans les semaines et mois à venir. Donc ce sera un grand plaisir de pouvoir vous les proposer. Valentin, écoute, merci beaucoup.

Et puis bonne continuation. Et puis au plaisir de se reparler peut-être dans quelques temps pour voir où est-ce qu’on en est sur Decidim, mais sur Open Source Politics.

Valentin : merci Walid pour l’invitation et à bientôt. Merci Walid pour l’invitation et à bientôt.

Walid : au revoir.

Cet épisode a été enregitré le 13 octobre 2023.

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