Sommaire
- 1 De AWStats à Matomo, avec Laurent Destailleur et Matthieu Aubry
- 2 Présentation des invités
- 3 Les différentes technologies d’analyse du trafic
- 4 La génèse de Matomo
- 5 La structure dans les premiers temps de Piwik
- 6 La licence utilisée au début du projet
- 7 Piwiki, Piwik Pro et la propriétaire des marques
- 8 Les débuts de Matomo
- 9 La communauté de Matomo
- 10 Le modèle économique de Matomo
- 11 Quels sont les critères pour mettre une fonctionnalité dans la version Open Source ou propriétaire ?
- 12 La société Matomo
- 13 Matomo par rapport à la concurrence
- 14 Matomo et les institutions
- 15 L’annonce de l’arrêt du développement d’AWStats
- 16 Conclusion
- 17 Licence
De AWStats à Matomo, avec Laurent Destailleur et Matthieu Aubry
Walid : voici un nouvel épisode de Projets Libres!. Aujourd’hui, dans cet épisode, on va parler d’un sujet qui est la mesure de trafic. Et pour ce faire, j’ai deux invités pour en parler avec moi. Vous allez voir, ça va être très intéressant, leurs deux points de vue différents. Le premier, c’est Laurent Destailleur qui est déjà intervenu. En fait, c’était le premier invité du podcast et avec lui, on a parlé à l’époque de AWStats et de Dolibarr. On va reparler certainement d’AWStats aujourd’hui. Le deuxième invité, c’est Matthieu Aubry qui est le CEO de Matomo que je vais laisser après se présenter. Vous allez voir pourquoi ces deux personnes sont avec moi aujourd’hui. Donc Laurent et Matthieu, bienvenue sur le podcast Projets Libres! et merci beaucoup d’avoir pris de votre temps pour pouvoir parler de ce sujet avec moi.
Laurent : c’est un plaisir.
Matthieu : merci de nous inviter, Walid. Enchanté.
Présentation des invités
Walid : eh bien, voilà, enchanté aussi. Pour commencer, je vais vous demander à tous les deux de vous présenter. Laurent, ça va être une présentation assez rapide, puisque pour les gens qui sont intéressés, je vous propose d’écouter l’épisode 1 de la saison 1. Je te laisse, Laurent, te présenter très succinctement, s’il te plaît.
Laurent : Pour faire succès, on va dire que je suis un serial open sourceur. C’est-à-dire que je développe des solutions open source et j’en vit aujourd’hui. Parmi les plus connues, on a AWStats Log Analyzer, dont on va parler aujourd’hui. Aujourd’hui, je me concentre plutôt à Dolibarr ERP CRM, dont je suis le chef de projet. Et puis voilà, mais sinon, il y a d’autres projets, Sell your SaaS, DoliDroid, Dolimed, il y a pas mal d’autres choses. Et je suis le fondateur de la société Dolicloud, qui est mon activité professionnelle. qui est une solution d’hébergement de Dolibarr en Cloud.
Walid : voilà, merci Laurent. Matthieu, est-ce que tu peux nous te présenter s’il te plaît ?
Matthieu : c’est Matthieu Aubry. Je suis né dans le Poitou, d’une famille paysanne. Très tôt, j’étais intéressé par la technologie. Je ne savais pas à l’époque, mais je pense que j’étais un entrepreneur très tôt, bien que ce n’était pas vraiment dans le business, mais j’entreprenais pas mal de projets avec les amis, des projets sur le côté de l’école. Au fur et à mesure des années, ça a évolué dans la création de plusieurs projets open source, dont celui qui actuellement me fait vivre et dont je dirige l’entreprise. J’habite actuellement en Nouvelle-Zélande, où j’ai déménagé il y a environ 13 ans, après avoir rencontré ma partenaire qui est néo-zélandaise. On s’est rencontrés en Écosse alors que je travaillais pour Amazon. J’ai la chance de rentrer tous les ans en France. J’ai pu rencontrer Laurent cette année, on a passé une très bonne soirée ensemble, un summit avec que des fondateurs, co-fondateurs d’entreprises open source. Donc c’était très sympa d’être ensemble avec une de nos tribus là-bas.
Les différentes technologies d’analyse du trafic
Walid : pour les auditrices et auditeurs qui veulent en savoir plus sur ce Open Source Founders Summit, je vous propose d’écouter l’épisode avec Emily Omier, qui est une des organisatrices. Voilà, on revient un peu là-dessus, donc voilà. C’est super parce que c’était une de mes questions qui était pourquoi tu es en Nouvelle-Zélande, donc tu as répondu. Pour rentrer un peu dans le vif du sujet, la première chose que j’aimerais bien qu’on fasse, c’est prendre un petit peu de hauteur et que vous nous expliquiez quelles sont les différentes technologies d’analyse du trafic, comment est-ce qu’on fait historiquement et maintenant, comment ça se présente pour analyser du trafic sur des sites ?
Laurent : je vais commencer peut-être par la plus ancienne, celle qui est en vigueur dans AWStats Log Analyzer. Donc c’est la technologie d’analyse de logs, donc c’est simple, c’est un petit programme qui va aller lire les logs du serveur. Alors ça peut être un serveur web, mais ça pourrait être un serveur de mail, un serveur FTP, n’importe quoi. Et puis on va essayer de tirer le maximum d’informations et synthétiser tout ça ensuite pour le représenter sous forme de graphique. Voilà donc ça c’est on va dire la technologie ancestrale, la plus ancienne, celle sur laquelle on avait les outils de analyse de trafic historiques, donc AWStats, mais on a aussi plus connu, très à l’époque, Analog, Webalizer, et puis beaucoup d’autres solutions, également propriétaires, qui pouvaient fonctionner sur ce mode-là. Et puis ensuite, il est arrivé une autre manière de faire, une autre technologie, dont je vais laisser Matthieu parler, qui est celle, on va dire, plus courante aujourd’hui, dans l’insertion de tags Javascript.
Matthieu : c’est ça en fait, avec l’évolution du web et l’évolution du javascript notamment, il a été possible de faire de la mesure d’audience d’une autre manière qui a certains avantages par rapport à l’analyse de log. Donc c’est une technique qui est la technique utilisée par tout le monde maintenant où en fait il suffit d’insérer un petit code javascript dans toutes les pages html du site et ce code javascript va s’exécuter dans le navigateur quand on visite le site internet. Il va collecter des informations et les envoyer via une requête HTTPS vers un service qui va ensuite stocker ces données dans une base de données pour après calculer des rapports et montrer des tableaux de bord. L’avantage de cette solution de mesure d’audience dite par tag, c’est qu’on n’a pas besoin d’avoir accès au log du serveur, ce qui peut être assez compliqué à mettre en place. C’est plus simple de copier-coller un code dans un site. Et également, un autre avantage, c’est qu’avec le code Javascript, on a plus tendance à traquer des vraies personnes, des humains, qui visitent le site Internet, alors que les logs serveurs vont inclure toutes sortes de données, notamment des bots, donc des robots qui naviguent sur le site. Et ça peut être assez dur, des fois, d’exclure les robots, les différenciés des humains.
Laurent : on peut dire qu’il y a d’autres avantages également, c’est qu’on est capable également d’extraire des informations qui sont des informations propres navigateurs comme par exemple la résolution de l’écran, ce genre de choses qu’on ne peut pas faire avec l’analyse de logs. Par contre il y a aussi un inconvénient, c’est qu’il y a effectivement certaines typologies de trafic que l’on ne va pas voir, notamment les worms, une sorte de robots ou virus qui peuvent rester invisibles par l’analyse de tags puisqu’ils ne vont pas exécuter la page web en tant que telle, ils vont juste faire des requêtes brutes, chose que par contre l’analyseur de logs lui va voir. Et après, il y a le mode hybride, par exemple, à la AWStats, à essayer justement de joindre un peu les deux mondes en mettant un petit peu de tags pour essayer de récolter des informations que peut récolter la technologie du tag que ne permet pas log. Donc là, on va être sur plus une solution mixte.
Walid : de ce que je comprends, ça serait potentiellement encore pertinent d’avoir des logs du serveur. Pourtant, maintenant, tout le monde utilise plutôt des tags Javascript.
Laurent : oui, parce qu’au fait, aujourd’hui… Les besoins de l’analyse, maintenant, sont surtout déportés auprès des utilisateurs, des administrateurs au sens métier, plutôt que des administrateurs au sens système. Et donc, pour ces administrateurs au sens métier, les informations d’analyse de log, la plus-value qu’avait l’analyse de log, ce sont des choses qui, pour eux, ne parlent pas. Et donc, il n’y a plus vraiment de sens pour ces personnes-là. Par contre, effectivement, pour celui qui veut vraiment une vision plus système, l’analyse de log a le plus d’intérêt, mais on va voir qu’il y a d’autres solutions, cet intérêt est surtout orienté par rapport au virus, ce genre de choses, et là on va avoir des outils un peu plus génériques, plus orientés sécurité, qui vont faire ce genre de reporting pour les administrateurs de système. Et donc c’est vrai qu’aujourd’hui l’analyse de log, côté serveur, tombe en désuétude par les évolutions des besoins aujourd’hui et les profits utilisateurs.
Matthieu : quand Laurent parle des experts métiers, il y a plusieurs catégories de gens qui utilisent les outils de mesure d’audience. Il y a notamment les marketeurs, ce sont les gens dont leur travail est d’apporter de l’audience sur les sites et des gens qualifiés qui sont intéressés par le service. Les marketeurs, c’est une grosse partie des utilisateurs, mais pas seulement, il y a aussi des experts data, des gens qui répondent à toute question data de leurs collègues, de différentes équipes et qui ont besoin d’un outil. flexible qui permet comme ça de formuler des requêtes sur la data et d’avoir des tableaux de bord, etc. Un autre aspect, c’est ce qu’on appelait avant les webmasters, qui maintenant sont plutôt devenus des experts produits. Et donc, on a les titres comme le Product Manager, le Product Owner. Et donc, c’est le genre de personnes qui utilisent vraiment les outils de mesure d’audience.
La génèse de Matomo
Walid : on ne va pas faire l’histoire d’AWStats parce qu’on l’a déjà faite. Par contre, je serais très intéressé qu’on commence l’histoire de Matomo. Donc depuis sa genèse, est-ce que Matthieu, tu pourrais nous expliquer un petit peu pourquoi tu commences à travailler sur ce projet-là et aussi qu’est-ce qu’il y a à l’époque et pour quelles raisons toi tu décides de créer un nouveau produit en fait ?
Matthieu : en fait, jusqu’à mes 16 ans, j’étais disons un adolescent classique. J’aimais bien l’école, j’adorais apprendre des choses, lire, etc. Mais bon, je jouais à fond, je vidéo, je fais du sport, etc. Et après, j’ai eu la chance de rentrer dans un lycée assez spécial qui s’appelait le Lycée Pilote Innovant, qui maintenant s’appelle le Lycée Pilote Innovant International. Et vraiment, c’était une chance et un gros moment de bascule dans ma vie. En fait, c’était un lycée qui acceptait les gens sur motivation. Il fallait écrire une lettre de motivation, il fallait quand même être un peu académique, etc. Et du coup, là-bas, je me suis retrouvé avec vraiment plein de gens qui avaient une sorte de passion en eux, qui voulaient faire des choses. Notamment, j’ai habité… En fait, on était à l’internat, du coup. Et à l’internat, j’étais dans la chambre avec Johan Mathe, qui maintenant est d’ailleurs cofondateur et CTO d’une entreprise qui fait de l’intelligence artificielle pour la prédiction météo. Et il a travaillé à Google pendant des années, à Google X, etc., où il travaillait sur les ballons atmosphériques qui transféraient l’Internet. Bref, il se trouve qu’à 16 ans, j’étais dans la même turne que lui. Et en fait, il m’a introduit. Lui, il était plus avancé, plus précoce encore. Et du coup, il avait déjà commencé à programmer.
Et en plus de ça, au lycée, on avait déjà des cours de programmation, vous vous rendez compte. C’était en 2000. Et on apprenait le Pascal, deux heures par semaine. On avait même notre prof d’informatique qui était un administrateur Linux chevronné, un libriste chevronné. Donc vraiment, c’était une chance incroyable. Et en fait, j’ai été comme ça initié au Pascal, mais vraiment, j’aimais pas du tout. C’était genre, je n’arrivais pas à connecter au Pascal, on faisait des dessins et tout. Mais par contre, dès que j’ai découvert le web, là, vraiment, ça s’est débloqué. Et donc, Johan m’a initié au PHP et plus tard à MySQL.
Matthieu Aubry
Et en fait, ce qui s’est passé, c’est qu’à l’époque, au lycée, il faut faire des présentations, des choses comme ça. Bon, la méthode classique, c’est de faire des PowerPoint. Mais nous, en fait, on faisait des sites Internet plutôt. Au lieu de faire un PowerPoint, on faisait un site Internet. Et du coup, c’était l’époque, c’était super fun de faire des sites. pixel perfect design, si vous vous rappelez à l’époque, c’était un autre style. Mais en fait, après avoir passé autant de temps à faire ces sites, ces présentations, au lieu de les laisser mourir sur nos ordinateurs et ne plus jamais les revoir, on prenait plaisir à les mettre sur Internet et partager comme ça notre travail. Et puis après avoir fait ça plusieurs fois, c’est très naturel de se dire « est-ce qu’il y a des gens qui vont voir ces sites ? ». Et du coup, c’est comme ça que ça a commencé. Et en fait, bien sûr, je n’ai pas eu l’idée directement de créer un outil pour faire ça. D’abord, j’ai regardé les outils existants. Donc, il y avait bien sûr AWStats qui demandait de mettre en place avec les log serveurs, mais c’est un peu compliqué à mettre en place. L’alternative à l’époque, c’était Xiti. C’est pour ceux qui se rappellent. Maintenant, il s’appelle Piano Analytics. Ils ont été rachetés par des Américains, mais c’est une entreprise basée à Bordeaux. Et en fait, c’était un très bon service. Quand on utilisait Xiti, il fallait du coup mettre ce fameux code JavaScript dans les pages. Et en fait, ce qui se passait, c’est que ça affichait un icône et un logo de Xiti, qui à l’époque était jaune et en fait très moche aussi. Dans nos designs de sites Pixel Perfect, on avait vraiment mis de l’amour dedans et tout, on ne voulait pas le gâcher avec ce logo jaune. Donc en fait, c’est vraiment de là que c’est parti. Vu que je commençais à prendre le PHP et la base de données, en fait, j’ai vite connecté que c’était un projet fun à construire, comme ça, sur le temps libre, à l’internat, le soir, et c’est comme ça qu’on s’est lancé. Et au début, je n’avais aucune prétention de faire un projet libre, bien que, en fait, c’est là où du coup, j’ai aussi en même temps rentré dans le domaine du logiciel libre. En fait, quand on est curieux et qu’on veut apprendre les choses rapidement, eh bien, on est vraiment très reconnaissant des gens avant nous, qui, après avoir fait tous ces apprentissages, ont décidé de les partager avec la communauté. Et vraiment très vite, j’ai été fasciné par l’open source et le logiciel libre. Et après, j’ai découvert Richard Stallman, un peu le philosophe, le créateur du mouvement du logiciel libre. J’étais quand même très idéaliste – non, je le suis toujours, mais beaucoup plus modéré avec l’âge et les apprentissages – . Mais c’est vrai que ça m’a directement parlé beaucoup. Et même à l’époque, j’avais fait un essai sur le logiciel libre pour justement explorer ça un peu plus en détail, bien comprendre. En découvrant, d’une part, l’informatique, l’Internet, et d’autre part, le logiciel open source, et en ayant ce besoin de mesurer l’audience des sites, un peu naturellement, je me suis dit, « c’est parfait, il faut faire un outil open source pour ça ». Et en fait, il se trouve que ça n’existait pas à l’époque. C’était vraiment la chance d’être là.
Walid : j’avais te demandé, est-ce qu’à l’époque, il n’y avait pas d’outils comme ça, plutôt côté client, qui permettaient de faire la mesure d’audience ?
Matthieu : je me rappelle, non, ça n’existait pas. Il y avait les outils comme AWStats, Analog, etc. Mais il n’y avait pas d’outils open source. C’était vraiment le début et du coup, c’était des outils commerciaux comme Xiti. Donc ça, je le dis souvent quand les gens me demandent, quand je raconte l’histoire, c’est vraiment, bien sûr, c’est beaucoup de travail, de focus, d’épreuves, d’apprentissage, mais c’est aussi la chance d’avoir eu le timing, d’avoir eu l’idée au bon moment et d’avoir focalisé sur cette idée, d’avoir été le premier.
Walid : sachant que Laurent, il était français, est-ce que tu as, d’une manière ou d’une autre, essayé de le contacter ?
Matthieu : je regardais justement vite fait dans les e-mails, mais…
Laurent : alors moi, j’ai des preuves, attention.
Matthieu : de 2012, est-ce que tu as retrouvé l’email de 2012 ?
Laurent : moi, j’ai retrouvé un mail de ta part qui date du 18 juin 2012.
Matthieu : oui, voilà, c’est ça. Je l’ai retrouvé aussi. Mais du coup, c’était déjà dix ans après ce qu’on raconte là. Donc, c’était assez tard, c’est venu.
Laurent : donc là, tu t’appelais plus phpMyVisites, tu t’appelais Piwik.
Matthieu : voilà, c’est ça. Donc, l’histoire est un peu longue et il y a pas mal d’étapes. Mais c’est vrai que quand j’ai contacté Laurent, nous, on avait le projet Piwik, qui maintenant s’appelle Matomo, qui à la base utilise la technologie Javascript de mesure d’audience. Mais il se trouve qu’en 2012, donc c’était quelques années après la création du projet, il y a eu un membre de la communauté qui avait un besoin d’analyser les logs serveurs et qui a participé au projet open source et a contribué à un module supplémentaire qui permet l’analyse de logs serveurs. C’est là où nous, on rentrait en concurrence avec AWStats. Comme tu dis, vu que Laurent était français, et qu’entre projets open source, on a un respect, j’ai contacté Laurent et je lui ai dit « on lance ça. C’est vrai que maintenant, on va être en compétition ». Je voulais juste qu’on établisse le contact. Je ne sais pas si on s’était parlé à l’époque.
Laurent : honnêtement, je ne me souviens plus dans l’historique des échanges. On avait prévu une visio, mais je ne me souviens plus des discussions qu’on a du avoir.
Matthieu : voilà, c’est ça, ça remonte.
Walid : donc au tout départ, quand tu crées le projet, ça s’appelait phpMyVisites.
Matthieu : oui, donc en fait, quand j’étais au lycée, j’ai créé ce projet phpMyVisites. Donc à l’époque, le nom était terrible, on va dire, mais ça venait de phpMyAdmin, qui était l’outil pour administrer les bases de données MySQL en PHP. Et bon, j’avais peut-être 17 ans, je n’étais pas trop inspiré sur les noms, donc j’avais copié le nom. phpMyVisites. En fait, ça, c’était mon premier projet open source. Et en fait, c’était vraiment un apprentissage énorme. En fait, j’ai fait pas mal d’erreurs diverses et variées techniques, aussi dans la manière dont je gérais la communauté. En fait, j’étais un peu trop refermé sur moi-même. Je n’avais pas encore compris comment la communauté fonctionnait et comment communiquer au monde pour que la mission, la vision soit claire et que les gens aient envie de rejoindre. Mais en fait, ce n’était pas assez clair. Et du coup, c’était un peu mon projet : je faisais mon truc. Oui, il y avait quelques contributions. Notamment, il était traduit en 25 langues, je crois, etc. Mais ce n’était pas un succès au niveau développeur. Et puis après, je suis rentré en école d’ingénieur. Donc, j’avais quand même en prépa en plus, c’était très dur pour moi la prépa. Je n’avais plus le temps de travailler dessus. Mais j’avais quand même toujours ce projet qui fonctionnait. Et puis, toujours, il n’y avait pas eu d’autre alternative qui s’était créée depuis. Donc, j’avais moi mon projet, je voyais tous les problèmes qu’il y avait et ça ne me plaisait plus en fait ce projet-là.
En fait, quand j’étais en troisième année du coup d’école d’ingénieur, j’ai eu la chance d’avoir été remarqué grâce à ce projet phpMyVisites. Il y a un Américain qui m’avait remarqué et en fait, qui m’a offert de venir en stage pendant quatre mois parce qu’il fallait faire un stage de 3-4 mois en troisième année. Et du coup, j’ai été invité en stage à Londres dans une entreprise qui s’appelait à l’époque OpenAds, qui faisait en fait un serveur de publicité open source, donc une sorte d’alternative décentralisée à Google Ads, qui permet à chacun de gérer ses pubs sur son site, d’avoir le contrôle là-dessus. Et eux, en fait, ils pensaient que bien sûr, analytics était important dans ce concept-là. Et puis, ça ne leur coûtait pas cher de m’inviter en stage pendant 3-4 mois. Ils avaient rien à perdre. Et moi, c’était une chance énorme. En fait, je suis arrivé à Londres. J’avais 20 ans, 21 ans, vraiment plein d’énergie. Et du coup, j’avais carte blanche, en fait. Et vraiment, je me rappelle être sur le bureau à Londres. C’était une grande table. J’avais plein de feuilles blanches, pour le coup. Et en fait, je devais redesigner le projet avec tous les apprentissages que j’avais, les erreurs que j’avais faites avant pour ne pas les refaire.
Donc, à tous les niveaux, quoi que ce soit au niveau de la base de données, du design ou du code, faire un code modulaire ou du site internet, avoir une mission très claire, engager la communauté, être accueillant, etc. Donc c’est là où, à Londres, j’ai créé le projet. Donc il fallait trouver un nom. Et là, j’avais eu l’inspiration. Dans diverses régions, le mot wiki m’avait inspiré, le mot kiwi aussi. C’est marrant parce que c’était avant que je rencontre ma partenaire néo-zélandaise, qui s’appelle les kiwis. Donc c’était peut-être un signe du destin aussi. Mais en tous les cas, j’avais appelé le projet Piwik. Au bout d’environ six mois, j’avais une alpha de prête. Et avec cette alpha, j’ai, après, recruté des copains en école d’ingénieur pour m’aider à peaufiner un peu, faire du code. Et du coup, ensemble, on a créé la bêta. Et en fait, je me rappelle que quand on lançait la bêta, moi, j’étais en stage à Amazon, mon autre copain était en stage à Google et mon autre copain était en stage à Intel. Et en fait, on a écrit ça sur le site. Et après, ça a été vu par un gros site à l’époque qui s’appelait ReadWriteWeb et qui avait fait un article sur nous. Et du coup, c’est là où je pense que ça a aidé aussi au développement, en plus de tous les autres articles et tous les gens qui ont rejoint le projet. Et c’est là où vraiment l’aventure a commencé.
Il y a pas mal de gens, notamment beaucoup d’Allemands, qui sont venus parce que les Allemands ont une histoire particulière avec l’après-guerre où il y avait la Stasi qui était en place, où les gens s’espionnaient les uns les autres. Il y avait vraiment une ambiance terrible d’espionnage et de délation, je crois qu’on appelle ça, où on doit dénoncer les autres et tout. Et en fait, ils ont été, en tant que nation, traumatisés par çaIls sont donc très avancés sur le respect de la vie privée, le contrôle des données et la souveraineté. Et il se trouve que le message que j’avais proposé, la mission de créer une alternative open source à Google Analytics, avait beaucoup avec les Allemands. Et vraiment, on a eu la chance d’avoir des jeunes ingénieurs pour la plupart, ou étudiants encore, très bons, qui ont rejoint le projet et ont contribué des grosses parties du projet. Donc des nouvelles fonctionnalités, des nouveaux modules. Et c’est là où vraiment le projet a commencé à prendre de l’ampleur.
La structure dans les premiers temps de Piwik
Walid: quand tu commences à créer Piwik, est-ce qu’au départ, c’est juste un collectif de personnes ou est-ce que dès le départ, tu as monté une société autour de ça ?
Matthieu: en fait, comme je disais, j’étais assez idéaliste dans ce concept. Il y avait le fait que j’avais du mal avec l’idée de faire de l’argent. Je m’en suis rendu compte après. Et ça, ça me limitait beaucoup. Et en fait, je croyais au fait qu’on pouvait faire un projet communautaire et du coup qu’est-ce qu’on faisait ? On recevait des donations on avait aussi des sponsors sur le site des gens qui nous payaient pour mettre leurs liens, leurs logos, etc. Bien sûr on avait des gens qui nous demandaient est-ce que vous pouvez développer ça ? Est-ce que vous pouvez développer ça ? Donc on le faisait, on facturait les développements. On a un peu tout essayé aussi donc on a fait du crowdfunding très tôt. En fait vraiment on était précurseurs du crowdfunding. Mais bon ça, ça permet de lever 10 000, 15 000 euros mais ça s’épuise vite. Après, j’avais fait ce stage à Londres. Après, j’ai travaillé pour Amazon. Mais au bout de six mois, j’en avais assez d’être dans un énorme corporate (NDLR : groupe) où on avait très peu d’impact. Tout le monde est très bon. Et du coup, qu’est-ce qu’on fait ? Tous les jours, on voyait les rapports avec le nombre de millions que l’équipe générait. Mais ça ne me parlait pas. Bien que j’ai énormément appris techniquement dans ces six mois, notamment sur la qualité, les tests automatisés, etc., qui était quelque chose que je ne connaissais pas du tout quand j’ai commencé. Et au bout de six mois, j’ai démissionné. Et en fait, j’avais une offre, du coup, de cette entreprise OpenAds qui m’avait fait une offre d’emploi où ils me disaient, en fait, tu peux travailler à plein temps sur le projet et nous, peut-être, on va l’utiliser, peut-être pas. Du coup, c’était une offre que je ne pouvais pas refuser vu que je n’avais pas encore l’idée de faire de l’argent grâce à un business. Je n’étais pas prêt, en fait, à faire ça vu que juste faire le produit et le développement, ça me prenait en fait toute mon énergie. Voilà, donc tout ça pour dire que la première étape du projet, les cinq, six premières années, c’était un mix de donations, de sponsors, de freelancing, de crowdfunding et d’être employé plein temps par une entreprise pour me payer à le développer.
Mais bien sûr, ça, ça paye que moi, donc il fallait après que je paye les autres. Et c’est là où en fait, une des personnes qui faisait partie de l’équipe, j’ai commencé à la payer finalement pour dire, il faut qu’on travaille là-dessus. Donc moi, j’avais mon salaire, je la payais un peu avec. Ça devient très vite compliqué, dans le sens où les salaires, c’est quand même très élevé. Et pour lever chaque mois 3 000 euros de salaire ou quoi, il faut quand même être très fort en business. Et du coup, moi, vraiment, je n’étais pas prêt. Et en fait, du coup, un peu du jour au lendemain, je me suis rendu compte, là, mon compte en banque, il va être à zéro dans quatre mois, si je continue comme ça. Et il faut absolument qu’on fasse quelque chose. Et c’est là, je me suis un peu résigné à l’idée à l’époque de monter une entreprise.
Par contre, il fallait que je trouve un cofondateur qui, lui, soit expérimenté dans le business pour que moi, je puisse continuer à me focaliser sur le produit, etc. Et donc, dans l’équipe Matomo, il y avait un Polonais qui, du coup, avait déjà monté une entreprise avec 40 employés, je crois, à l’époque. Il faisait du consulting, mais du coup, il avait prouvé qu’il pouvait le faire. Et du coup, on s’est mis en business ensemble. Et on a appelé le business Piwik Pro, donc la version pro de Piwik. Et cette aventure-là, elle a duré environ deux ans et demi, où on a monté le business, on a trouvé ce qui s’appelle le Product Market Fit.
Matthieu Aubry
Je ne sais pas s’il y a une traduction française, mais c’est vraiment un concept très important où en fait le produit arrive à un stade où il répond aux besoins du marché et le coup le marché se l’approprie, en a besoin, vient vers vous pour le chercher. Et c’est très dur à arriver à ça. Donc ça nous a pris pas mal d’essais, etc. Mais on avait la chance encore une fois d’être parmi les premiers. C’était quand même plus facile. Et en fait, cette aventure-là a été vraiment pour moi une énorme série d’apprentissages. Une des erreurs que j’ai faites, pareil, je m’en suis rendu compte plus tard, c’est que je n’avais pas de mentor, je n’avais pas de coach, de gens plus expérimentés qui auraient pu me guider. J’étais vraiment en mode, j’étais tout seul face au monde. Bien sûr, on avait notre communauté, etc. Mais niveau business, je n’avais aucun conseil. J’avais même pas lu de livres à l’époque, je lisais que des livres sur d’autres choses. J’ai fait sûrement ma dose d’erreurs, eux aussi, mes ex-partners ont aussi fait des erreurs et il se trouve qu’au bout de deux ans et demi, en fait, ils m’ont mis un peu dans une situation très compliquée et qui n’est pas non plus en accord avec mes valeurs, on va dire, et c’est une des raisons pour lesquelles on s’est séparés. En fait, ils m’ont menacé et dit, ben « voilà, si on ne lève pas d’argent… on va couler la boîte ou ça va pas marcher » alors que à l’époque on avait déjà un million d’euros de revenus et en fait ils embauchaient toujours plus de gens alors que franchement on n’en avait pas besoin clairement et ils embauchaient ça pour maintenir une pression financière sur moi de devoir lever des fonds. Et quand on lève des fonds vu que j’avais plus de 50% mais j’avais pas non plus 90% parce que je leur avais fait une offre honnête et généreuse aussi et ben j’aurais perdu le contrôle sur le business. Et en fait Les investisseurs en capital risque, quand ils investissent dans un logiciel open source, en général, ils veulent le contrôle sur le projet open source, au moins indirectement, via une fondation qui a un charter limité, etc. Et moi, en fait, je n’avais pas confiance en mes partenaires. Déjà, vu que je voyais ce qui se passait, et du coup, je voulais à tout prix protéger la mission du projet open source et je savais qu’elle aurait été menacée par ces investisseurs. Bien que, je dois dire que c’était des bons investisseurs. J’aurais rencontré, j’ai parlé à des gens dans lesquels ils ont investi, notamment le créateur de MariaDB, le créateur de Nginx, qui ont dit du bien d’eux. Donc, ce n’est pas le problème. Eux, ils étaient dans leur rôle et tout était bien, mais c’était le fait que j’ai été mis comme ça à pied avec l’obligation d’accepter un terme que je ne voulais pas, auquel cas je perdrais tout. Et en fait, j’ai décidé de partir de mon propre business. Donc, c’était assez spécial. Et du coup, là, moi, c’était une période assez difficile. J’étais du coup burnt out, on va le dire. Mon cerveau était, je dis souvent, à peu près 20% des capacités. Donc, c’était genre, je n’étais plus moi-même. Je n’arrivais plus à coder, à réfléchir profondément, à me concentrer. Et mon corps était vraiment fatigué. stressé, etc.
La licence utilisée au début du projet
Walid: attends, j’ai une question avant qu’on aille plus loin, parce que je pense que ça va être intéressant pour la suite. Je ne t’ai pas posé la question, quand tu as commencé, quelle licence tu as mis sur Piwik ?
Matthieu: ah oui, donc Piwik…
moi, vu que j’étais idéaliste, et à l’époque, il n’y avait pas encore l’AGPL, j’adorais en fait la GNU GPL. Je trouvais que c’était la licence parfaite et j’étais vraiment un follower de Richard Stallman. Je buvais ses paroles. Après, je sais qu’il a eu des critiques plus tard sur son comportement, peut-être, etc. Mais bon, pour moi, ça reste un héros, vraiment. J’ai eu la chance de le rencontrer aussi en personne en Inde.
Matthieu Aubry
En fait, juste avant de créer Piwik. J’ai fait une année d’échange en Inde, ma quatrième année, et c’était vraiment exceptionnel, ça m’a ouvert les yeux sur tellement de choses. L’Inde, c’est vraiment un choc à tous les niveaux, et il faut lâcher prise pour encaisser ce que l’Inde vous envoie au corps, au sens, etc. Et il se trouve que pendant que j’étais en Inde, c’était le moment où Richard Stallman faisait le tour du monde pour présenter la dernière version de la licence GPL, où ils avaient corrigé les problèmes qu’il y avait eu pendant des années, etc. Du coup, je l’avais rencontré en personne à Bangalore, j’avais pris le train de nuit avec un ami. Bref, donc j’avais ce jour-là rencontré un de mes héros. Et quelques mois plus tard, c’est là où du coup, je m’asseyais à ce bureau avec la feuille blanche et j’ai créé le projet. Donc je pense que ça m’a aussi motivé. Mais du coup, voilà, pour moi, c’était la GNU GPL, donc la licence phare, on va dire, du logiciel libre, qui aussi garantissait le fait que si quelqu’un voulait prendre le produit et le changer, l’améliorer ou quoi, ils auraient été obligés de redistribuer le source. Donc en fait, c’était pour maintenir cet aspect communautaire et de partage.
Piwiki, Piwik Pro et la propriétaire des marques
Walid: à l’époque, Piwik et Piwik Pro, c’est la même chose ?
Matthieu:
disons que j’avais un peu vu venir et j’avais gardé le contrôle sur Piwik, donc le nom de domaine, la marque qui était enregistrée à mon nom. Et j’avais donné le contrôle de Piwik Pro, la marque, et le nom de domaine Piwik Pro à l’entreprise. Donc quand on n’était plus en accord avec les anciens partenaires et qu’ils m’ont en quelque sorte forcé à partir, donc je suis parti, et j’avais moi toujours le contrôle sur le projet open source, la marque Piwik, etc. Donc là, il a commencé une période assez compliquée où en fait, nous, on avait le projet Piwik. Eux, ils étaient Piwik Pro, mais on était complètement séparés et en mauvais termes, finalement. Même, j’ai dû leur faire un procès parce qu’ils n’avaient pas payé.
Matthieu Aubry
Enfin bref, c’était tout un truc, faire un procès en Pologne depuis la Nouvelle-Zélande. Mais vraiment, j’ai eu une chance énorme, en fait, c’est qu’à ce moment-là, alors que j’étais burnt out, en fait, une des deux personnes que je payais justement avec mon argent qui s’épuisait, elle s’appelait Thomas Ster. Et donc, c’est… Thomas est devenu mon cofondateur. C’est un vrai génie, vraiment, je ne serais jamais là sans lui. Et il se trouve qu’alors que moi j’étais fatigué, j’en pouvais plus, j’ai pris un an à revenir à, on va dire, mes capacités, lui il était en pleine force et il avait l’énergie, la motivation de recréer un business finalement, à partir de Piwik. Mais il fallait quand même refaire tout. tout le business, il fallait recréer des produits payants, un service etc. Donc c’est lui qui est devenu du coup le lead ingénieur et produit et moi j’étais là, je faisais tout le reste le marketing, la vente, les papiers etc.
Laurent: Thomas, c’est celui que tu m’as fait rencontrer il y a 6 mois ?
Matthieu: c’est ça.
Laurent: d’accord. Donc, il est toujours sur le bateau.
Matthieu: c’est ça. Il est directeur technique de la boîte. Après, là, on est en train de faire évoluer le rôle puisque là, on est dans le présent maintenant. Mais lui, comme moi, on souhaite devenir beaucoup plus stratégique et moins travailler dans le business à faire les rendez-vous, les revues, etc. Ça prend beaucoup de temps et d’énergie. Du coup, on est en train de faire évoluer nos postes pour être beaucoup plus stratégique et justement pouvoir pérenniser le projet Matomo, on en reparlera, mais il y a énormément d’occurrences maintenant, etc.
Les débuts de Matomo
Walid: tu pars avec Piwik et Thomas, lui, il est à fond. Il commence à retravailler sur ce nouveau projet qui ne s’appelle pas encore Matomo.
Matthieu: il travaille sur Piwik et en fait, au bout d’un ou deux ans, je crois au bout d’un an.
Walid: attends, mais il n’est pas payé. Enfin, tu pars….
Matthieu: donc là, après, comment on se payait ? Ah bah si, je pense que je le payais un peu du coup avec l’argent que j’avais fait de la vente. Je ne me rappelle plus trop, mais je pense qu’on se payait vraiment un petit salaire pour vivre. Après, on avait juste besoin de café, finalement. Café, eau, le repas. Et on était focalisés pendant deux ans. On avait la chance aussi d’avoir eu un bureau gratuit en ville, dans une entreprise à Wellington, en Nouvelle-Zélande, qui est pro-open source, en fait. Ils font du consulting open source et ils nous ont beaucoup aidés. Ils nous ont donné le bureau gratuit. Donc, on se voyait tous les jours. Et on s’est mis à construire des options payantes pour le logiciel Piwik, tout en développant toujours bien sûr la plateforme open source, mais il fallait qu’on monétise et qu’on fasse de l’argent. Et maintenant, je commençais à comprendre le business, on va dire, après les 2-3 ans d’expérience que j’avais derrière moi. Mais en fait, il y avait toujours ce problème vraiment gênant où on partageait le nom avec des gens qu’on n’aimait plus, qui n’avaient plus rien à voir avec nous, etc. Donc là, on s’est décidé qu’il faut changer le nom. Ça va être vraiment difficile. Le projet s’appelle Piwik depuis, je pense, à l’époque, ça faisait 10 ans peut-être, ou peut-être un peu moins, 8 ans. Et là, on a décidé de changer le nom pour arrêter de comme ça constamment penser aux autres ou être mis en rapport avec les autres.
Donc le processus de changement de nom, c’est quelque chose. Je me rappelle la checklist, on a passé quand même des semaines à le planifier et la checklist faisait plus de 100 étapes. Il y avait plus de 100 choses à changer et on l’a fait sur plusieurs mois de temps. Pas besoin de tout faire en même temps, il faut le faire petit à petit. Il y a certaines étapes critiques comme l’enregistrement de la marque, c’est très important, la gestion aussi du SEO de Google, de bien gérer la redirection et suivre les bonnes pratiques, etc. Mais c’est vrai que pour nous, ça s’est bien passé, le changement de nom. Et comment on a cherché le nom ? Étant deux geeks que l’on était, on a écrit un générateur de noms. En fait, on a identifié les sons qu’on aimait bien et après, on a généré tous les noms qui combinaient ces sons-là. Et je crois qu’il y en avait peut-être 2000, un truc comme ça. Et puis, on a tout lu un par un et on s’est dit, « ah ouais, celui-là est pas mal ». Et je crois qu’il y en avait une cinquantaine qu’on avait comme ça, qu’on aimait bien.
Laurent: dans Matomo, il y a le ‘Mat’ de Matthieu, et il y a ‘Tomo’ de Thomas
Matthieu: mais oui, c’est fou, mais c’est le biais de ça. On s’en est rendu compte qu’après, qu’en fait, on avait choisi le nom qui avait nos deux noms dedans. Mais on ne s’en était pas rendu compte sur le coup. Effectivement, il se trouve qu’on aime bien le son de nos noms
La communauté de Matomo
Walid: et quand vous choisissez Matomo et que vous commencez à faire tout le changement, c’est jamais évident de recréer ton image de marque. Alors ta communauté tu l’avais déjà elle était déjà là mais c’est quand même une étape assez critique de recréer une marque quoi. C’est un truc au long terme, au long cours.
Matthieu: oui, je pense que le processus est toujours en place de créer une image de marque. C’est vraiment un travail continuel. Et je pense qu’on doit faire mieux d’ailleurs, bien sûr. Après, nous, c’est vrai qu’on n’a pas forcément fait du travail spécifique. On s’est appliqué à changer le nom un peu partout, de manière structurée. Et ça s’est bien passé, les gens ont compris. Je sais qu’au bout de 2-3 ans, à peu près, le changement était effectif finalement dans la tête des gens. C’était clair. Et puis, ce qu’on a fait, c’est qu’on a gardé aussi l’ancien domaine. Donc, quand les gens cherchaient l’ancien nom, ils trouvaient une page très claire qui dit : « ah voilà, le nom a changé ». Donc, voilà, ça permettait comme ça de toucher les gens qui utilisaient toujours l’ancien nom. Donc, il y a comme ça différentes techniques à mettre en place pour que ce soit clair. Mais tant qu’on explique aux gens, tout se passe bien, je pense.
Walid: si on regarde maintenant, parce qu’on a commencé à parler un peu de communauté, si on regarde un peu maintenant ta communauté, comment elle se compose la communauté ? Est-ce qu’il y a des régions du monde qui ressortent plus que d’autres ? Est-ce que c’est très divers ? Qui un peu la compose ?
Matthieu: oui, c’est très divers.
Quand on regarde par exemple les tableaux de bord avec les pays, Matomo est utilisé dans quasiment tous les pays du monde, en tout cas plus de 200 pays. Donc ça, c’est sûr. Après, on a énormément de popularité dans certains pays, notamment en Europe. Les pays qui utilisent le plus Matomo sont l’Allemagne. Il y a environ 12% des sites Internet en Allemagne qui utilisent Matomo, ou en Autriche, pareil. En Suisse, je crois que c’est environ 7%. En France, c’est environ 7% aussi. Donc ça, ce sont les pays où Matomo est le plus utilisé.
Matthieu Aubry
La communauté, on estime… on sait que Matomo est utilisé sur un million de sites Internet. ce qui représente environ 1,5-2% du marché. Parce qu’il y a environ 150 millions de sites internet actifs. Et sur ces 1 million de sites, on estime qu’il y a environ 250 000 personnes qui chaque mois vont regarder les tableaux de bord dans Matomo. Mais en fait, on ne sait pas, vu que Matomo est complètement décentralisé et qu’on est obsédé par le respect des données des gens. On sait le nombre de Matomo qu’il y a, c’est environ 250 000, mais on ne sait rien de ce que les gens font dedans. Donc c’est pour ça qu’on estime environ 250 000 personnes qui l’utilisent chaque mois. Donc après, la communauté, il y a différents types de communautés. Par exemple, il y a les utilisateurs, ceux qu’on vient de parler. Il y a aussi les traducteurs. Donc là, Matomo est traduit en plus de 50 langues. Il y a aussi la communauté des contributeurs. Les contributeurs, en fait, je pense que c’est quelque chose qui se passe dans beaucoup de projets. Pas tous, mais beaucoup. Où en fait, au début, il y a énormément de contributeurs vu que tout est à construire. Donc en fait, les gens, ils utilisent le produit, ils disent « Ah, mais j’ai besoin de ça puis ça n’existe pas. Du coup, je vais le construire. je vais le créer, je vais le contribuer ». Mais une fois qu’on devient un produit mature qui fait la plupart des choses dont les gens ont besoin, il y a moins de choses à contribuer qui soient comme ça intéressantes ou vraiment dont les gens ont énormément besoin puisqu’on l’a déjà construit et en plus ça devient de plus en plus dur à contribuer vu que le code devient plus complexe, il faut écrire des tests donc ça demande un niveau de développement plus abouti qui limite en fait les contributions à des gens qui sont des professionnels, finalement, du code. Et les gens qui sont des professionnels du code, ils ont déjà un boulot, le soir ils veulent passer du temps avec leur famille, donc voilà… on s’est rendu compte que la communauté de développeurs sur la plateforme elle-même a vraiment diminué, et il y a très peu de contributions. Alors en fait ce qu’on a fait, c’est qu’on a créé des projets annexes pour permettre aux gens de contribuer de manière plus simple. Par exemple, un des projets qu’on a créé, ça s’appelle Device Detector. C’est une librairie open source qui détecte les matériels utilisés par les gens en Javascript, justement, à partir du User Agent. Et en fait, ce projet-là, c’est un gros succès. Il y a énormément de projets qui l’utilisent et il y a des concurrents à nous qui l’utilisent aussi. Et ça, ça reçoit beaucoup de contributions. Ensuite, ce qu’on a aussi fait dès le début, presque dès le début, c’est de créer Matomo, donc à l’époque Piwik, en tant qu’une plateforme. Une plateforme, ça veut dire qu’il y a un socle commun qui est la plateforme open source, mais elle est modulaire. Elle permet aux gens de créer des plugins, comme WordPress, c’est le plus gros exemple qui existe. On a vraiment suivi ce modèle-là. On a été beaucoup inspirés par WordPress aussi. Du coup, les gens, quand ils souhaitent contribuer, pour ne pas les limiter à ce que nous, on accepterait dans la plateforme, on leur permet d’innover sur ces plugins. Et on a créé comme ça une marketplace ouverte où les gens peuvent publier leurs plugins. Il y a plus de 100 plugins actuellement dans la marketplace. Ça permet comme ça à la communauté de s’exprimer, de contribuer, sans devoir passer toutes les portes nécessaires à ce que leur code arrive dans la plateforme Matomo.
Le modèle économique de Matomo
Walid: ça me fait une transition, parce que j’avais demandé s’il y avait des plugins payants, mais ça me fait une bonne transition vers votre modèle économique. Et comment ça marche ? Quel est votre modèle économique ? Et puis d’ailleurs aussi, avant, est-ce que votre licence, c’est toujours une GPL ou est-ce que tu as changé la licence ?
Matthieu: c’est toujours GPL. En fait, il se trouve que nous avons trois modèles économiques. Donc ça s’est fait étape par étape. Donc le premier modèle qu’on a lancé, c’est justement, on avait cette plateforme open source qui avait beaucoup d’utilisateurs. On a décidé de créer des modules payants pour cette plateforme. Alors nos modules payants ne sont pas sous licence GPL puisqu’en fait on les distribue via notre marketplace et donc on n’est pas obligé de les distribuer sous GPL et nous c’était une manière aussi de protéger quand même cette partie-là du business qui devenait notre business du coup. Donc on a créé des modules payants. Actuellement, on en a 16, mais bon ça s’est fait petit à petit, un par un. Donc c’est des modules comme par exemple l’analyse de vidéos sur un site pour savoir quelles vidéos sont regardées, jusqu’à quand les gens regardent. On a un module pour l’analyse des formulaires, pour savoir comment les gens interagissent avec les formulaires. On a un module de test A/B, A/B testing, où on peut comparer deux versions d’une page de manière scientifique et mesurer laquelle performe le mieux, etc. Donc, il y a comme ça 16 modules payants. Et donc ça, ça s’appelle un Open Core business model, où en fait, le core de la plateforme est ouverte, mais les modules ne le sont pas. Alors, bien que les gens, nos clients peuvent voir le code, mais ils n’ont pas le droit de le modifier ou de le redistribuer.
Donc on a commencé comme ça et en fait, franchement, on pensait continuer comme ça. L’idée au début, c’était de faire une petite entreprise finalement, de ne pas trop se prendre la tête, d’avoir peu d’employés, si possible de gros bénéfices et ne pas trop s’embêter en vendant comme ça du logiciel, des licences. On a fait ça pendant 2-3 ans. En même temps, on avait quand même des entreprises qui utilisaient la plateforme Matomo sur leur infrastructure. Et quand on est une grosse entreprise et qu’on utilise comme ça un logiciel open source, très souvent, elles ont besoin de support technique. Et elles veulent avoir quelqu’un à qui parler quand ça ne fonctionne pas. Et moi, très vite, j’ai voulu que l’on s’élève dans une position où on donnerait cette garantie à nos clients. Je voulais que Matomo soit vu comme un projet vraiment professionnel, que les entreprises pouvaient avoir confiance. Et je voyais ça un peu comme un test. Je me dis, si on fait du support aux entreprises, au moins on va être sûr que ça fonctionne et on pourra le dire aux clients, ça va nous aider à vendre plus de plugins, etc. Donc on a aussi lancé ça, l’offre de support. Au début, c’est moi qui faisais le support pendant plusieurs années, je créais des guides, etc. Et j’aimais bien en fait, ça me montrait que le projet qu’on fait, c’est utilisé par des groupes du CAC 40, etc. Les grosses entreprises, c’était une validation finalement de tout le travail qu’on avait fait.
On avait du coup ces deux business models, donc le support et l’open core, on vendait des licences. Mais moi, en fait, je ne sais pas, depuis assez longtemps, j’étais quand même, comment on dit, enthousiasmé et j’avais vraiment envie, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j’avais envie de gérer une entreprise SaaS. Je me suis dit, c’est trop cool d’avoir des serveurs qui gèrent des données 24 heures sur 24 et de gérer ça. C’est quelque chose qui m’excitait à l’époque. Et en fait, il se trouve que je n’aime pas trop faire ça, gérer des serveurs ou quoi. Donc, bien sûr, on peut faire aux employés qui sont très qualifiés là-dedans.
Mais j’avais cette intuition que j’avais envie de me lancer là-dedans. Mais il se trouve que Thomas, du coup, lui, mon fondateur, il n’avait pas trop envie. Il voulait plutôt rester sur la version plus simple, etc. Et donc, c’est là où on n’était pas d’accord, en fait. C’est un peu la première fois. Et c’est là où on a, du coup, engagé un coach. qui nous a aidés à résoudre ce conflit. Il se trouve que j’ai réussi à convaincre Thomas de lancer le business model qui s’appelle SaaS, Software as a Service, ou Cloud, et c’est là où on a lancé Matomo Cloud, le service.
Matthieu Aubry
Ah oui, je dis que je ne sais pas trop pourquoi je voulais faire ça, mais en fait, je le sais : c’est parce que le futur, disons que maintenant, on le voit, énormément de services sont SaaS, tout simplement parce que c’est plus simple. à utiliser, à s’inscrire, à mettre en place. Et moi, je voyais venir ça. Les gens, des fois, sur des appels, me disaient « Vous faites du SaaS ? ». Les gens le demandaient, à la limite.
Donc, on s’est lancé là-dedans, dans notre troisième business model qui était du coup du Matomo Cloud. Et en fait, aujourd’hui, ça représente 75% de nos revenus. Donc, on l’a lancé en dernier, mais la croissance a été vraiment beaucoup plus rapide que le reste. Notre entreprise a 75% de SaaS. 20% de vente de licences et 5% de support technique.
Matthieu Aubry
Walid: vous avez tous les modèles possibles pour faire de l’argent autour du logiciel libre.
Matthieu: je pense qu’on a tout essayé. Entre la première étape, donation, crowdfunding, être embauché par une autre boîte, faire du freelance, maintenant avoir ces trois business models.
Je pense qu’on a pas mal testé avant de tomber sur ce mélange qui fonctionne bien pour nous. En fait, actuellement, on a un message clair aussi à notre communauté, c’est oui, on est à fond dans l’open source, on-premise, vous pouvez être souverain sur vos données, on a zéro accès à vos données, on-premise et on le supporte. Ou alors, vous aimez nos valeurs, le produit, ce qu’on représente, mais vous ne voulez pas aller jusqu’à installer tout vous-même, utilisez la version cloud.
Matthieu Aubry
Et en fait, nous, on n’est pas en train de pousser l’une ou l’autre, on veut vraiment que les gens choisissent celle qui leur convient. Et il se trouve que pour la plupart des gens, c’est la version cloud, vu que c’est plus simple.
Quels sont les critères pour mettre une fonctionnalité dans la version Open Source ou propriétaire ?
Walid: avant qu’on passe sur les avantages de Matomo par rapport à la concurrence, une dernière question. Comment vous décidez si une fonctionnalité, elle va dans le cœur open source ou si ça va être un module propriétaire ? Justement, quand on a interviewé Emily Omier la dernière fois, elle disait, « en fait, si tu veux que ta communauté, que tes clients, ils comprennent bien ce que tu fais, il faut que le message soit assez simple pour qu’ils comprennent. Si je prends la version open source, j’ai ça. Si je prends la version propriétaire, j’ai ça ».
Matthieu: tout à fait. C’est vraiment difficile. Il y a effectivement une analyse que là, je ne sais pas si j’arriverais à expliquer comme ça, mais vraiment, c’est plutôt une intuition. En fait, il faut respecter la communauté. En fait, moi, je suis le premier utilisateur. Nous sommes les utilisateurs, donc on comprend quand on télécharge un produit open source, on veut que ça fonctionne, que ça réponde aux besoins. Et après, c’est savoir à quel pourcentage de besoins ou de gens vont… directement être ravis d’utiliser ce produit.
Et en fait, ah oui, peut-être un des critères qu’on utilise, c’est de savoir si est-ce que cette fonctionnalité est utile à un libriste qui met ça sur son site perso ou son blog, ou est-ce que c’est utile seulement à une entreprise finalement, à un site commercial ?
Matthieu Aubry
Donc si la réponse est que, pour faire du A/B testing par exemple, franchement, il n’y a que des entreprises qui vont faire ça, et en plus des entreprises qui ont beaucoup de trafic, parce qu’il faut beaucoup de trafic pour faire du A/B testing, et du coup là c’est clair que ça, limite, il n’y a aucun intérêt à le mettre en open source. Enfin, si, il y a un intérêt, mais je veux dire, c’est clair que c’est une fonctionnalité payante.
On a raisonné comme ça, plus ou moins, pour ces 16 fonctionnalités. Mais là, depuis qu’on en a lancé 16, je crois que cette dernière année, on n’en a pas lancé, voire les deux dernières années.
Donc maintenant, on investit plus à proportion dans la maintenance des produits existants qu’on a créés et dans la maintenance de l’open source aussi. Donc on a tellement créé de produits que maintenant on ne veut plus trop en créer, plutôt améliorer ce qu’on a fait et fournir une grosse valeur à nos clients existants et à la communauté.
Matthieu Aubry
C’est vrai que ce n’est pas toujours évident, mais une intuition de se dire…
Walid: ça change d’un produit à l’autre en fait. D’un produit à l’autre, les réponses sont différentes en fonction des fondateurs, en fonction du business et tout ça.
Matthieu: voilà, c’est ça. Mais nous, ce qu’on veut, c’est que le produit soit fonctionnel en version open source. En fait, si on regarde le produit, quand on a activé les 15 ou 16 fonctionnalités, du coup, en fait, le menu de l’application est deux fois plus grand à peu près. Donc, il y a la moitié des choses qui sont open source, la moitié qui ne le sont pas. Après, au niveau code, je pense qu’il y a plus d’open source que de privé, mais c’est à peu près l’idée. En fonctionnalité visuelle, il y a la moitié qui est Premium et l’autre qui n’est pas. Mais la moitié qui n’est pas premium, qui est gratuite, c’est vraiment la base. C’est les choses vraiment indispensables.
La société Matomo
Walid: une autre question qui me vient. La société, c’est une société néo-zélandaise. Vous êtes combien d’employés et ils sont où, vos employés ?
Matthieu: on vient juste d’atteindre 50 employés. Il y a environ 30 en Nouvelle-Zélande et 20 à l’étranger. En fait, on est 100% remote (NDLR : à distance). Au début, je disais qu’on était dans ce bureau avec Thomas. Mais au bout d’environ deux ans ou trois ans, juste après qu’on ait embauché notre premier employé remote, on s’est dit « on a plus besoin de venir au bureau tous les jours ». On se connaît tellement. On va parler sur Internet plutôt. Et du coup, on a tous les deux commencé à travailler à la maison. Et dès le début, de toute façon, on ne voulait pas de bureau avec des employés. En fait, on voulait aussi avoir accès à un plus grand pool de talent. Du coup, nous, c’était clair dès le début, ce serait full remote. Donc voilà, 50 employés. On est à peu près, je crois, 7 en France, 5 en Allemagne, 4 au Canada, 2 aux États-Unis, une en Australie, 1 en Inde, et un aux Philippines.
Walid: c’est bien, les fuseaux horaires pour faire du support.
Matthieu: oui, là, je crois qu’on est en 16 par 5. Et on est en train de, petit à petit, essayer de faire du 24-6.
Walid: bon, l’heure tourne. Alors, j’ai encore deux parties importantes que je voudrais qu’on aborde, à moins que Laurent ait des questions.
Laurent: non, non, non. Écoute, il se débrouille bien, franchement.
Matomo par rapport à la concurrence
Walid: je voulais qu’on parle de comment Matomo se comparait par rapport à la concurrence. Tu disais tout à l’heure qu’il y avait beaucoup de concurrence. En fait, est-ce que tu peux nous expliquer un peu quelle est la concurrence et comment vous, vous démarquez de la concurrence ?
Matthieu: alors ça, c’est vraiment ma bataille actuelle.
On a énormément de concurrents, et en fait, on a des dizaines de concurrents, mais on en a environ peut-être 20 qui sont vraiment sérieux et très bons. Et sur les 20, il y en a 5 qui sont des entreprises qui valent plus d’un milliard.
Matthieu Aubry
Donc, il y a Google avec Google Analytics, qui est utilisé par 80% des sites internet, et qui est gratuit. Donc, on est en concurrence avec Google et un outil gratuit de Google. En plus, on est en concurrence avec Adobe Analytics, Yandex Analytics, les Russes, Content Square aussi, et Amplitude, les Américains.
Ces cinq entreprises-là valent plus d’un milliard, elles ont des centaines d’employés vraiment très qualifiés, etc. C’est compliqué. Et en plus de ça, ces dernières années, notamment depuis la RGPD, la loi de protection des données, il y a eu énormément d’autres acteurs qui sont sortis, qui ont été inspirés aussi par nous, il faut le dire, et par d’autres, et qui ont lancé des concurrents. Et du coup, on a énormément d’outils comme Plausible, Fathom, etc., qui commencent en simple, ils se positionnent en outils simples d’analytics, mais au fur et à mesure du temps, ils évoluent eux aussi.
Et donc, c’est vrai que maintenant, on est dans un marché incroyablement concurrentiel, et ça devient très dur. Et donc, c’est là où nous, on doit arriver à se démarquer, à jouer sur nos forces.
Nos forces, c’est le fait qu’on soit un outil très établi, très complet. Donc d’une part, on est très complet, tout en restant simple d’utilisation et agréable d’utilisation. Et on y travaille pour améliorer ça. Donc on embauche des designers, etc. Ensuite, on a l’aspect respect de la vie privée et éthique. On souhaite être éthique et on est éthique. Donc on doit faire ce qui est bien, ce qui est la bonne chose à faire dans toute situation. Il n’y a pas de raccourci possible quand on est éthique, n’est-ce pas ? Ça, c’est une force. La plupart de nos employés viennent aussi parce qu’ils ont raisonné avec ce message. Nos employés sont éthiques. On travaille, on insiste là-dessus.
Et pour conclure, le dernier aspect qui est unique à nous, c’est qu’on est open source et on est un open source qui est mature. On appelle ça « enterprise proven ». Donc, Matomo a été testé sur le champ de bataille pendant des années, on a traqué des milliards de hits, ça fonctionne, il y a des centaines de configurations possibles. Donc c’est prêt pour l’entreprise à tout niveau.
Matthieu Aubry
Laurent: mais ça doit être d’autant plus dur que l’argument open source, qui avant pouvait être un vrai argument fort, aujourd’hui doit aussi faire face à des concurrents open source, pas que propriétaires.
Matthieu: exactement. Bien que les concurrents open source, après je ne les connais pas tous, mais ceux qui ne sont pas très simples, les outils très simples, oui, ils sont open source. Mais il y en a certains qui se disent open source, mais ils ne sont pas aussi commités à l’open source que nous le sommes, dans le sens où il y en a plusieurs qui au début étaient open source, et après bouf, ils ont arrêté de développer l’open source et c’est passé en commercial.
Mais ils laissent comme ça l’open source pour dire : « Ah, vous voyez, on a un petit peu open source » ou « On était open source, mais maintenant, on ne l’est plus. » Donc, ils jouent un peu comme ça sur les choses, alors que nous, on est vraiment des puristes, on va dire, de l’open source, bien qu’on fait de l’open core. Donc, certains diront que ce n’est pas puriste.
Mais après, les concurrents, s’ils sont vraiment entièrement open source, pour moi, ce n’est pas forcément une concurrence. C’est plutôt qu’ils aident aussi à notre mission. Notre mission, c’est justement de proposer une alternative open source aux géants comme Google pour contrôler ces données. Donc s’il y en a d’autres qui font la même chose que nous, c’est super. On aimerait bien les encourager aussi. C’est plutôt les autres qui ne sont pas forcément open source qui sont aussi très bons.
Matomo et les institutions
Walid: il y a une dernière partie sur laquelle je voudrais qu’on discute et tu as commencé à en parler un tout petit peu. On t’a parlé du RGPD, et en fait, ce que j’aimerais savoir, c’est un peu le rapport aux différentes institutions. Est-ce que ces institutions vous financent ? Est-ce qu’elles vous aident d’une manière ou d’une autre ? Je pense que le RGPD, ça a été quand même un gros plus. En fait, en gros, un petit peu, est-ce que vous avez des relations avec eux ? Est-ce qu’ils utilisent vos produits ?
Matthieu: quand la RGPD est sortie, ça a été un énorme boost pour nous. En fait, je me rappelle, la RGPD était juste sortie ou juste avant qu’elle sorte, et on devait la lire, en fait. On a lu la loi et on a essayé de comprendre. Ce n’est pas évident parce qu’on n’est pas des avocats, mais bon, on a réussi à comprendre. Et ce qu’on a fait, c’est très vite, on a mis en place des modifications dans le produit pour qu’il soit vraiment compatible avec la RGPD et qu’il rende la vie facile aux gens qui doivent s’assurer que leurs outils et leurs données soient compatibles. Donc ça, ça nous a beaucoup aidés, effectivement, à gagner de nouveaux clients, de nouveaux utilisateurs.
Walid: en France, tu avais des articles là-dessus qui disaient : « Ouais, mais alors attendez, Google Analytics, ce n’est pas RGPD, il faut passer plutôt sur des solutions comme Matomo », etc. Ça a mis un coup de boost en termes de notoriété aussi.
Matthieu: exactement. En fait, ce qui s’est passé, c’est même pendant une période, Google Analytics est devenu illégal. Notamment en France et dans quelques autres pays européens, où les institutions disaient : « C’est illégal d’utiliser Google Analytics parce que Google n’avait pas fait le travail et refusait de travailler avec les institutions. » Et nous, c’est vrai que ça nous a beaucoup bénéficié, mais ça n’a pas duré énormément longtemps. Je crois que c’était un an. Après, nous, on a aussi été aidés par la CNIL.
La CNIL, c’est vraiment des gens incroyables. Le travail qu’ils font depuis, je crois, les années 70, où ça a été créé, c’est vraiment un travail très important. Et ils ont mis en place une sorte de labellisation qui permet à certains outils, s’ils sont configurés d’une certaine manière, d’être exempts de consentement.
Et c’est une des forces de Matomo que j’ai oublié de dire, c’est que en France, en Espagne, en Italie, dans quelques pays d’Europe comme ça, où les recommandations de la CNIL s’appliquent, il est possible d’utiliser Matomo pour mesurer les visiteurs sans demander le consentement des utilisateurs. On mesure les données d’une manière où il est impossible de corréler les mesures avec une personne individuelle, etc.
Matthieu Aubry
Laurent: y compris sur l’adresse IP. C’est ça qui m’a plu quand j’ai cherché une solution utilisant la technologie du tag. Il y a une fonctionnalité claire dans Matomo. On peut, on va dire anonymiser les adresses IP par une simple case à cocher et, à partir de là, la dernière donnée permettant d’identifier ou de remonter à quelqu’un n’est plus stockée. Effectivement, on peut ainsi sortir du processus de consentement.
Matthieu: exactement. C’est un des critères à mettre en place, et ça, ça nous a beaucoup aidés. Après, de là à dire qu’on a des relations, certainement, mais ils ne nous financent pas. Après, il y en a certains qui sont clients. On a pas mal de villes ou de régions en Europe qui achètent Matomo Cloud à 20 euros par mois. Mais on n’a jamais reçu de financement ou demandé d’ailleurs, on n’en a pas besoin. Après, oui, la CNIL a été vraiment instrumentale pour nous.
Walid: et aux États-Unis, par exemple ?
Matthieu: c’est notre troisième pays le plus populaire après la France et l’Allemagne, en termes de revenus notamment. Donc oui, il y a effectivement une certaine popularité de Matomo. C’est peut-être aussi beaucoup parce que les entreprises américaines, qui sont internationales, doivent être compatibles avec la RGPD, dès lors qu’elles servent des clients européens. Donc ça, ça nous a aidés aussi.
Mais de manière générale, aux États-Unis, les États commencent à lancer leurs législations sur le respect de la vie privée. Et en fait, Matomo est un outil idéal pour être compatible avec toutes sortes de législations, vu qu’on a plein de contrôles et de paramètres qui permettent de contrôler tout ça. Mais je pense qu’aux États-Unis, il y a beaucoup à faire. Et nous, vu qu’on est petits, avec un budget limité, etc., on essaye de se focaliser sur l’Europe pour l’instant. Mais les États-Unis, c’est vraiment notre deuxième marché.
Walid: et l’Océanie ?
Matthieu: l’Océanie, non. Même bien qu’on soit basé ici, ça représente 1 ou 2%. Même pas.
L’annonce de l’arrêt du développement d’AWStats
Walid: Laurent, tu as des questions avant qu’on passe à la conclusion ?
Laurent: non, on va pouvoir passer à la conclusion. Effectivement, tout ce que je peux dire, c’est qu’effectivement, j’étais un ancien utilisateur d’AWStats, forcément. Comme beaucoup, j’ai été séduit par la technologie du tag, qui apporte quand même un plus en termes d’informations qui peuvent être remontées. J’ai été séduit par la simplicité, les écrans, le suivi que propose le logiciel Matomo, avec son consulting dynamique. Quand tous les logiciels aujourd’hui ont une analyse de logs, c’est vraiment son côté ouverture, le RGPD clair.
Parce que, quand on va reprendre Google Analytics, ils essaient d’être RGPD compliant, mais va trouver l’option qui permet de l’être. Et il faut être balèze pour comprendre c’est quoi les options à sélectionner pour pouvoir l’être. Alors sur Matomo, c’est clair. Je veux dire, tu vois les données qui sont collectées. Tu sais que finalement, la plus critique, ça va surtout être l’adresse IP, puisque tu peux carrément remonter jusqu’au domicile de la personne avec, par rebond. Et Matomo, c’est ça : tu as ta case à cocher, mon adresse IP, je l’anonymise, en sacrifiant finalement la fin de l’adresse IP, par exemple.
Et donc cette simplicité de choix, une case à cocher pour pouvoir être compliant avec le RGPD, c’est quelque chose qui m’a beaucoup plu et qui fait que je me suis orienté aujourd’hui dans mes projets qui ont besoin de suivi par analyse de tag, sur Matomo en particulier. Et voilà, j’encourage tout le monde également à le faire.
Laurent Destailleur
Et puis, je ne sais pas si on peut d’entrée annoncer ce que je voulais annoncer aussi dans ce podcast.
Walid: vas-y.
Laurent: on a introduit les différences de technologie, l’analyse de log, l’analyse de tags. On voit bien qu’avec les évolutions l’informatique, AWStats, c’est un logiciel qui a maintenant 25 ans. Sa technologie, aujourd’hui, n’est plus au goût du jour, même si elle rend encore des services à certains par rapport au choix du besoin.
Il faut savoir qu’AWStats, pendant un moment, c’était près de 20 millions de sites web à une époque où il n’y en avait peut-être que 80 millions. Je ne sais plus si c’était 20 ou 30, c’est une étude américaine qui avait été faite. Donc en termes de part de marché, on était à 25-30%. Donc c’était un succès colossal. Mais aujourd’hui, on est à un niveau qui est proche de zéro. Et donc, c’est vrai que l’investissement dans ce logiciel, pour moi, n’est plus aussi intéressant. Je préfère me consacrer à d’autres logiciels. Et donc c’est pour ça que j’ai pris la décision de terminer mon aventure avec AWStats.
Laurent Destailleur
Je vais réaliser une dernière version avec tous les derniers bugfixes, patches, pull requests qui sont en stand-by encore, même s’il y en a peut-être peu. Il y a très peu de contributions, ce qui montre aussi que maintenant le public, les utilisateurs, ont déjà commencé à entamer la bascule. Il y a vraiment très peu d’activités sur ce projet aujourd’hui.
Et donc je vais terminer ça avec une version 8 qui sera donc la dernière version d’AWStats que je vais réaliser. Je ne sais pas encore si c’est à la fin de l’année ou si ce sera en mai 2025. Pourquoi mai 2025 ? Parce que le projet est né en mai 2000, ça lui fera 25 ans pile. Pour marquer le coup, c’est pas mal de dire que ça lui fait une bonne fin de vie, mourir le jour de ses 25 ans.
Laurent Destailleur
Bien sûr, c’est un projet open source, donc d’autres personnes pourront peut-être le reprendre et le faire vivre sous une autre appellation, AWStats New Generation, éventuellement, si je ne m’y opposerais pas, bien au contraire.
Par contre, l’aventure du projet AWStats, qui est quand même un projet qui aura marqué l’histoire de l’open source, va se terminer dans les semaines, sinon les mois qui viennent. Et donc, j’encourage chacun à basculer sur une solution plus moderne. On en a cité quelques-unes, mais voilà. Moi, j’ai choisi Matomo. Libre à chacun de choisir la sienne.
Walid: je vais verser une larme.
Laurent: ça me permet de me concentrer sur d’autres projets tout aussi importants, si ce n’est encore plus importants aujourd’hui, que tu connais bien.
Walid: bah ouais, dont on a déjà parlé. Oui, c’est parfait. Je vais vous laisser à chacun une tribune libre pour passer un mot de la fin. Matthieu, est-ce que tu as une tribune libre ? Est-ce que tu as un message à faire passer avant qu’on se quitte ?
Matthieu:
un message pour les plus jeunes peut-être qui nous écoutent, de vraiment quand on est jeune d’en profiter. On a beaucoup d’énergie, beaucoup de temps et c’est le moment de trouver des gens qui raisonnent et de faire des choses ensemble, d’apprendre à collaborer, à créer des choses ensemble, quoi que ce soit. Ça peut être créatif ou sportif ou autre, mais c’est vraiment très important d’apprendre à être en groupe et à faire des choses ensemble, puisque pour faire des grandes choses, on ne peut pas le faire tout seul. Donc, il faut apprendre très tôt à travailler comme ça avec d’autres gens qui sont parfois différents de nous, même si c’est plus facile de travailler avec des gens comme nous, ça nous emmène seulement à un certain niveau.
Matthieu Aubry
Non seulement de travailler avec d’autres, mais aussi de lire. C’est vrai que je pense que lire, c’est très important pour les jeunes, d’acquérir des connaissances, et pas seulement de lire, mais aussi de mettre en action les choses. Peut-être mon conseil que je donnerais à ma fille et que je donne aux jeunes qui nous écoutent.
Laurent: ça me fait rire parce que pour moi, c’est un jeune qui dit ça.
Walid: tu m’étonnes.
Matthieu: un jeune presque quarantenaire dans trois mois.
Walid: j’ai toujours bien aimé sur le podcast raconter les histoires et raconter l’histoire en fait. Et ce que je trouve génial, c’est d’avoir deux générations d’outils à deux périodes différentes. Ça, je trouve ça vraiment super. C’est pour ça que j’ai trouvé ça hyper intéressant de vous avoir tous les deux en même temps.
Matthieu: merci Laurent pour tout ton travail. C’est sûr que tu as été une inspiration pour moi aussi. J’ai regardé AWStats et en voyant ton travail, ça m’a motivé à essayer de faire mieux finalement, ou différemment, ou comme tu disais, plus moderne avec ça. Bravo pour tout ce que tu as fait. Et puis toi, tu as enchaîné avec un autre projet énorme et qui a un gros succès, donc vraiment impressionnant. Multi-entrepreneur, libriste.
Laurent: je suis resté jeune, tu vois, moi j’ai toujours la motivation.
Conclusion
Walid: parfait, on est arrivé à la fin, ça fait 1h20 qu’on enregistre. Merci beaucoup à tous les deux. Merci Matthieu d’avoir bien voulu enregistrer avec nous. J’étais très curieux d’avoir ton témoignage sur toute ton histoire et toute l’histoire de Matomo, etc. C’était vraiment passionnant. J’espère que les auditrices et les auditeurs du podcast ont appris des choses, qui vont essayer Matomo, qui vont l’adopter, qui vont migrer de AWStats pour les plus anciens vers Matomo.
Et puis, comme d’habitude pour les auditrices et les auditeurs, moi je vous demande de partager cet épisode, d’en parler autour de vous. Moi, je vais le partager à mes collègues qui n’utilisent pas Matomo. Peut-être que ça leur donnera des idées. Et puis on se retrouve bientôt pour d’autres épisodes. Merci à tous les deux. Bonne soirée Laurent et bonne journée Matthieu et puis à une prochaine j’espère.
Matthieu: merci Walid, merci Laurent. Et ouais, à bientôt au FOSDEM, pas cette année, mais c’est sûr une des prochaines années j’irai. En tous les cas, hâte de vous rencontrer.
Laurent: allez, salut Matthieu !
Walid: ça marche, salut !
Cet épisode a été enregistré le 19 novembre 2024.
Licence
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