Sommaire
- 1 Emmabuntüs avec Patrick et Yves
- 2 Présentation de Patrick et Yves
- 3 Le reconditionnement d’ordinateurs
- 4 Le rapport initial avec Emmaüs
- 5 Les débuts de la distribution
- 6 La distribution dans l’écosystème francophone
- 7 Le passage d’Ubuntu à Debian
- 8 Les objectifs de la distribution Emmabuntüs
- 9 Autres évolutions de la distro
- 10 La clé de réemploi
- 11 Les améliorations de la distribution pour les déficients visuels
- 12 Les rapports actuels avec Emmaüs
- 13 L’identité graphique
- 14 La communauté Emmabuntüs
- 15 Le projet Jerry DIT (Do-It-Together)
- 16 Le financement d’Emmabuntüs
- 17 Les défis d’Emmabuntüs
- 18 Conclusion
- 19 Licence
Emmabuntüs avec Patrick et Yves
Walid : chers auditrices, chers auditeurs, bonjour et bienvenue, nouvel épisode de Projets Libres!
Aujourd’hui, on va reparler encore une fois de distribution Linux ! C’est le deuxième épisode sur les distributions Linux et je suis très heureux parce qu’aujourd’hui, on va parler d’Emmabuntüs. C’est un projet que je suis depuis un certain temps et que j’avais déjà installé sur des vieux ordinateurs il y a quelques années. J’étais super curieux de poser des questions aux personnes qui font le projet. Donc je suis ravi parce qu’aujourd’hui avec moi j’ai Patrick et Yves, deux personnes au cœur du projet et voilà qui vont pouvoir répondre à toutes mes questions.
Eh bien écoutez messieurs j’espère que vous allez bien, bienvenue sur le podcast Projet Libre.
Patrick : bonsoir Walid, merci de nous recevoir sur ton podcast.
Présentation de Patrick et Yves
Walid : Tout le plaisir est pour moi et je vais vous demander de commencer par vous présenter, question rituelle. Patrick est-ce que tu veux bien commencer par te présenter, nous expliquer un peu d’où tu viens et comment tu as découvert le logiciel libre ?
Patrick : d’accord, Walid, pas de problème. Moi, j’ai commencé le logiciel libre pour des besoins personnels car j’en avais marre d’utiliser l’ancien système où j’avais des problèmes. Et donc, j’ai commencé à bricoler dans mon coin dans les années 2009, par là. Et puis après, j’ai eu l’opportunité d’installer Ubuntu au départ. Et j’ai eu l’opportunité de rencontrer des gens au niveau de Emmaüs, à venir pour les aider à reconditionner du matériel. C’est comme ça j’ai commencé avec les projets.
Walid : ok, très bien et toi Yves ?
Yves : j’ai travaillé surtout avec des machines, des microprocesseurs et puis des mini-computers dans ma carrière. Et lorsque je suis parti à la retraite, j’ai eu tendance à essayer de retrouver un petit peu le monde Unix. Et Linux bien entendu était la porte d’entrée la plus évidente pour repartir d’un bon pied dans ce monde là. Donc c’est un petit peu comme ça que ça s’est passé.
Walid : Qu’est-ce que ça représente le logiciel libre pour vous, Patrick ?
Patrick : c’est des opportunités de pouvoir faire une distribution, d’utiliser certains logiciels libres et de les adapter à son besoin personnel.
Walid : et toi Yves ?
Yves : pour moi c’est synonyme de liberté avec un L majuscule, c’est à dire ne pas être pieds des points liés à du logiciel propriétaire et de pouvoir étudier du code, de pouvoir le modifier, donc tout ça me va très très bien.
Le reconditionnement d’ordinateurs
Walid : ok, super. Avant qu’on attaque sur la genèse d »Emmabuntüs, moi je voulais savoir un petit peu, comment vous êtes, enfin vous avez commencé à en parler un tout petit peu, mais comment vous êtes tombé sur justement tout ce secteur du réemploi et du reconditionnement de matériel informatique ? Patrick ?
Patrick : c’est moi qui ai commencé en 2010, je voulais changer un petit peu de vie et donc j’ai proposé au départ à Emmaüs de faire des cours d’informatique en cours du soir et puis ils m’ont dit que ce n’était pas possible. Et ils m’ont dit vous savez dans votre ville à Neuilly-Plaisance, il y a un Emmaüs qui cherche des gens pour faire du reconditionnement d’ordinateur.
Donc je suis allé là-bas et j’ai rencontré une personne qui m’a épaulé au départ, qui s’appelle Djebar, que je remercie, qui est malheureusement décédé depuis, et qui m’a dit « tu tombes bien, voilà tout ce qu’on a à faire comme boulot ». Et c’est comme ça que j’ai commencé.
Et au départ, j’ai commencé par reconditionner les ordinateurs, à l’époque sur Windows XP. Et en voyant la difficulté de la tâche, j’ai commencé à faire un petit script pour automatiser la désinstallation de certains logiciels et l’installation de logiciels libres sur Windows XP.
Walid : qu’est-ce que tu entends par reconditionner ?
Patrick : alors reconditionner, c’est une opération qui consiste à changer les logiciels qui sont présents ou enlever certains logiciels pour avoir un système qui soit le plus propre possible. C’est un petit peu nettoyer la partie logicielle de l’ordinateur.
Souvent on essaie de retrouver par exemple, quand on fait des reconnaissances de l’ordinateur qu’on nous donne, on essaie de regarder si les gens n’ont pas laissé leur mot de passe, n’ont pas laissé leur photo, n’ont pas laissé des vidéos interdites, voilà, ça fait une partie du logiciel.
Alors il y a plusieurs méthodes, sur certains ordinateurs style HP, il y a une procédure de réinitialisation en mode usine, mais d’autres sociétés ne proposent pas ça. Et donc, soit on nettoie l’ordinateur manuellement en enlevant certains logiciels, soit c’est ce qui s’est produit plus tard, on installe un système Linux, comme ça on est tranquille.
C’est beaucoup plus rapide et on n’a pas à se faire de soucis sur les mots de passe, s’ils sont conservés ou pas.
Walid : et donc là, quand les ordinateurs arrivent, tu ne sais jamais quel type d’ordinateur tu vas avoir et potentiellement est-ce que tu changes des cartes, des disques durs, est-ce que tu changes des pièces dedans ?
Patrick : alors ce qu’on faisait à l’époque c’était des ordinateurs de particuliers dans les communautés Emmaüs, ils récupèrent essentiellement des ordinateurs de particuliers, donc ce sont des ordinateurs hétéroclites, il n’y en a aucun qui sont les mêmes et effectivement souvent les personnes les donnaient sans disque dur.
C’est pour ça qu’on est passé essentiellement à Linux, parce que là quand il n’y avait pas le disque dur, on ne pouvait pas conserver la licence, et si on voulait réinstaller une licence Windows, on était un petit peu dans l’illégalité. Bon certains le font, Windows laisse faire, ils sont assez conciliants par rapport à ça, mais pour se mettre dans la légalité, sur ces ordinateurs là, on a commencé à installer Linux.
Et donc, Djebar m’a donné l’autorisation au début. Au début, il m’avait dit « Oh non, mais Linux… Moi, j’ai fait un essai, ça n’a pas marché» quand ils avaient essayé de reconditionner sur Linux, sur Ubuntu classique. Et donc, j’ai dit « Ben, ce qu’on va faire, on va faire une Ubuntu classique améliorée. » Et ça a donné naissance quelques temps plus tard, un an et demi après, à Emmabuntüs.
C’est pour ça que dans Emmabuntüs, on retrouve l’origine dans le mot Emmaüs et Ubuntu.
Walid : toi Yves, t’es arrivé quand sur le projet Emmabuntüs ?
Yves : Je ne m’en souviens plus pour te dire la vérité, peut-être que Patrick s’en souvient ?
Patrick : je pense que ça a dû arriver dans les années 2014-2015. T’as connu le partenariat avec Yvo Togo ?
Yves : oui c’est ça.
Patrick : donc t’as dû arriver dans les années 2014, 2015?
Yves : C’est ça, peut-être.
Patrick : on était déjà sur Debian ?
Yves : non, c’était la bascule, c’était un petit peu avant.
Patrick : donc ouais, ça a été dans les années 2013, 2014.
Yves : quand je suis arrivé à la retraite, je me suis dit « tiens, il faudrait que je commence à faire quelque chose d’intéressant, intéressant plutôt que de rester dans mon coin ». J’étais tombé sur l’association Montpel’Libre et je leur avais demandé s’ils connaissaient des gens qui travaillaient dans le libre, qui reconditionnaient, etc. Et ils m’ont aiguillé tout de suite sur Patrick. Alors j’ai envoyé un mail à Patrick et puis voilà, on a commencé à discuter et Patrick m’a accueilli à bras ouverts et depuis on essaie de travailler ensemble.
Patrick : et depuis on est des amis.
Walid : donc si je reprends, l’objectif initial de la distribution Emmabuntüs, c’était pouvoir installer Linux sur les ordinateurs hétéroclites que vous récupériez à l’époque pour un reconditionnement chez Emmaüs.
Patrick : tout à fait.
Yves : Emmaüs ou d’autres, parce que je travaille dans une ressourcerie où j’ai exactement le même problème, c’est la même problématique.
Patrick : oui c’est vrai Yves, mais c’était au départ, au départ c’était ça, c’était fait pour pour la communauté Emmaüs où j’habite à Neuilly-Plaisance qui s’appelle Emmaüs Neuilly Avenir.
Walid : ok.
Patrick : et après on a diffusé, après on s’est constitué en groupe, en collectif, ça c’est en mars 2011. Donc à l’origine de ce collectif il y avait Hervé, Yves (NDLR : correction, c’est David), Morgan – on a été quatre -ainsi que moi-même, on a été les cofondateurs de ce qu’on appelait le collectif Emmabuntüs. C’est à ce moment-là où on a sorti notre première version ISO en téléchargement sur Internet.
Walid : est-ce que tu peux expliquer ce que tu entends par collectif ?
Patrick : un collectif, c’est comme une association, sauf qu’on n’a pas de statut officiel.
Walid : c’est juste un groupe de personnes quoi ?
Patrick : oui tout à fait. Comme une communauté, un mix entre la communauté et l’association.
Le rapport initial avec Emmaüs
Walid : et au départ, quand vous commencez ce projet, quel est le rapport de manière générale avec Emmaüs ? Parce qu’il y a quand même Emma de Emmaüs dans le nom. Est-ce qu’ils voient ça de manière bienveillante ? Comment ça se passe au départ ? Ou est-ce qu’ils ne s’en disent rien de particulier ?
Patrick : en fait Emmaüs c’est… Il y a plusieurs communautés en France, il y en a plus d’une centaine, peut-être à l’heure actuelle 130. Donc moi c’était dans la communauté où j’étais à Neuilly-Plaisance, j’ai été bien accueilli par les responsables, par le responsable informatique qui s’appelait Djebar, il était ravi de ce que l’on faisait et il me poussait à continuer dans ce projet-là.
Et quand on a vendu les premiers ordinateurs au début en Noël 2010, on en a fait 4 sous Emmabuntüs et 4 sous Windows. Et quand je suis revenu de congé, il m’a dit « c’est super et tout, on a vendu toutes les Emmabuntüs, on continue ». Mais à l’époque, ça ne s’appelait pas Emmabuntüs. Mais c’est ce qu’il allait devenir, Emmabuntüs. On n’a pas donné le nom tout de suite, en fait.
Les débuts de la distribution
Walid : et à partir de ce moment-là, l’ISO, elle arrive à quel moment? Quand vous créez le collectif et que vous sortez la première version d’Emmabuntüs ?
Patrick : en mars 2011. Et ça faisait déjà 9 mois que j’oeuvrais chez Emmaüs. En mars 2011. La toute première version, ça a été en octobre 2010 où j’ai fait une Ubuntu Party.
Ça c’est la toute première version mais on n’avait pas encore l’ISO. On l’installait sur les ordinateurs, on prenait une ISO d’Ubuntu, la 10.0.4, on l’installait et après derrière on lançait un script qui installait tous les paquets supplémentaires ainsi que le doc pour faire la configuration que l’on a à l’heure actuelle.
Walid : ok. Est-ce que la version d’Ubuntu que vous avez fait, elle avait des objectifs principaux à part le fait d’être installé sur du matériel hétéroclite en termes d’utilisation,
en termes de publi ? Est-ce que vous aviez des objectifs que vous n’auriez pas forcément trouvé avec d’autres distributions Linux ?
Patrick : on a pris Ubuntu parce que c’était une version qui était la plus utilisée dans le grand public, on va dire. Et puis elle avait aussi un avantage, car maintenant aussi déviante, c’est qu’elle était très adaptée à différentes sortes de matériels. Il y avait pas mal de pilotes logiciels intégrés. Donc pour éviter les problématiques, des incompatibilités. C’est pour ça qu’on a choisi Ubuntu.
Walid : et tu dis là que vous avez rajouté un dock, donc vous avez rajouté des éléments, vous avez un peu personnalisé la version d’Ubuntu quoi ?
Patrick : oui bien sûr.
Walid : mais ces personnalisations, elles touchaient quoi ? Elles touchaient que de la partie graphique ?
Patrick : ces personnalisations, il y a le dock qui existe toujours et après il y a un ensemble, plus d’une soixantaine de logiciels qui sont installés par-dessus. Donc c’est ça la particularité des Emmabuntüs. Alors certains disent qu’on met trop de logiciels, pour eux c’est que comme les logiciels grossissent, on en enlève au fur et à mesure qu’on sort des versions. Mais sinon ça permet justement aux utilisateurs, au public que l’on ciblait, en fait dans le public que l’on ciblait, on ciblait trois types de publics différents, les parents, les enfants et les grands-parents, donc c’est pour ça qu’on a mis des logiciels pour les différents publics que l’on visait et tout ça a été installé d’origine. Ça évitait aux gens de devoir apprendre certaines choses. S’ils avaient besoin d’un logiciel, par exemple, pour montrer comment utiliser le calcul mental aux enfants, ils avaient un logiciel Tuxmat.
S’ils voulaient faire un peu de généalogie pour les grands-parents, ils avaient un logiciel pour la généalogie. Donc certains nous ont critiqué là-dessus parce qu’on avait trop de logiciel. Nous, c’était notre objectif, c’était de permettre d’avoir un système tout en un installé dès le départ. Tu confirmes Yves ?
Patrick : absolument. Et puis peut-être qu’on peut rajouter aussi la partie offline, c’est-à-dire que lorsque ces ordinateurs sont envoyés en Afrique par exemple, où ils n’ont pas un internet très performant en général, ils n’ont pas besoin de télécharger de nouvelles applications, elles sont déjà présentes. C’est quand même un plus.
Patrick : tout à fait. C’était d’ailleurs l’un des objectifs que m’avait demandé Hervé, qui est l’un des cofondateurs de notre collectif, qui continue lui à faire aussi du réemploi à Nanterre. C’était d’avoir quelque chose qui soit tout intégré. Et justement, lui m’a dit, il faut que tu fasses l’ISO, parce qu’il avait besoin de ça pour ses projets qu’il avait en Afrique. Il avait déjà des projets de reconditionnement, il avait une salle informatique en Afrique à l’époque et donc il voulait ce genre de distribution ligne.
Mais au départ quand j’ai commencé moi j’avais pas j’avais pas la vision et l’ambition d’aller à l’étranger.
La distribution dans l’écosystème francophone
Walid : quand t’installes Emmabuntüs, t’as typiquement un logo Framasoft.
Patrick : oui.
Walid : je me demandais en fait est-ce que vous avez des rapports avec Framasoft, avec d’autres assos, avec d’autres personnes qui travaillent sur des projets. En fait, un peu comment la distribution s’inscrit un petit peu dans tout ce panorama libre francophone ?
Patrick : alors les rapports qu’on a avec Framasoft, quand j’ai mis ce fond d’écran de Framasoft, c’est parce que je voulais faire un clin d’œil au site qui m’avait amené au logiciel libre dans les années, on va dire 2008. Voilà, donc c’est grâce à ce site que j’ai commencé à avoir la notion du logiciel libre que je ne connaissais pas avant.
Et j’ai trouvé ces fonds d’écran sympas, on les a depuis le début. Pour l’instant on les garde, il y a certains d’entre nous qui trouvent qu’ils sont un peu old school on va dire, mais bon on les garde pour l’instant, on a d’autres fonds d’écran maintenant qu’on peut changer au démarrage, pour les gens qui sont allergiques aux pingouins qui font de la glissade sur la glace, mais sinon on les garde en installation standard pour avoir un certain style. Même si ça ne plaît pas à certains, on sait que ça ne plaît pas à certains.
On a été très critiqués sur notre nom au niveau d’Emmabuntüs, énormément, et sur nos fonds d’écran old school.
Walid : pourquoi vous avez été critiqués sur le nom ? Qu’est-ce qu’il a le nom ?
Patrick : critiqué au niveau international. Depuis 2011, on est passé en visibilité, on va dire, en petite visibilité internationale. Il y a des gens qui, des blogueurs, un petit peu comme des journalistes, qui nous ont critiqué par rapport à ce genre de choses. Des fois c’était gentil, des fois c’était méchant.
Walid : pourquoi ? Parce que le nom il n’est pas prononçable ?
Patrick : le nom n’est pas prononçable pour nous, et pour les anglophones, ils font un amalgame avec une égérie des Spice Girls. Maintenant je le sais, à l’époque, quand on a pris ce nom-là, j’avais pas du tout pensé aux Spice Girls. Et puis pour certains, c’est imprononçable, et pour d’autres maintenant, c’est antinomique puisqu’on n’utilise plus Ubuntu, donc ça leur pose des problèmes métaphysiques.
Je leur explique que nous c’est pas grave, ça serait très compliqué de changer de nom au sein de notre collectif. Qu’est-ce que tu en penses Yves ?
Yves : j’utilise deux terminologies, Emmabuntüs c’est le nom officiel et puis entre nous on dit EmmaDE, parce que maintenant on est Debian Edition, donc ça fait EmmaDE. Moi j’aime bien aussi le petit nom si tu veux, donc ça me va très bien.
Patrick : mais si on voulait changer il y en a qui sont pour le changement on va dire et d’autres qui sont contre le changement dans notre collectif donc ça ferait une scission importante donc je n’ai jamais pris le risque de changer.
Walid : à l’heure actuelle vous êtes combien dans le collectif ?
Patrick : alors au niveau du périmètre du collectif on ne le connaît pas. C’est un petit peu comme la taille de l’univers on ne la connaît pas. On va essayer de faire un peu de philosophie. Il y a quelqu’un une fois qui a fait, alors je ne sais plus, Sylvain je crois, tu me diras Yves, qui a fait une enquête sur notre collectif dans le cadre de sa soutenance de fin d’études. C’était quelqu’un qui était membre de notre mailing-list, on ne savait même pas. Un jour il nous a dit une enquête, après j’ai compris qu’il était déjà membre de notre mailing list. Il a fait une enquête, il nous a envoyé un doc d’une combien de… une vingtaine de pages, trente pages ? Une enquête un peu psychologique, je sais pas, qui prouvait qu’on était un collectif. Il y a 25 personnes qui ont répondu, j’étais très surpris, moi je pensais qu’on n’allait être que trois à répondre. Donc il y a au moins 20 à 25 personnes qui suivent ce que nous faisons. Même si des fois j’ai l’impression d’être un petit peu tout seul, n’est-ce pas Yves ?
Walid : ça sent le petit appel du pied à des gens qui veulent contribuer.
Patrick : ah bien sûr on a cherché, on pourra en parler, je peux faire une parenthèse par rapport à ça, là on va sortir une nouvelle version d’Emmabuntüs, une évolution mais qui est une évolution très très importante, ça fait six mois que l’on travaille dessus et on a fait des appels du pied à l’international, on a envoyé sur une liste de diffusion spécialisée logiciels libres qui nous a pas répondu, on a demandé d’abord aux administrateurs si on pouvait faire un appel à testeur, notre appel n’a pas été reçu. Après on a même fait une annonce officielle sur le site de Distrowatch que tu dois connaître, et donc il nous a fait une annonce sur sa newsletter et on a eu une personne qui nous a contacté, après on l’a recontacté et on a pas eu de retour. Et donc c’est quand même une annonce sur lequel passent 70 000 personnes par jour. Pas que sur notre petit annonce, sur l’ensemble, il y a des gens qui ont pu voir ce qui était marqué donc on n’a pas eu de résultat.
Yves : Patrick, il faut que tu expliques un peu la complexité aussi des tests pour les pour les non-voyants.
Patrick : oui c’était pour une évolution qui concerne la déficience visuelle. Après nous Yves, pour l’instant, on a de la chance, je touche du bois, on voit correctement mais on peut faire le test sans se mettre dans une situation complètement non voyant. On peut faire, sinon on n’aurait pas avancé.
Le passage d’Ubuntu à Debian
Walid : justement là tu parles d’évolution, en fait j’aurais aimé qu’on revienne sur l’évolution d’Emmabuntüs. Ce que j’aimerais bien comprendre c’est un petit peu quelles sont les grandes étapes du développement de la distribution entre la première version et maintenant. Qu’est-ce qui s’est passé d’important ?
Patrick : je vais donner la parole à Yves, tu veux prendre la parole Yves ?
Yves : une étape importante qui a émergé lorsque Ubuntu, puisque Emmabuntüs était basé sur Ubuntu au démarrage, lorsqu’Ubuntu a laissé tomber les versions 32 bits et a décidé de ne supporter que le 64 bits. Or le matériel qu’on voulait continuer à supporter était je dirais majoritairement 32 bits. Bon depuis il y a eu une évolution je pense, mais à l’époque 32 bits étaient importants. Et c’est là que Patrick a décidé, avec l’aide d’un autre copain qui s’appelle Arpinux, de développer une version qui soit basée sur Debian. Et non plus sous Ubuntu. Ubuntu étant une fille de Debian, comme on le sait bien entendu. Donc ça je pense que ça a été une étape décisive de l’évolution.
Walid : ça c’est un gros travail ?
Patrick : oui c’était un gros travail. On était dans l’inconnu, premièrement c’est pas les mêmes outils d’assemblage, donc maintenant on utilise le logiciel de Debian standard qui s’appelle LiveBuild. Donc ça il fallait le maîtriser. C’est pour ça qu’on s’est rapproché d’Arpinux qui avait développé à l’époque HandyLinux, et puis lui il avait fait des tutos sur l’utilisation de LiveBuild. Donc il y avait ça comme gros inconnu, il y avait le gros inconnu du support matériel, est-ce que Debian tiendrait le coup au niveau des différents matériels que l’on a ?
Donc ça on n’était pas sûr qu’il y avait ça aussi comme inconnu.
Walid : quelle année ça ?
Patrick : ça c’est, on a commencé la bascule dans les années 2014-2015. Et après on avait deux versions à un moment donné, il a fallu faire le choix. Si on maintenait les deux, moi j’ai dit « moi je maintiens pas les deux », donc on a arrêté la version Ubuntu. Et après Ubuntu s’est ravisé, si tu veux il s’est ravisé, ils ont continué à poursuivre leur version 32 bits. Maintenant ils viennent de la stopper, ils ont dû la stopper en 2018. Ils ont fait deux autres versions après, majeures on va dire. Parce que nous on utilise que les versions Long Term Support. Voilà, donc ils ont continué.
C’est une grosse évolution pour nous. Et après on perdait aussi, on perdait, on l’a récupéré depuis, on perdait un installeur, on perdait un installeur qui était un installeur graphique, l’équivalent maintenant il est intégré il s’appelle Calamares on perdait ça en fait on passait sur un installeur de plus ancienne génération ce qu’on appelle l’installeur Debian classique des Debian live. Donc ça c’était aussi une perte au niveau de nos utilisateurs.
Les objectifs de la distribution Emmabuntüs
Walid : ok donc ça c’est la grosse bascule ça c’était la grosse bascule oui je n’ai pas demandé mais votre but c’est vraiment de faire en sorte de pouvoir supporter les matériels le plus longtemps possible ?
Patrick : oui bien sûr, c’est ça l’intérêt. Et puis aussi il y a un autre but, il y a deux autres buts, on n’en a pas parlé, mais bon c’est d’aider les associations comme les communautés Emmaüs, pour nous c’est une association comme une autre, à reconditionner leur propre matériel pour leur propre projet ou pour de la vente. On n’est pas contre la vente, et de permettre aussi la découverte de Linux au plus grand nombre avec une version qu’on considère nous plus accessible. D’autres ne le pensent pas mais voilà ce que nous on considère plus accessible parce que tout est installé dès le départ alors d’autres, des spécialistes, des développeurs, ou ceux qui font les revues eux ils se peaufinent leur version. Ils voudraient que tout le monde fasse comme eux mais quelqu’un par exemple maintenant quand on achète une voiture on n’a pas besoin de bricoler quoi. On va au garage et de moins en moins on a besoin de bricoler. Là c’est pareil.
Walid : personnellement j’utilise sur un Sony Vaio qui a à peu près 15 ans.
Yves : ça marche toujours ?
Walid : oui ça marche toujours.
Patrick : on a de la chance. 15 ans c’est pour nous on a fait un manuel récemment parce qu’on travaille pas que sur la distribution on va en parler. On a fait un manuel pour les reconditionneurs, je t’avais envoyé le lien. On considère que 15 ans c’est la limite. Donc on ne veut pas faire de la gériatrie, si je pourrais dire, dans le reconditionnement. C’est pour nous un peu de la limite. Donc on vise des machines entre 5 ans, nous on vise des machines entre 5 ans, qui est une vieille machine maintenant, pour le monde de l’industrie, 5 ans et 10 ans.
Walid : d’accord. Ah oui, c’est intéressant de voir un peu, justement, quel type de matériel ça sert.
Patrick : le matériel qu’on envoie pour l’Afrique, c’est du matériel, il y a des gens qui n’ont pas ce matériel là chez eux, donc il y a des gens qui seraient jaloux du matériel qui a cinq ans. Le matériel est tout uniforme : là on va récupérer un lot, on va avoir entre 80 et 130 unités centrales qui vont être toutes les mêmes.
Walid : on va reparler après justement de tout ça parce que c’est hyper intéressant, je te demande de savoir un peu où est-ce que vous récupérez etc. Mais je vous ai interrompu pendant qu’on parlait des évolutions à la distribution, là vous venez de parler du passage de Ubuntu vers Debian. Donc ça c’est en 2015 si je m’ai bien compris ?
Patrick : oui on va dire 2015.
Autres évolutions de la distro
Walid : et ensuite à partir de ce moment là qu’est ce qui s’est passé comme évolution sur la distribution ?
Patrick : après ce qui s’est passé ça a été l’intégration de Calamares.
Walid : l’installeur graphique.
Patrick : la personnalisation parce que bon… je veux pas critiquer mais dans certaines distributions Linux il n’est pas forcément bien installé… Dans certaines oui mais dans d’autres il n’est pas très bien installé donc c’était ça.
Après ça a été de rajouter certains logiciels, enlever d’autres logiciels, je ne sais pas, je ne me souviens pas de tout mais voilà le travail que l’on a fait. Après, on a basculé sur… J’ai travaillé pas mal de temps, à peu près deux ans, mais pas en continu, sur ce qu’on appelle la clé de réemploi. Donc, ça, c’est quand on a fait ce qu’on a appelé notre campagne de réemploi, sous l’initiative de Arpinux, qui, à l’époque, était le président de l’association Debian-Facile.
On a dit, au niveau de notre collectif : on a déjà une clé de réemploi qu’on utilise en interne, qu’on n’a pas diffusée de façon libre. Et donc on l’a fait évoluer, ça a pris deux ans, pour faire quelque chose de beaucoup plus utilisable par tout le monde. Même nous on en profite maintenant. Plus les manuels, Yves a participé énormément aux manuels de cette clé de réemploi.
Amaury, qui n’a pas pu nous rejoindre ce soir, a fait beaucoup de vidéos d’utilisation, de démonstration de cette clé et a participé au test de cette clé en me disant « ça il faut l’améliorer tout ça ».
Donc maintenant on a une clé de réemploi qui est vraiment très flexible au niveau de son utilisation parce qu’au départ on avait une structure d’installation des disques durs qui était figée, d’accord. Et là on a une structure qui est beaucoup plus souple on peut mettre des partitions dans n’importe quel ordre on peut avoir aussi on peut faire partition /home séparé avec la partition route séparée.
La clé de réemploi
Walid : qu’est ce que tu appelles clé de réemploi ? Qu’est-ce que ça change par rapport à… Déjà, physiquement c’est quoi ? Et puis, qu’est-ce que ça fait de plus qu’une simple ISO sur une clé USB ?
Patrick : d’accord. Yves, est-ce que tu veux l’expliquer ?
Yves : la clé de réemploi, c’est une clé USB donc avec un petit programme qui démarre.
En général, on utilise Ventoy pour la mettre en forme. A partir de Ventoy, tu peux démarrer ce que tu veux, comme ISO, sur ta clé USB. Une des possibilités, c’est d’avoir une image d’une installation que tu as déjà faite, notamment si tu veux faire de ce qu’on appelle OEM, c’est-à-dire que tu prépares ton système, tu le mets en forme comme tu veux, sauf les données spécifiques à l’utilisateur final, par exemple son nom, son mot de passe, des choses comme ça. Et tu crées une image que tu vas mettre sur ta clé USB dans un répertoire bien particulier, et lorsque tu vas faire ton reconditionnement, tu vas simplement dire : « ben voilà, je veux que récupérer ce clone, cette image, pour la transférer directement sur mon ordinateur à reconditionner », et ça se fait tout seul. En l’espace de quelques minutes, tu as un ordinateur tout neuf au niveau du système.
Walid : donc typiquement là si vous recevez quatre ans d’ordinateur finalement l’installation des quatre ordinateurs ça va être assez rapide.
Patrick : c’est un jour et demi, je sais déjà le temps. Oui tout à fait en fait avant quand on a commencé à faire l’iso des Emmabuntüs, il y a des menus spécifiques que Yves a expliqué dans le manuel d’installation. Il y a des menus spécifiques, on ne les détaille pas tous, qui sont prévus pour le reconditionnement. C’est-à-dire que par exemple, il y a un menu qui s’appelle partitionnement automatique, où on va faire un partitionnement prédéfini, on va mettre un mot de passe prédéfini. Quand l’utilisateur va redémarrer, les écrans de post-installation vont être préconfigurés, il faut cliquer. Quand on faisait ça à Emmaüs, on a commencé comme ça avec notre menu spécifique, qui n’est que pour les français, on n’a pas fait pour les anglophones, voilà, ils font l’installation classique, ils répondent aux 30 questions que nous on fait juste, qu’est-ce qu’on fait ? On fait juste le choix du disque et partitionner, ok.
Donc on avait déjà automatisé cette partie-là sur la partie des biens classiques au niveau de l’installation. Et aussi sur Ubuntu c’était la même chose. Donc là quand on fait une installation comme ça, l’installation elle prend une vingtaine de minutes. Quand tu redémarres la post-installation, il faut supprimer des langues, ça prend 5 à 10 minutes. Donc tout ça, ça ferait 25 minutes pour l’installation d’un ordinateur avec des interventions manuelles, c’est-à-dire que la personne ne peut pas partir, il faut qu’elle soit devant son ordinateur.
Avec le nouveau système qui est le clonage, on fait ça une fois sur un ordinateur avec un disque plus petit que les disques cibles, bien sûr, ça c’est une obligation, et après on fait un clone grâce à un logiciel qui s’appelle Clonezilla que l’on utilise. Et ce Clonezilla, on l’a instrumenté par notre clé de réemploi. On a deux scripts qui pilotent le Clonezilla. Nous on fait que la partie du boulot, la partie interface en fait, choix de l’ISO, choix du clone plutôt. Ça c’est le script que nous avons fait.
Ça veut dire que l’utilisateur il arrive, il branche sa clé, il y a un mode qui est quasiment automatique, le dernier mode qu’on a mis, il a déjà prédit, mis un fichier d’initialisation, il dit tel clone il se trouve à tel endroit, la clé elle démarre, elle formate, elle partitionne, elle installe, elle fait une petite sonnerie à la fin et elle redémarre l’ordinateur. Donc la personne quand il a intégré la clé qu’il a démarré ça, ça se fait tout en automatique. Donc c’est cinq minutes machine. Mais l’utilisateur, un utilisateur, moi par exemple, ou d’autres, un reconditionneur, on va dire chez nous, dans le collectif, il fait quatre machines en parallèle. On peut monter, un reconditionneur peut faire six machines en parallèle. D’accord ?
Donc ce qui nous permet, à un jour et demi, avec deux personnes, de faire la partie reconditionnement des ordinateurs, plus mise en carton. Et après, derrière, comme on a du temps pour les projets sur le Togo, on prend le luxe de venir copier les Wikipédia hors ligne qui prennent 20 minutes de copie. Donc c’est ça qui nous ralentit un peu donc on est à une demi-heure par machine pour la reconditionner.
Walid : vous avez autant de volume que ça ? Vous avez quoi comme volume d’ordinateur dans votre collectif ?
Patrick : c’est pas qu’on a beaucoup de volume, c’est que si tu veux, quand on fait les séances de réemploi, on les fait condenser à l’époque, donc l’association YovoTogo, ils sont basés en Vendée. Moi je suis en région parisienne, donc quand j’allais là-bas, c’était pour le week-end.
Donc si tu veux, on bosse toute la journée, le soir on fait un peu la fête quand même, il faut se détendre dans la ville, mais c’est condensé, d’accord. Quelqu’un qui est dans une structure, un atelier de reconditionnement, il fait 5 ordinateurs par jour, il étale son travail sur la semaine. Que nous, on s’était condensé.
Une fois, ils ont reconditionné avec les toutes premières clés, qu’on n’avait pas encore fait la version qu’on a livrée pour tout le monde, ils travaillaient dans un local qui faisait 10 degrés. Donc ça te motive à travailler, parce que vous avez prêté le local pour faire ça, et donc il faut faire les choses très rapidement. Donc voilà l’intérêt.
Alors après d’autres l’utilisent, mais c’est pour ça qu’on a voulu avoir de la vitesse et surtout aussi l’automatisation parce que si on… au début on le faisait avec Clonezilla, mais il y avait des gens au bout d’un moment, tu vois tous les écrans, tu fais des erreurs, tu recommences, tu plantes, que là c’est automatique. Tu peux pas faire d’erreur. Sauf de pas arriver à mettre la clé dans l’ordinateur. Voilà.
Walid : j’ai encore dévié par rapport à ma question des évolutions, donc là les évolutions de la distribution, c’est un peu décousu, mais là vous avez créé la clé de réemploi.
Patrick : désolé. non, non, mais c’est moi qui… Mais c’est dans l’ordre chronologique, tu diras, c’est dans l’ordre chronologique.
Les améliorations de la distribution pour les déficients visuels
Walid : après la clé de réemploi, est-ce qu’il y a eu d’autres grandes évolutions avant qu’on passe à la suite ?
Yves : il y a maintenant…
Patrick : l’évolution actuelle sur les mal et non-voyants. Oui, ça c’est la grosse évolution, ça fait 6 mois qu’on est dessus.
Walid : elle est sortie cette évolution ou elle va sortir ?
Patrick : si tu veux la tester on peut te la donner pour test, mais elle n’est pas encore sortie officiellement. Elle sortira j’espère juillet-août en version officielle. Mais là on a une date, Yves le sait très bien puisque je le pousse un peu. On a une date pour le 11 juillet en fait, on doit livrer notre clone avec cette version là.
(NDLR : la version est sortie : https://emmabuntus.org/le-29-juillet-2024-emmade5-accessible-aux-personnes-deficientes-visuelles/)
Parce que ce projet, en fait d’ajouter, ces fonctionnalités pour les déficients visuels, il a été demandé par l’association avec qui on travaille sur le Togo qui s’appelle YovoTogo.
C’est une association française et vendéenne avec laquelle on travaille depuis 2015, qui a déjà équipé plus d’une trentaine de salles informatiques au Togo et une autre association qui s’appelle Jump Lab’orione qui gère tout le parc informatique sur place, qui forme les maîtres formateurs qui sont dans les salles informatiques. Et donc là, l’association YovoTogo est une association qui travaille sur le handicap depuis de nombreuses années, depuis 2010, 2011.
Et donc ils ont travaillé avec une nouvelle association qui est la Fédération nationale des personnes handicapées du Togo, avec qui ils ont travaillé pour des partenariats de conteneurs et d’équipement.
Puis ils se sont dit, c’est vrai que vous êtes sur tout le Togo, est-ce que ça vous dirait qu’on vous donne des ordinateurs ? Alors l’association a dit, oui, c’est bien. Puis Claude a eu une idée, mais pourquoi on ne ferait pas une version adaptée à la déficience visuelle pour le Togo ?
Ça c’était les réflexions de décembre. Et donc moi je dis au début, tu sais ça va être super dur et tout, on va essayer de trouver quelque chose qui est déjà fait. Et donc on n’a pas réussi à trouver quelque chose qui était déjà fait dans le monde Linux, et donc on est parti en essayant de faire quelque chose qui soit utilisable au Togo et pour les déficients visuels.
Parce qu’il y a des distributions Linux, mais pour les déficients visuels, elles m’ont pas convaincu. Donc voilà, on va essayer de faire quelque chose de mieux.
Walid : je me demande un peu, qu’est-ce que vous avez amélioré dans la distribution, justement, pour travailler sur ces problématiques de déficience visuelle ?
Patrick : alors, on va demander à Yves, qui a fait le manuel. Qu’est-ce que tu en penses, Yves ?
Yves : je pense qu’il y a un gros niveau d’intégration des fonctionnalités. Il y a une systématisation des raccourcis. Donc il faut savoir que les déficients visuels, ils n’utilisent pas très peu la souris, ils ne voient pas l’écran, et donc ils utilisent beaucoup les raccourcis et ils écoutent ce que raconte le système. Il faut quand même dire qu’on s’est basé sur Orca, qui préexistait, mais Patrick a mis, je pense, toute… en anglais on dit la glue, je sais pas comment dire en français, la colle,
Patrick : le liant
Yves : tous les liants autour et au-dessus de Orca pour que tous les utilitaires ou les applications principales fonctionnent en harmonie.
C’est ça qui était difficile, que tout ça marche d’une manière homogène. Qu’est-ce que tu en penses Patrick ?
Patrick : oui c’est très bien, je suis d’accord avec toi Yves. En fait on a rajouté une interface aussi, en fait cette version là on avait une contrainte supplémentaire, il faut qu’elle soit double système, c’est à dire qu’elle peut être utilisée par un non-voyant et par un voyant, ou par un mal-voyant et un voyant.
Donc il faut qu’elle bascule en automatique d’un mode à l’autre sans qu’il y ait de perturbations, c’est à dire que par exemple si une personne voyante démarre quand il est en mode accessibilité, d’accord, donc pour le non-voyant, Orca va démarrer tout de suite. Même on peut aussi avoir un zoom par un logiciel qui s’appelle Compiz. Bon le zoom il ne le verra pas trop, ça ne va pas lui changer. Mais par contre il va entendre en permanence Orca lui parler.
Donc là, on a rajouté une fonction qui permet, tac, de basculer d’un mode à l’autre. Donc soit par un clic sur un bouton qu’on explique à quel endroit il se trouve, soit par un raccourci, on clique, on décoche une case et paf, on passe dans l’autre mode. Ça c’était une contrainte et une demande aussi de l’association YovoTogo. Donc on a ça et on a rajouté beaucoup de logiciels qu’on a trouvé à différents endroits, on a même aussi poussé un peu le vice pour rajouter des logiciels pour les personnes qui ont des déficiences motrices, pour pouvoir cliquer sur une souris, ce genre de choses. Donc on a poussé un peu plus loin que ce qui était demandé au départ.
Et on a rajouté beaucoup de logiciels en se disant comment ils feront pour faire ça, comment ils feront pour faire ci. On a posé beaucoup de questions auxquelles on n’a pas eu de réponse. On a trouvé des bugs, beaucoup de bugs, qui n’ont pas été résolus. Donc voilà, on n’est pas tout à fait convaincus du résultat. Il y a encore des choses à améliorer, mais on a essayé de faire le maximum dans le temps des six mois qu’on avait. Au début, j’ai dit à Claude il faudra 6 mois, il m’a dit non regarde tu viens de me faire une démo avec Orca, j’ai dit oui mais attends Claude… là c’est juste le lecteur d’écran, il faut mettre tout ce qui va autour pour que ça fonctionne bien.
Quand on a le lecteur d’écran, il ne lit que des logiciels pour lesquels il est adapté, il y a des logiciels pour lui c’est une fenêtre noire donc il ne lit pas, donc il a fallu trouver certains logiciels, en changer par exemple. On a changé la calculatrice, que la calculatrice soit accessible aux non-voyants. Voilà par exemple.
Walid : la question que je me pose là, c’est que de ce que je comprends, j’ai l’impression qu’il y a deux travaux. Il y a un premier travail qui est d’intégration de paquets dans la distribution. Et il y a un deuxième travail qui est plutôt de modification de comportement. Est-ce que tu refais du packaging ? Comment est-ce que tu intègres tout ça ?
Patrick : alors, des fois, on vient patcher certains logiciels dans le code source. On évite de le faire, d’accord ? On rajoute quelques scripts à certains endroits et puis, avec certains logiciels, on essaie de solliciter les personnes qui le maintiennent pour qu’ils le fassent évoluer, mais des fois, c’est lettre morte, voilà. Il y a les deux. Mais on repackage pas, nous on repackage pas. On a pas fait ça nous en paquets séparés à une époque. Quelqu’un voulait m’aider pour faire ça, mais c’est beaucoup de boulot de faire des paquets séparés.
Nous on gère pas les dépôts, on fait tout en monobloc. C’est faisable, mais c’est du boulot supplémentaire. Et il faut les valider. Déjà on a pas les personnes pour valider les évolutions qu’on a faites. Donc là on va sortir avec des évolutions qui ne sont pas testées avec le niveau d’exigence que l’on voudrait. Tant pis, on sort, c’est pas grave, mais c’est comme ça.
Les rapports actuels avec Emmaüs
Walid : si on passe à la suite, est-ce que vous aviez toujours des rapports avec Emmaüs ? Est-ce que vous savez s’ils utilisent toujours Emmabuntüs pour le reconditionnement ? Juste un peu savoir où ça en est.
Patrick : alors avec Emmaüs on a encore quelques rapports. On a des rapports avec un autre, Yves, qui est du côté de Dijon, qui reconditionne toujours avec des Emmabuntüs, mais c’est lui qui gère le stand chez Emmaüs en tant que bénévole. On a sûrement d’autres communautés Emmaüs qui l’utilisent, mais même quand ils l’utilisaient, c’était toujours très difficile d’avoir des retours.
Tu vois, donc c’était toujours difficile. Quand t’envoies des mails à des gens disant, bon, il faudrait faire quelques petits retours, les gens ont du mal à faire des retours. Pareil pour nos utilisateurs ou les gens qui viennent sur le forum, c’est très rare que les gens, à l’heure actuelle, je ne sais pas comment c’était avant, mais quand ça marche, ils viennent te dire merci, ça marche.
En général, quand t’as pas de retour, c’est que ça marche. Mais on n’a pas beaucoup de retours, le meilleur retour que l’on ait, c’est pour ça qu’on travaille avec eux, avec les associations YovoTogo et Jump Lab’orione, parce qu’on a beaucoup de retours sur le matériel sur place, sur les maintenances. On a un groupe d’échange sur WhatsApp pour poursuivre ça et donc là on a beaucoup de retours et on superdise énormément ce qui se passe.
L’identité graphique
Walid : comment vous avez travaillé sur l’identité graphique de la distribution Emmabuntüs ?
Patrick : alors l’identité au début c’était, on a fait, comment dirais-je, par nous-mêmes. Et puis il y a eu une version où on a sollicité, on a fait un appel à des personnes pour nous aider, pour une nouvelle identité graphique un petit peu. Et donc on a eu des personnes qui sont venues nous aider là-dessus. Il y a eu Juliette Taka qui a fait des versions pour Debian officiels, plusieurs fonds d’écran qui nous ont aidés. Il y a eu JCZ qui est aussi venu nous aider pour un redesign de notre logo. Depuis on n’a pas fait d’autres évolutions graphiques, c’est eux qui l’ont fait. C’est sur la Emmabuntüs DE4 je crois, c’est des
évolutions qu’on a gardées sur l’Emmabuntüs DE5. Moi en fait sur cette version là en fait à l’époque ce que je faisais c’est moi qui faisais les évolutions graphiques des Debian mais comme la version Debian qui était la 11, je n’étais pas convaincu des fonds d’écran qui avaient été faits aussi par Juliette au final. Je n’étais pas convaincu, j’ai trouvé un peu trop sombre, à mon goût c’est très beau, mais en fond d’écran de démarrage, ça j’ai trouvé un petit peu trop sombre et donc on a fait un appel et après c’est elle qui s’est proposé de nous venir nous aider.
On a fait deux interviews, pour les internautes que ça intéresse, il y a deux interviews de chacun d’eux sur notre blog qui expliquent leur démarche.
La communauté Emmabuntüs
Walid : je mettrai les liens dans la transcription de l’épisode. (NDLR : Juliette et Jean-Claude) Tu as parlé un peu de la communauté, je voulais savoir un peu de qui se composait votre communauté et qu’est-ce que vous en savez ? Et puis comment vous interagissez avec elle, par quels moyens. Là tu as parlé un petit peu du fait que vous aviez un groupe WhatsApp, que vous travaillez avec deux assos et tout. Est-ce que vous savez, vous avez une idée de qui utilise un peu, qui utilise Emmabuntüs ?
Patrick : il y a beaucoup de questions. Le groupe WhatsApp n’est pas un outil du collectif Emmabuntüs. Je précise, je préfère le dire tout de suite pour éviter d’avoir des gens qui disent « Comment ça vous utilisez un groupe WhatsApp ? » Non, le groupe WhatsApp n’est pas un outil Emmabuntüs, c’est un outil qui est utilisé par les associations YovoTogo et Jump Lab’orione, dans lequel Yves et moi-même y sommes, n’est-ce pas Yves, toi tu y es aussi ?
Yves : oui.
Patrick : on a un groupe pour les projets de Jump Lab’orione, les salles informatiques on va dire, là aussi on a un lien sur notre site qui présente un petit peu les salles, la cartographie des salles avec quelques photos des salles, une photo par salle mais on en a des centaines, on ne va pas toutes les mettre, faire galerie photo…
Donc ça c’est ce groupe là, on a aussi un groupe qu’on appelle Emma Adapté, aussi dont Yves fait partie, un groupe WhatsApp, ça c’est le groupe pour travailler avec Jean-Pierre, avec Justin, qui sont les personnes malvoyantes qui vont faire le support au Togo de cette nouvelle version. Parce qu’il va y avoir une formation spécifique pour les enseignants et les personnes malvoyantes qui vont superviser cette version.
Elle va être partout, mais en mode accessibilité, il y aura des gens qui vont l’encadrer. Yves d’ailleurs est en train de faire un manuel à ce sujet pour présenter toutes ces évolutions. On en est à combien de pages Yves sur ce manuel ?
Yves : c’est toi qui me l’as dit, une quarantaine je crois.
Patrick : je crois plus non depuis que tu as travaillé dessus. Oui. Bon on va dire une quarantaine de pages. D’accord.
Donc pour le collectif Emmabuntüs, les modes d’utilisation sont des listes de diffusion. Donc une liste de diffusion qui est chez Framasoft. Et donc on communique comme ça avec les membres. Après, pour les tests, on utilise des Framapads. D’accord ? C’est le Framapad qui n’est plus chez Framasoft, on l’a auto-hébergé grâce à… à son prénom, ça ne me revient pas… qui nous a aidé à le mettre en place.
Yves : c’est pas Ange ?
Patrick : Non, c’est pas Ange, ça me reviendra, j’ai un trou de mémoire. A 10h, c’est normal. Donc voilà, qui nous a aidé à les mettre en place. (NDLR : précision, c’est Jean-Luc de Webassoc)
Donc on a ça pour les tests, c’est-à-dire qu’on envoie un mail à tout le monde en disant on met en place telle version, le FramaPad y’a les liens de téléchargement et vous mettez vos retours sur le FramaPad avec votre prénom. Ça ce sont les modes d’échange que l’on a dans notre collectif.
Après, on travaille aussi autour du FramaGit, c’est la forge logicielle. Elle est chez Framasoft, on n’a pas migré pour l’instant. Et donc là on a la dernière version, en version publique, dont les gens peuvent voir les paquets, les scripts, et on discute là la partie évolution technique. Quand par exemple, on discute justement de ces évolutions EmmAdapté, des manuels, on travaille en groupe là-dessus. Ceux qui veulent viennent là-dessus et on les autorise à participer. Les autres personnes peuvent juste voir ce qui s’y passe sans pouvoir participer.
Si quelqu’un nous fait une demande de participation on lui donne les droits sans problème. Voilà nos modes de fonctionnement. J’ai rien oublié Yves ?
Yves : non, je ne pense pas. Entre temps j’ai jeté un coup d’oeil sur la doc et il y a 60 pages en ce moment.
Patrick : voilà, merci. Je m’en doutais.
Le projet Jerry DIT (Do-It-Together)
Walid : super. Je voudrais maintenant qu’on parle d’un projet. Je n’avais jamais entendu parler et j’ai découvert pendant une conférence des gens de Montpellibre aux JDLL, journée du logiciel libre à Lyon. Et j’ai trouvé ça super. C’est le projet Jerry. Alors j’aimerais bien que vous expliquiez un petit peu ce que c’est que le projet Jerry et un peu comment vous vous intervenez à l’intérieur de ce projet.
Patrick : je vais laisser la parole à Yves.
Yves : non, c’est à toi Patrick, Jerry c’est toi.
Patrick : bon ok, le problème c’est que je ne veux pas monopoliser tout le temps la parole.
Walid : Ne t’inquiète pas, c’est pas grave.
Yves : c’est toujours un plaisir de t’entendre Patrick.
Patrick : surtout quand j’ai mangé chez toi, que je te parle pendant des heures, après t’as mal à la tête. Bon ok, donc on y va pour le projet Jerry.
Le projet Jerry, c’est le hasard de la vie. A une époque, on participait, notre collectif, beaucoup plus activement à des événements. On a participé à des Ubuntu parties. Au début, quand j’étais tout seul, c’est comme ça que j’ai rencontré Hervé, à une Ubuntu party. On a participé à beaucoup d’événements : la fête de l’humanité, au samedi du libre, beaucoup.
Donc là, depuis quelques temps, on a un peu levé le pied. Je suis un peu fatigué des événements. Ce n’est pas que je n’aime pas, mais on ne peut pas tout faire dans la vie. Donc, il faut faire des choix.
Et donc, un samedi du Libre, on va revenir là-dessus, j’ai rencontré Emilien du projet de Jerry, qui était venue présenter. C’était à Paris, à la Cité des Sciences, et donc je vais rencontrer Copsa à la fin, je vois passer avec son bidon, je lui dis « tiens qu’est-ce que tu fais toi ? »
Et puis il m’explique que j’avais pas pu, comme j’étais présentateur de mon côté, je faisais des install parties, j’avais pas pu assister à sa conférence, et puis il me dit « voilà c’est ça et tout », je lui dis écoute tu sais, nous on fait une petit fête Emmabuntüs chez moi avec des amis du collectif, si tu veux tu viens, tu nous expliqueras ce que c’est ton projet.
Il est venu et donc on a discuté et après on a vu toutes les affinités qui étaient entre nos deux projets et donc depuis ils ont dit que Emmabuntüs c’était entre guillemets la version officielle pour installer sur des Jerry.
Donc je vais quand même expliquer aux auditeurs, parce que je n’ai pas expliqué ce que c’était que le Jerry. Un Jerry en fait, c’est un bidon de 20 litres qui va permettre d’être le contenant d’un ordinateur. Donc au lieu de mettre un ordinateur dans des unités centrales toutes moches en métal, on va les mettre dans un bidon qui peut être blanc, jaune, tout ça qui est plus joli.
En fait, ça c’est le côté ludique. Mais le côté pratique c’est que quand on est dans un châssis d’ordinateur et qu’on veut faire du reconditionnement et qu’on n’a pas les moyens d’avoir les ordinateurs tous identiques, ils sont tous un peu différents. Il y a certains formats, par exemple certaines alimentations qui n’ont pas exactement la même taille, surtout quand les ordinateurs ont tendance à retrécir en taille. Donc le fait d’avoir un bidon, c’est qu’on a une structure qui est souple et on peut fixer les éléments un petit peu on veut avec du fil à linge, donc ça permet d’adapter cette structure là. Par exemple dans un Jerry on peut mettre un disque 2,5 pouces avec des composants d’une unité centrale fixe : ça on ne pourrait pas le faire dans une unité centrale fixe où il faudra un adaptateur. Donc ça, ça permet avec cette structure là de s’adapter.
C’est ça qui a plu énormément en Afrique parce qu’eux ils récupèrent du matériel qui est très très hétéroclite et avec ça ils ont la possibilité de continuer à le faire fonctionner. Donc avec deux ordinateurs complètement différents, deux unités centrales complètement différentes, on peut arriver à faire un Jerry qui fonctionne, où on arrive à mettre les éléments dans ce fameux bidon de 20 litres, ce que nous ne pouvons pas faire avec deux unités centrales classiques. Voilà, c’est ça le gros intérêt.
Walid : c’est génial, après je suis allé regarder un peu les différents designs, les gens ils customisent complètement leurs Jerry et tout, c’est génial.
Patrick : après derrière il y a la partie effectivement ludique où on va personnaliser son Jerry et des ateliers, nous on a un Jerry qui a été fait par justement l’équipe de Jerry, c’est celui que j’ai chez moi là, c’est le Jerry Abbé Pierre, ils ont fait la physionomie de l’Abbé Pierre avec ses lunettes et tout ça.
Après on peut faire des Jerry, il y en a qui ont fait des Jerry mignons. Après c’est le côté créatif qui l’emporte et ça permet d’avoir un ordinateur transportable aussi.
Nous on s’en sert quand on faisait des événements, on venait avec le Jerry parce que rien que pour nous c’était beaucoup plus pratique parce qu’on met les câbles qui vont avec à l’intérieur, on ferme la coiffe et on n’a qu’à porter le clavier d’un côté et l’écran de l’autre et on peut transporter tout d’un coup, une seule fois.
Donc si tu as une unité centrale, déjà c’est beaucoup plus lourd et c’est beaucoup plus dur à transporter seul. Et donc ça c’est un projet qui a pris énormément en Afrique, en Côte d’Ivoire, et ils ont fait des événements, on continue à faire des événements avec eux, maintenant ça s’appelle l’événement le Jerry Valentin. Ils font ça à l’époque de la Saint-Valentin. Ne me demandez pas pourquoi. Moi, je ne sais pas. En plus, je ne suis pas croyant. Mais bon, ils font ça à l’époque de la Saint-Valentin. Et donc, ils font des Jerry à cette période-là, en février.
Nous, on ne participe plus trop en tant que concepteur, mais plutôt pour animer des petites conférences. Et Amaury, il était là, il nous aurait parlé de son Jerry roulette. Il a fait une fois un Jerry roulette avec des lettres de tous les côtés pour la Saint Valentin. On a dit qu’il fallait faire une animation en Europe, alors il a fait ça de son côté très pro.
(NDRL : plus d’infos sur la création de Jerry sur le site d’Amaury, Blabla Linux)
Voilà un petit peu l’histoire du Jerry.
Walid : ouais, je trouve ça assez fou comme projet, comme quoi là.
Patrick : mais par contre au Togo, ils n’ont pas accroché.
Walid : donc vous vous êtes déplacé au Togo pour aller aider à installer tout ça ?
Patrick : ah non non non non non, ils sont installés en France, ils sont envoyés par conteneur jusqu’au Togo. Après ils sont remontés au tout début du projet, on était au nord du Togo, 700 km au nord du Togo, d’accord, maintenant on est en train de redescendre et là on a maintenant deux grandes régions du Togo sur cinq. Et là je pense l’année prochaine on sera dans cinq régions sur cinq avec les projets pour les malvoyants, on sera dans onze nouvelles structures avec ce projet-là. C’est pour ça que c’est un projet important pour nous parce que c’est 60 ordinateurs, on ne fait pas en demi-mesure, c’est 60 ordinateurs qui sont affectés pour les non-voyants, dans à peu près 11 structures. Et donc là-bas, on y va essentiellement, l’année où j’y suis allé en 2017, la première année, pour des inaugurations et pour discuter avec les équipes sur place, pour se rencontrer.
Mais sinon, nos amis de YovoTogo, ils y vont tous les ans. Mais eux, ils ont d’autres projets à côté, ils ne font pas que l’informatique. L’informatique, c’est une grande part, mais ils parrainent de mémoire, tu vas me dire, 60 enfants je crois, non ?
Yves : quelque chose comme ça.
Patrick : oui. 60 enfants, ils font des projets de réhabilitation de bâtiments, construction de bâtiments, voilà ils font des choses.
Yves : ils aident beaucoup les femmes aussi à se libérer un petit peu de l’emprise des mâles et de prendre un peu leur autonomie.
Le financement d’Emmabuntüs
Walid : je m’aperçois qu’il y a un sujet, une question que je ne t’ai pas posée, c’est la question du financement. Tout ça c’est complètement bénévole ? Vous n’avez pas du tout de financement de personne ? C’est sur votre temps libre ?
Patrick : oui bien sûr, c’est sur notre temps libre. On est tous bénévoles.
Le seul financement que l’on a, qu’on a réussi à collecter grâce à la distribution, c’est un financement qui vient du moteur de recherche Lilo. On l’a intégré en 2017 dans Emmabuntüs par défaut ce moteur de recherche. Et ce moteur de recherche, pas qu’à nous, il donne des gouttes, il permet de collecter des gouttes. Pour les internautes, à chaque fois qu’on fait une recherche ou deux, trois recherches, on collecte une goutte. Et ces gouttes après sont transformées en euros, grâce au revenu financier qu’a le moteur de recherche par les annonceurs, les publicités moi je ne les ai jamais vu mais bon. Ces annonceurs du style un petit peu à la Google quoi, c’est des Adsense en haut, c’est pas des grosses fenêtres qui passent. Et grâce à ça on a collecté 21 000 euros par là. Et ces 21 000 euros on les a donné, le collectif Emmabuntüs n’a pas non plus de compte en banque, puisqu’on est un collectif,
et donc on les a donné par notre intermédiaire aux associations YovoTogo, Jump Lab’orione et aussi à une époque Montpel’Libre. Mais depuis quelques temps on a réduit le nombre d’associations parce que au niveau des revenus du moteur de recherche c’est moins important, et là on va devoir, c’est critique pour cette année, on n’a pas assez de financement pour payer l’envoi du matériel au Togo. Donc on va voir comment faire.
Il nous faut à peu près 1 500 euros à 2 000 euros par an pour l’expédition du matériel. Ce qui n’est pas excessif, mais bon, c’est pas non plus rien. Donc tous les dons, et puis aussi le rachat des fois d’un peu de matériel comme des écrans, comme des claviers. On a des gens qui nous font des prix défiant toute concurrence, d’accord, donc voilà, dans du matériel de réemploi opérationnel. Mais il faut quand même à peu près 2000 euros par an pour maintenir le projet.
Yves : oui, puis maintenant pour les envoyants, il faut des ordinateurs qui parlent.
Patrick : oui, maintenant aussi, il faut qu’on achète aussi des casques audio.
Les défis d’Emmabuntüs
Walid : ok, avant qu’on se quitte, je voudrais passer à la dernière partie qui est l’avenir, j’aimerais savoir un peu quels sont vos grands défis ? De ce que je comprends il y a un défi de contribution, il y a un défi financier, enfin voilà. Je voudrais juste que vous résumiez un petit peu quels sont pour vous les défis à venir sur la distribution et le collectif autour de la distribution.
Yves : moi personnellement j’ai un challenge. Je suis le traducteur en anglais officiel du collectif et donc maintenant que la version française est quasiment finie, il faut que j’attaque la traduction en anglais du manuel. Et ensuite essayer de convaincre nos partenaires, on a quelques partenaires en langue anglaise, par exemple Linux Format, pour ne citer qu’un seul, avec lequel je dialogue – enfin plus exactement je sers d’intermédiaire entre Patrick et ses anglophones – et je mets du lien pour essayer de promouvoir Emmabuntüs auprès de ces gens-là, qui a priori voient toujours ces trucs franco-français, avec des pincettes si tu veux, il faut un peu les amadouer et leur montrer qu’on supporte quand même la langue anglaise. Bon an, mal an.
Patrick : tout à fait.
Walid : avant on a dit aussi qu’il y avait donc un défi financier puisqu’il vous faudrait 1 500 à 2 000 euros par an pour les envois de matériel. J’ai compris qu’il y avait un défi humain dans le sens où vous aimeriez bien avoir des gens qui viennent vous rejoindre pour contribuer dessus ?
Patrick : oui on a besoin surtout de personnes qui nous aident dans les tests. Mais après pas que ça, les gens qui veulent participer au développement sont les bienvenus aussi, mais essentiellement les tests, parce que bon, ça prend du temps, le développement. Moi là j’étais assez occupé sur le développement, je pouvais pas tout faire, donc voilà…
Donc Yves s’occupe effectivement de la partie, toute la partie rédaction, parce que là quand on a fait la distribution, on a dû faire des nouveaux manuels. Yves fait le manuel spécifique aux évolutions d’Emmabuntüs sur l’accessibilité. On a dû faire aussi un manuel sur les premiers pas d’Orca, qui n’étaient pas prévus, parce qu’ils n’existaient pas.
Yves est modeste aussi, parce qu’il dit qu’il va traduire les 60 pages, mais bon ça va aller très vite. Parce que Yves a quand même traduit un manuel, de combien de pages le manuel qu’à fait Arpinux là ?
Yves : j’ai participé au manuel qui s’appelle les cahiers du débutant – Debian Facile.
Patrick : maintenant oui. Donc effectivement c’est un gros pavé qui était en français. Et donc j’ai beaucoup contribué à la traduction en anglais de ce manuel.
Patrick : t’as fait toute la traduction moi je crois.
Yves : J’ai pas tout fait mais j’en ai fait pas mal oui.
Patrick : donc voilà donc on participe aussi on ne fait pas que des choses pour notre collectif. S’il y a des actions qui ont du sens pour nous, pour la collectivité du logiciel libre, on participe aussi. On ne fait pas que… Yves par exemple, il a fait des voix pour… C’est quoi le logiciel là, M. Patate ? T’as fait des voix anglaises ?
Yves : c’est mon épouse qui a fait le… Voilà les voix anglaises de M. Patate.
Patrick : mais toi aussi, toi aussi t’as fait des voix, je sais.
Yves : ah oui, peut-être.
Patrick : oui, Robin des bois tu as fait je crois.
Yves : ah oui c’est possible. Donc voilà, on fait certaines choses comme ça. Et donc voilà, après aussi ce qu’on cherche c’est des gens qui viennent nous aider, mais aussi des gens qui nous donnent des idées sur des nouveaux projets, comme des défis par exemple, ce défi sur l’accessibilité.
Là peut-être on a une collaboration, je ne peux pas en parler trop : on va faire une sorte d’aide pour une association malgache qui est en train de développer une distribution Linux qui est a priori plutôt basée sur Mint. et ils veulent avoir notre retour sur ce qu’on pense de leur travail, par exemple. Donc on va les aider et peut-être on arrivera à les convaincre d’utiliser une base Debian pour leur future distribution, je ne sais pas, on va voir. On attend leur premier jet de leur ISO.
Mais effectivement il y a toujours besoin de personnes dans une association, dans un collectif, dans n’importe quelle structure, il y a besoin de, toujours de nouvelles personnes parce que les gens qui sont là, ils se fatiguent un petit peu de faire la même chose, nos testeurs, on en est à la version Emmabuntüs DE5, d’accord ? Ça veut dire qu’on a fait 5 versions Debian, ok ? On a déjà fait avant 2 versions Ubuntu, d’accord ? Donc on en est à 7 !
Voilà, donc à chaque fois on lance des campagnes de tests, maintenant j’ai levé un peu le pied, on va dire tous les 6 mois, tous les 6 mois on fait une nouvelle version. Alors il y a des versions, c’est juste quelques petites mises à jour, il n’y a pas grand chose, quelques correctifs. Là c’est un gros morceau qu’on vient de faire et donc on a besoin de testeurs à chaque fois pour vérifier les choses.
Conclusion
Walid : on va arriver vers la fin de l’interview, avant de vous laisser une tribune libre, je voudrais vous poser deux questions, la première ce serait, qu’est-ce que vous diriez à un utilisateur de Linux qui ne connaît pas Emmabuntüs pour présenter Emmabuntüs ?
Patrick : très bonne question! Je ne sais pas, ce que l’on a dit c’est une distribution qui se veut plus accessible et qui se veut plus axée sur toutes les personnes de la famille, voilà. C’est ce qu’on a essayé de faire. C’est pas une distribution qui s’adresse aux geeks qui veulent avoir leur propre version, mais c’est une distribution stable aussi. On a essayé de jouer essentiellement sur la stabilité des logiciels intégrés, c’est à dire qu’on prend que des versions standard de Debian. On ne va pas trop modifier les dépôts, ce sont les dépôts officiels.
Il y a juste pour un Orca, on a pris une version backport plus récente pour avoir des nouvelles fonctionnalités, mais sinon, et pour avoir aussi un peu plus d’aide au support, mais sinon on a pris des choses stables.
Alors certains vont reprocher que les logiciels sont un peu anciens, mais bon, pour moi c’est toujours la course à la nouveauté. Des fois on n’a pas besoin de nouveautés, je veux dire. Donc on n’a pas besoin de dernier LibreOffice, du dernier Firefox. Si celui qu’on a fonctionne bien, il faut bien avoir celui qui fonctionne bien, que celui qui est mis à jour tous les jours et qui ne fonctionne pas bien, à mon avis. Voilà.
Walid : deuxième question, qu’est-ce que vous diriez à un reconditionneur de matériel informatique qui ne connaît pas Emmabuntüs ?
Yves : Essayez la clé ! La clé de réemploi est absolument géniale.
Patrick : les gens au début ne comprennent pas trop de quoi il s’agit. Quelqu’un qui ne reconditionne qu’un ordinateur par jour, ça ne lui est pas nécessaire. Mais quelqu’un qui fait 10 ordinateurs par jour, il verra un gain de temps très important.
Walid : ok. Avant de vous laisser, je vais vous donner à chacun la parole pour une tribune libre, si vous voulez faire passer un message aux auditrices et aux auditeurs du podcast Projets Libres.
Yves : je n’ai rien de spécial à ajouter, si ce n’est de te remercier pour cette soirée passée avec toi et Patrick.
Walid : avec grand plaisir. et Patrick, est-ce que tu as un message à faire passer ?
Patrick : moi, je dirais que les gens devraient plus essayer le logiciel libre pour découvrir ses atouts de sortir des systèmes propriétaires qui les enferment dans des solutions qui ne sont pas viables et qui ne sont pas maintenues dans le temps.
Walid : bah génial, ça fait une très belle conclusion. Moi je vais vous remercier aussi pour votre travail puisque ça fait tourner le vieux Sony Vaio de ma femme d’il y a 15 ans comme je le disais tout à l’heure et que ça marche très bien donc merci.
Patrick : et tu ne t’es pas fâché avec elle ?
Walid : non non.
Patrick : alors c’est parfait alors
Walid : c’est parfait pour l’instant ça se passe plutôt bien on a juste changé le disque dur et mis un peu de mémoire.
Patrick : il faut mettre des SSD, on en a pas parlé de ça. Ouais il faut mettre des SSD, moi je travaille maintenant avec des SSD, c’est phénoménal.
Walid : voilà donc merci beaucoup pour votre travail voilà moi je vais continuer à suivre ce que vous faites pour les auditrices et les auditeurs, je vous invite fortement à aller voir Emmabuntüs et à l’essayer bien entendu. Je vous invite aussi à partager cet épisode qui sera disponible avec une transcription française et une traduction en anglais comme d’habitude maintenant. A bientôt pour un prochain épisode.
Et puis Yves et Patrick, ce fut un grand plaisir.
Yves : nous aussi.
Patrick : nous aussi, à bientôt Walid.
Walid : j’espère qu’on se reparlera une prochaine fois. A bientôt.
Cet épisode a été enregistré le 3 juillet 2024.
Licence
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